Discourir est un art [avec Yuriko]

Quelques heures plus tôt, à l'aube d'une journée qu'elle aspirait studieuse, Yuriko avait été appelé par le besoin irrépressible de prendre un peu l'air, de courir jusqu'à ne plus pouvoir, d'échauffer chacun de ses muscles engourdis par le sommeil pour atteindre un éveil de corps et d'esprit. Restée bien trop longtemps ankylosé par la peine, celle que l'on appelait autrefois la Nidaime, reprenait sa vie en main tout en demeurant dans l'ombre. Tantôt, elle s'échappait tel un spectre, tantôt l'on avait le plaisir de pouvoir l'apercevoir félinement se promener au cœur de son domaine ou bien les alentours du village.  

Si beaucoup s'étaient inquiétés pour elle, une vague de soulagement avait fini par animer chacun de ses proches. Tous paraissaient ravis de retrouver celle qu'ils avaient toujours connue, bien qu'aucun n'ignorait les fêlures que l'on pouvait encore percevoir dans son regard. Mais la vie reprenait et même le domaine Tadake s'animait bien plus aujourd'hui qu'au cours des derniers mois. Chacun reprenait ses activités avec plus de ferveur. Si Yuriko n'avait jamais cessé de prodiguer conseils et encouragements malgré ses deuils successifs, elle parvenait à sourire à nouveau, montrant par cette force tranquille toute la force et la détermination qui l'animait.

D'ailleurs, la jeune femme s'efforçait à rattraper le temps qu'elle avait perdu, que cela fut pour ses entrainements, ses études, et tout ce qui était resté prisonnier du temps qu'il lui avait fallu. Elle suivait ainsi un programme assez rigoureux, dont celui de ses échauffements matinaux. Une fois revenue, elle vaquait à ses tâches administratives et de régence du domaine. Son apprentie, Itomi, se trouvait souvent à ses côtés et il n'était pas rare de percevoir l'adolescente rôdant autour de sa maison.

" Yuriko-sama ? Voici les dossiers que vous m'avez demandés. J'ai récupéré quelques rapports concernant vos anciens patients. "

Le visage de Yuriko, alors qu'elle était assise derrière son bureau personnel, se redressa pour offrir un petit sourire à la jeune fille, et faire un signe de lui déposer les documents sur un coin de table.

" Je te remercie Itomi. Ton aide m'est toujours aussi précieuse. "

Mais alors qu'elle s'apprêtait à reprendre ses lectures, elle nota quelque chose avait attiré l'attention de sa camarade.

" Quelque chose te trouble ? "

" Et bien... il y a un homme étrange assis sur le banc. Enfin étrange... Il est très élégant, il a un visage lisse et plutôt beau mais... je n'ai pas souvenir de l'avoir déjà croisé ici. "

" Mmmm... il y a en effet un long moment où je n'ai pas croisé cet homme. Si je ne me trompe pas, il doit s'agir de Kamiko Fumetsu. "

" Oh ? Vous voulez dire, le chef du clan Kamiko ? Mais nous n'avons pas été prévenus de sa visite ! Nous aurions peut-être dû lui préparer quelque chose ? "

Yuriko sourit et agita la tête négativement avec calme.

" Si tel avait été son désir, n'est nulle inquiétude qu'il aurait fait une demande officielle. Il doit être ici à titre personnel. Ne t'inquiète pas, et va. Je m'occupe de notre invité.  "

Itomi semblait étonnamment impressionné par le personnage, raison pour laquelle elle eut quelques difficultés à le quitter des yeux quand elle quitta son aînée. Mais quelques minutes après leur échange, cette dernière finit par sortir et rejoindre cette prestigieuse connaissance qui ne manqua pas de flatter la jeune femme.

" Fumetsu... voilà bien longtemps que je n'ai pas eu le plaisir de pouvoir converser avec toi. "

L'élégante le salua naturellement d'un mouvement de tête qui lui fit basculer quelques mèches brunes au-devant.

"  Je te remercie pour l'intérêt que tu me portes et je tâcherai de te dire que je vais bien mieux aujourd'hui. Peut-être mieux encore, maintenant que la fleur que je suis se retrouve en compagnie du meilleur jardinier ? "

Une esquisse se profila sur ses traits opalins, avant qu'elle n'effectuât un signe d'invitation.

