Croquer le Kraken [Mission rang A - avec PNJ+Kudo Tsume]

« Mais quel enfer ! » Réprimant un juron, la dame pénétrait dans la tour du Senkage en trombe, poussant les portes sans ménagement. « Quel enfer ! » répétait-t-elle intérieurement.
D’un coup d’œil rapide, elle cherchait un visage familier – celui d’un petit homme à lunette, amoureux de la paperasse, qu’elle devait bien croiser une paire de fois chaque mois. Mais il ne se trouvait visiblement pas dans l’entrée principale, aussi poursuivit-elle son chemin sans s’arrêter, gravissant les marches du bâtiment à toute allure, et l’on put entendre ses talons marteler férocement le sol encore quelques instants, puis une porte s’ouvrir et se refermer violemment, et enfin, le silence.
Un ouragan venait de passer, voilà tout, et chacun pouvait retourner à ses activités... Excepté peut-être ce pauvre préposé aux missions qui avait, à présent, une femme au regard sévère et aux lèvres pincées en face de lui, dans son bureau.

« Le capitaine Ashabu, ça vous dit quelque chose ? Il s’est adressé à Uzushio récemment, pour demander une escorte. Vous avez attribué cette mission, non ? Qui est dessus ? » Elle s’était exprimée sans animosité, contrairement à ce que son attitude pouvait laisser supposer. A vrai dire, elle était surtout pressée, et c’était cet empressement qui lui donnait un petit air furieux tout à fait charmant. « Euh… Je… » balbutia l’homme, incertain, visiblement pas préparé à ce que quelqu’un débarque de la sorte. « Ashabu ! » répéta-t-elle, avec une pointe d’agacement cette fois. D’un signe de la main, elle lui intimait de fouiller dans ses affaires, sans trainer. Remontant ses lunettes sur son nez, il s’exécuta alors et extirpa un parchemin d’un de ses tiroirs qu’il déplia. « A… Asha… Ashabu, oui, le voilà. Le Senkage a donné cette mission à Otobaka Hajoon et Kudo Tsume… » Ah ! Le hasard faisait drôlement les choses… C’était donc l’un de ses élèves qui avait hérité de cette affaire. Mais, étrangement, cela ne parut pas la rassurer. « Mais… Euh… C’est une mission assez… Enfin, je veux dire… Comment… ? » Comment était-elle au courant ? Elle eut un sourire désolé. Parce qu’Uzushio avait des informateurs ici et là, les gens s’imaginaient avoir une longueur d’avance sur leurs ennemis, sans se douter que d’autres pouvaient tenir le rôle inverse et rééquilibrer ainsi la balance. C’était à la fois touchant de naïveté et très triste.

Parce que oui, bien d’autres étaient au courant de cette mission. Tout d’abord, quelques mercenaires, certainement, puisqu’un homme du nom d’Isamu souhaitant faire concurrence à Ashabu avait embauché des shinobis dans son équipage. Et puis, bien sûr, les Arpenteurs des Six Chemins. A cette pensée, la dame réprima une grimace. Pour être tout à fait honnête, c’était bien ça qui lui posait présentement problème.
Elle s’était toujours attachée, jusqu’alors, à compartimenter les différents aspects de sa vie. Séparer le personnel du professionnel, bien sûr – et c’était la raison pour laquelle peu de gens étaient au courant pour son enfant –, mais également ses activités professionnelles entre elles. Elle ne revendiquait pas, à Uzushio, son appartenance à la fameuse organisation. De même, mandatée par les Arpenteurs, il ne lui serait jamais venu à l’esprit de brandir son insigne d’Uzushio. Ce système n’était certainement pas idéal, car le jour où tout éclaterait son propre pays la percevrait peut-être comme une sorte de traitre, il avait néanmoins l’avantage d’être efficace et de lui permettre une totale liberté, car elle avait la confiance des uns et des autres, en attendant l’inévitable.
Ce qu’elle avait négligé de prendre en compte dans cette équation, cependant, c’était qu’il y avait dans ce monde des forces qui ne dépendaient pas de sa volonté : les Hommes eux-mêmes, notamment. Et, de fait, ce seraient les Hommes qui finiraient par la mettre dans une situation délicate, l’obligeant malheureusement à choisir son allégeance.

