A quelques jours, quelques semaines voire quelques mois de sa révolution – qui pouvait le prédire – Mifuyu avait acquis la certitude qu'elle était surveillée. Sans doute cela remontait à son altercation avec le Senkage, mais peut-être Gendo avait lui aussi envoyé quelqu'un pour l'observer. Dans cette situation, il lui fallait se préparer à l'affrontement tout en maintenant un équilibre correct entre un comportement naturel – il ne fallait donc pas qu'elle change ses habitudes outre-mesure – et une discrétion qui était de mise. Elle avait conscience que ses rendez-vous réguliers avec Sanada dans la Division d'Amélioration, où très peu étaient autorisés à mettre les pieds dans son bureau – étaient suspects et ce, quand bien même le garçon était encore un Genin. Les autorités ne le voyaient pas encore comme une menace et cela devait demeurer ainsi : leurs expériences sur son Godai devaient apparaître comme une simple relation de maître à élève, motivée par le caractère scientifique de Mifuyu. En effet, son intérêt pour le garçon était tout à fait justifiable, aussi le cacher ne rendrait la choser que trop suspecte. Pourtant, le libraire était bien devenue une menace pour la stabilité du village : sous les enseignements de la Sorcière, il avait vécu une ascension fulgurante et son ambition quasi divine lui présageait une progression exponentielle. D'ici quelques mois, il sera un acteur clef du renversement chez les Omura, c'était certain.
La chirurgienne souhaitait donc profiter de cette belle journée printanière pour l'entraîner à nouveau et, peut-être, s'améliorer elle aussi. Un grand combat approchait et même une femme de son expérience ne pouvait jamais être trop préparée. Elle avait terminé la veille un roman, ou plutôt une nouvelle, qui avait lancé une littérature d'un nouveau genre. Dans cette enquête, un homme était à la recherche d'une lettre à l'importance capitale qui avait été dérobée sous les yeux mêmes d'un grand seigneur. Celui-ci, à cause du caractère polémique de cette lettre, ne pouvait la réclamer officiellement, quand bien même il connaissait l'identité du voleur. Le maître-chanteur, en cachant le document, put jouir de son avantage pendant les quelques mois qui suivirent, avant que le détective ne le retrouve là où personne n'avait pensé à chercher : sur son bureau, avec ses correspondances personnelles. La morale de cette histoire était la suivante : les hommes ne voient pas ce qu'ils ont sous les yeux. La clef de la réussite était donc de cacher ses agissements à la vue de tous, afin qu'ils paraissent normaux.
L'Omura avait donc convié Sanada à la rejoindre sur les terrains d'entraînement par le biais d'une lettre. Ici, autour des dizaines de Genin et Chunin du village, leur quête de savoir passerait inaperçue. Le public penserait assister à une simple leçon de Bukijutsu, sans voir qu'il s'agissait en réalité d'une préparation à la guerre.
Ainsi, quand son élève s'approcha, elle lui dévoila son projet simplement, comme s'il s'agissait d'une simple conversation. "Tiens, Sanada ! Viens-ici, dit-elle en lui faisant signe de la main. Je pense qu'il est temps de te préparer au combat. Je vais t'apprendre à te servir d'un kunai. Elle porta sa main à sa sacoche et en sortit un simple kunai, qu'elle pointa vers le garçon. On commence tout de suite. Attaque-moi et n'hésite pas, je te promets de ne pas te blesser."
Mifuyu se mit en position de garde. "Regarde bien ma posture, c'est la clef de cette technique." Le pied droit légèrement en arrière ; le pied gauche devant et tourné vers l'intérieur ; les jambes légèrement fléchies et les bras pour protéger la poitrine, telle était la position basique de cette technique. Le reste se jouait sur l'instinct. La Sorcière concentra son chakra, ferma temporairement les yeux et, quand le soldat des Cinq se décida enfin à l'attaquer, elle para son coup sans la moindre difficulté avec son arme. Elle donna ensuite une impulsion de son pied droit, passa derrière lui avec une vitesse prodigieuse pour l'enserrer au niveau des épaules et, enfin, appliqua sa lame contre sa gorge.
"Cette technique est très simple, lui dit-elle dans l'oreille. Je veux que tu concentres ton chakra pour ressentir les mouvements de ton adversaire, puis que tu bloques mon attaque." Elle relâcha son étreinte et le repoussa à quelques mètres devant elle. "Maintenant, c'est à mon tour de t'attaquer. On va commencer doucement. Pour l'instant, je ne vais pas utiliser mon chakra puis, quand tu auras compris l'essence de cette technique, il te faudra contrer des assauts plus violents."
Elle n'attendit pas plus longtemps et assaillit le garçon de coups, encore et encore, jusqu'à ce qu'il soit capable de les parer. De temps en temps, elle s'arrêtait pour lui donner un conseil et l'occasion de souffler un peu.
Doucement, mais sûrement, les terrains alentour c'étaient peu à peu vidés. Il ne restait que les plus pugnaces, trop concentrés dans leurs exercices pour prêter attention au spectacle autour d'eux. La présence de la Sorcière n'était jamais rassurante pour les genins de l'académie, encore moins dans un endroit où on la voyait si peu d'habitude.
