[Training] Déstabilisation

Les jours se ressemblaient dans le désert, les saisons semblaient à peine le toucher et l'affecter. Qui pourrait se douter que l'hiver s'était abattu dans le sekai quand on pouvait mater un si beau soleil de notre fenêtre. Y avait pas à dire, Suna, c'était le grand luxe pour qui savait quoi regarder. M'enfin, j'avais pas trop le temps de m'extasier comme je le voulais et en avais l'habitude. Cela faisait déjà presque un an que j'avais repris du service et j'étais toujours pas au niveau. Mon père me cassait les noix en me répétant que je ne faisais pas trop d'effort, qu'il me reconnaissait pas quand j'étais si mollassonne, qu'il m'avait connu plus combattive. Je supportais pas trop son regard peiné quand il me regardait dans ces moments-là. Cette pointe de déception, d'inquiétude, celui de ne plus être totalement sa fille. Est-ce que j'avais réellement tant changé? Difficile à dire quand on ne me disait que la moitié de la vérité, quant à mes souvenirs... il n'y avait pas eu de grand changement. Oh, j'avais eu quelques réminiscences mais rien de transcendants.

C'était avec une certaine amertume que je me rendis sur le terrain d'entrainement, je me trainais littéralement avec dépit, le moral carrément dans les chaussettes. Si d'habitude, j'étais assez indifférente, je n'arrêtais pas de me répéter les mots de mon père dans la tête et ça tournait en boucle comme un disque rayé mais bon... cela n'allait pas m'empêcher de me dégourdir un peu sur le terrain. Pour me sortir mon vieux du crâne, rien ne mieux que de tâter du katana. Ironiquement, pratiquer un art qui était pas le sien, cela m'éloignait un peu de lui. Je supposais qu'il le savait et sans nul doute que c'était la raison pour laquelle le vieux grincheux ne m'avait jamais trop soutenu dans cette voie... même si ce roublard avait fait en sorte de trouver un forgeron pour me refaire l'épée que je tenais dans les mains.

Je me tenais en plein milieu du terrain, je fermais les yeux pour me concentrer et je commençais à faire mes katas. Je mimais toutes les postures qui me revenaient en tête, je m'opposais à un ennemi invisible tout en forgeant mes muscles et mes poignets. Il fallait que je renforçasse mes bras pour rendre mes gestes moins hésitants et aussi puissants qu'autrefois. J'avais tellement perdu de masses musculaires lors de mon coma que ce fut comme si je n'avais jamais été une shinobi. Impressionnant comment parfois c'était facile de tout effacer. Mais les médecins m'avaient répété qu'il était possible que ma mémoire se trouvât aussi dans muscles, que la répétition de mes entrainements pourrait réveiller quelque chose... mais je ne le faisais même pas pour cela. Si je devais crever la prochaine fois, je voulais juste être un peu plus à la hauteur. Pour mon père.

Je balayais l'air avec mon arme, encore et encore. J'attaquais par le haut, j'attaquais par le bas. Il me fallait gagner en souplesse à tous les niveaux... mais comme si c'était devenu une mauvaise habitude, je fus interrompue. Une voix m'interpella.

" Hey! La muette! Tu prends toute la place, tu peux pas dégager plutôt que faire semblant de te battre? "

J'ouvris les yeux et je vis une gamine de vingt ans se tenir à quelques mètres de moi. Elle aussi avait un katana, elle le tenait négligemment poser sur ses deux épaules en me regardant avec un air de défi, entourer de deux de ses camarades. Elle se prenait pour qui la greluche? Bien évidemment, je ne répondis pas mais je rangeais mon katana dans son fourreau.

" Bah alors? Tu dégages ou pas? "

Nonchalamment, je défis mon fourreau de ma ceinture. J'avais une petite idée, ou plutôt à tester. Un truc que j'avais vu de  la part d'autres sabreurs que j'avais maté. C'était l'occasion parfaite pour voir si j'étais capable de les imiter et surtout de foutre la honte à la gamine qui me parlait comme de la merde. Comme j'étais une femme pleine de maturité, je lui adressais un doigt d'honneur impérial.

