"Casse Noisette'" ft des gens

Ce qui ennuyait le plus Shishio dans cette histoire, c’est que cette journée aurait sans souci pu être évitée s’il avait été un tantinet plus méfiant.

Il était rare que du courrier parvienne jusqu’à la demeure du jeune Uchiha. Il était encore plus rare que ce courrier lui soit destiné, d’ailleurs ; son père était suffisamment important pour qu’on lui délivre des missives scellées à la cire et n’étant destinées qu’à ses yeux mais lui, il se rendait au bureau du Hokage pour recevoir ses missions, comme tout le monde. À vrai dire, même si quelqu’un venait à prendre la peine d’écrire au jeune garçon, il était peu probable que son message parvienne jusqu’à lui : l’écrasante majorité des messagers du village considérait ne pas être suffisamment payée pour pénétrer le domaine des Uchiha, sachant pertinemment ce que le clan à l’éventail pensait des autres habitants du village. Vraiment, lorsqu’il mettait les choses en perspective, il semblait évident à Shishio qu’il aurait dû se méfier d’une lettre qui lui était destinée. Cela était tout simplement trop improbable.

Pour autant, ce jour-là, sans doute de meilleure humeur que d’habitude, le garçon ne s’était pas méfié. Découvrant la lettre glissée sous sa porte, il avait cédé à la curiosité et s’était plongé dans cette lecture impromptue. Là encore, il avait fait preuve d’une naïveté qui ne lui ressemblait pas : il aurait dû tout de suite reconnaître qu’une convocation du village pour participer à un entraînement collectif, ce n’était pas vraiment le genre de la maison. Après tout, en tant que Genin, il avait été assigné à un professeur – et pas n’importe lequel, Dame Hokage en personne – et, à sa connaissance, les programmes d’entraînements groupés étaient particulièrement rares à Konoha. Dans tous les cas, ils ne seraient probablement pas destinés à quelqu’un de son niveau : tout ceci n’avait simplement aucun sens. Infidèle à son habituelle méfiance, Shishio s’était réjoui d’une telle invitation, voyant là une formidable opportunité d’affûter ses compétences aux côtés de ses camarades du village et de devenir meilleur qu’il ne l’était. Certes, ça ne serait pas une partie de plaisir et il lui était toujours difficile de s’entraîner en public, mais il pourrait sûrement apprendre de nouvelles choses en observant les autres, n’est-ce pas ?
À ce stade-là, Shishio en était à sa troisième erreur. Même en ne s’étant pas montré suspicieux en voyant l’arrivée de cette lettre ou en questionnant le fond de son propos, il aurait dû être plus attentif et voir les marques de modification : une main pleine de malice avait grattée l’encre et réécrit certains mots, changeant une convocation destinée aux Chuunins de Konoha en une invitation envoyée à plusieurs Genins du village. Certes, un Sharingan aidait bien à réaliser ce genre de tours ; mais tout de même, ces détails étaient tout à fait repérables.

Trop enthousiaste pour son propre bien, Shishio était donc immédiatement sorti de chez lui, se dirigeant vers le point de rendez-vous – il n’avait reçu cette lettre que quelques minutes avant le début de l’entraînement, mais s’il allait assez vite, il n’aurait que quelques minutes de retard – sans remarquer les deux ombres rieuses qui le suivaient du regard depuis une ruelle du domaine. Deux jeunes hommes aux cheveux noir corbeau et au teint pâle, de toute évidence persuadés qu’ils venaient de réaliser la meilleure farce de l’histoire de l’humour.
Shishio ne tarderait pas à rire jaune, en tout cas.

À bout de souffle, il avait fait une longue pause devant la porte de la salle d’entraînement de l’Académie pour reprendre contenance, décidé à donner la meilleure impression possible à ses futurs partenaires d’entraînement. Quitte à être en retard, après tout, autant avoir de quoi compenser un minimum. Époussetant son pantalon pour en chasser les saletés que sa course avait pu y amener, il remit son col en place avant d’ouvrir la porte – une entrée située à l’arrière de la salle d’entraînement, pile en face des portes principales.

À ce moment, et à ce moment-là seulement, Uchiha Shishio comprit que quelque chose n’allait pas.

D’abord, Akira était à moitié plié en deux, les mains collées sur son entrejambe, à côté d’une femme bien trop heureuse d’être là qui le tenait par l’épaule. En face de lui, une petite assemblée exclusivement constituée de femmes – la plupart constituées de kunoichi, mais pas que. Des petits rires s’élevaient de la foule tandis que l’enseignante vantait les mérites de la technique du…

Casse-noisettes.

Ah.

Pendant plusieurs longues secondes, Shishio resta parfaitement immobile dans l’encadrement de la porte, sa main encore sur la poignée. Il considéra la position délicate d’Akira, considéra le nombre de femmes qui semblaient sur le point de faire la queue, considéra l’engouement de celle qui dirigeait ce séminaire.
Et son cerveau se décida enfin à réaliser tout ce qui n’allait pas dans cette invitation. Il ouvrit la bouche, comme s’il s’apprêtait à dire quelque chose, puis la referma, hocha lentement la tête, et tourna les talons, prêt à prendre ses jambes à son cou. Il était profondément désolé pour son cousin, mais ce n’était pas en souffrant avec lui qu’il le sauverait ; à vrai dire, il était en train de se faire une liste mentale des fenêtres de la vaste salle d’entraînement pour prévoir un plan d’évasion pour le jeune homme quand une soudaine poigne de fer s’empara de son col.

« Hop hop hop, on ne se débine pas comme ça ! »

Le crissement désagréable des semelles de Shishio sur le sol résonnèrent à travers la pièce comme les cloches d’un tocsin avant une exécution publique. Les bras ballants, l’air stupide, Shishio se retrouva bien vite traîné par l’enseignante jusque devant l’assemblée, aux côtés de son cousin.

« C’est un mauvais rêve et je vais me réveiller, n’est-ce pas ? » murmura-t-il à son compagnon d’infortune.