Ainsi, un peu plus tôt dans la journée, elle avait appris d’une connaissance que la dénommée Jitsuko était partie enquêter par-delà les îles Taisei, et cette information n’aurait certainement pas provoqué tout ce remue-ménage si elle n’avait pas été accompagnée d’une remarque malicieusement glissée à son attention : Uzushio serait de la partie – pour une toute autre raison, certes, mais leurs chemins se croiseraient assurément.
Il y avait donc, d’un côté, Jitsuko, Arpenteur des Six Chemins dont la réputation n’était plus à faire. Et de l’autre, Tsume – en qui elle plaçait toute sa confiance pour ce qui était de se battre, mais pas vraiment pour ce qui était de faire preuve de diplomatie – et Hajoon – qu’elle ne connaissait pas, mais dont elle apprit qu’il était seulement genin.
Tapotant nerveusement ses doigts sur le bureau de l’homme, Junko réfléchissait à toute vitesse, tentant d’envisager toutes les possibilités. Voilà qui lui laissait une impression étrange… Bien sûr, tout son être lui criait de se ranger aux côtés du pays qui l’avait accueillie et pour lequel elle éprouvait beaucoup d’affection… Mais la personne qui avait glissé ces informations jusqu’à son oreille s’attendait surement à ce qu’elle ait cette réaction ; lui en voudrait-on au sein de l’organisation, s’il arrivait malheur à Jitsuko ? Sa place serait-elle en jeu ? Elle avait subitement la désagréable impression d’être le pantin d’un autre. A l’inverse, si Tsume ou Hajoon faisaient les frais de son silence… Ce serait certes le Kage qui aurait leur échec – ou pire, leur mort – sur la conscience, car il était celui qui les avait négligemment envoyés en mission, mais n’était-ce tout de même pas une trahison de sa part ? Envers son élève et envers sa patrie.

Elle soupira. Il fallait qu’elle intervienne, il fallait qu’elle évite une confrontation entre les deux entités ; en restant neutre et en laissant le sort décider pour elle, elle aurait des regrets, c’était certain… Mais ses actions étaient limitées aussi, à vrai dire. Elle ne pouvait pas se permettre de prévenir l’administration d’Uzushio, ou le Kage lui-même, sans prendre le risque d’avoir à révéler son affiliation à l’organisation… « J’aimerais voir l’ordre de mission, s’il-vous-plait. Vous avez dit qu’il s’appelait comment le genin ? Hajoon, c’est ça ? » Acquiesçant, il fouilla un instant, puis lui tendit les papiers qu’elle demandait, l’air soudainement curieux. « Dites, vous savez que je vous fais confiance, mais… » commença-t-il. Il n’eut pas le temps de terminer sa phrase ; Junko était déjà partie.

Elle s’expliquerait à son retour.


D’Uzushio jusqu’aux îles Tasei, puis des îles Tasei jusqu’à Jakunatako, Junko eut l’impression de courir contre la montre. Où qu’elle aille, elle questionnait les autochtones à la recherche de l’équipage. Heureusement, au fil de son enquête, elle en apprenait un peu plus sur leur périple et elle ne perdit jamais totalement leur trace. En particulier, elle finit par apprendre que l’équipage était parti en direction de Jakunatako, un petit port sans grande prétention, qu’elle découvrait elle-même en soirée, déposée à la volée par un navire qui poursuivait sa route.

Elle ne savait pas exactement ce qui avait poussé le navire du capitaine Ashabu à faire escale ici, mais elle espérait sincèrement les retrouver là et ne pas avoir à repartir pour une énième île. Les habitants de la bourgade n’avaient pas l’air particulièrement accueillant, et certainement qu’ils voyaient d’un mauvais œil l’arrivée d’étrangers. Trouver un moyen de transport allait s’avérer délicat, si jamais elle était arrivée, une fois de plus, trop tard.

