La vraie saveur - Mission D

Ordre de mission:

"Je peux pas échouer. Je peux pas échouer. Je peux pas échouer."

Machinalement, Aya répétait cette phrase. Elle avait bien cru que le Senkage n'allait pas accepter de lui redonner sa chance après son terrible échec de la dernière fois. Si seulement Yoton n'avait pas eu l'idée stupide de l'attaquer ! Bon, elle l'avait peut être un peu cherché, certes, mais quand même. Au moins, elle pouvait être fière de ne pas l'avoir balancé. Elle seule avait subi les châtiments, et c'était tant mieux.

"Oh, arrête ton monologue."

"Pardon ?"

Elle leva la tête, se rappelant soudain de sa situation.

"J'ai dit, arrête ton monologue. Peut-être que tu veux que je te l'écrive sur un papier ? Comme ça je le remettrai à ton supérieur et il ira te faire laver les latrines."

La genin serra le poing et soutint le regard arrogant de l'individu en face d'elle. Kagashami Utsukabaka (qu'Aya va renommer Baka pour des raisons évidentes), noble de son état, était en visite à Uzu. Il avait gouté la cuisine locale mais avait osé lui manquer de respect, critiquant le manque d'épices (selon lui). Forcément, les restaurateurs avaient été offusqué par le manque de manières du nobliau et avaient donc décidé d'adresser une requête au Senkage, demandant l'aide d'un jeune shinobi pour glaner de quoi lui clouer le bec.

Et c'est Aya qui avait tiré la courte paille.

Seulement, elle n'avait pas le droit à l'erreur. Le très respectable et patient Senkage lui avait bien fait comprendre qu'un échec de plus la conduirait droit vers la fin de sa courte carrière de shinobi, et elle ne pouvait pas se le permettre. Ainsi, elle essayait de canaliser toute sa patience pour supporter l'insupportable Baka.

"Bon, on va rester là toute la journée où quoi ? J'ai déjà passé assez de temps dans ce village de mollusques pour me rendre compte à quel point tout, y compris vous, y était insipide. Allez, on se dépêche !"

La Miyamoto souffla un coup, ignorant le noble irritant pour se reconcentrer sur sa mission. Elle devait l'amener auprès d'une assemblée de cuisiniers qui auraient du l'envoyer chercher...

"Allez, allez ! l'idiote, on se dépêche !"

Oh, non.

C'était pas Aya de faire quelque chose qui ne lui allait pas. Elle détestait tous ces types des cuisines qui ne faisaient que la foutre dehors lorsqu'elle mourrait de faim après une fuite du domaine clanique, ou bien tout simplement qui allaient chercher les Miyamoto dès qu'elle se pointait. Ils étaient cupide, sans pitié, et tout simplement méchants. Et en plus leur cuisine était fade.

Alors, suivre bien sagement leur plan pour redorer l'image du village ? Hors de question. En plus ça allait pas marcher. Au contraire, une idée trottait dans la tête d'Aya depuis qu'elle avait lu le parchemin... Une idée machiavélique.

Elle esquissa un sourire en invitant le noble à la suivre, l'éloignant petit à petit du cœur de la ville. Elle ne releva pas ses questions désagréables, le guidant simplement en silence avant d'arriver enfin à son objectif : la devanture d'un restaurant délavée, légèrement excentré du centre ville. Silencieux, peu lumineux, une ambiance inquiétante s'en dégageait.

"Quel est ce boui-boui répugnant ? Ce n'est quand même pas le lieu où je dois me rendre ? Les Uzujins ont donc un manque de goût à ce point visible ?!"

La Miyamoto répondit alors, se tournant vers le noble avec une expression carnassière :

"Oh, non, ce n'est pas ici. Par contre, je sens que vous allez très vite changer votre avis sur la cuisine d'Uzu..."

Elle dégaina son sabre, menaçante, et le noble fit un pas de recul, levant les mains en signe de panique.