Le souffle haletant, Sanada reprenait son souffle en faisant tourner la lame shinobi sur son doigt. Lors d'un de ses premiers cours, on lui avait confiée le couteau emblématique de l'art ninja. Pendant des mois, on lui avait enseigné les rudiments de la défense et du combat rapproché avec l'outil de base du ninja. La qualité de l'enseignement était telle que le genin pouvait confronter un civil chevronné sans peine aujourd'hui, mais contre un autre assassin professionnel doté de la grâce du chakra, rien n'était moins sûr. Au-delà de son entraînement, les dernières révélations de Mifuyu sur les tensions qui régnaient au sein de son clan et son intention d'y faire le ménage avait engendré un surplus de sérieux et de confiance chez les deux individus. Sanada faisait une confiance aveugle dans les plans de l'Omura, il se sentait grandir à son contact, devenir plus fort, plus rapide. Il était intimement persuadé depuis leur dernière conversation que son destin était lié à la science, qu'elle allait lui permettre de devenir plus qu'un homme. Mais pour cela, il fallait combattre, mentir et tuer.
Tuer ou se faire tuer.
Sanada savait qu'il n'était pas prêt. Que face aux têtes du clan Omura et ses sbires, il ne faisait pas le poids. Mais si la Sorcière l'avait convoqué aujourd'hui, c'est qu'elle comptait sur lui. Plus encore, c'est qu'elle avait confiance en son pouvoir grandissant et le considérait comme un atout potentiel plus qu'une gêne ou une perte de temps. C'est donc avec une motivation plus brûlante que jamais qu'il s'était rendu sur les terrains. Mais maintenait que cela faisait des heures qu'il tentait de parer les coups de la jeune poupée de chair, il ne pouvait que rester immobile, regardant le kunai tourner au rythme effréné de ses inspirations.
Lorsqu'ils reprirent, Sanada serra fermement le manche de métal enroulé de tissu dans sa main directrice puis se tint prêt pour une énième attaque furieuse. Malgré la précision de ses coups et leur vitesse, la Sorcière semblait totalement décontractée, plusieurs fois, le genin remarqua une lame qu'il n'avait pas décelé foncer vers son corps avant que la main qui l guidait ne la fasse changer de direction. L'exercice était presque impossible, les coups étaient aussi vifs qu'imprévisibles. La trajectoire de l'arme semblait confuse et pourtant, elle changeait avec les mouvements, contournaient les parades, esquivait les contres. Si Sanada savait que son mentor était une spécialiste réputée comme étant une des meilleures manipulatrice de scalpels au monde, il en avait une preuve concrète.
- Bon, même si cela ne se voit pas, je pense être prêt pour vos assauts chargés de chakra. Dit le genin alors que son professeur soignait les nombreuses fines coupures qu'elle lui avait infligé.
Prenant la posture qu'il venait d'apprendre, Sanada concentra son chakra sur ses sens tout en diffusant un flux fin dans ses membres afin qu'il réagisse aussi vite que son cerveau. Surgissant derrière lui grâce à sa vitesse fulgurante, Mifuyu tenta de lui asséner un coup chargé de chakra. Son comportement nonchalant, allant jusqu'à regarder ailleurs pendant l'assaut, soulignait son aisance dans le domaine, mais surtout le fossé qui séparait la médecin de son disciple. Avec de la chance et un commencement de compréhension de la technique, Sanada parvint à dévier la lame juste assez pour qu'elle ne fasse que l'effleurer.
Essuyant d'un revers de la main la ligne rouge qui coulait de la nuque sur son épaule, il demanda poliment à son mentor de recommencer. Les autres essais furent concluants, bien que sa défense face à plusieurs assauts restait grandement fébrile. Le soleil, qui réchauffait le village insulaire depuis que l'hiver avait été chassé par les dieux, se couchait sur l‘horizon et pourtant, Mifuyu ne semblait pas encore satisfaite des résultats de son élève.
Sanada lui, était épuisé. Il avait répété la technique tant de fois qu'il ne réfléchissait plus trop à la théorie en l'exécutant, son esprit étant aussi épuisé que son corps. Dans un assaut qu'il ne pouvait plus contenir, il eut un instant de déconcentration. La seconde fut décisive et sous un coup de lame bien placé, la Sorcière désarma le genin. Celui-ci prit dans l'affrontement et ne désirant pas plus que cela être coupé une nouvelle fois, composa des mudras par réflexes, la seule technique qui pouvait lui donner une seconde de répit. Contre le katana de Rokuro, cette petite astuce lui avait sauvé les fesses un nombre incalculable de fois. Mais si la vieille Miyamoto avouait aisément avoir une faiblesse contre l'art de l'esprit, il ne savait pas si la sorcière allait pouvoir balayer son illusion comme elle renversait sa garde.
Sans d'autres choix, il plongea son regard dans les yeux de sa guide et laissa son chakra glisser vers l'esprit de la sorcière.
Les heures passaient et ni la hargne de l'enseignante, ni la ténacité de l'élève ne faiblissaient. Mifuyu répétait sans cesse les mêmes mouvements, à cela prêt qu'elle variait légèrement l'inclinaison de chacune de ses attaques pour ne pas créer de schéma d'assaut qui serait facile à prédire pour le garçon. Le but de cette séance était qu'il pare ses attaques mêmes les plus imprévisibles. Cet exercice devait être fatigant pour le disciple, mais également pour la mentore qui, malgré sa reconnaissance commune pour son maniement légendaire des armes à courte portée – en particulier, de ses scalpels – l'effort qu'elle maintenant pour contrôler sa force et ne pas blesser mortellement le jeune libraire l'épuisait. De temps en temps, elle-même recommandait des pauses, en prétextant le besoin d'arrêter les saignements provenant des quelques coupures qu'elle avait infligées au garçon. Il ne parvenait pas à les parer toutes mais, au fil de l'exercice, il avait tout de même réussi à s'élever à un certain niveau. Pas encore satisfaisant, certes, mais bien entamé.
