Un trouble évident agitait le Kamiko, un trouble l’ayant torturé de sorte à lui retirer toute envie de sommeil la nuit précédente. Et, face à lui, ce trouble prenait l’apparence d’un petit enfant pas bien impressionnant. Si un commanditaire ou un mécène de bas étage lui demandait de dessiner ou de sculpter un être humain avec la consigne de faire de ce personnage l’expression et la personnification la plus précise du mot « banal », cet enfant en serait le résultat. Une quatorzaine d’années, les cheveux courts coupés en forme de bol, les yeux inexpressifs – tellement que Fumetsu se questionnait sur l’authenticité de la filiation entre cet enfant à l’apparente stupidité et l’uzujin pourtant si versée dans l’intelligence –, cinq pieds de haut pour, grossièrement, quatre-vingt-dix livres si mouillé, le prénommé Shin paraissait si normal que ça devenait pénible de le regarder. Un esthète comme le chef des Kamiko ne pouvait autoriser une telle banalité aussi flagrante.
« Ainsi donc te voilà, Shin. Etrange jeune homme d’après les histoires mais si je ne vois pas d’apparentes qualités, je ne doute pas que tu sauras me prouver tort. Selon la finalité de cette mission, je t’offrirai en plus du drap et du couvert, le nom des Kamiko. J’espère que tu saisis l’importance d’une telle offre : mon nom traverse les vallées et les monts de ce monde. Peut-être préfères-tu ton anonymat mais nous aurons tout le temps d’en discuter. Toujours est-il que l’objectif du jour n’est autre qu’un sabotage commercial : la destruction d’un pont et de son péage associé. Si tu n’as pas de question, nous pouvons y aller afin de causer quelque grabuge. »
mission:
Démolition avantageuse
Au coeur d'une profonde vallée du Pays du Feu, le seigneur Fumihiko Isao a fait construire un pont permettant de franchir un torrent déchaîné, copiant en ça avec quelques années de retard son rival de toujours, le seigneur Itsuo Kazutoshi. En baissant honteusement le prix du péage, le seigneur Fumihiko draine vers ses terres les caravanes marchandes, au grand dam de son rival. Le seigneur Itsuo ayant lancé de grands et coûteux travaux dans son domaine, il ne peut s'aligner... Du coup, il fait appel à vous : débrouillez-vous pour faire s'effondrer ce pont, idéalement en faisant passer ça pour quelque catastrophe naturelle.
Commanditaire : Seigneur Itsuo Kazutoshi, noble du Pays du Feu Récompense :130 ryôs
Ce nom avait fini par s’imposer à moi, sans que je sache vraiment comment, ni pourquoi. A mon arrivée à Konoha, c’était la Nidaime Hokage qui m’avait d’abord pris en charge. Pour une raison que j’ignore toujours, elle savait pour ma venue. Je me demande si le doyen ne l’avait pas prévenue, mais je n’aurais jamais cru qu’une femme telle que la Kage de Konoha soit l’une de ses connaissances… C’était une femme douce, mais forte. Elle aurait pu être ma mère, avec quelques années de plus – je l’ai espéré, secrètement. On disait qu’elle acceptait quiconque se montrait digne de l’épreuve des 400 dans sa grande famille, un clan qui n’avait de clan que le nom, composé exclusivement de pièces rapportées… Ce que j’étais un peu, après tout. Cela devait donc être mon destin.
Et puis Fumetsu était apparu, sorti de nulle part, et m’avait arraché des griffes de la Nidaime. Personne ne s’y était opposé, pas même elle. C’est peut-être pour cette raison que je ne me suis pas inquiété. Je l’ai simplement accepté, puisque c’était ce que tout le monde désirait. Avais-je le droit de refuser ? L’idée ne m’a pas effleuré l’esprit, à l’époque. Je ne connaissais rien de cet endroit, et cet homme me prenait volontairement sous son aile. Je devais me montrer reconnaissant. On me donnait une famille, un endroit où manger et dormir, et des vêtements propres le matin. Je ne pensais pas avoir besoin de plus.