"Qu'est-ce que vous allez faire... Non, hors de question que je rentre dans ce taudis ! Au secours ! A moi !"

Elle stoppa les jérémiades du nobliau en lui assénant un coup rapide et puissant sur la tempe avec la garde de son katana. Il tomba instantanément dans les pommes.

L'homme du pays du vent ouvrit les yeux avec difficulté, sa tempe le lançant encore. Il mit quelques secondes avant de retrouver complètement sa conscience, perdu par ce qui venait de se passer. Il essaya de bouger, mais était pieds et poings liés à un poteau au fond de ce qui semblait être une cave. Pourtant, il était assis sur un coussin, et mit devant une table basse en bois d'acajou joliment décorée.

En face de lui se tenaient deux étranges personnages. Le premier, ou plutôt la première, n'était autre que son agresseur. La jeune Miyamoto observait son nouveau prisonnier avec un ravissement à peine dissimulé. Quand au second...

Il s'agissait d'un jeune homme aux yeux pétillants et aux cheveux rouges en pétard. Portant un tablier noir avec l'inscription 伊豆正橋 en lettres d'or, il arborait une expression encore plus inquiétante que celle de la genin, proche de celle d'un grand prédateur s'apprêtant à dévorer une proie bien juteuse.

Instantanément, Baka s'écria :

"Écoutez, je retire tout ce que j'ai dit ! C'était une erreur ! Laissez moi partir et je dirai rien, promis !"

Izu Masahashi hocha la tête de gauche à droite, refusant la plainte du noble.

"Au contraire, t'avais raison. Les chefs d'Uzu sont tous des nazes, moi même je trouve leur bouffe insipide. J'crois bien qu't'as un palais au moins correct."

Baka souffla, soulagé, avant de pâlir brusquement.

"Mais, attendez, si vous êtes d'accord avec moi.... vous me voulez quoi ?"

Masa eut un sourire carnassier avant de déclarer, lentement :

"Vois-tu, ça fait bien longtemps qu'aucun critique culinaire au moins sensible à autre chose qu'au poisson avarié est de passage à Uzu. Tous les chefs sont tellement nazes qu'ils ont du tuer toutes les papilles des gens de ce beau village... Mais du coup, tant qu't'es dans l'coin, je vais pas te laisser partir comme ça."

Le prisonnier esquissa alors un sourire plein de défi. Lui, noble ambassadeur de la cuisine sunajine, fin gourmet et au palais indéfectible, avait déjà parcouru le monde pour faire démonstration de la supériorité de son art. Il avait rencontré tant d'énergumènes au cours de sa vie qu'il ne pouvait pas être impressionné par les palabres du jeune cuistot.

Oui ! en tant que noble, il avait toujours peur pour sa vie, peur d'être enlevé et rançonné, se réfugiant toujours derrière des larbins surpayés ou se protégeant derrière les fiers shinobis de son village, n'hésitant jamais à les laisser se sacrifier pour sa vie bien plus précieuse que la leur.

Cependant, question cuisine, il devenait subitement le plus brave des hommes. Jamais nul barbare n'avais réussi à l'impressionner, jamais nulle association imprévue ne l'avait déstabilisé. Il était plus que jamais prêt à répondre aux odieuses paroles du jeune chef, et surtout à l'humilier profondément.

"Jamais mon palais n'a failli. Petit uzujin, tu n'as qu'un fragment de mon expérience et tu prétends pouvoir surpasser les plats infâmes que j'ai gouté en venant ici ?"

Dans une emphase toute shonen, il pointa Masahashi du doigt, venant appuyer doucement le tablier du chef (ce qui prouve qu'il était très mal attaché. Mais que sont des attaches physiques pour réfréner les ardeurs de deux maîtres de la cuisine )

Le cuistot eut un sourire encore plus carnassier, si seulement c'était possible. Sa main droite se mit à trembler, et l'autre ne put que le relever par un laconique :

"Ah ! l'enjeu t’effraie donc à ce point ?!"

