Tradition nocturne [PV Yuriko]

Les informateurs du membre de l’Anbu ne l’avaient pas trompé : quelque chose se tramait à Konoha et plus particulièrement dans les quartiers Tadake. Perché sur un toit enveloppé des ombres de la nuit, Uchiha Nikkou guettait les mouvements indicibles du clan de la Nidaime. Rien d’alarmant semblait-il au premier coup d’oeil. Aucune présence militaire ou force d’espionnage n’avait été sollicitée.

L’œil aguerri du shinobi lui permis cependant de décerner certains mouvements incongrus pour cette heure de la nuit dans le cœur du domaine. Leur présence était subtile, non pas dissimulée à la manière d’un shinobi, mais mesurée et plutôt gênée de ceux qui préfèrent ne pas déranger.

Intrigué, par quelques arabesques à la grâce féline, l’assassin se déplaça de toit en toit pour s’approcher de l’origine de ces perturbations. À bonne distance, il pu alors remarquer l’origine de sa curiosité. Deux serviteurs du clan Tadake s’activaient à cette heure tardive à préparer en silence quelques ravitaillements pour ce qui supposait une expédition de quelques jours.

Le shinobi ne put se retenir d’un sourire de satisfaction alors que son regard se dirigeait en direction d’une maison à la manufacture sobre mais de bon goût. Une douce lumière filtrait des pans translucide des mûrs traditionnels de papiers. La propriétaire semblait s’être coordonnée avec les aides de cuisine pour un départ de très bon matin.

Habituellement, Nikkou aurait immédiatement sauté à la conclusion que la personne en question désirait cacher un sombre secret, mais quand on savait que cette demeure appartenait à son ancien sensei, rien n’aurait été moins probable. Si Tadake Yuriko se préparait dans les affres de la nuit, ce n’était certainement pas par peur d’être prise en délit, mais simplement pour garantir un départ en toute quiétude et sans esbroufe. Mais ceci était sans compter sur son fidèle acolyte.

Le bruit de ses sandales étouffés par ses habilités assassines, le Uchiha longeait les toits de tous ces shinobi que la Nidaime avaient pris sous son aile en créant la bannière Tadake. Elle mieux que quiconque connaissait l’amour que ses disciples lui portaient, mais peut-être désirait-elle, pour une fois, éviter de devoir s’y soumettre. Nikkou espérait toutefois que leur lien passé et leur histoire commune pourrait lui permettre d’apaiser les maux de sa mentor.

Arrivé à la maison de la Nidaime, Nikkou sauta des toits pour atterrir dans le petit jardin de pierre de la demeure. Le Chuunin n’était toutefois pas dupe. S’il n’avait pas été intercepté par les gardes du quartier ou par la Jonin elle-même, c’était certainement plutôt par tolérance qu’incompétence. Aussi, ne cacha-t-il pas plus sa présence.

Les sandales de bois du shinobi claquaient d’un ton monotone dans le jardin zen baigné des quelques rayons lunaires de cette nuit d’au revoir. Arrivé sur le perron de bois, les mains assassines plongèrent dans sa besace pour se saisir d’un objet qu’il peina à sortir sans encombre.

Finalement, à quelques centimètres de la porte coulissante de la demeure, il parvint enfin à dévoiler, dans une cacophonie de tintements maladroits, une bouteille de saké et deux coupoles etiolées par le temps. Un vestige d’ancienne mission que la Nidaime reconnaîtrait certainement.

“Yuriko…j’ai amené tout ce qu’il faut pour t’assurer un bon voyage en mer.”

Les paroles prononcées sur un ton amusé mais visiblement las étaient une bouée jetée à la mer, dans l’espoir où la veuve Eisei-Nin serait disposée à la prendre avant d’entamer un voyage qui l’amènerait loin de ses morts dont elle portait encore le fardeau.

Les rumeurs d’un soldat navigateur tournant autour de la précédente Hokage étaient venus aux oreilles du shinobi précédemment attitré à son corps d’élite. Et lui plus que quiconque comprenait le désir de vouloir s’envoler et partir, plutôt que d’affronter jour après jour les mêmes ombres d’une vie oubliée.

La tête passée au travers de la porte, le cœur du shinobi fut aussitôt rassuré par le sourire de la kunoichi, aussi étiolé était-il. La Nidaime représentait une figure maternelle au sein du Village de la Feuille, et plus que quiconque son ancien élève pouvait témoigner de la bonté d’âme de cette dernière. Aussi, était-il normal que l’ensemble des Konoha-jin partageait la peine de leur bien-aimée.

“Et depuis quand sommes-nous sensibles aux rumeurs? D’autant plus que tu es libérée du poids de ton titre, alors tu peux te départir de celui de l’opinion populaire.”

Le visage bienveillant de l’Uchiha franchit alors la porte, révélant un regard peiné indicateur d’une inquiétude solidaire qui si bien placée, devait certainement être dérangeante pour la principale intéressée désireuse de s’évader de ce passé trop présent. Le shinobi tentait donc tant bien que mal de dissimuler ses appréhensions par un sourire amusé et quelques que railleries destinées tant à la nouvelle veuve qu’à lui-même.

