Extraction du poison [ Mission rang B - PV Tadake Yuriko ]

Même s'il paraissait confiant et plus sûr de lui que jamais, en toute circonstance, il fallait bien avouer que la prise de décision était le plus sur lequel le jeune homme avait le plus de difficulté. En effet il avait eu ses réussites et ses ratés par le passé, comme chaque shinobi qu'il avait côtoyé au fil des ans, mais c'étaient ses erreurs qui finissaient par le hanter le plus souvent. Il voulait trop bien faire et ne s'accordait aucune marge de manœuvre en terme d'échec, il en avait bien conscience et essayait de lutter contre cette constante recherche de la perfection, mais c'était un chemin aussi long que tortueux. C'était sans doute une des raisons pour lesquelles il n'appréciait pas d'être chef d'équipe, car la responsabilité de la réussite ou de l'échec de la mission reposait entièrement sur ses épaules, aussi préférait-il partir en mission avec d'autres shinobis considérés comme ses égaux.
C'était bien entendu le cas de sa sœur qui, bien plus posée et raisonnée que lui, était toujours de bons conseils quand il se mettait à douter de ses propres prises de décisions. C'était la raison pour laquelle Kyoshiro se tourna vers elle, pour lui demander son avis quant à la piste à suivre, afin que tous les deux soient en phase avec la direction que prenait cette mission. Souriant à la remarque de sa sœur, ne souhaitant pas expliquer comment il savait repérer de la bave de crapaud, la laissant exprimer à voix haute ses interrogations quant à la probabilité que la victime soit toujours en vie. Probabilité faibles en effet, si faibles que la jeune Tadake préféra choisir la piste de la bave en repensant à la créature ligotée chez la vieille folle, rencontrée quelques instants plus tôt. Tomberaient-ils sur elle, à nouveau ? L'aveugle ne l'espérait pas car, au vu de la façon dont ils s'étaient quittés, des retrouvailles ne seraient guère réjouissantes.

« Suivons la bave, dans ce cas. »

Suivre la bave de crapaud mènerait à l'huile de crapaud jaune, un raisonnement simpliste qui tenait  pourtant la route. Les deux shinobis montèrent donc dans l'embarcation venue et, durant ce qui fut un assez court trajet, le jeune aveugle se pencha au bord de l'embarcation, laissant le bout de ses doigts caresser la surface de l'eau, comme s'il essayait de nouer ses incertitudes, jusqu'à ce que ses dons ne soient subitement en alerte. D'un coup d'un seul le senseur redressa la tête, en sentant des présences émerger çà et là, jusqu'à ce qu'une présence bien plus massive ne fasse son apparition. Bien entendu en suivant ce cours d'eau, en suivant cette piste de bave il avait gardé en tête la possibilité d'un piège ou d'une embuscade, il devait en être de même pour sa sœur, car ils étaient des professionnels préparés à toute éventualité mais, il devait bien avouer, Kyoshiro était époustouflé par la massive forme qu'il sentait à présent devant lui.
Se redressant, marchant vers l'avant de l'embarcation, l'homme écouta ce que le premier intervenant avait à dire, dévoilant leur connexion avec la vieille folle dans sa cabane, avant de prendre la parole et souligner un point qui lui semblait important.

« Si vous nous connaissez, il me semble inutile de nous présenter, dans ce cas. D'ailleurs, la vieille dont vous parlez vous a t-elle dit qu'elle avait capturé et ligoté une des créatures, semblables à celle-ci ? Quelle que puisse en être la raison. »

Ils étaient alliés des crapauds, à en juger par la situation, mais qu'en était-il de la vieille ? Elle avait dit être curieuse, intriguée par la créature, mais ne lui voulait sans doute pas du bien sinon elle ne l'aurait pas ligoté de la sorte. Puis vint ensuite le tour de celle qui se présentant comme la maîtresse des fils du marais, la cible à abattre si on en croyait les ordres de mission des deux Konohajin. Elle leur fit une offre des plus simples : se débarrasser des vipères et protéger la nature. Bien entendu le Tadake avait une connexion particulière avec la nature, il s'y réfugiait à chaque fois qu'il avait besoin de calme et de sérénité, aussi ne voyait-il aucun mal à faire d'une pierre deux coups. En un instant il fit le calcul dans sa tête. S'il attaquait les fils du marais il perdait toute chance d'en apprendre plus sur les crapauds et, s'il restait les bras croisés, l'huile de crapaud lui passerait sous le nez et la réussite de la mission avec. Il s'adressa donc à la maîtresse, en jouant cartes sur table.

« Nous sommes ici pour passer un accord, avec vous, si vous nous en donnez l'opportunité. Notre mission était de vous tuer, je ne vais pas vous le cacher. Vous écraser pour récupérer le contrôle de l'approvisionnement en huile de crapaud jaune, en somme. Seulement, si nous pouvons parvenir à un accord, entre votre clan et notre village, cela éviterait un bain de sang inutile et pourrait générer un accord profitable à tous. C'est la raison de notre venue. »

Il n'y avait rien à gagner à mentir, pas ici, pas maintenant. Un accord semblait le compromis idéal entre ce qui leur était demandé et ce qu'ils pouvaient obtenir. Aussi, laissant un moment de pause, le Tadake rebondit sur l'offre qui leur fut faite, en répondant :

« Nous sommes prêts à accéder à votre requête, bien sûr. En retour, j'ai une demande assez...personnelle, à vous faire. J'aimerai en apprendre davantage sur l'imposante créature sur laquelle vous vous trouvez, ainsi que son origine. Avons-nous un accord ? »

Sa curiosité le perdrait peut-être mais il devait en savoir plus, il voulait en savoir plus et ne lâcherait pas le morceau.

Certes le jeune homme avait poli ses talents de senseur au fil des ans, afin de ressentir les chakra autour de lui à la manière d'un sonar, mais il ne serait jamais assez précis pour deviner les armes que possédaient ses éventuels opposants. C'était pour cela qu'il était reconnaissant envers ses partenaires de lui indiquer les détails qui échappaient à sa. « perception » comme venait de le faire sa sœur, à l'instant. D'habitude il rechignait à demander de telles informations car, sans parler de fierté mal placée il préférait se débrouiller avec les cartes que Mère Nature avait choisi de lui donner, mais sa sœur savait passer ces barrières et lui parler avec franchise. Peut-être avait-elle eu de la pitié pour lui durant ce jeunes années, lorsque Kyoshiro était totalement dépendant de sa jumelle, mais cela faisait maintenant des années que la jeune Konohajin ne prenait plus de pincettes avec lui, comprenait qu'il était un homme à part entière malgré la cécité qui le frappait. Elle ne le prenait pas en pitié, ne prenait pas de pincettes et n'était pas en admiration devant l'obstacle qu'il avait su surmonter, ou alors l'aveugle ne le remarquait pas, et c'était cette instinctive franchise qui lui permettait de traverser les pires missions en tout quiétude.
Il hocha donc la tête lorsqu'il apprit que les adversaires étaient dotés d'arcs et de lances, de quoi les transformer en passoires si la conversation venait à prendre un mauvais tournant, avant de sourire à la dernière remarque qui lui fut adressée. Certes il savait qu'il devait être prudent en toute circonstance, surtout maintenant qu'il n'était plus chez lui, mais il ne put s'empêcher de rebondir sur cette remarque sur un ton léger.

« Moi, les offenser ? Je suis toujours charmant, voyons ! »

Bon d'accord il pouvait parfois être un peu trop franc et brutal mais, au fond, les mots n'étaient qu'une arme de plus à son actif. Il était assez doué dans ce domaine, il le savait, mais il comprenait aussi que les beaux discours ne pouvaient pas résoudre tous les discours. Aussi préféra t-il l'option de la franchise en jouant cartes sur table, sans doute parce qu'il était fatigué de voir cette mission le bringuebaler d'un lieu à un autre, jusqu'à ce que la leader de cette bande ne lui réponde. Certes elle avait du charisme mais elle devait garder la bouche fermée pour cela, ou tout du moins ce fut la conclusion à laquelle l'aveugle arriva alors qu'il faisait son possible pour comprendre les propos de cette dame. Elle et le crapaud géant semblaient prêts à accéder à la requête du jeune homme, aussi ce dernier leva la tête vers la formidable bête devant lui, inclinant légèrement la tête en guise de respect, avant de répondre :

« Ce serait fait, dans ce cas, maître crapaud. Je vous en remercie d'avance. »

Il devait bien avouer qu'il était curieux et satisfait à l'idée du marché qui était en train de se dessiner devant lui mais, comme à l'image de sa rencontre avec la vieille, il ne pouvait se permettre ne serait-ce qu'un brin de naïveté. Qui pouvait lui affirmer que ces fils du marais allaient respecter leur part du marché qui venait d'être verbalement signé ? Personne, absolument personne, mais il devait tout de même tenter sa chance.

