La muraille du sud

Remarquant qu'il restait sur mon tanto quelques gouttes de sang de crocodile, j'utilisai un morceau de tissu pour finir d'essuyer mon arme avant que ne séchât l'hémoglobine sous l'intense astre du jour. Depuis longtemps déjà, nous marchions d'un pas régulier et modéré sous le cagnard du désert de notre pays, Shirogane Ningyo sous le parapluie que je lui avais prêté, moi protégée par un chapeau de paille, vêtus de longs manteaux suffisamment légers pour qu'ils respirassent et nous avec eux et ce n'était pas de trop car le climat nous était aujourd'hui bien hostile, comme ayant décidé de frapper fort l'endroit où nous marchions. Le sol caillouteux des regs craquelait sous nos pieds et au rythme de nos pas, la même mélodie d'un vent trop léger venait siffler à mes oreilles. L'air était chaud et nous n'étions que peu aérés par les courants et ma gorge était sèche. Je tachais de ne pas songer à la situation, me focalisant sur notre objectif, au sud. La chaleur nous ralentissait presque et fatiguait nos corps, d'autant plus que je portais sur mon dos un grand rouleau de stockage qui m'alourdissait et que je trouvais de plus en plus pesant. Le hurlement du chef d'une meute de coyotes résonnait au loin et je pouvais en voir certains spécimens, mais ces bestioles n'osaient pas s'attaquer aux humains, d'ordinaire. Cependant, nous n'étions pas dans une situation ordinaire, car nos corps étaient fatigués par cette marche prolongée qui empruntait la voie la plus inhospitalière pour nous rendre au sud. Les canidés nous suivaient de loin et leur silhouette ne nous quittaient pas et rendaient le voyage inquiétant en plus d'être déjà épuisant. Je sentais le bois de mes bras s'assécher malgré les deux couches de protection posées par ma frangine quelques heures avant le départ, mais rien n'y faisait, le matériau subissait aussi les conditions météorologiques et pas un abri à l'horizon. Ce qui me dérangeait le plus, c'était de ne pas être seule et avoir emmené un élément solide physiquement mais que je ne savais cerner et dont j'ignorais s'il pensait que je lui en voulais à le faire me suivre ainsi dans un des endroits les plus dangereux du désert.





J'avais si soif que je transpirais peu, j'avais soif à ne presque plus pouvoir suer et malgré cela, je savais que nous arrêter signifiait la mort, car nous étions sur le territoire de pierre d'un redoutable prédateur du désert : le taïpan. Ce dangereux serpent pouvait administrer un venin qui pouvait venir à bout de deux ninjas dans notre condition, aussi espérais-je que nous allions bientôt revenir sur un sol plus sablonneux. Mais alors que j'espérais, je vis devant nous un nuage de sable qu'il allait falloir évier. Je commençai à contourner, puis m'arrêtait brusquement et mis un bras devant le Shirogane et ma main libre devant ma bouche en signe de silence. Là-bas, dans la plaine. Des chevaux. Des cavaliers. Pas le choix.







Et comme indiqué, je m'enfonçai dans l'épaisse fumée en couvrant mon visage avec ma cape. L'autre main protégeant mes yeux plissés, j'avançai espérant que Ningyo fût derrière moi, assez doucement pour ne pas risquer qu'il me perdît. Puis, je me retournai pour m'assurer qu'il fût toujours là.

La force du climat s'imposait et j'en venais presque à regretter d'avoir rallongé le trajet au risque de nous mettre en danger, mais le géant qui m'accompagnait semblait bien s'accommoder au voyage au point de ne pas sembler m'en vouloir pour avoir compliqué notre déplacement. J'ignorais s'il s'agissait ou non de politesse, mais  je lui offris un léger sourire en retour avant de de nouveau regarder devant nous.








