[Flashback] Light

La porte de l’entrée de la demeure de Kenta coulisse. Le son, pourtant ténu, lui tire une grimace mécontente, alors qu’il s’immobilise dans la nuit. Il attend là, le vent lui balayant le dos en tentant de s’engouffrer à l’intérieur de la petit maison, attentif au moindre son qui pourrait lui parvenir à travers le battant fermé qu’il fixe obstinément. Rien. Avec un soupir de soulagement, l’homme se laisse tomber sur le parquet, retirant ses chaussures avant de se laisser choir. Il était épuisé. Les joues mangées par des cernes gigantesques, le numéro un du clan Kamiko n’arrivait pas à trouver le sommeil, déchiré par le vide à l’intérieur de son cœur. Hanté par le visage de son épouse et la ressemblance de sa fille avec cette dernière, le borgne ne trouvait plus de repos, lorsqu’enfin ses obligations daignaient lui abandonner un peu de temps libre, repoussant toujours un peu plus ses limites pour éviter de rentrer chez lui. Il avait conscience de son égoïsme, mais c’était plus fort que lui. L’absence de sa tendre Tori, qui aurait sans doute été la plus à même d’élever cette petite tête brûlée, l’étreignait chaque jour un peu plus violement, sans qu’il réussisse à s’extraire de son emprise.

Allongé comme une âme en peine au milieu de la pièce à vivre, Kenta ferme les paupières pour s’empêcher de pleurer. La blessure, elle, encore vive malgré les cinq ans passés, ne faisait que le bruler encore davantage, à mesure que son esprit vagabondait d’un souvenir à l’autre. Elle lui manquait. Elle et son esprit retors. Elle et son orgueil surdimensionné. Elle et sa douceur à l’abri des regards. Les yeux clos, le père de Raion sombre petit à petit, en proie à l’appel de la femme qui avait quitté son monde avec une partie de son cœur.

Il se réveille en sursaut, sa main fusant par réflexe vers sa pochette de kunaïs, alors que son regard se pose sur la petite silhouette à ses côtés. Papa. Le ton, plaintif, de la petite fille lui brise le cœur, l’encourageant à tourner sa tête vers elle pour pouvoir mieux la voir dans la pénombre. Le visage inquiet, Raion le dévisage, sans réussir à cacher ses larmes ni la peluche de lion presque aussi grosse qu’elle et qu’elle sert contre elle à lui en briser sa petite colonne vertébrale en coton. Combien de temps avait-il pu bien dormir ? Quelques minutes ? Quelques heures ?

L’enfant s’assoit, enlaçant toujours sa peluche, bien incapable de savoir ce qu’elle devait faire. Tante Fugu n’était plus là et Kenta semblait absent. Elle l’avait bien entendu ronfler et savait combien il avait besoin de dormir, mais elle avait peur. Peur du vilain monstre qui l’avait pourchassée dans son rêve, mangeant une partie de sa famille pour la laisser seule. Réveillée par cette douloureuse conscience, la petite Raion avait d’abord tenté de lutter contre la nuit, avant de finalement craquer. Elle tentait, malgré tout, de ne pas pleurer mais l’inquiétude était là, installé au fond de sa conscience, sans qu’elle dispose de quoi la chasser.

Le troisième appel sort le borgne de sa torpeur. Luttant contre son corps meurtri et son esprit embrumé, le chef du clan Kamiko se relève, attrapant sa progéniture par le col de son kimono pour mieux la déposer dans ses bras. Il essuie alors une grosse larme avec son pouce, prenant le chemin de la chambre de la petite brune pour la déposer, à nouveau dans son lit. L’enfant renifle, serrant un peu plus fort son lion contre elle avant de se glisser, sans bruit, dans les couvertures qu’elle avait fini par quitter.

Kenta reste coi, incapable de savoir réellement quoi répondre à sa fille. Il savait mieux que quiconque que les monstres existaient, sous bien des formes que sa toute petite n’avait pas encore envisagé mais qu’elle croiserait, tôt ou tard. Il pourrait lui mentir, apaiser son cœur inquiété par son cauchemar encore frais, mais en avait-il seulement la force ?

Une courte série de mudra plus tard, un étrange crissement électrique remplit la pièce, accompagnant la lueur qui s’échappe du bout de ses doigts. La nuit reflue, chassée par la main de Kenta qui se met à briller de mille feu. La technique, simple, n’avait guère d’autre utilité mais la situation rendait le tour de passe-passe presque magique pour la petite fille dont les prunelles d’aciers luisaient de curiosité. Un sourire attendrit sur les lèvres, le chef du clan lui fait signe se rapprocher, ébouriffant ses cheveux courts de sa main lumineuse. Les premiers mudras, simples, se retiennent bien vite et, jusqu’à l’aube, le borgne n’a plus rien d’autre à faire que de veiller sur une Raion dont la volonté de faire naitre, à son tour, la lueur au bout de ses doigts. Plusieurs fois, elle échoue, transformant la faible luminosité de la technique en véritable déluge de lumière, aveuglant son père à de multiple reprise jusqu’à, finalement, réussir à dompter sa quantité de chakra. D’éblouissante, la lumière devient maladive, ne se stabilisant que bien plus tard, alors que les pas de l’assistant de Kenta se faisait entendre sur le chemin qui menait jusque chez eux.

Quittant une fois de plus la demeure familliale, le grand borgne baille aux corneilles, résolu à traverser, une fois encore, une journée compliquée après une nuit blanche. Le petite Raion, sa lueur électrique encore brillante dans sa main droite, le regarde s'éloigner depuis l'encadrement de la porte, son lion en peluche serré contre elle. Alors que la silhouette de son père disparait, l'attention de la petite revient vers sa nouvelle acquisition, avant de glisser vers son compagnon en coton.

Un jour, nous aussi on chassera les monstres de papa.

Si la peluche reste muette, bien incapable de la dissuader ou de l'encourager, la petite fille, elle, en est persuadée.

Technique apprise: