En ce début d’après-midi, Yashiro avait un peu de temps à tuer : il n’avait rendez-vous à la tour du hokage qu’en fin de journée. En toute honnêteté, il ne se rappelait plus l’objet de cette entrevue ni même la personne qu’il devait rencontrer. Il aurait bien aimé se souvenir de la convocation qu’on lui avait envoyé, mais il l’avait égaré dans le désordre ambiant qui régnait dans son appartement. Yashiro ne s’était pas trop embêté à fouiller dans les piles de papiers et de bazar qui trainaient sur bureau et il n’était pas spécialement inquiet d’avoir oublié la raison de son assignation ; l’important était d’être présent, pour le reste, il se débrouillerait grâce à son habituel bagou.
Comme à son habitude, il avait décidé de se balader après son déjeuner – respectant ainsi son rituel sacré de la « marche digestive ». Marchant au gré de ses pensées – en l’occurrence son rêve de la veille où il incarnait une sorte de pirate, son œil se baladait sur les bâtiments bordant les rues, entre échoppes animées, domiciles silencieux et établissements administratifs aux allures bien sérieuses. C’est d’ailleurs en arrivant devant l’académie ninja – dont le sérieux pouvait parfois être remis en question, tant certains de ses élèves pouvaient être dissipés, que le sabreur s’arrêta. Pour être exact, c’est en voyant le vaste terrain vague adjacent au bâtiment qu’il décida de stopper sa balade.
Cela faisait bien longtemps que le jeune homme n’était pas passé par là. Le quartier de l’académie ne faisait pas partie de ses lieux préférés du village et il privilégiait généralement le centre-ville, la place du marché ou les quartiers résidentiels riches. Mais ces temps-ci, le passé le travaillait quelque peu : il repassait dans les grands lieux qu’il avait fréquenté et il souhaitait rendre visite aux personnes qui lui étaient cher ; il fallait d’ailleurs qu’il rende visite à sa mère, qu’il n’avait pas vu depuis quelques temps. « Je verrai ça plus tard » ; Yashiro éluda cette pensée en s’approchant du domaine.
Le lieu était utilisé comme un terrain d’entraînement par les apprentis shinobis, mais il était désert ; étudiants comme professeurs prenaient très certainement encore leur déjeuner. Yashiro profita de l’opportunité. Il franchit la barrière encadrant l’étendue d’herbe d’un bond souple et fit le tour du propriétaire. Il passa devant chacune des installations qu’il avait lui aussi connu plus jeune : les troncs d’arbres pour s’entraîner au taijutsu, les cibles pour le tir au shuriken, les cercles de méditation pour apprendre à malaxer son chakra, … Le shinobi se sentit nostalgique à la vue de tous ces ateliers d’entrainement.
Pourtant, ses années à l’académie ne lui avaient pas laissé d’immortels souvenirs – ceux que l’on peut chérir à tout instant dans les moments de doute, de joie ou de tristesse. Au contraire, cette période avait été pour lui plutôt laborieuse. Il faut dire que les conditions n’avaient pas réellement joué en sa faveur. Si les étudiants de l’académie finissaient leur cursus aux alentours de douze ou treize ans, Yashiro avait lui débuté son apprentissage à cet âge. Il était ainsi le plus « vieux » – et surtout le plus grand – au milieu d’une bande de joyeux bambins ; autant dire que l’intégration avait été compliquée.
En effet, la différence de physique entre lui et les autres apprentis shinobis étaient frappantes : il les dépassait tous à minima d’une tête et disposait d’une musculature bien plus développée. Ainsi, tous les autres enfants étaient à minima impressionnés, voir effrayés par Yashiro. Ils faisaient tout pour éviter de se retrouver avec lui pour des activités de groupe, baissaient les yeux lorsqu’ils avaient à lui parler et le fuyaient comme la peste au réfectoire. Il avait passé de longs mois à traîner une réputation de monstre de l’académie.
À l’époque, le sabreur s’était battu pour inverser la tendance. Il voulait avant tout se faire des amis ; il ne connaissait personne dans le monde shinobi. Sa seule amie était la fille de ses voisins, Akari, mais elle était destinée à reprendre l’affaire familiale, une boutique de kimono. De plus, tout jeune déjà, Yashiro souhaitait devenir fort et était passionné par l’art de se battre comme un ninja ; s’il désirait progresser, il lui fallait trouver des coéquipiers.