Le plus surprenant était la résistance du colosse à la chaleur. Certes, il avait mon parapluie en guise d'ombrelle, mais j'avais un grand chapeau de paille et je me sentais pourtant martelée par le ciel là où il semblait totalement invincible. C'était un bon point pour lui, mais qui me laissait m'interroger sur ma faiblesse. Étais-je si fragile pour tant être mal à l'aise tandis qu'il chantonnait ? Enfin, ce n'était pas le moment idéal pour poser des questions, mieux valait se préserver pour un endroit moins inconfortable, à l'inverse du nuage de sable. Mais je savais que mieux valait se faire piquer les yeux par de la poussière que les côtes par des lances.

Mais alors que nous progressions, Ningyo vint s'excuser sans n'avoir rien fait, m'étonnant mais je me vis soudain soulevée. exprimant une vive surprise d'une voix fort peu sensuelle.








Me voici alors assise sur l'épaule droite de mon cher collège et camarade de voyage, à ma grande surprise, sans rien avoir demandé. n'accrochant à m'ombrelle et me penchant, car elle m'arrivait sur le corps, je continuai à me protéger le visage, positionnant mon manteau tombant de manière à empêcher que de la poussière ne vînt sur celui de Ningyo par les côtés. Il m'avait impressionnée et m'impressionnait encore par son allure, mais cela me gênait, car il devait tout porter à lui tout seul. Cependant, en effet, nous progressions indéniablement plus vite, au point de sortir assez rapidement de ce nuage. Enfin, nous respirions et je pus enfin dire :





Et ça me pesait aussi. Aussi gratifiant que ce fût, et bon sang, ça l'était, j'étais l'intendante qui avait le droit à on porteur et la mise en valeur était telle qu'ombrelle sous le coude, j'avais croisé les bras comme pour jouer la reine portée par sa suite, mais j'étais une guerrière aussi.








Après ce petit repos, je me fusse sentie en pleine forme si le cagnard n'était pas aussi fort. Tendant mon ombrelle à mon partenaire, je nous dirigeai vers un amoncellement de pierres d'un pas élancé, motivée par la perspective d'une véritable pause, d'autant plus qu'au loin, à notre gauche, un groupe de conducteurs de dromadaires avait fait son apparition. J'avais alors écarquillé les yeux et forcé le pas.







Il pouvait s'agir d'une caravane, mais aussi de gens armés d'une faction du désert. Hayato, Yukio et Kyou avaient peut-être évité une rebellion de masse menée par une tribu puissante, mais je n'oubliais pas les redoutables Coutelas sanglants, dirigés par Koubai, dont certains alliés avaient montré une agressivité grandissante ces derniers temps. Il régnait en cette période une ambiance de tensions.

Regardant ces gens au loin, je tentais de déceler s'ils nous avaient aperçu ou non, mais il valait mieux courir et m'abriter avec ce cher Ningyo, qui eût volontiers continué à me porter malgré mon grand rouleau de stockage. Il trouva justement dans les rochers une faille par laquelle nous pûmes entrer. Un fin filet de sable glissait entre les cailloux et l'on pouvait enfin respirer correctement et même se relâcher au point de se heurter la tête au plafond.








Il semblait solide, le gaillard. Nous quittâmes ainsi le sol craquelant du reg pour nous poser sur d'épaisses dales naturelles, protégés par la roche. J'en profitai pour m'asseoir et brièvement souffler, et regarder le petit espace dont nous disposions qui ne nous laissait pas une grande place et dont les parois érodées laissaient voir un passage d'eau régulier. Curieux. Ces pierres venaient-elles d'ailleurs ? Après tout, il était vrai que nous étions sur le chemin du pire cataclyme connu du désert, Kodomo, la tempête annihilatrice. Elle devait bien être capable de soulever la roche la plus lourde, elle. À étudier, mais pour le moment, je scrutai l'extérieur afin de m'assurer que nous n'avions pas été suivis. Et cela intriguait mon accompagnant, à qui je n'avais pas encore donné les motifs ni l'objectif précis de notre voyage.








Je dépliai alors le grand rouleau pour sortir un service à thé. Le fameux thé des Serika ! Ah, sa fragrance seule était une pépite et pourtant, elle était discrète et ne se propageait pas. Deux tasses furent remplies dans les règles de l'art, en transvasant le contenu dans des petits verres afin d'aérer la boisson.





Mais malgré le thé, je pris la gourde aimablement tendue par le Shirogane en lui adressant un sourire de remerciement, car la vraie eau désaltérait bien plus que le thé.

Quel privilège d'ainsi se désaltérer en suffisance. Au milieu du désert, c'était pour certains un luxe, mais pour nous ninjas une possibilité dont nous ne nous rendions plus forcément compte. Bouche fermée, je gardai le précieux liquide sur la langue et profitai de la sensation du nectar de la terre en écoutant d'une oreille le triste propos de mon acolyte. Dommage, un élément aussi réaliste que lui eût été surement un bon soldat au milieu d'une troupe s'il était plus habile dans les sciences sociales, mais il était plus perspicace que je ne l'avais pensé. Il était dans le vrai et haussant légèrement les épaules, je fis quelques pas à genoux par flemme de me lever jusqu'à mon rouleau dont j'invoquai une carte de la région.






Je n'avais pas encore eu à le côtoyer vraiment, je me fiais donc aux rumeurs et des bruits le faisaient passer pour un grand idiot, mais je le trouvais pertinent pour un "grand idiot". Je montrai au Shirogane quelque chose de plus concret, qui tenait de choses factuelles : une carte. Mon doigt pointa un endroit en tapotant. Puis mon autre index indiqua un point un peu plus éloigné.






Je me relevai alors et pliai les jambes, sautai, come pour me dégourdir, puis fis quelques pas avant de poser un genou devant le géant en gardant un air sérieux.

Une grimace et un haussement d'épaule, c'était tout ce que j'avais un trouvé à répondre à l'affirmation de notre supériorité en laquelle j'avais de sérieux doutes. Contre un quatuor ou un quintet de lances, nous avions un net avantage, mais le malaise était bien plus palpable à l'idée de voir une escouade nous charger à dos de chevaux sauvages. Espérons, Ningyo. Mais douter était permis. La supériorité de Suna sur les clans et les tribus n'était en aucun cas une garantie lorsque l'on savait comme moi le nombre d'ennemis potentiels que nous avions. Au simple nom du Coutelas Sanglant, mon esprit se mettait en branle. Ils allaient surement penser comme le Shirogane, d'ailleurs, ce qui me fit sourire.






Après m'être levée et dégourdie, j'entendis la remarque de mon compagnon d'arme qui me fit observer le bas plafond. C'était embêtant, oui, mais pas insurmontable. Je rangeai ma carte et le service à thé dans le parchemin de stockage, que je plaçai à la verticale entre deux piliers et dégainai mon tanto.








Puisant dans mes ressources, je fis circuler mon chakra dans mon bras droit, jusqu'à qu'il émanât de l'arme, la prolongeant de plusieurs centimètres par une aura bleu et vibrante, mais aussi fine que la lame elle-même. Je la montrai bien en évidence à Ningyo.








Infusant cette fois du chakra dans mes pieds, je grimpai le mur et vins me ficher au plafond, puis décrivis un violent arc de cercle qui vint toucher la pierre à vingt centimètre de mes orteils, laissant une grande fissure dans le calcaire sans que je n'eusse à forcer. Des cailloux tombèrent au sol tandis que j'expliquai :








Puis je sortis de ma poche, du bout des doigts, un petit morceau de papier carré que je tendis au chuunin en face de moi. Chose amusante, accrochée au plafond, j'avais la tête plus proche du sol que debout par terre.








Je lâchai la feuille pour continuer à creuser le plafond à coup de lame, regardant les entailles que je faisais.








Me redressant, je vis la résultat du test, mais à ce moment, un bruit sourd se fit entendre sous mes pieds et un gros morceau du plafond s'écroula, me faisant alors tomber avec lui. Je me rattrapai avec mes mains, laissant le tanto choir sur la pierre, mais la roche vint m'écraser, me faisant douloureusement sentir mes jambes qui retenaient le gros rocher au-dessus de moi.