Quand il lui demanda qu'elle l'attaque avec son chakra, la Sorcière pencha d'abord légèrement la tête sur le côté pendant quelques secondes, perplexe. Elle pensa aux risques mais, après réflexion, décida d'accorder sa confiance à celui qui pouvait conjurer les cieux. Le maniement des lames était bien différent de celui de l'orage – l'Omura, par fierté, aimait même penser que c'était là un art plus difficile – mais toujours était-il que l'adolescent avait montré des progrès prodigieux dans la maîtrise de son affinité, aussi elle ne voyait pas de raison qu'il n'en fut pas de même avec son kunai. S'en suivit donc une nouvelle floppée d'attaques, certaines parées, certaines pas. La vitesse de la doyenne avait grandement augmenté et son petit corps semblait désormais être une balle que l'on renvoyait sans cesse d'un côté à l'autre du terrain, frappant en son centre le corps de Sanada. Suivant le rythme du soleil qui descendait lentement vers la mer, elle accélérait progressivement la cadence, laissant de moins en moins de répit à son élève entre les attaques qui se succédaient. Elle ne pouvait pas affirmer avec certitude qu'il s'en était rendu compte, toutefois son corps – et son instinct, puisque c'était ce qui était important ici – sembla s'en accoutumer naturellement et il continua de parer ses coups avec la même assurance.
Il arriva une fois, en revanche, où elle se demanda si elle n'était pas allée un peu trop loin. Pris de cours par la vitesse de son attaque, le fils de la pythie abandonna l'idée d'une parade inutile pour recourir à une petite diversion. Mifuyu arqua le sourcil quand elle le vit composer une série de mudra, puis, arrêta son attaque. Elle n'était certes pas une experte en genjutsu, cet art fourbe de l'illusion en tout point opposé à son idéal scientifique, mais elle était une femme dont l'intelligence légendaire avait résonné dans tout le Sekai. Ainsi, quand elle vit l'image de Sanada disparaître sous ses yeux et de solides lianes de haricots s'élever directement du sol, elle comprit immédiatement. Le garçon avait osé la piéger, il l'avait crue suffisamment stupide pour l'arrêter en ayant recours à cette technique. Et… il avait eu raison. La Sorcière savait sans le moindre problème reconnaître une illusion de ce niveau, toutefois elle n'avait jamais pris le temps d'apprendre une quelconque technique pour en sortir. Elle fit alors ce qu'elle eut toujours à faire sur les champs de bataille d'antan, et planta son propre kunai dans sa cuisse.
Tout revint instantanément à la normale et, machinalement, l'ancêtre appliqua son chakra médical contre sa plaie. Cet enchaînement de mouvements lui paraissait tellement naturel qu'elle n'en ressentait pas la douleur. "C'est… ingénieux, Sanada. Toutefois, ça ne te sauvera pas de tous les assauts, j'espère que tu en es conscient." Alors même que le son de sa voix retombait des airs vers le sol, elle donna une puissante impulsion et l'attaqua de nouveau, en veillant à ne plus croiser son regard. Une seconde durant, elle eut envie de le faire souffrir, de lui faire payer de son sang cette humiliation passagère. Juste avant que sa lame ne le touche dans le dos, elle retrouva heureusement sa sérénité usuelle et continua l'entraînement comme cela avait été le cas jusqu'alors.
L'exercice continua une bonne heure encore, le temps qui fallut au soleil pour terminer sa course vers l'obscurité. Les coups s'enchaînèrent comme auparavant et la doyenne ne fut plus dérangée par le genjutsu. Il fallut qu'elle fut presque épuisée en chakra avant que le garçon ne maîtrise pleinement la technique. Ce fut plus long qu'elle ne l'avait imaginé, aussi elle lui proposerait de revenir demain pour apprendre, cette fois, l'attaque qu'elle avait utilisé tant de fois sur lui cet après-midi.
En attendant, elle souhaitait utiliser ses dernières réserves d'énergie pour pallier à un problème qui l'avait accompagné toute sa vie. "Bravo, Sanada. Dis-moi, pourrais-tu me rappeler quel est le mudra du Kai ? Cela faisait bien longtemps que je n'avais pas été confrontée au genjutsu et je me sens un peu… rouillée." Qui pouvait prédire quelles seraient les armes de ses ennemis ? Le clan Omura n'était pas connu pour sa maîtrise de l'art illusoire, toutefois rien ne garantissait que Leiko ou Gendo ne s'entoureraient pas de mercenaires. "Puis, une fois que tu m'auras montré, serais-tu d'accord pour me lancer à nouveau ton genjutsu ? Il semblait essoufflé. Tu as suffisamment travaillé pour aujourd'hui, nous reprendrons l'entraînement au kunai demain."