Prenant un peu plus de précautions cette fois-ci – surtout en raison de l’ambiance un peu pesante –, elle décida d’aborder quelques passants, aux abords des quais, les questionnant vaguement sur la présence d’étrangers voire éventuellement de shinobis – qui savait, peut-être que Tsume avait déjà fait des siennes – ou sur une histoire de Kraken, selon la façon dont la conversation évoluait. Elle était pressée de retrouver ses compatriotes, mais elle redoutait d’alerter quelques individus mal intentionnés. Inutile de mettre ses camarades dans la mouise plus qu’ils ne l’étaient déjà…

Junko avait bien cru perdre, une fois de plus, la trace de ses compatriotes et de l’équipage qu’ils escortaient, alors qu’elle apprenait successivement qu’un groupe d’étrangers avait bel et bien foulé le sol du port, et qu’un navire – qu’elle supposait le leur – avait repris la mer le matin-même. Elle avait senti un brin de désespoir la traverser, avant de se faire la réflexion que les très vagues descriptions qu’en donnaient les trois énergumènes ne collaient pas vraiment avec ce qu’elle connaissait de Tsume et de Hajoon. Il s’agissait donc peut-être de l’un des autres équipages qui s’étaient mis en tête de chasser la légende du Dieu Tentaculaire – eux aussi comptaient des shinobis dans leurs rangs. Mais difficile de statuer, ces gens-là ne paraissaient pas constitués de la même façon que le commun des mortels, l’isolement ayant fait des ravages, et la xénophobie dont ils semblaient faire preuve déformait sûrement leur perception des autres. Qui savait quel vice la peur de l’inconnu les pousserait à voir dans le plus pur des enfants, pourvu qu’il ne soit pas né sur leurs terres. Alors un équipage d’hommes adultes et de shinobis… Tout ce dont elle était certaine, c’était que ni Tsume ni Hajoon n’étaient aveugles. Une maigre lueur d’espoir dans un océan d’incertitudes, mais une lueur qui valait la peine qu’elle fouille la bourgade à leur recherche.

Elle voulut revenir sur la mention d’un certain Kuto-Urufu, savoir de qui il s’agissait – elle imaginait une espèce de chef du village, ou de capitaine du port, quelqu’un qui pourrait l’aider dans sa quête du moins, car il semblait avoir le respect de ces gens –, mais elle s’aperçut que les trois individus ne lui prêtaient plus la moindre attention, absorbés par une toute autre conversation – ou une dispute, elle n’aurait trop su dire.
Haussant les épaules, elle prenait donc congé de ces « miracles de la génétique », non sans un certain soulagement. Si elle avait trouvé que l’air du port, dans lequel se mélangeaient l’odeur du sel, le relent des algues croupissantes et les effluves humains, était assez insupportable, lui piquant le nez à son arrivée, ça n’était rien en comparaison de la puanteur qui émanait des hommes lorsqu’ils ouvraient la bouche. Prenant une grande inspiration, elle tentait de purger ce cauchemar olfactif de son esprit, avant de poursuivre son chemin.

Par acquit de conscience, elle comptait faire le tour du patelin à la recherche des Uzujins. De toute façon, il lui faudrait aussi trouver quelqu’un de suffisamment lucide pour la renseigner sur la direction qu’avait pris le navire du matin, et quelqu’un de suffisamment aimable pour l’embarquer sur son propre bâtiment.
Ayant une confiance aveugle en ses capacités sensorielles, elle ne s’inquiéta pas de ce que le brouillard semblait s’être épaissi, à tel point qu’il était difficile de voir à plus d’un demi-mètre devant soi, et conserva une bonne allure. C’était une erreur, assurément, et elle s’en rendit compte quelques instants plus tard alors qu’elle percutait quelqu’un de plein fouet – un enfant, songea-t-elle, compte tenu de sa taille. « Ah, désolée… » bafouilla-t-elle sur le coup, avant de baisser les yeux.

L’insigne d’Uzushio ; son cœur rata un battement, ses sourcils se froncèrent légèrement avant de se hausser tout à fait. Comment ? « Hajoon ? » s’exclama-t-elle alors, reculant d’un pas pour observer celui qu’elle venait de heurter. La probabilité qu’il s’agisse d’un autre shinobi d’Uzushio était assez faible, mais elle avait préféré s’en assurer, avant de lui montrer son propre insigne, qu’elle s’empressait de replacer dans le pan de son habit.
Elle aurait dû se réjouir de cette rencontre, mais un pli soucieux s’était formé sur son front, signe que quelque chose la  préoccupait. Cette brume… Non, quelque chose n’allait pas. Elle voulait bien croire qu’elle n’aurait pas senti un simple civil ou un animal, avec l’habitude elle avait tendance à ignorer les signatures de chakra les plus faibles, mais Hajoon était un shinobi, elle aurait dû le percevoir, d’une façon ou d’une autre. Cette brume était-elle véritablement naturelle ? Un frisson la parcourut.