" Hého la vieille! D'où tu me dais un doigt d'honneur? Tu te prends pour qui? Je vais te foutre la tanner! "

J'attendais. La crâneuse s'avança vers moi et dégaina son épée comme si cela pouvait m'impressionner. Quelle nulle. Je savais pas qui était son maître, mais il ne lui avait visiblement pas enseigné qu'un katana s'était pas un cure-dent qu'on agitait n'importe comment et à la moindre provocation. Je soupirais alors qu'elle tenta de m'asséner un coup mais je la feintais sans tropde difficulté avant de lui donner un coup violent de fourreau derrière les genoux. Je l'entendis gueuler et légèrement se plier. Merde. Cela marchait pas. Ou j'avais pas tapé assez fort.

Alors que je réfléchissais à la façon de procéder, notamment en essayant de me rappeler comment les mecs que j'avais vu faisait, elle s'excita en essayant de m'atteindre en frappant n'importe comment. Plus je l'esquivais, plus elle s'énervait et plus je voyais toutes les ouvertures qu'elle me laissait. Puis j'eus une illumination. Si je voulais la déséquilibrer, il me fallait taper au bon moment mais y joindre plus de force, voir viser les chevilles. Bref, une balayette version katana. Pour ça, je devait me baisser.

Je guettais la faille dans son attitude, une question de timing. Puis pendant qu'elle s'épuisait à gueuler, j'esquivais une de ses attaques horizontales à me baissant - la garce était pas passée loin d'ailleurs - et je lui offris un violent coup de fourreau dans les talons. Bingo! Elle fut surprise et tomba à la renverse comme une belle merde, et avant même qu'elle puisse se redresser, je me tenais devant elle en lui pointant mon arme, toujours rangée, sous le nez.

" Putain ça fait mal! Fais chier la vieille! "

J'eus un petit sourire satisfait. Pas mal comme machin. Un coup dans les talons et je pouvais mettre mon adversaire à terre pour le prendre à revers. Pratique pour le corps à corps. Il faudrait sans doute que je m'entrainasse encore pour le maîtriser à coup sûr mais bon. Maintenant que j'avais eu ma petite revanche, je pouvais me barrer et revenir quand la mioche se serait barrer. Seulement, les gonzesses têtues comme des buses, ça lâchait pas l'affaire. Je saurais dire s'il s'agissait d'égo ou autre mais à peine j'eus le dos tourné et que je fis quelques pas, elle se rua sur moi pour tenter de me surprendre. Pas de bol. On apprenait pas au vieux singe à faire la grimace comme disait l'expression. Une nouvelle fois, je l'esquivais et pour aller jusqu'au bout, je la gratifiais d'un nouveau coup de balayette-katana pour la voir se planter une nouvelle fois par terre. Un. Cela me permettait finalement de vérifier que tout à l'heure, c'était pas un coup de chance. Deux. C'était la double humiliation de se faire avoir par la même technique.

" Taaaaaaaaaaaain! Quelle pétasse! "

Décidément, elle savait pas fermer sa gueule. Alors qu'elle était encore au sol et que je la tenais à nouveau en joug, ce fut sans scrupule que je lui donna un violent coup dans le pif. Elle se mit à hurler que je venais de lui péter le nez alors qu'elle pissait le sang. Fallait pas croire que j'avais pas de limite. Si cette fois, elle avait pas capté la leçon, c'était qu'elle était débile. Je posais mes yeux améthystes sur elle avec une certaine sévérité, la menaçant de lui redonner un coup mais cette fois-ci, elle agita ses mains pour dire qu'elle en avait assez. Brave petite.

Mais alors que je la regardais de haut, j'eus un curieux sentiment de déjà-vu mais avec des rôles inversés. Je me voyais enfant, sur le sol, le visage en sang et en larmes, agitant les bras pour que l'on ne me frappa pas une nouvelle fois. Au-dessus de moi, il y avait mon père. Mon vrai père qui me regardait froidement avec la honte dans le regard. Fais chier. Je finis par me détourner de la gamine qui fut rejointe par ses camarades pour l'aider. Journée de merde. Je repartais avec le même cafard que lorsque j'étais arrivée. Quand c'était pas l'un, c'était l'autre qui hantait ma tête... super...