Mais voilà, Kamiko Fumetsu me proposait plus. Un nom, le sien. Légèrement nerveux, je me balançais doucement d’un pied sur l’autre, tout en essayant de paraître le plus droit possible. C’était notre première vraie rencontre. Notre première mission, également. J’avais été assigné à son équipe – ou peut-être avait-il spécifiquement demandé à ce que je le sois, une fois mon rattrapage académique terminé. Je ne voulais pas faire mauvaise impression…
Mais je ne savais quoi penser de son offre. Au domaine Kamiko, on m’avait intégré à la branche Tochi, bien que mon cœur portât en réalité vers la branche Seisaku. Pour autant, je ne me pensais pas shinobi. Pas encore – et peut-être jamais. Je connaissais la réputation des membres de la branche Tochi, c’étaient les meilleurs de ce clan, et je ne me sentais pas à ma place. Je ne savais pas manipuler les fils. Je me battais avec mes poings et mes pieds, à défaut de savoir manipuler correctement mon chakra. Je ne comprenais même pas pourquoi on m’avait assigné cette mission, ni quel était mon rôle dans tout ça.
Mordillant l’intérieur de mes joues, je restais muet, hésitant. Devais-je répondre ? Je n’osais pas. Il avait dit que l’on pouvait repousser la question du nom à plus tard, et cela me rassurait, bien sûr. Mais j’avais des questions. Des dizaines, des centaines même.
Comme je tardais à me décider, il dut croire que je n’avais rien à dire, car nous prîmes la route. Je trottai donc à ses côtés, toujours partagé. Puis, au bout d’un instant, alors que nous n’avions fait qu’une dizaine de mètres en silence, je rassemblai tout mon courage. « J’ai une question, monsieur. » Ma voix trahissait ma nervosité. Mais il était trop tard pour faire marche arrière. Je sentais le regard de mon sensei, posé sur moi. « Pourquoi doit-on détruire ce pont ? Ça ne me paraît pas très juste… »
Kamiko Fumetsu
Konoha no Jonin
Messages : 412
Date d'inscription : 17/08/2019
Fiche du Ninja Grade & Rang: JOUNIN - RANG A - Pak Tse Sin de Long Shè Ryos: 480 Expérience: (1086/2000)
La nervosité de l’enfant se percevait dans son langage corporel, il en passait presque pour mutique tellement ses lèvres s’étaient scellées sous l’angoisse. Après tout, sa situation ne devait pas être aisée et cela, le Kamiko le comprenait. Adouci par cette vision, l’esthète se rappelait son nouveau statut auprès de lui ; plus qu’une énième figure paternelle, Shin devait trouver en Fumetsu un homme à suivre, sur lequel s’appuyer, une colonne sempiternelle. Mais tout ceci ne pouvait se faire dans l’instantané : il fallait construire une relation de confiance, ou peut-être de dépendance, qu’elle fût émotionnelle ou intellectuelle. Pour un homme tel que l’esthète tout de blanc vêtu, une mission lui avait paru être la meilleure solution, surtout alors que Shin n’avait jamais encore côtoyé le monde (cruel) des shinobis. Et, c’est en ce sens qu’il posait l’une des questions qu’attendait, sans impatience, Fumetsu alors qu’ils s’élançaient vers le lieu du sabotage.