« J'imagine que nous nous retrouverons donc, ici, une fois la tâche effectuée ? Nous avons donc un accord. Sur ces belles paroles, nous vous quittons pour aller remplir notre part du marché. »

Sur ces belles paroles, une fois qu'il fut assuré qu'aucun autre échange n'était nécessaire, l'aveugle fit faire demi-tour à l'embarcation, en essayant de se remémorer la configuration des lieus où il fit la rencontre des vipères, quelques instants plus tôt. Comment s'y prendre ? Devait-il trouver la victime, comme demandé, et attendre que les vipères ne baissent leur garde pour frapper ? Ou les frapper sans attendre ? Il devait se concerter avec sa sœur de ce côté. Il attendit donc que l'embarcation soit suffisamment éloigner des fils du marais, pour lui lancer :

« En gros nous échangeons une cible contre une autre. Espérons qu'ils soient ouverts à la négociation, une fois les vipères d'eau réduites à néant. Tu te sens prête, ma sœur ?  »

Le plus compliqué dans ce genre de mission n'était pas réellement de prendre une décision mais d'en assumer les conséquences, avant même que celles-ci ne se présentent à nous. Par exemple le jeune homme aurait pu poursuivre le plan original coûte que coût et retrouver la victime, pour se faire bien voir des vipères d'eau afin d'obtenir de cruciales informations pour éradiquer leurs rivaux, mais,en son for intérieur, le Tadake n'était pas persuadé que cela soit la seule option qui se présente à lui. Certes les fils du marais étaient à l'origine des troubles qui avaient amené les dignitaires de Konoha dans ces terres éloignés, mais ce n'étaient pas les premiers ou les derniers à vouloir s'emparer du marché de l'huile de crapaud jaune. Kyoshiro pensait donc que, plutôt que de bouter un tyran pour avoir à en détrôner un autre quelques mois plus tard, il était autrement plus intéressant de faire un marché avec celui en plus, pour assurer un minimum de stabilité avoir que les deux partis soient gagnants.
Ce n'était pas une solution idéale, le senseur le savait bien, mais depuis quand vivait-il dans un monde idéal ? Comme toujours il écouta donc la demoiselle exprimer son point de vue, une fois l'embarcation loin des fils du marais et, comme d'habitude, elle ne s'embarrassait pas de gants ou pincettes avec son frère. Elle avait raison de mettre en doute cet accord fragile qui venait d'être établi, tout en pointant du doigt le fait que cette lutte entre fils et vipères ne regardait pas Konoha mais, à cela, son aveugle de frère ne put que répondre ;

« Je sais bien. Mon instinct me dit juste que c'est la voie à suivre, c'est tout ce que je peux te dire.  »

Ce n'était guère un argument et tous les deux le savaient bien, car l'instinct de Kyoshiro avait été faillible plus d'une fois. Mais que pouvait-il dire d'autre ? Il n'y avait aucune explication rationnelle quant à la curiosité et la fascination le poussant à en savoir plus sur ces créatures invoquées. Il savait que cela pourrait aller à l'encontre de la mission qui lui avait été donnée, mais le shinobi n'était pas stupide pour autant : il connaissait la limite entre ce qui était acceptable ou non. Une fois sur la terre ferme, suivante la suggestion de sa chère sœur, le jeune maître de l'eau suivit donc la piste de sang et, lorsque la piste s'épaissit et qu'il crut arriver à temps, il trouva une évidente quantité de sang mais aucun corps duquel avait coulé le liquide carmin. Déjà sauvé, ou le ménage avait-il été fait ?