Le jeune genin acquiesça sans broncher, trop heureux de la trêve annoncée. Après des heures d'entraînement à répéter la même technique, le genjutsu qu'il n'utilisait que très rarement avait eu un goût exotique, rafraîchissant. Il se rappela un instant avec nostalgie sa première rencontre avec Haruka et la leçon de l'amie de l'Uzumaki qui lui avait enseigné la façon de rompre les illusions. Que la Sorcière ne connaisse pas ou ait oublié une telle technique ne l'étonnait fort guère. Il avait déjà observé avec Dame Junko que les ninjas de haut-rang, souvent spécialiste reconnu dans leur domaine, avait parfois des trous dans leurs répertoires. L'académie, institution récente jouait sans doute un rôle primordial dans l'apprentissage standardisé des techniques shinobi de base. Les anciens, eux, avaient appris l'art du combat sur le terrain, n'ayant ni le luxe de la théorie ni celui du superflu. La guerre force à aller vers le plus simple, le plus rapide, le plus efficace. Ainsi, les clans avaient développé les incroyables pouvoirs qu'ils se transmettaient depuis, par le sang ou la connaissance. Mifuyu, experte dans l'art du soin et du combat n'avait pas dû s'embarrasser longtemps l'esprit avec ce genre de technique très basique. Vu sa force, si elle avait déjà combattu un manipulateur du réel, la technique ne lui aurait pas servi à grand chose.
- C'est une technique de base permettant de contrer les illusions faibles. Mais je pense que vous le savez déjà. Après une petite démonstration, il poursuivit. Le principe est le même que ce que vous venez de faire, si ce n'est que c'est l'esprit qu'on brutalise directement. Le corps et l'esprit sont liés, et votre manière de faire est plus efficace en cas d'illusion puissante, cependant, pour une petite perturbation du réel, secouer son esprit est suffisant, et l'avantage est double. D'abord, c'est prendre un raccourci. Le corps n'est plus de l'équation, le chakra réveille l'esprit directement, donc ce sera plus rapide. Ensuite, c'est indolore, ce qui est peut-être un détail pour vous…Il s'arrêta enfin de parler et s'éloigna en sifflotant une mélodie entraînante entre deux inspirations de fumée opaque. Allons-y. Dit-il, d'un air décidé.
Il plongea son chakra dans les yeux entourés de cernes éternelles et recommença la seule illusion qu'il maîtrisait pleinement, les chaînes de haricots. Si son corps était épuisé, il avait encore une partie du flux divin qui coulait en lui. Le ranton avait un prix fort, mais sa maîtrise du chakra n'en avait été que renforcée. Il savait maintenant comment doser ses attaques, ne pas gâcher une énergie trop précieuse en combat par un surplus d'agressivité. C'était une erreur qu'il avait souvent faite avec Rokuro, et les leçons avaient été assez douloureuses pour qu'il s'en souvienne.
La sorcière eut un peu de mal les premières fois à se séparer de l'illusion. Peut-être, sa croyance l'empêchait de parfaitement distinguer la cassure entre le corps et l'esprit. Pour une religieuse de la chaire, trouver la matière éthérée n'était pas une chose instinctive comme elle l'avait pu l'être pour le soldat des Cinq. Mais bientôt, elle parvint à contrer l'illusion avec de plus en plus de force. Sanada ignorait qu'elle était sa méthode intérieure, mais il s'en moquait. S'ils étaient là depuis le début de l'après-midi à combattre et enrichir leur connaissance martiale, c'était uniquement pour se préparer à la guerre future. Ils n'avaient plus le temps et le luxe de rechercher le pouvoir pour la connaissance. Le savoir était devenu un outil, plus une fin. Un outil asservi par le désir de puissance, lui-même esclave du moteur des corps sur la terre des mortels, le désir de survie. La tragédie précédait la pièce, chantée par le chœur invisible aux simples mortels du Sekaï.
Quand ils se quittèrent avant la leçon du lendemain, Sanada resta un moment sur le terrain. Il voulait user des dernières forces qu'il lui restait pour affiner la technique qu'il venait d'apprendre. Cependant, la douce brise venue du port ne semblait pas d'une agressivité folle et c'est contraint et forcé qu'il retourna à sa besace pour ranger ses affaires.
- Tu veux de l’aide ?
Sanada se retourna, c’était Mahina, l’élève de l’académie et membre du clan Miyamoto qui s’était entraînée avec lui il y a quelques mois.
- Oh, ça fait un moment que je ne t’ai pas vu. Dit-il avec un sourire.
- Je suis parti en mission avec mon équipe. Je suis rentrée que depuis quelques jours. Alors c‘est vrai ce qu’on dit, tu t’entraînes avec Omura Mifuyu ?
- Oui, depuis longtemps maintenant. Pourquoi ?
- Je sais pas, tout le monde la trouve flippante à l’académie. Ils te trouvent flippant aussi, et l'association de vous deux, ce n’est pas pour rassurer tout le monde. Dit-elle en éclatant de rire.
- Ben si tu côtoyais Mifuyu-sensei, tu verrais que comme moi, il ne faut pas toujours se fier aux apparences. Le genin ne pensait pas un piètre mot de ce qu’il disait bien sûr, et il chassa le souvenir des expériences ratées de la sorcière qu’il avait exécuté dans sa quête du ciel. Assez parlé, tu veux bien m‘attaquer avec ton katana ? J'ai une nouvelle technique à tester.
- Encore un de ses trucs où je vais me fatiguer à couper de l’air pendant des heures ?
- Non, une simple posture de défense au kunaï.
Le combat fut une conclusion parfaite pour le jeune homme, la maîtrise du kenjutsu de Mahina offrait un éventail de coup différent à contrer pour le jeune homme. Lorsqu’enfin le chakra fut diffusé à bon escient selon lui, il arrêta l'entraînement et invita la jolie Shinobi à dîner.
C’est ainsi qu’ils terminèrent une journée peu reposante par une soirée qu’il ne l’était pas beaucoup plus.