Sans un mot quant à cet étrange phénomène sur lequel il faudrait qu’elle enquête, elle reporta son attention sur le jeune garçon. « Junko, jûnin. » se présenta-t-elle sobrement, pour que le genin situe qui elle était dans le spectre de la hiérarchie, s’il ne connaissait pas son nom ou son visage. « Le Kage m’envoie… Pour vous aider. » C’était un demi-mensonge, mais puisqu’elle souhaitait véritablement les aider, il n’avait pas besoin de savoir qu’elle n’avait pas été véritablement mandatée par la haute autorité d’Uzushio. Comme pour appuyer son propos, elle sortait l’ordre de mission dérobé au préposé aux missions, signé de sa main. Tout était en règle, en apparence, personne ne douterait de sa parole.
« Tu es seul ? » poursuivit-elle, jetant quelques regards tout autour. A l’évidence, il l’était, mais sa question signifiait plutôt « Où est Tsume et où est l’équipage ? » Elle apprenait ainsi que les uns étaient allés à l’auberge, tandis que les autres avaient décidé de renforcer le navire qui ne survivrait certainement pas à l’assaut d’une créature comme le Kraken, d’après le genin. Ce dernier était d’ailleurs en route pour retrouver les deux comparses qui avaient quitté l’auberge. Elle hocha la tête. « D’après les gars du port, un autre navire a quitté Jakunatako ce matin. Des étrangers, surement des shinobis, d’après la description qu’ils en ont faite. Si l’on veut mener à bien cette mission, je pense qu’il ne faut pas s’attarder ici. » Leur seule chance ? Passer avant tout le monde. Mais cela paraissait déjà compromis.

Sans hésiter, elle continua sur sa lancée : « C’est lequel votre navire ? Retrouve les deux qui sont partis le réparer… Je vais chercher le reste de l’équipage et Tsume, on se retrouve au bateau. » Elle notait mentalement l’emplacement du navire sur le quai, et prenait la direction que lui indiquait le garçon. Elle n’avait fait que quelques pas lorsqu’elle se retourna, jetant un regard sur Hajoon qui n’était déjà plus qu’une silhouette dans le brouillard. « Et fais attention à toi. Cette brume ne me dit rien qui vaille… »

Premier objectif : retrouver les gars à l’auberge. Il faudrait les convaincre de prendre la mer au plus vite, mais elle avait confiance, l’idée qu’un autre équipage ait de l’avance devrait suffire à les persuader du bien-fondé de sa proposition. Second objectif : finir les travaux qu’avait mentionnés le genin et prendre le large.

La rencontre avec le genin avait été brève mais efficace ; ils étaient sur la même longueur d’onde, et Hajoon n’avait pas l’air d’être de ces gamins perdus qu’Uzushio couvait un peu trop, ce qui avait eu le don de la rassurer. Elle était donc repartie dans l’étrange brume, avec l’assurance qu’il s’acquitterait de sa tâche.
De son côté, elle allongea le pas, pressée de rejoindre l’auberge dans laquelle l’équipage avait décidé de loger. Il n’y avait pas grand monde dans les rues et tout semblait étrangement calme, ce que renforçait l’épais brouillard, étouffant le bruit des pas sur les pavés glissants. Pour être tout à fait honnête, Junko n’avait pas l’esprit tranquille alors qu’elle se mouvait dans le voile blanchâtre : elle n’avait plus confiance en ses propres dons de senseur, à présent. Et peut-être avait-elle raison de douter, car elle ne sentit rien non plus en arrivant devant ladite auberge. Du dehors, aucune trace du chakra de Tsume – on ne pouvait pas dire qu’il lui était inconnu, pourtant.