« Formidable... »

Cela ne lui disait rien qui vaille, peut-être avait-il été stupide de laisser cette curiosité le guider, au risque de compliquer la mission encore davantage. Venait-il de tout foutre en l'air, à cause d'un égoïsme mal placé ? Chassant ces pensées de sa tête, il enjoint sa sœur à le suivre jusqu'à l'entrepôt visité quelques instants plus tôt mais, une fois encore, les Konohajins arrivaient trop tard. Pas une seule trace de vipère dans cette entrepôt où ils avaient fait leur connaissant. Fronçant de nouveau les sourcils en sentant l'agacement monter en lui, l'aveugle laissa à sa sœur le loisir de fouiller la bâtisse pour trouver des indices physiques tandis que lui, de son côté, se concentra sur le chakra encore présent dans l'air. Il n'avait pas eu le temps d'enregistrer la signature de chakra d'une des vipères et il le regrettait, mais il se rappelait de leur nombre. Un groupe d'une telle taille ne devait pas traîner à tous les coins de rue.

« S'il y a une trace.... »

Posant un genou à terre tout en gardant les yeux fermés, s'imprégnant de l'air sans doute saturé de chakra, l'aveugle usa de son propre chakra pour étendre ses sens bien au-delà de la limite normale, afin de repérer d'éventuels chakras à des centaines de mètres à la ronde, mais aussi la présence d'un groupe ayant approximativement la même taille que celui rencontré ici. C'était la seule chose qu'il pouvait faire, pour le moment.

Même s'il pouvait être considéré comme un assassin, comme un instrument de mort et de destruction au service d'une cause bien plus grande que lui, cela ne voulait pas dire qu'il était absent de tout remord ou de toute étique. Certes il lui était arrivé de faire des choses innommables, de faire couler plus de sang qu'il ne voudrait bien l'admettre, mais il l'avait toujours fait pour servir Konoha et c'était pour cela qu'il arrivait encore à dormir comme un bébé, malgré le nombre de vies fauchées. Ici, par contre, la situation était bien plus délicate car,  si justement il se servait de ses ordres comme d'un compas moral, il était sur le point d'aller en sens inverse et cela n'avait rien de bon. Lui et sa sœur avaient été amenés ici pour récupérer le marché de l'huile de crapaud jaune et, malgré tout ce qu'on pourrait lui dire et tout ce qu'il pourrait ressentir, Kyoshiro ne pouvait s'empêcher de vouloir en savoir plus sur ces créatures invoquées.
Pourquoi ? Certes il devait bien avouer être diablement curieux mais, en son for intérieur, l'aveugle était simplement en recherche de puissance. Il avait poussé ses talents dans le ninjutsu jusque dans leurs derniers retranchements et, s'il pensait avoir atteint sa limite de ce côté-là, il devait trouver une autre source dans laquelle puiser de la puissance. Il ne le faisait pas pour lui ou parce qu'il voulait être supérieur, mais pour protéger sa sœur et le reste de sa nouvelle famille. Il ne voulait pas être le meilleur pour lui mais pour les autres, cela avait toujours été clair pour lui.

Sa sœur avait raison, les vipères devaient forcément avoir pressenti que les Konohajins voudraient la leur mettre à l'envers. Avait-il fait une erreur en choisissant sa famille à son devoir, une fois encore ?Oh oui il pouvait se concentrer sur sa tâche en cours, à mesure qu'il s'approchait de l'entrepôt, mais à chaque pas une voix venait lui murmurer qu'il avait fait une grossière erreur. Soufflant en espérant avoir tort, il s'approcha de la porte et, lorsqu'il posa la main et fit pression sur la porte, le nuage de fumée lui confirma qu'il avait fait une erreur. Oh oui il pouvait deviner qu'il s'agissait de tout sauf de la fumée ordinaire, sentant déjà ses forces s'amenuiser alors que la fumée pénétrait ses voix respiratoires, tandis qu'il écoutait la cheffe exprimer son indignation face à cette trahison.
Entre deux lourdes respirations, l'aveugle poussa la porte en grand et répondit froidement :

« Rien de personnel, ce sont les affaires. »

C'était la partie de sa personnalité qui l'effrayait le plus, d'être capable de trahir et de poignarder quelqu'un dans le dos sans sourciller, sans y trouver quoi que ce soit à y redire, car il avait toujours une bonne raison pour le faire. Ferait-il un bon père, en sachant cela ? Il était conscient que Sayuri était pire que lui sous bien des aspects mais, fort heureusement, il avait toujours fait son possible pour qu'elle ne puisse pas voir ses pires côtés. Elle n'avait pas été là dans la grotte, n'avait pas été là pendant qu'il effectuait son devoir, dans le sang et les larmes, et c’était aussi bien comme cela.Elle n'avait pas besoin de le voir ainsi, car ce n'était pas de la froide machine mais du radieux soleil qu'elle était tombée amoureuse.
Bientôt le jeune homme n'eut plus à se préoccuper de cela car, alors qu'il avançait pour sortir hors du nuage de fumée, son ouïe l'alerta de l'arrivée de plusieurs projectiles dans sa direction et celle de sa sœur. Joignant les mains devant lui, il expulsa un puissant jet d'eau qui entoura le duo, repoussant les projectiles mais masquant également les deux shinobis aux yeux de tous ceux encore dans l'entrepôt. L'espace d'un instant, sans tourner la tête, il s'adressa à sa sœur en lui murmurant :