Regardant les étoiles, enfoncé dans son hamac, le jeune homme sentait le souffle calme de Mahina caresser sa nuque. Il aimait la vie plus que tout, il aimait le pouvoir que les dieux lui confiaient peu à peu, et plus les choses sérieuses approchaient, plus il avait envie de vivre. Tentant de ne pas penser aux ennemies de la Sorcière, sans doute aussi redoutables qu’elle, il se blottit dans les bras de la jeune femme et s’endormit.
La Sorcière observa avec attention la démonstration du petit libraire. Il lui était fort étrange d'occuper le rôle de l'élève dans cette relation, elle qui s'était jusqu'ici évertuée à lui faire maîtriser les secrets de l'orage. Elle refusait d'ordinaire que des jeunes gens puissent lui apprendre quoique ce fut, trop aveuglée par sa fierté pour se rendre compte que les nouvelles générations avaient elles aussi leur pierre à apporter à l'édifice éternellement inachevé qu'était le progrès humain. Au contraire, elle voyait en ces jeunes le déclin de l'humanité devenue trop paresseuse pour poursuivre les recherches qu'elle avait entamées. Toutefois, l'heure n'était plus à ce genre de complications et l'ancienne en avait bien conscience. Elle devait emmagasiner le moindre savoir qui lui était proposé sans rechigner. Elle en aurait besoin dans les combats qui l'attendaient, elle qui n'était plus que l'ombre de ce qu'elle avait été sur les champs de bataille il y a quarante longues années de cela. Depuis son âge d'or, elle avait changé de corps puis avait été confinée à un laboratoire, où elle ne pouvait plus développer ses talents combattifs. Heureusement, son affrontement récent contre Dame Akeru l'avait réveillée : elle avait pris conscience de ses terribles lacunes et, par la même occasion, avait retrouvé son appétit d'antan pour le combat. Si Baransu avait eu lieu trente années plus tôt, il n'y avait aucun doute que Mifuyu eut pulvérisé la Prêtresse de l'Orage sans grande difficulté, anéantissant les espoirs de Tetsu avec ses cendres. A quatre-vingt-sept ans, pourtant, l'immortelle scientifique avait perdu de sa force.
Elle nota d'abord mentalement la position que prenait l'adolescent ainsi que les mudra effectués, puis les répéta sans y insuffler de chakra. Elle voulait s'assurer d'avoir compris correctement les détails techniques du Kai avant de passer à la pratique. Elle connaissait déjà ce qui lui avait été présenté par Sanada, toutefois cela ne faisait jamais de mal de se remettre ces connaissances en mémoire. L'objectif qu'elle retint était simple et tenait en trois mots : brutaliser son esprit. Il résonnait en ces mots un message si différent au dévouement quotidien de la scientifique qu'elle ne put s'empêcher d'en sourire. Elle songea ensuite, en toute modestie, que pour brutaliser son esprit d'exception, une femme comme elle devrait libérer une immense quantité de chakra.
Quand l'explication de l'adolescent fut terminée, la Sorcière le regarda, impuissante, composer à nouveau les signes incantatoires de l'illusion. Comme précédemment, il disparut dans un premier temps de son champ de vision, avant que ne s'élèvent du sol des chaînes de haricots qui vinrent grimper le long de ses jambes. Mifuyu se contenta d'abord d'observer passivement. Avant de s'essayer au contre d'illusions, elle souhaitait voir quel était cet art fantasmagorique que maîtrisait son cobaye. Elle ne l'avait jamais vu recourir à cette discipline auparavant, aussi elle était curieuse de mesurer l'étendue de ses connaissances sur le sujet. Elle attendit ainsi une trentaine de seconde avant de céder à sa déception. Quand elle vit l'image de Sanada surgir de l'intérieur d'un haricot, elle se dit qu'il ne s'agissait que d'une technique capable de tromper ses camarades de classe et en aucun cas digne d'un envoyé des dieux. Un homme qui pouvait conjurer la rage des cieux et faire pleuvoir la grêle ne devrait pas s'abaisser à ces attaques dignes des cours de récréation.
Elle tenta alors, pour la première fois depuis quelques décennies, de rompre l'illusion par sa seule force mentale. Avant que le Sanada qui sortait du haricot ne puisse l'attaquer, la vieillarde retint une grande quantité de chakra qu'elle libéra tout de suite après. Par réflexe et dans la précipitation, se chakra ne fut pas diffusé à l'intérieur de son système mais, au contraire, fut libéré vers son environnement, paralysant le petit libraire pendant quelques secondes. Au lieu du Kai, elle avait invoqué un Kanashibari sans le vouloir. Elle le dissipa immédiatement et fut bientôt sortie de l'illusion du garçon.
"Vieux réflexe, pardon. Peux-tu recommencer ?"
Sans broncher, le Genin la plongea à nouveau dans son illusion. L'ancêtre put constater que la fatigue s'emparait progressivement de lui, aussi elle se devait de réussir avant qu'il ne s'écroule d'épuisement. Cette fois-ci, quand vint le moment de libérer son chakra, elle se concentra suffisamment pour tout envoyer dans son système. Elle fit toutefois l'erreur de ne pas modifier la quantité de chakra envoyée précédemment. Une vague d'énergie spirituelle déferla ainsi dans ses entrailles, perturbant ses perceptions et la libérant finalement de l'illusion. Cette même vague finit cependant par ressortir de ses tenketsu en grande quantité, comme si son corps ne pouvait plus contenir un tel afflux de puissance. Une immense douleur, semblable à celle d'une brûlure, recouvrit alors chacun de ses points chakratiques. Elle étouffa tant bien que mal un hurlement avant de passer une dose de chakra médical sur l'ensemble de son corps.