Un détail la frappa de plein fouet, cependant. Depuis l’extérieur l’on pouvait voir distinctement quelque chose couler le long des carreaux de la fenêtre, rouge comme… Du sang ? Elle n’hésita pas une seule seconde, défonçant la porte de l’établissement avec violence, ce qui fit rouler la tête tranchée sans ménagement, projetant son contenu un peu partout sur son passage. Elle n’avait fait que quelques pas, lorsqu’une odeur nauséabonde l’assaillit ; elle eut un haut-le-cœur, ne s’attendant pas à un tel spectacle : éparpillés çà et là, des bouts de chair encore rosée, des viscères pendants, et du sang, omniprésent. C’était un véritable carnage, qu’elle découvrait avec horreur.
Que s’était-il passé ? Qui avait pu faire ça ? Encore un peu sous le choc, une pensée folle la traversa : Hajoon. Il venait tout juste de quitter les lieux lorsqu’ils s’étaient rencontrés… Mais un genin était-il capable d’un tel crime ? D’autant plus que Tsume était présent… A cette pensée, elle reprit un peu contenance et se mit à marcher parmi les restes humains, à la recherche de quelque chose. Non, elle ne pouvait pas croire qu’un genin puisse battre Tsume, même sous l’emprise de l’alcool, comme il l’avait suggéré. Par contre, le chûnin… Mais, contrairement aux mauvaises langues, Junko avait foi en son élève. Jamais il ne ferait ça sans raison. Alors quoi ? Si elle ne trouvait pas d’indice quant à sa présence parmi les corps, peut-être avait-il pris la poursuite de leur assaillant… Ou peut-être cherchait-elle simplement à se rassurer.

Un bruit sourd provenant du plafond interrompit ses pensées et elle se précipita vers l’escalier, gravissant les marches quatre à quatre après avoir dégainé un kunai de l’intérieur de sa manche. Elle fouilla l’étage sans ménagement, certaine de ce qu’elle avait entendu. Si l’auteur de ces méfaits était encore là, quelque part, elle ne l’épargnerait pas.
Mais ce qu’elle trouva n’avait rien d’un meurtrier : deux hommes, terrés dans les toilettes, l’un visiblement inconscient, l’autre manifestement effrayé. Peut-être aurait-il voulu crier, en voyant Junko brandir son kunai, mais il ne devait plus en avoir la force. Elle abaissa son arme et leva une main, pour témoigner de ses intentions pacifiques. « Je ne vous veux aucun mal… » commença-t-elle doucement, tout en s’accroupissant pour se mettre à leur hauteur. Il fallait d’abord le rassurer, car il semblait toujours sous le choc ; dans ce genre de situation, il était inutile de vouloir presser un civil – elle-même n’avait pas été insensible à la vision du rez-de-chaussée, et elle pouvait comprendre qu’un homme n’ayant pas l’habitude de côtoyer la mort soit d’autant plus bouleversé.

Elle prit donc son mal en patience et attendit qu’il se fût calmé, avant de lui poser quelques questions. Ses souvenirs étaient confus, il balbutiait, cherchait ses mots, mais en lui laissant le temps de remettre de l’ordre dans son esprit, il finit par avoir un discours à peu près cohérent. Elle apprit alors que ces deux hommes appartenaient bien à l’équipage qu’encadraient Tsume et Hajoon : l’homme qui gisait inconscient était le fameux Capitaine Ashabu, et lui, son second. Elle hocha la tête, se présentant comme une jûnin d’Uzushio, missionnée pour les aider. Il n’avait rien à craindre d’elle. Du reste, il ne savait pas réellement ce qui les avait attaqués, car ils étaient tous deux à l’étage lorsque la chose s’était introduite dans l’auberge et avait massacré tout le monde. Le second avait rapidement compris que pour sauver sa peau, il valait mieux rester caché ici. Mais le capitaine avait voulu aider ses camarades, alors il n’avait pas eu d’autre choix que de l’assommer…
Et Tsume ? L’homme secoua la tête, baissant le regard. Elle serra le poing, retenant un juron. Dans quel merdier s’était-il encore fourré !

Alors qu’elle se relevait, réfléchissant à la suite des événements, l’homme lui attrapa la manche, comme s’il ne voulait pas qu’elle les abandonne. « Vous savez, je… Je ne crois pas que c’était humain. » souffla-t-il, et elle vit passer dans ses yeux le souvenir effrayant de l’ombre meurtrière. Elle lui prit la main, l’aidant à se relever. Pas humain… Depuis son arrivée ici, la situation allait de mal en pis et les phénomènes surnaturels semblaient se multiplier. Voilà qui ne présageait rien de bon... « Je vais vous faire sortir par la fenêtre de l’étage. Il ne faut pas rester-là, Hajoon et les autres nous attendent au navire. » répondit-elle simplement, ne souhaitant pas l’inquiéter davantage.
Ils déplacèrent le corps inerte d’Ashabu jusqu’à une chambre qui donnait sur la rue, puis elle aida le second à sortir et le déposa en sécurité, au sol, avant de revenir chercher le capitaine. Pourquoi ne pas avoir pris les escaliers ? Elle leur épargnait simplement le spectacle troublant des corps démembrés de leurs camarades. Moins ils en savaient, mieux ils se porteraient.
Ils prenaient alors la direction du port. Le capitaine n’était pas léger, mais elle le garda sur ses épaules, pour soulager un peu l’autre homme qui avait déjà du mal à se porter lui-même. Elle n’avait qu’une hâte : retrouver ce qui restait de l’équipage, en espérant que rien ne leur était arrivé…