« Je t'ouvre la voie, profites-en.  »

Ils étaient une équipe parfaitement huilée, il n'avait pas besoin de lui dire ce qu'il avait en tête pour qu'elle le devine. Il en avait juste envie, comme une vieille habitude qui ne voulait pas s'en aller. Profitant de sa technique qui masquait la vision de ses assaillants, Kyoshiro joignit de nouveau ses mains devant lui et, l'instant d'après, la colonne d'eau se transforma en un requin fonçant en ligne droite, en direction de la cheffe et du lieutenant qui venait se mettre devant elle. Une attaque rapide et directe pour ouvrir le bal : rien de plus simple.

Kyoshiro appréciait la simplicité d'un champ de bataille, la pure brutalité de deux guerriers abattant leurs meilleures cartes l'un sur l'autre dans un fracas des plus tonitruants mais, malheureusement, il savait aussi que bon nombre de shinobis étaient plus...fourbes qu'il ne pouvait l'être. Les embuscades, les pièges ou les poisons ? Très peu pour lui, il était un utilisateur de ninjutsu, compétent, un senseur assez doué, mais rien dans son attirail ne permettrait de le qualifier de sournois. En sentant la fumée l'entourer il savait que son adversaire n'aurait pas autant de scrupules que lui, surtout qu'elle n'était pas venue seule. Qu'à cela ne tienne, si l'aveugle était surtout doué pour le soutien et pour protéger, sa chère jumelle savait se montrer bien plus percutante que lui et, face à une adversaire se cachant derrière ses sbires et de la fumée, peut-être était-ce la méthode à adopter.
Il ouvrit donc la voie à sa sœur et, tendant les oreilles, le craquement qui suivit confirma au jeune homme qu'au moins une cible avait été neutralisée. Oh il ne savait pas quels atouts l'adversaire du jour avait dans sa manche, il n'avait pas encore eu le temps de déployer ses sens pour obtenir une telle information, mais le Tadake savait sa sœur assez capable pour surmonter tous les obstacles qui se dresseraient devant elle. Il restait donc à s'occuper des sbires mais, alors qu'il allait reprendre son assaut, un nuage de fumée vint l'entourer...non, de poison. Un autre allié, caché dans les ombres ? L'aveugle n'eut pas besoin de s'interroger sur l'identité dudit assaillant que déjà sa voix lui donnait la seule réponse dont il avait besoin. La vieille, de retour ? Oh elle semblait avoir mal pris le rejet de Kyoshiro, ce à quoi ce dernier répondit platement :

« Désolé, mais j'aime ma femme.  »

Et elle pourrait bien l'empoisonner dans son sommeil, mais c'était un détail sur lequel il ne souhaitait pas s'attarder. Kyoshiro avait du respect pour ses aînés, mais se mettre en travers de sa mission ? Là, non, il ne pouvait donner de passe-droit à cette vieille pour ce qu'elle venait de faire. S'écartant pour sortir du nuage de fumée, gardant en tête la position de la vieille, Kyoshiro joignit ses mains devant lui et, en les apposant par terre, y injectant du chakra pour donner vie au sol à ses pieds. Ce dernier se redressa, se modela jusqu'à prendre la forme d'un massif golem  se positionnant devant Kyoshiro, comme un bouclier mais aussi le plus puissant des marteaux. Posant une main sur le golem à présent devant lui, le senseur souffla à sa création :

« C'est l'heure de le faire le ménage. Attaque. »

Joignant le geste à la parole,  le golem tourna son visage inexpressif vers la vieille, s'avançant vers elle dans le seul but de la détruire. De son côté, le senseur utilisa l'humidité ambiante pour créer quatre copies aqueuses de lui-même, avant de les envoyer pour éradiquer la foule de sbires à coup de kunais et de shurikens. Diviser pour mieux régner, non ? Cela avait intérêt de marcher car, clairement, il commençait à être à court de chakra et donc d'options. Si cela ne fonctionnait pas, il allait de voir préférer le corps à corps.