"On recommence !" dit-elle d'un air ferme mais d'une voix vacillante.
Et ils recommencèrent, encore et encore, jusqu'à ce que la doyenne parvienne à doser correctement son chakra. Tantôt elle n'en utilisait pas assez, ne brisant l'illusion que partiellement, tantôt elle en utilisait trop, la brûlant à nouveau. Quand on avait une quantité de chakra aussi phénoménale qu'elle, il devenait difficile de juger de si petites doses, même pour elle qui était habituellement une experte dans ce domaine. Les techniques médicales demandaient une maîtrise parfaite de son énergie spirituelle, mais la différence résidait dans la cible de ce chakra. Il était bien plus aisé de contrôler son chakra une fois matérialisé à l'extérieur, quand il recouvrait ses mains d'une aura verte, par exemple, que lorsqu'il fallait directement l'envoyer dans son système.
Elle parvint bientôt à rejeter l'illusion avec une force qui était devenue constante. Elle avait enregistré le montant correct d'énergie qu'il fallait libérer et, désormais, elle ne se laissait plus jamais submerger. Quand elle estima avoir pleinement maîtrisé la technique, elle se retira pour se reposer. "Retrouvons-nous ici demain, j'ai encore quelque chose à t'apprendre." Elle s'éloigna alors, ne voyant pas que le garçon était resté pour s'entraîner encore.
***
Quand elle fut de nouveau face à lui, le lendemain, elle ne perdit pas de temps en cérémonie. Elle sortit ses scalpels et commença à les balancer lentement entre ses doigts comme on pourrait le faire avec un crayon. "Aujourd'hui, tu vas apprendre à attaquer. Combattre au kunai n'est pas facile, car il te faudra d'abord rejoindre le corps-à-corps. Par contre, une fois en combat rapproché avec un ennemi qui cherchera à tout prix à s'éloigner, c'est déjà presque gagné. Regarde." Elle s'éloignait de lui d'une dizaine de pas dans le but de simuler une situation de combat réel. Puis, à l'instant même où elle se retourna pour lui faire face encore, elle bondit avec une vitesse prodigieuse dans sa direction. Le libraire ne put pas réagir à temps pour éviter l'assaut. Dépliant machinalement son bras vers la gorge de l'adolescent, Mifuyu lâcha son arme au dernier moment et vint simplement l'effleurer sous la pomme d'adam du bout de ses doigts enfantins. "Un coup comme ça et tu es mort." En même temps qu'elle formulait sa phrase, elle se rendait compte du pouvoir qu'elle exerçait sur lui et bien d'autres gens. C'était le pouvoir de vie ou de mort, terriblement terrifiant dans les mains d'une femme qui n'avait aucun scrupule à faire disparaître quelqu'un en une fraction de seconde.
La doyenne ramassa sa courte lame à la précision chirurgicale et s'éloigna de nouveau. "Ici, j'imagine que tu l'as remarqué, c'est la vitesse qui prime. Je ne saurais que trop de conseiller de placer ton chakra dans tes jambes, car tout réside dans l'impulsion que tu sauras te donner. L'objectif est simple : trancher avant que ton adversaire n'ait eu le temps de se mettre en garde. Si tu arrives trop tard, utilise l'effet de surprise pour la contourner." Elle ouvrit ensuite ses bras pour découvrir ses flans de manière à dire : vas-y, attaque-moi.
Devant le corps horrifique de la sorcière offert à ses coups de lames, le genin repensa aux conseils de Rokuro lors de leur dernière rencontre. Elle avait insisté sur la défense et la nécessité de se protéger. Si Sanada n'était pas une armoire à glace avec la solidité d'un rocher, il ne lui restait plus qu'une solution pour survivre dans sa carrière de ninja, la vitesse. Avec amertume, il se promit d'aller visiter la vieille Miyamoto, cela faisait une éternité qu'il n'avait plus traversé les dizaines de ponts du clan esthète.
La vitesse.
S'il n'avait jamais souffert d'une lacune particulière dans le domaine, il était loin d'être le plus rapide de sa promotion et se situait toujours dans la moyenne dans les épreuves de vitesse. Il fallait que cela change, et cet exercice semblait parfait. La Sorcière était dotée d'une vitesse telle que ses coups étaient presque impossibles à esquiver. Elle avait fait de lui un être plus fort, et s'il voulait continuer à progresser, il se devait de se mesurer à plus fort que lui.
Saisissant le kunaï fermement dans sa main gauche, il concentra son chakra au maximum dans ses jambes, obéissant aux instructions de l'Omura, et se projeta vers elle. Toujours les bras écartés, l'ancêtre du clan médecin sembla attendre l'assaut avec l'appétit d'un enfant devant un gâteau de riz soufflé. Malgré ses efforts et l'afflux de chakra dans ses membres inférieurs, l'assaut ne fut pas plus rapide que d'ordinaire. La lame fut contrée sans mal par la Sorcière qui, d'un regard, intima l'ordre à son élève de recommencer. Pendant très longtemps, et ce, malgré les conseils de plus en plus fins de Mifuyu, le genin fut incapable de comprendre la différence entre ce très court assaut rapide et le Shunshin, couvrant une distance beaucoup plus grande plus rapidement, au prix d'une débauche d'énergie beaucoup plus grande. Logiquement, son énergie fut épuisée en quelques tentatives, et c'est avec rancœur et dans un silence de plomb qu'il mangea son déjeuner.