Une femme… Le regard de Junko se posait sans animosité sur la nouvelle venue, qui interrompait leur discussion quelque peu animée – les uns voulaient fuir, mais pour aller où ? Bien que surprise par cette apparition soudaine, la jûnin ne voyait pas en elle un danger immédiat. Inutile, donc, de se raidir et de se préparer à un assaut. De fait, si le but de la jeune femme avait été de les saboter, elle ne se serait pas présentée à eux de cette façon. Elle aurait certainement eu bien des occasions de prendre Hajoon et les deux autres matelots par surprise (quand bien même le genin avait eu l’ingénieuse idée de se cloner), voire même la jûnin elle-même lorsqu’elle pénétrait l’auberge dévastée un peu plus tôt. Et la vue de sa blessure suintante sembla confirmer cette hypothèse : peut-être la jeune femme avait-elle des griefs contre leur équipage, peut-être était-elle animée de mauvaises intentions à leur encontre sur le long terme, mais elle devait agir dans son propre intérêt dans l’immédiat. Alors, Junko eut la certitude qu’elle ferait ce qu’il faudrait pour sauver sa peau. Devaient-ils lui faire confiance pour autant ?

Hajoon l’interrogeait encore sur la Chose ; c’était tout à fait compréhensible, et il faudrait répondre à cette question, bien sûr. Mais Junko estimait que ça n’était ni le lieu, ni le moment. Coupant court à la conversation, la jûnin décida donc de jouer de son autorité : « Nous discuterons de tout ça plus tard. Il vaut mieux partir. » Elle fit alors un geste en direction de la jeune femme, comme pour lui indiquer qu’elle pouvait avancer. « Bienvenue parmi nous. Je ne crois pas que nous ayons un médecin à bord, mais peut-être que les garçons pourrons vous aider à nettoyer ça, effectivement. » Comme Hajoon l’avait finement observé, il fallait traiter sa plaie, au moins la désinfecter et la bander, à défaut d’avoir de quoi la soigner correctement.

Non, elle ne lui ferait pas confiance – qu’on se rassure, ce concept était tout à fait étranger à la jûnin. Mais ils n’étaient plus que six, deux shinobis seulement, et aucun d’entre eux n’aurait su dire quelle direction prendre. Elle pouvait les mener en bateau, leur indiquer la mauvaise direction ; c’était un risque que Junko était prête à prendre, puisqu’ils n’avaient plus rien à perdre.
Se tournant vers l’équipage, elle les interrogeait du regard avant de poursuivre : « Si tout est prêt, nous devrions quitter cet endroit. » Et l’on pût sentir qu’elle ne portait clairement pas « cet endroit » dans son cœur. Eux non plus, certainement… Après tout, ils venaient de perdre plusieurs camarades. Puis, se tournant vers leur nouvelle recrue, elle poursuivit : « On vous écoute… Mais ne vous avisez pas de nous perdre. »

Il y aurait fort à faire, sur le navire. Si Maki et Shiro mettaient du cœur à l’ouvrage, leur cœur de métier restait néanmoins la maintenance du bâtiment et ils ne pouvaient clairement pas remplacer la demi-douzaine d’hommes qui voguaient avec eux avant le drame. Le timonier – il s’appelait Ren, apprit-elle – manquait à l’appel, notamment. Qui allait le remplacer à présent ? Il leur fallait également remettre d’aplomb le Capitaine. Bien que son Second semblât tout à fait capable, il restait le maitre du navire – et le commanditaire de la mission. Tout ça sans oublier, bien sûr, de surveiller la douce Yuna et d’obtenir enfin des réponses…