Chaque combat était un champ de bataille nouveau pour l'aveugle car, même si ses sens étaient aiguisés, il y avait une limite à ce qu'il pouvait percevoir et les pleines capacités de ses opposants n'en faisaient pas partie. En réalité si, il avait récemment appris à pousser sa perception jusqu'à cette limite, pour ressentir l'affinité d'un adversaire et plus encore, mais il n'avait pas toujours la présence d'esprit de l'utiliser, car la plupart de ses combats étaient soudains et se faisaient dans l'urgence. Il devait donc analyser la situation et improviser en fonction de ce qui était lancé à son encontre et, s'il se savait assez doué dans ce domaine-là, la présence de sa jumelle était un bonus des plus appréciables. Si les jumeaux Tadake faisaient une formidable équipe ce n'était pas parce que leurs styles étaient complémentaires, mais parce qu'ils avaient une confiance absolue l'un en l'autre et, par-dessus tout, ils avaient une synchronisation et une connaissance de l'autre tout bonnement parfaite. C'était pour cela que Kyoshiro n'avait pas besoin d'élaborer de plans avec sa sœur, ou de lui expliquer ce qu'elle avait en tête car, la plupart du temps, elle le devinait d'un seul coup d’œil : c'était la magie de leur coordination.
Kyoshiro ne connaissait rien de la vieille par contre et, s'il avait eu plus de temps, peut-être aurait-il pu tâter le terrain mais cette vioque venait de lui forcer la main et, puisque sa patience était mise à rude épreuve, il décida d'employer l'artillerie lourde. Il n'était pas spécialiste de la terre mais s'y était exercé, il n'avait encore jamais eu l'occasion d'utiliser son golem en mission et, de ce qu'il pouvait ressentir, cette création de terre et de pierre allait renverser la balance en sa faveur. En avait-il douté ? Bien sûr, car une trop grande assurance lui mettrait assurément un pied dans la tombe, comme il en avait déjà fait l'expérience avec Tetsuo.

Seulement voilà, Kyoshiro n'avait pas forcément pris en compte le côté désespéré de cet affrontement, et il réalisa son erreur en sentant la vieille se ruer vers lui. Pensait-elle que couper la tête du serpent pourrait changer quelque chose ? L'idée était bonne mais elle ne pouvait ignorer le rapport de force, à moins que...non ? Vraiment ? Désespérée à ce point-là ? Serrant la mâchoire en se rappelant à quel point ses réserves de chakra étaient diminuées, l'aveugle se concentra une dernière fois et, avant que la vioque soit à distance de frappe, il rassembla le peu de chakra qui lui restait avant de disparaître pour réapparaître quelque mètres plus loin, presque au même moment où la vieille dévoila son horrible attaque. Il ne pouvait pas la voir se décomposer mais l'odeur, et le fait de sentir son chakra disparaître de la sorte ? C'était suffisant pour qu'il comprenne ce qu'il s'était passé. Restant de marbre sans aucun remord face au dénouement de cette situation, Kyoshiro sentit sa jumelle gérer la situation de son côté, comme elle savait si bien le faire et, l'instant d'après, ses propres clones s'immobilisèrent lorsque le reste du troupeau prit ses jambes à son cou.
Penché en avant, les mains sur ses genoux alors reprenait son souffle, sentant la fatigue liée à son manque de chakra prendre son dû, le Tadake demanda alors à sa jumelle :

« Tout va bien...ma sœur ? Je pense qu'on a fait le ménage. »

Bien sûr qu'elle allait bien, mais quel mal y avait-il à le demander ? Elle était peut-être une shinobi mais elle restait aussi sa sœur, envers et contre tout. Laissant passer quelques secondes pour reprendre son souffle, Kyoshiro se redressa et, s'approchant du corps sans vie du lieutenant de la Dame, le souleva et le posa sur son épaule, avant de lancer à voix haute :

«Bon, on t'emmène avec nous. Cela suffira comme preuve. »

Attendant que sa sœur termine ce qu'il souhaitait faire, le duo allait bientôt retourner à l'embarcation vers le fils du marais, pour apporter la preuve de l'accomplissement de leur tâche. Cela ne leur servait à rien de rester plus longtemps ici, après le boucan qu'ils venaient de créer.