“Tu oublies peut-être que je suis Anbu, assigné à la protection de l’Hokage et à la sécurité des informations les plus sensibles…tu ne pouvais donc pas sincèrement pouvoir m’échapper et quitter le visage sans même m’offrir un verre.”

Sur ces propos, le Maître des Ours agita la bouteille de Saké à la hauteur du visage de la Kunoichi, espérant lui remonter un brin le moral (et espérant secrètement que le saké couplé à sa tristesse ne réveillerait pas la guerrière en elle). L’Eisei-nin connaissait suffisamment son disciple pour savoir qu’il ne la laisserait pas partir sans lui accorder le plaisir de boire en sa compagnie en guise d’au revoir.

À la question de sa mentor, Nikkou soupira finalement, visiblement incapable de dissimuler complètement ses inquiétudes par une feinte bonhomie. Le regard du Chuunin se posa sur la table à manger où reposait les restants d’un repas intouché, avant de reglisser en direction de la coupable, sans être accusateur mais faisant foi de l’évidence.

“Comment pourrais-je ne pas l’être ? Nous savons déjà que tu as subi ton lot de souffrance…celle-ci serait de trop même pour la plus forte Kunoichi ayant vu le jour.”

Laissant tomber les faux-semblants, l’ancien danseur avait fait part de ses appréhensions d’un ton las et peiné. L’éphèbe partageait avec sa mentor son propre découragement face à la mort qui tournait sans vergogne autour de leurs prochers, prêt à les arracher à leur étreinte à chaque moment de repos. Il n’en suffisait pas plus pour brimer l’âme et rompre les esprits.

Enfin, le shinobi s’assis à l’invitation de Yuriko, ne prenant pas la peine de demander à la maîtresse de maison de le servir, avant de faire couler deux verres de saké dans les coupoles et de lui en tendre un, sans même lui laisser la chance de refuser cette courtoisie.

“Mais au lieu de me laisser m’inquiéter comme ceci, dis-moi, comment vas-tu Yuriko?”

La question comme la réponse étaient trop chargées pour laisser place à la transparence ou à l’honnêteté, mais il s’agissait tout du moins d’un départ. Et pour le lancer, Nikkou leva son verre en encourageant son comparse du soir à en faire de même avant de porter la coupole à ses lèvres et de la gober d’une traite d’un mouvement de tête vers l’arrière.

L’alcool fraya un chemin lent et onctueux dans le gosier du jeune shinobi, y laissant traîner quelques notes de fleur et de miel, signe d’une liqueur de qualité. Le regard plus doux, Nikkou affichait désormais une moue satisfaite, voire sereine, alors qu’il partageait ce moment familier avec la chef du clan Tadake.

Les souvenirs remontaient à la surface au même rythme que la scène présente. Le visage fatigué de la Nidaime se confondait avec celui de sa jeunesse, exempt des tourments de la vie de dirigeante. À l’époque, la senseï avait elle-même tenté de soutenir le jeune Uchiha suite à la perte de ses êtres chers. Le principal intéressé se souvenait clairement des effets de l’alcool sur sa mentor et malgré les dangers, il ne pouvait y voir qu’un souvenir cocasse.

“Et j’en assumerai toutes les conséquences. Je ne suis plus le jeune Genin d’autrefois qui peinait à gérer son alcool…ou sa senseï.”

Le ton ricaneur du ténébreux avait été accompagné par un petit clin d’œil alors qu’il se saisissait déjà de la bouteille tout juste entâmée. Il dirigea le goulot vers la coupole de la jeune femme et versa doucement le liquide laiteux laissant traîner dans les airs le doux son du liquide traçant son chemin dans la coupole pour aller ensute se reservir. Visiblement, le shinobi était prêt à faire face aux conséquences de ses gestes.

“Ne me dis pas que l’illustre Nidaime serait incapable de tenir son alcool…je croyais que ce temps passé dans un bureau t’auras amené à plus profiter des bienfaits de l’alcool. J’ai toujours ouï-dire que les meilleures bouteilles de Konoha étaient rangées dans le bureau de la tour du hokage.”

Les responsabilités de l’office désormais derrière elle, Nikkou se permettait maintenant de ricaner de ces fonctions qu’il avait eu du mal à attribuer à la Eisei-nin. Certes, Yuriko était une femme de tête et d’une rigueur de travail à en faire pâlir plus d’un, mais elle était également une guerrière dans l’âme. Médecin de formation, elle n’avait jamais été pourtant du genre à être reléguée à l’arrière-plan. Véritable force de la nature, il avait peine à l’imaginer se confondre dans la paperasse toute la journée durant.

“Alors…dis-moi donc ce que tu comptes faire après avoir mis derrière toi le chapeau révéré d’Hokage?”

Curieux, le Uchiha laissa la parole à sa comparse alors qu’il portait cette fois-ci avec plus de délicatesse la coupole de saké à sa bouche pour y tremper les lèvres. Personne ne méritait plus que l’ancienne Hokage des vacances, mais l’Uchiha avait bien mal à imaginer que Tadake Yuriko comptait simplement se prélasser au soleil et faire la grasse matinée.