" Souhaites-tu entrer ou bien que nous restions dehors pour profiter des rayons du soleil ? "

Le chef Kamiko était l'invité et Yuriko tâcherait de demeurer une hôtesse exemplaire.

Si Yuriko reconnaissait volontiers qu'elle ne savait pas sur quel pied danser lorsqu'elle était en compagnie du Kamiko, elle n'en était pas moins heureuse de son étonnante visite. Elle savait qu'il était un homme qui ne se confondait pas en protocole, et qu'il était capable de se trouver là où l'on ne s'y attendait pas. Pour le meilleur ou pour le pire ? Elle ne saurait le dire. Cela ne l'empêchait guère d'admirer sa perspicacité, son sens des affaires et ses goûts raffinés. Mais au-delà de ces faits, ce qu'elle n'oubliait pas, c'était que Fumetsu l'avait autrefois soutenu quand elle s'était lancée dans la course au poste de Kage. Quand bien même, elle ne l'était plus, elle lui en restait redevable.

" Te voilà bien modeste mon cher Fumetsu. Et puisque tu sembles apprécier le charme de ce domaine, il me serait bien mal avisé de ne pas te laisser en profiter... mais tu es bien trop sévère envers celui de ton clan. Il est, après tout, sans nul doute le plus élégant et luxueux de Konoha. "

Le clan marchand jouissait d'une grande prospérité et ce n'était un secret pour personne. Toutefois, Yuriko en avait aimé sa visite. Elle se souvenait parfaitement de sa promenade au sein de la serre joliment fleurie de son camarade, lieu même où ils avaient pu discuter en tête-à-tête, notamment quand elle était en recherche de soutien politique.

Alors que le Kamiko s'approchait de l'étang, la jonin s'était positionnée à ses côtés, observant de sa hauteur les carpes curieuses, subitement intriguées à la vue d'une main pâle qui effleurait la surface de leur territoire aqueux. Pourtant, ce fut finalement Yuriko elle-même qui se retrouva surprise par les questions de son homologue. Ne cachant en rien son étonnement, elle arqua un sourcil, se donnant quelques secondes avant de fournir la moindre réponse.

" Voilà bien une question qui pourrait donner lieux à des milliers de réponses tant elle dépend de facteurs si nombreux. Je suppose que tu serais bien déçu si je te disais qu'il s'agit de tout à la fois ? "

Un petit sourire s'esquissa aux bords de ses lèvres, avant que son regard ne se tourna vers le lac devant elle.

" Je commencerai par te dire que l'amour est multiple. Il y a l'amour que l'on peut porter pour les autres, comme celui que l'on est prêt à donner à une famille, un enfant, peut-être même son village. Beaucoup aiment y associer une nature profondément altruiste, parfois dénuée d'intérêt pour soi... et il y a son opposé, avec l'amour que l'on peut porter à soi-même. Il existe des amours exclusifs, qui portent en eux quelques choses de l'ordre de la passion. Il est... dévorant, comme tu l'as si bien défini. Il vous brûle. Certains en aiment la douleur, d'autres la fuit. Je dirais que cela dépend allègrement de la personnalité de chacun et une expérience aux multiples variations. "

La jeune femme tourna alors son visage vers Fumetsu, étonnamment serein.

" Je dirais que leur point commun est l'intensité de cette émotion, elle peut te faire autant de bien que de mal. Certains jouent avec elle, la manipule comme s'il était question d'un outil. Quant à en guérir, à moins de n'être doté d'aucune sensibilité, je n'en connais aucun remède. Le temps apaise, parfois l'efface, mais généralement pour le couvrir par une autre passion. "

Un petit soupir s'échappa de la bouche de la Tadake, avant d'afficher une moue ingénue. Son regard chercha alors à capter de manière malicieuse celui du Kamiko, tentant de percevoir ce qu'il désirait vraiment savoir.

" Mais peut-être désires-tu un point de vue plus précis ? Bien que nous puissions tout à fait philosopher sur ce thème de manière générale… mais il faudrait que nous trouvions un lieu pour nous asseoir, cela pourrait être long. Je serais d'ailleurs curieuse de connaître ta propre définition. "

Si Yuriko imaginait volontiers Fumetsu passionné, elle s'étonnait de voir en lui ce besoin de mieux cerner toutes les affres de l'amour, qu'il fut charitable, manipulateur ou avec un grand A.