Masa serra le poing avant de déclarer, avec une conviction tellement puissante qu'elle en fit trembler d'excitation le coeur des deux autres protagonistes.

"Je sais qui vous êtes. Je vais vous montrer ce dont je suis capable."

Et, sur ces mots, il poussa le bras du critique pour se relever et partir de la cave, allant se mettre au travail.


La genin et le sunajin s'échangèrent un regard gêné pour l'un, et courroucé pour l'autre.

"Désolée."

"C'est rien. Fin t'aurais pu prévenir quand même."

"Oui mais vous m'auriez jamais suivi..."

"...Oui."

"... Vous êtes plutôt cool en fait."

"Mh."

L'histoire du 霧のラーメン est l'histoire d'un petit restaurant d'Uzu ayant connu sa période de gloire avant de sombrer dans l'oubli. Son chef, Izu Masahashi, a très rapidement fait sensation en préparant de délicieuses ramen, tellement bien pensées et exécutées qu'elle donnaient littéralement l'impression de manger de la brume douce et fondante. L'activité prospéra ainsi quelques années, mais très vite le chef de génie se sentit comme enfermé dans le cadre d'excellence qu'il s'était lui même imposé. Il voulait changer les choses, explorer de nouveaux sentiers, essayer de découvrir de nouvelles palettes des sens.

De maître, il voulut devenir génie.

Ainsi, du jour au lendemain, il devint ce que l'on appela un maître expérimentateur. avec un concept simplissime, il intrigua très vite tout Uzu en proposant des repas gratuits pour ceux qui acceptaient de "tester". Jamais le contenu des plats n'était révélé, et ainsi le chef se permettait toujours des innovations plus audacieuses les unes que les autres. seulement, bien vite, les Uzujins furent dégoutés par certaines de ses préparations un peu mal dosées, et le restaurant perdit de son prestige pour finalement sombrer dans l'oubli.

Mais jamais Masa ne se découragea. Même sans clients, il s'arrangea toujours pour avancer plus loin, plus profondément, jusqu’à devenir un véritable aventurier culinaire.

C'est alors qu'Aya et Masa se rencontrèrent.

La genin curieuse avait autrefois passé les portes du restaurant vieillot à la peinture délavée, attirée par la proposition gratuite (il faut dire qu'elle n'avait pas de quoi se payer à manger lors de ses fugues). Le jeune chef n'avait pas hésité à lui imposer des associations toutes plus odieuses les unes que les autres, mais la jeune fille avait toujours apprécié le résultat. Finalement, les deux avaient fini par nouer une amitié indéfectible, et la Miyamoto était toujours prête à suivre le cuisinier fou dans la plus ardue des recettes.

Elle avait même fait la rencontre de la colossale Konohajin au sein de ce retaurant. Eru-san devait être quelqu'un de bien vu qu'elle avait bien aimé...

Et c'est là l'origine de la situation qui avait mené le sunajin dans cette galère.


L’œil critique, le noble resta muet quelques instants. Dans son bol flottait des ingrédients... intriguant. Il les voyait, les reconnaissait, mais pourtant leur odeur était comme altérée. Il leva un sourcil.

"Sésame ? Huile et séchage."

Le cuisinier ne dit rien, hochant seulement la tête.

Le critique gastronomique soupira légèrement. C'était rusé, mais pas bien malin. En masquant l'odeur du rouget en le séchant puis en l'huilant, il en altérait aussi le goût. Résultat, on se retrouvait avec un poisson surprenant mais trop faible. Aucun doute, ça allait manquer de punch.

Il prit une bouchée... avant de se retrouver le souffle coupé. Dieu que c'était fort ! Des graines de sésame semblaient s'être emparé du poisson pour le posséder, le rendant tant boisé et gouleyant qu'on aurait dit qu'il s'agissait d'un sirop. Et pourtant, toute la texture fondante du poisson était là pour contrebalancer, donnant une texture incroyablement riche au tout.

