L'Art de l'éventail [entraînement solo]

L’Art de l’éventail [entraînement solo]

Les remugles du matin emplissaient la serre de ses odeurs rances et particulières. Une odeur dont le Kamiko savourait chaque petite ondulation comme s’il voyageait au gré des respirations. Les yeux mi-clos en face d’un bac à fleur, il plantait sa nouvelle fleur préférée du moment, une passion éphémère au même titre que le parfum vanillé qui se dégageait du bourgeon qui ne tarderait pas à s’ouvrir, cette nuit, trahit par les brisures qui révélaient l’éclat blanchâtre des pétales. Une « belle de nuit » ; la poésie et la symbolique de son nom attirait irrémédiablement Fumetsu qui s’identifiait comme l’antipode de la fleur : en lieu d’une beauté éphémère – la fleur mûrissait et mourrait en une seule nuit –, il n’était autre qu’immortellement parfait. Malheureusement, ses tribulations affectives furent interrompues par l’ignoble borborygme d’un jeune apprenti Kamiko. Quelques jours plus tôt, un membre de la branche Seisaku avait imploré l’Artiste de prendre l’adolescent sous son aile ; chose, à sa grande surprise, qu’il avait accepté. Maintenant il regrettait son élan de générosité – élan rompu par une éructation des plus malfaisantes. « Encore un et je le tue. » Les dents serrés mais le sourire étiré, il se tournait vers l’enfant et le regardait, les paupières entrouvertes laissant à peine percevoir la lueur mauvaise nichée au fond de ses pupilles. Sa voix doucereuse mais ô combien menaçant s’éleva alors dans le silence de la serre.

« Ne connais-tu pas les manières, jeune homme ? Ne pollue pas l’air de ma serre. Encore une manifestation sonore comme celles-ci et tu n’auras plus la capacité de les produire. Amusant, n’est-ce pas ? » Et il sortit son éventail pour se rafraîchir. Un éventail magnifique, peu grand mais suffisamment pour dissimuler en grande partie le visage sauf les yeux, en papier blanc. Il s’agissait manifestement d’une référence aucunement subtile à son titre parmi les Long She : l’éventail de papier blanc, le Pak Tse Tsin. Se dévoiler ainsi n’était jamais très intelligent mais l’audace et l’orgueil du Kamiko l’enjoignait à manifester un certain dédain pour la discrétion. Ou plutôt, il jouait avec celle-ci. Personne ne l’avait jamais attrapé, il restait délicieusement prudent.

« BUUUUURP… Pardon ! »

Le geste partit de lui-même, violent, instinctif. L’éventail frappa puissamment le front de l’apprenti qui, sous le choc et l’impact, chancela et atterrit sur le sol, estomaqué. Impressionné par l’effet du coup, l’Artiste resta à contempler son éventail, le bras encore tendu. Aux yeux de l’adolescent, son chef de clan examinait l’éventail pour essayer d’y déceler une quelconque denture ou encoche faite là où le bois l’avait touché. Et, il priait pour que ce ne soit pas le cas, de crainte de représailles plus forte encore.


La soirée venue, l’apprenti s’éclipsait, une bosse sur le front, tandis que l’esthète maintenant tranquille répétait son geste, un air curieux. Le coup, descendant, devait manifestement venir avec suffisamment de force pour stupéfier la cible. Alors, pendant que Fumetsu attendait d’observer sa « belle de nuit » fleurir, il s’entraînait, distraitement, à fendre l’air de son éventail dans un coup descendant, imaginant le front – ou toute partie nerveuse – d’un ennemi fantomatique. Malgré la répétition presque machinale du geste, il restait encore à s’entraîner réellement mais l’idée de louper l’éclosion totale de sa fleur pour la seule raison d’être allé chercher un mannequin d’entraînement dans la réserve de la serre l’en empêchait. Conséquemment, il continuait à frapper le vide, muscles tendus, de plus en plus fort, cherchant le meilleur angle pour des adversaires de diverses tailles. Il en convenait que ce genre de frappe ne pouvait fonctionner que sur des ennemis plus faibles, voire bien plus faibles. Et ce, il en eut la confirmation le lendemain matin après avoir passé la nuit à observer la « belle de nuit » s’enlaidir en fanant, étirant progressivement le sourire de l’esthète : l’apprenti entrait avec appréhension dans la serre. Il voyait l’Artiste le bras levé, l’éventail refermé, s’approcher de lui, un grand sourire, les yeux rieurs.

« Ne bouge pas ! »

Récapitulatif combat:

Codage par Libella sur Graphiorum