Un combat était un combat, il n'avait seule signification que celle que les participants souhaitaient lui donner. Certains prenaient les armes pour assouvir leur soif de pouvoir, d'autres parce qu'ils ne savaient faire que cela et, enfin, il y avait celles et ceux qui choisissaient de mettre leur vie en jeu pour autrui. Qui était le plus vertueux ou le plus méritant ? Cela n'avait guère d'importance car, comme les deux Tadake le savaient mieux que personne, les bonnes intentions seules ne garantissaient jamais la victoire, car cette vie n'avait rien de juste. Alors oui peut-être que ce combat aurait pu être évité si Kyoshiro avait accepté de dire à cette vieille dame ce qu'elle voulait entendre mais, même si cela semblait désuet en des temps si troublés, il était un homme de parole et avait déjà donné la sienne à cette déesse portant le nom des Yamanakas. Elle était son avenir, sa lumière, son oxygène et, même le temps d'une mission, il ne pouvait trahir cette parole si d'autres possibilités s'ouvraient à lui.
Cette possibilité aujourd'hui était la violence et, même si cela se fit à grand coup physique, sentant rapidement le contre-coup d'une trop grande consommation de chakra, il referait exactement le même choix si celui-ci lui était présenté à nouveau. Il était un frère et un mari mais, quelle que soit la façon dont on pouvait le présenter, il était un guerrier avant tout, un combattant pour qui ôter une vie était aussi aisé et naturel que de respirer. En était-il fier ? En partie, oui, car seuls ceux prêts à se salir les mains pourraient apporter un réel changement en ce monde. Le duo parvint finalement à bout de cette pègre dans un vacarme des plus assourdissants et, s'il fallut à l'aveugle quelques secondes pour regagner son souffle, ce dernier hocha la tête lorsque sa sœur vint s'enquérir de son état. Quel que soit leur âge et leur condition, les deux jumeaux avaient toujours veillé l'un sur l'autre et, une fois encore, en sacrifiant un peu de son chakra pour venir en aide à l'aveugle, Yurikô prouva à merveille la force du lien qui les unissait.

En un souffle, il parvint à murmurer quelques mots de remerciement.

« Merci p'tite sœur. »

Il n'était pas sa petite sœur et il n'était pas son petit frère, ils étaient égaux mais cette expression était plus née de l'habitude qu'autre chose, en réalité. Ce jutsu n'apporta pas de changement drastique chez le jeune homme, mais lui procura quelques gouttes d'énergie suffisantes pour lui permettre de se redresser, et d'emboîter le pas de sa sœur en direction des fils du marais. Leur mission était accomplie, il était temps d'en apporter la preuve pour récolter sa récompense durement acquise. Le voyage ne fut pas très long et, pendant les secondes qui se transformèrent en minute, Kyoshiro fit de son mieux pour tenir en laisse l'impatience et l'excitation qu'il sentait grandir en lui, se demandant ce qu'il allait réellement pouvoir trouver ou apprendre au bout du tunnel. Au bout de ce qui lui sembla être une éternité, le jeune homme et sa sœur arrivèrent donc face à leurs commanditèrent qui reconnurent la preuve d'accomplissement de la mission, avant de demander aux deux shinobiss de promettre de protéger ce peuple et ce lieu. Les Tadake avaient-ils l'air de conquérants venus tout raser ? La première réponse ne se fit pas attendre.

« Nous ne voyons pas les choses autrement. Nous ne sommes pas  venus ici en conquérants, en tyrans, mais en protecteurs. »

En vérité ils avaient été envoyés ici en conquérants, en quelque sorte, mais ce n'était pas la façon  avec laquelle ils avaient choisi de régler la chose. Puis vint enfin le moment de la discussion décisive, de l'échange pour lequel le shinobi privé de lumière se redressant, réfléchissant aux mots qu'il allait employer pour formuler sa proposition. Depuis toujours il s'était toujours senti proche de la nature et c'était pourquoi il s'entraînait toujours en forêt, car seule Mère Nature pouvait réellement l'apaiser, alors pourrait-il refuser de protéger cette faune-ci ? Surtout si cela lui permettait d'obtenir ce dont il avait besoin ? Cela revenait à faire d'une pierre deux coups, selon lui. Prenant une profonde inspiration, il ouvrit ses yeux immaculés et leva la tête en direction de l'énorme crapaud, avant de vocaliser ce qu'il avait en tête.