Mais c'est en mâchant que le plat explosa, passant en un éclair d'une simple curiosité à un plat d'un tout autre niveau. Comme si le sésame agissait comme une digue qui céda d'un coup avec la pression de la dent, le poisson reflua pour prendre la totalité de la saveur, éclipsant toute la richesse et la rondeur du plat pour laisser un poisson rural et rugueux. Une simple bouchée suffisait à faire passer d'une noblesse royale à un terroir traditionnel dans son état le plus pur. C'était un tout et un rien. Une ombre et une lumière. Une galaxie luminescente et un obscur boyau terrestre. La fraicheur d'un soda glacé quand il fait 40 degrés et la chaleur d'un feu de cheminée en hiver.

C'était...

c'était.

La dégustation continua quelques heures, Masa enchainant les plats plus élaborés les uns que les autres pour contenter un Baka toujours plus concentré et surpris, sous le regard amusé de la Miyamoto.



"Bon, la cuisine d'Uzu est pas si mal finalement."

"Pas si mal ? Vous rigolez ! Vous avez jamais mangé ça nulle part !"

Debout devant la devanture du petit restaurant, les trois compères se font face. La nuit est tombée et le froid commence à se faire ressentir, malgré la saison encore estivale. Des mouettes se font entendre, et l'air marin vient chatouiller ces individus aux sens déjà bien stimulés.

"Nulle part, je dis pas. Mais est-ce que c'était bien judicieux ? Ces algues au miel de tilleul, typiquement..."

"Oui, c'est vrai que j'aurai pu trouver mieux. Mais le romarin, avouez que c'était du génie !"

"Du génie ! Vous manquez pas d'air ! Mais c'était pas mal, ouais. Surtout comparé aux autres pignoufs."

"Peuh, m'en parlez pas. Ils ont quand même dit que ma cuisine, c'était n'importe quoi !"

"Haha, les fous !" Les deux hommes se mettent à rire. "Même les ramen, la première fois c'était n'importe quoi. Ils sont tellement coincééés vos chefs ! Vous devriez passer à Suna, vous verrez ce que c'est que de la cuisine progressive."

"Ouais, chais pas. Le sable c'est pas mon truc."

"Ouais, on verra. Bon, vous..." Il posa sa main sur l'épaule de la genin. "Ça valait le coup, mais je pense pas que vos supérieurs vont être ravis. Non parce que c'était pas tellement votre mission à la base."

"Oui, bon, je vais me prendre un savon. Mais en même temps les autres chefs auraient jamais pu vous faire changer d'avis !"

"C'est sur. Limite, je peux vous aider sur le coup de l'enlèvement, dire qu'on s'est perdus. Mais pas pour la cuisine, ça, désolé, mais je peux pas mettre ma réputation en jeu. La cuisine d'Uzu est une cuisine de gros ploucs, tout le monde le sait. Vous, c'est différent... mais si je dis cuisine d'uzu c'est le gros poulets qui vont prendre tout le crédit, pas vous."

"Non mais je comprends, pas de soucis. J'essaierai d'expliquer au Kage, mais il va surement se faire crier dessus par les cuistots vexés... Il va m'en vouloir, c'est sur."

"Mh."

Le seigneur sunajin fut finalement retrouvé, accompagné de son exécrable escorte, après une demie-journée d’absence. Ils s'étaient visiblement perdus, et n'avaient jamais atteint le lieu de la mission. Outré, le noble avait refusé d'attendre une journée de plus avant son départ, en confirmant une fois de plus son aversion pour la cuisine Uzujin.

Quand à ce que pût dire la jeune Miyamoto responsable du désastre au sérénissime Senkage, cela resta entre eux.

Sera t'elle sanctionnée ?