Pour ce faire, le garçon avait dû mettre de l’eau dans son vin et faire le dos rond. Il s’était efforcé d’être avenant envers ses camarades et était resté sympathique en toute occasion malgré leur rejet. De même, lorsqu’il devait s’entrainer avec un autre enfant, il prenait garde de retenir ses coups. Mais surtout, il avait développé une arme ultime pour avoir l’allure d’un garçon doux comme un agneau : son sourire.
Durant des semaines entières, il s’était entrainé tous les soirs devant sa glace pour dessiner le parfait sourire. Celui qui pouvait à la fois adoucir et charmer. Un sourire rassurant et apaisant, qui n’en faisait pas trop et qui ne donnait pas une allure crispée à son visage. Bien entendu, ce travail lui avait demandé beaucoup d’efforts et il avait surtout essuyé de nombreux échecs. Ses premières tentatives pour aborder ses camarades avaient été catastrophiques : ils le trouvaient encore plus bizarre et encore plus effrayant avec son sourire maladroit et presque inquiétant.
Mais peu à peu, à force d’efforts et d’apprentissage dans l’art de sourire, le garçon avait été capable de rassurer ses camarades. Il n’avait pas pour autant développé de fortes amitiés avec les autres enfants, mais au moins il ne les avait plus fait fuir du reste de son apprentissage. Il avait même réussi à trouver quelques camarades d’entraînement qui lui avait permis de progresser plus rapidement sur la voie du shinobi.
Mélancolique malgré ces souvenirs mitigés, Yashiro s’approcha d’un des troncs d’arbres situés au milieu du terrain. Il se souvenait justement de l’un des entrainements qu’il pratiquait pour s’améliorer au sabre. L’objectif était d’asséner le plus de coups possibles à l’arbre en dix secondes, en ne frappant jamais deux fois au même endroit. Les apprentis shinobis passaient alors chacun leur tour, tentant de faire toujours mieux pour devenir le shinobi « à abattre ». Le record de Yashiro n’avait été battu par aucun de ses camarades ; il faut dire que c’était lui qui avait inventé ce petit jeu et que, contrairement à la majorité des autres enfants, il avait déjà suivi de nombreux entraînements au sabre.
Yashiro inspira un grand coup ; lors de sa dernière journée à l’académie, il avait réussi à battre son propre record et à asséner 13 coups au tronc d’arbre. Depuis, sa technique avait largement progressé, de même que sa vitesse. Il se mit en position de combat, le pied droit en avant, sa jambe fléchie ; ses appuis étaient solides. Sa main gauche agrippait le fourreau de son sabre tandis que sa main droite était posée sur la poignée de son arme. Il ferma les yeux quelques instants, comme pour accentuer sa concentration, puis expira. Tout en reprenant une respiration, il dégaina son sabre d’un geste vif, accompagnant le mouvement en avançant son épaule gauche.
Les coups s’enchainaient alors que Yashiro effectuait le décompte du temps dans sa tête. Une frappe en bas à gauche, suivi d’un coup en haut à droite. Puis une taille au niveau du flanc et un estoc en plein centre du tronc ; un léger mouvement de recul presque instantané et imperceptible pour reprendre de l’élan et le sabreur fut reparti pour une nouvelle série de coup qui s’enchainaient. Les secondes passaient, le rythme cardiaque du shinobi s’accentuait et les marques sur le bois se multipliaient.
Un ultime coup se planta au niveau du crâne de l’adversaire fictif de Yashiro et la dixième seconde s’envola. « Dix-huit » ; le record de celui qu’il était enfant venait d’être pulvérisé et le sabreur affichait un sourire fier et satisfait. Celui-ci ne dura pas, car en se redressant, sa jambe droite le lança terriblement. Si l’entrainement s’avéra plus court qu’il ne l’aurait espéré, il était riche d’enseignement : le shinobi était devenu bien plus rapide et incisif sur ces dix dernières années et surtout il n’oublierait plus jamais de s’échauffer avant de s’entrainer. Il extériorisa ce précieux apprentissage en un râle de douleur qu’on ne pouvait qualifier de « viril ».
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