« Humains et animaux font partie intégrante du même écosystème, nous sommes tous égaux face au regard de Mère Nature. Si vous parvenez à nous faire confiance, dans ce cas nous mettrons tout en œuvre pour protéger la faune de ces contrées, et en particulier votre famille. J'imagine que les crapauds de cette région pourraient apprécier la création de quelques sanctuaires, pour leur protection, non ? »

Bien sûr qu'il pensait chaque mot sortant de sa bouche, car il ne prendrait pas le risque de mettre en péril ce à quoi il aspirait en mentant. Ainsi, attendant une réponse ou un accord du massif crapaud, Kyoshiro baissa la tête et écarta les bras devant lui, en une posture d'attente respectueuse, avant de conclure son intervention par :

« Je m'en remets à votre jugement, Gama-dono.»

Le jeune homme ne comprenait qu'à moitié ce qu'il était en train de faire et ce qu'il s'apprêtait à accomplir mais, comme à chaque fois, il était particulièrement doué pour faire croire à son monde qu'il était en parfait contrôle de la situation. Certes ce moment était important, d'autant plus qu'il s'était toujours senti plus proche des animaux que des humains, mais ce serait mentir que de dire qu'il ne se posait pas un milliard de questions. Qu'est-ce que cet accord signifierait concrètement ? Que pourrait-il en faire ? Quelles seraient les limites ? Toutes ces questions furent balayées lorsqu'une voix s'adressa à lui, mettant en lumière l'espoir qu'il semblait représentait pour la faune locale et leur famille. Le côté modeste de sa personne ne pouvait accepter ces compliments de but en blanc mais il fit de son mieux pour les accueillir avec courtoisie et déférence, avant que la question fatidique lui soit posée. Qu'allait-il faire de ce pouvoir, de ce pacte ? D'autres auraient trouvé moyen de mentir mais, fort heureusement, il n'y avait qu'une seule raison pour laquelle Kyoshiro avait toujours voulu être puissant :

« Je ne cherche pas le pouvoir pour assouvir une quelconque ambition. Pour protéger votre famille, mais aussi la mienne. À savoir ma sœur, ici présent, et le village dans lequel nous avons grandis. »

La famille passait avant tout et parfois même avant son devoir, il ne s'en était caché et ne pouvait certainement pas le faire maintenant. Laissant quelques secondes de silence s'installer afin que ses interlocuteurs comprennent le sens de ses mots, il brisa ce même silence quelques instants plus tard, posant une main à l'endroit où se trouvait son cœur, avant de déclarer sur un ton plus sérieux que ce qu'on lui connaissait :

« J'ai besoin de votre pacte, de votre confiance pour protéger les miens. C'est tout ce qui importe. En retour, votre habitat sera protégé.  »

Écoutant l'échange qui eut lieu ensuite, l'aveugle fut soulagé d'entendre l'accord validé et, lorsqu'on lui tendit ce qu'il supposa être le pacte mentionné un peu plus tôt, il sentit son cœur et son estomac sous serrer sous l'importance du moment. Était-il en train de rêver, encore ? Non, c'était bien trop réel pour que ce soit une invention de son esprit malade. Prenant une profonde inspiration en attrapant le pacte, l'aveugle écouta attentivement les instructions tout en relevant un point sur lequel il allait être...en difficulté, dirons-nous. Souriant à la cheffe, il lui répondit alors :

« Ce serait un honneur. En revanche ce sera ma sœur qui marquera mon nom sur le parchemin. Tout aveugle de mon état, l'écriture n'a jamais été mon fort. J'espère que vous comprenez. »

Comment marquer son nom alors qu'il était incapable de reconnaître la forme d'une lettre ou d'une autre ? Plutôt que de se mordre, Le Tadake attrapa un kunai et s'entailla la main, étalant le sang de sa plaie sur tout le reste de la main, avant de l'apposer lentement sur le rouleau devant lui. Ne pouvant retenir un sourire d'excitation, il tendit sa main ensanglantée vers sa sœur, l'invitant à écrire le nom de son frère sur le rouleau avec un entrain évident dans la voix :

« Ma sœur, si tu veux bien me faire l'honneur...»

C'était fait. Le pacte était scellé.