Lorsqu'ils furent à nouveau sur la terre battue du terrain, Sanada décida de changer d'approche. Il fallait qu'il oublie ce qu'il connaissait. Le kaikenjutsu était loin d'être sa spécialité, et cela ne le serait jamais. Il fallait donc prendre cette technique comme ce qu'elle était réellement, un arcane de débutant dans l'art du maniement des couteaux et autres scalpels. Il ne fallait pas tant réfléchir que cela, il suffisait de concentrer son chakra dans les parties importantes du corps, et ce, par étapes.
“ D'abord, les jambes” se dit Sanada, en s'élançant vers la Sorcière. “Puis, le chakra remonte vers le bassin”. Le genin pivota, levant la main directrice pour amorcer le coup. “Enfin, dans l'épaule et le bras”. Le kunaï prit cette fois une bonne vitesse et un instant, la lame sembla couper l'air dans un déchirement continu. La garde de Mifuyu vint briser l'attaque, sous l'envol des oiseaux effrayés par le bruit de la confrontation des lames.
- Je veux recommencer, je crois que je commence à saisir ce que vous vouliez me dire. Dit-il déterminé.
Les assauts se firent de plus en plus précis et maîtrisés. Bien sûr, aucun ne pouvait ne serait-ce que surprendre la Sorcière, mais il n'avait de toute façon aucune intention de combattre en duel d'arme blanche ses adversaires futurs. S'il avait compris une chose durant la mission avec la team Tsubaki, c'était qu'en situation réelle, les techniques les plus sophistiquées n'étaient pas forcément les plus utiles. Plus encore, contre des soldats sans pouvoir particulier ou ayant une faible maîtrise de leur chakra, savoir se défendre à l'arme blanche ne pouvait être que bénéfique, tant pour économiser le pouvoir divin que pour camoufler son identité. Plus il avait de corde à son arc, plus ses chances de survie contre un adversaire inconnu étaient grandes.
Le soleil avait disparu derrière l'océan infini, mais l'entraînement n'était pas terminé. La Sorcière, aussi perfectionniste qu'à l'accoutumée exigeait que son élève recommence encore et encore.
Bien plus que pour le ranton, elle qui était une spécialiste de ce domaine distinguait en une seconde les erreurs de placement ou d'exécution des coups. Le genin n'était qu'un novice, bien trop éloigné de l'excellence qui semblait la moindre des choses pour la Harpie en culotte courte. Sans se décourager, il attaqua pour la centième fois de la journée, laissant son chakra glisser de ses pieds jusqu'à son bras, suivant le mouvement naturel de l'assaut au couteau. Il s'agissait d'accompagner le corps, de le renforcer avec le pouvoir divin, non de le guider complètement comme pour le Shunshin. La technique était plus efficace lancée par un manieur de lame parce que sa posture, son mouvement étaient meilleurs, le chakra n'était qu'un avantage de vitesse. La technique, la maîtrise de l'espace et de son corps, de l'allonge de son arme, tout cela ne se transformait pas par simple magie. Malgré l'origine divine du chakra, le labeur, seule prière comptable aux yeux des cieux, récompensait véritablement les sujets des dieux.
Épuisé, mais heureux de ces deux jours intensifs, il alluma son calumet et marcha avec Mifuyu jusqu'au port. Il avait faim, et il supposait, même s'il ne l'avait jamais vu et doutait parfois de l'humanité de sa guide, qu'elle aussi avait l'estomac vide après tant d'exercice.
Il se dirigea vers l'échoppe de Kaede, la spécialiste des seiches et des poulpes grillées en invitant l'Omura. - C'est mon restaurant préféré du port. Je pense qu'un bon bol d'Ika Yaki ne nous fera pas de mal. Et puis nous pourrons parler un peu du voyage qui se profile.
Ce n'est qu'après avoir mangé que Sanada laissa sa curiosité revenir sur le devant de la scène.
- Si j'ai bien tout compris, nous nous entraînons une semaine avant de repartir vers le temple. Que faire si nos ennemis profitent de notre absence pour bouger ? Vous croyez que ce que nous allons découvrir va vraiment nous aider dans l'affrontement à venir ? Qui nous dit qu'il n'y aura pas d'autres Omura à la recherche des travaux de Fusuke là-bas ? Ou bien même que nous allons leur donner une piste s'ils nous suivent ?
Sanada ne voulait pas interférer dans la stratégie de la Sorcière, encore moins lui faire croire qu'il avait une autre ambition que de la servir. Mais avancer à l'aveuglette comme cela n'avait rien de rassurant, et au-delà de sa volonté de puissance, de sa quête de fusion avec la Nature, il n'en avait pas moins peur de mourir. Non pas que sa vie de mortel ne lui soit si précieuse, il se sacrifierait avec joie, une fois sa divine mission accomplie.
Le clan Omura n'était qu'une étape. Un devoir nécessaire pour son évolution. Mais bien au-dessus du pouvoir que Mifuyu exerçait sur le jeune homme, l'ombre de la pythie éclairait tous les vitraux de la cathédrale intérieure du soldat des Cinq.
La matinée fut infructueuse. Mifuyu assistait avec un regard lointain à l'épuisement de son élève. Tandis qu'il l'attaquait – à une vitesse bien loin encore ne serait-ce que de l'inquiéter – elle pensait à l'avenir , mais également à son passé. Comment en était-elle venue là ? Pourquoi s'entraînait-elle avec un Genin, là où, si la révolution éthique avait échoué il y a de cela vingt ans, elle régnerait en maîtresse absolue sur sa caste ? Elle devrait être en train de révolutionner la science, de percer les mystères de la vie éternelle. Peut-être même que si on lui en avait laissé le temps, elle serait déjà parvenue à se sauver ainsi que tous les autres. Elle aurait pu développer un traitement contre la vieillesse, la tuberculose, la gangrène… Mais il en avait été autrement et sa réussite aujourd'hui dépendait partiellement de la progression de ce garçon. Elle avait besoin de lui pour lui apporter la clef aux secrets de Fusuke, honteusement préservés depuis des années dans son laboratoire secret. Elle avait besoin de lui pour s'exercer et mettre au point une nouvelle médecine, celle qui transcendait l'être humain. Enfin, elle avait besoin de lui pour faire disparaître ses adversaires.
En attendant, la voilà qui devait encaisser ses coups – si l'on pouvait qualifier les quelques gestes maladroits de l'adolescent ainsi. "Non, tu ne comprends pas !" l'interrompit-elle finalement. "A trop vouloir te focaliser sur la vitesse, tu en perds les bases du combat à l'arme blanche. Il faut que tu trouves le bon équilibre. Utilise moins de chakra, ou tu t'épuiseras bien vite." Le conseil était donné, pourtant c'était ce qui arriva. Sanada dépensa de larges quantités de chakra et, épuisé, n'avait plus la force d'attaquer la vieillarde, qui l'invita au restaurant pour reprendre des forces.
L'après-midi fut meilleure pour le jeune libraire. Revigoré par les quelques nutriments avalés, sa maîtrise du chakra se faisait plus précise. "Les jambes sont importantes, mais n'oublie pas que le moment final provient de ton bras." Lui dit-elle en guise d'ultime conseil. Il était important d'imprégner ses jambes de chakra, certes, mais l'impulsion n'était pas tout : le bras armé qui se dépliait vers sa victime devait lui aussi être renforcé. Le Genin n'était toujours pas parvenu à briser la garde de Mifuyu – il n'y arriverait sans doute pas avant quelques années – toutefois son attaque devenait plus violente à chaque tentative. Le duo continua ainsi même après la tombée de la nuit. Comme à l'accoutumé, la Sorcière exigeait que le jutsu soit totalement maîtrisé. La technique, la précision et l'expérimentation étaient les trois valeurs fondamentales de l'art chirurgical, comme elles l'étaient également de l'art ninja. En fait, elle se dit que ces valeurs devaient être les fondations de toutes les disciplines ou, en prenant les choses à l'envers, étaient les trois outils dont disposait l'homme pour appréhender le monde qui l'entourait.
Toute la soirée durant, elle reprit sa posture et lui enseigna les rudiments du combat à l'arme blanche. Les bases lui avaient été inculquées à l'académie du village mais, puisqu'elle avait appris à ne pas trop en attendre de ces nouvelles institutions nées du fléau que pouvait être la paix, ses compétences étaient encore trop peu satisfaisantes. Elles suffiraient pour l'apprentissage de cette technique simpliste, certes, mais, dans l'état actuel des choses, il serait incapable de maîtriser des jutsu d'un niveau supérieur.
Sanada, après ce qui devait être son centième assaut de la journée, parvint enfin à obtenir un résultat satisfaisant auprès de la chirurgienne. "Ca y est, tu tiens la solution. Recommence." Quelques répétitions supplémentaires en reprenant ces mêmes codes et l'ancienne reconnut enfin que le garçon maîtrisait pleinement la technique. Tous deux l'estomacs creux, il était désormais temps de mettre ces pénibles efforts de côté. Elle suivit ainsi son élève jusqu'à une échoppe installée dans le port qu'il connaissait visiblement bien et qui était spécialisée dans la cuisine marine.
"Je vais prendre comme lui" dit-elle machinalement à la serveuse, lassée depuis bien trop d'années pour prendre le soin d'apprécier sa nourriture. Cela faisait depuis ses soixante ans peut-être qu'elle n'y prenait plus goût. A quoi bon ? Son plaisir résidait ailleurs et la nourriture n'était que le carburant insipide qui faisait fonctionner l'ensemble de la machine. Le repas, ainsi, demeura calme. Aucune voix ne s'éleva outre mesure ni ne se hasarda dans des conversations trop complexes. Sanada brisa néanmoins ce silence après qu'ils aient été débarrassés pour questionner l'Omura.
"Nous sommes prêts pour le temple. Nous partirons dans deux jours. Je doute que d'autres Omura puissent être à la recherche de Fusuke. Toutes les pages de son journal sont en ma possession et la vaste majorité des membres du clans ignorait tout de ses pratiques… C'est parce qu'on m'en a confié la traque, dans le temps, que je me suis intéressée à lui." Elle marqua une pause pour réfléchir à la seconde partie de la question. Elle n'avait pas réellement réfléchi à ce que pourraient faire Gendo ou Leiko pendant les quelques jours de leur absence, mais il était vrai que la question était inquiétante. "A vrai dire, nous ne seront partis que quelques jours. Je doute que qui que ce soit ne tente quoi que ce soit, au moins tant qu'on aura pas eu de nouvelles du laboratoire expérimental X-23, qui sera le point de départ de notre action. Je t'expliquerai cela le moment venu."
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