« Il n’y a pas de « juste » dans cette affaire. Le litige commercial qui oppose les deux seigneurs semble infime par rapport à d’autres choses, guerres et famines pour ne dire que ça mais il ne faut pas être naïf, Shin. De tels seigneurs se saignent économiquement pour s’enrichir, souvent, et aider la population, rarement et quand ils s’opposent sur un terrain comme celui du pont, l’escalade des violences peut atteindre des sommets inimaginables. Les hommes feraient n’importe quoi pour augmenter les bénéfices et c’est bien ce cas précis dans lequel nous intervenons. Si nous laissons faire, Fumihiko Isao prendra le pas sur Itsuo Kazutoshi et ruinera économiquement toute la région pour son profit tout en causant la pauvreté chez les hommes du commun. Ou, Itsuo Kazutoshi attaquera son voisin pour se faire justice et causera plus de peine que si nous avions agi. Mais détrompe-toi, l’action que nous entreprenons n’est ni juste, ni injuste, elle n’est ni morale, ni amorale, elle est, tout simplement. Nous ne sommes dans aucun camp. Dans cette histoire, si tu me demandes mon avis, le seigneur qui nous appelle à l’aide, Itsuo Kazutoshi, est en droit de le faire puisqu’il risque autant la ruine que la mort des siens et puisque la destruction du pont lui permettra de se refaire une santé, financièrement parlant, afin de préparer un plan de secours – ou toute autre politique économique. Mais, je sens aussi qu’il est poussé par quelque chose de plus vicieux. La vengeance et la rivalité. C’est aussi pourquoi il faudra faire preuve d’une excellente discrétion puisque si Fumihiko Isao se doute de quoi que ce soit, il se pourrait bien qu’il cherche, lui aussi, à se faire vengeance et ce, de manière plus expéditive. J’espère que tu comprends mieux maintenant. »
Les yeux rivés sur le jeune homme, il l’étudiait alors qu’il parlait, jaugeant ses réactions, analysant la petite psyché qui se formait. Shin sera bien assez tôt un Kamiko alors il fallait absolument qu’il en devienne un à part entière, voire même plus, il fallait qu’il devienne une ouvrière de qualité. C’est que l’esthète rêvait à de multiples ambitions pour l’adolescent. Si celui-ci ne se voyait aucune qualité – ni ne paraissait en avoir –, Fumetsu les appréciait en secret. Le trajet se faisait sans encombre et bien plus rapidement que prévu au plaisir de l’Artiste qui put s’arrêter en aval du torrent déchaîné afin de préparer un plan d’action.
« Nous arrivons bientôt, le pont est à quelques lieues de là plus haut. Nous prendrons le temps, ici, de se coordonner. Pose-moi toutes les questions que tu souhaites, j’y répondrai. Puis, comme premier exercice, présente-moi tes idées pour détruire le pont. Il faudrait que cela passe pour une casse naturelle ou quelque chose qui s’y rapporte. »
A l’instar de certaines leçons du temple, je ne compris pas la réponse de Fumetsu. J’essayai de toutes mes forces pourtant, en témoignent mes sourcils froncés et mon air sérieux, mais quelque chose m’échappait irrémédiablement. Je n’osais rien répondre, de peur de commettre un impair ou de paraître encore trop naïf. J’hochai donc silencieusement la tête, en signe d’assentiment. Cela ne tromperait pas le Kamiko néanmoins : mon corps tout entier témoignait de ce que je n’adhérais pas totalement à la réponse. Le visage légèrement crispé par la réflexion, les lèvres pincées, le balancement nerveux… Il était clair que j’avais acquiescé par obéissance, mais que mon esprit travaillait encore à traiter l’information.
Nous reprîmes néanmoins la route de notre mission, et je m’appliquai à suivre bien sagement mon mentor. Le pont, Fumihiko Isao et Itsuo Kazutoshi m’accompagnaient en chaque instant, comme je tentais toujours vainement de mettre le doigt sur ce qui ne me plaisait pas dans l’explication de Fumetsu – car j’avais finalement décidé que je n’étais pas d’accord avec lui, sans savoir vraiment pourquoi, comme poussé par une intuition.
Il me fallut de longues minutes d’intense réflexion pour finalement y parvenir : je ne pensais pas que notre action ne soit ni juste, ni injuste, ni morale, ni amorale. Nous allions avoir une action sur le cours de l’histoire, nous allions prendre position dans ce conflit. Et cela me dérangeait. Au temple, on apprenait que l’inaction était bien souvent préférable à l’action. Chaque chose avait sa place dans le monde, chaque événement survenait pour une bonne raison. Pourquoi vouloir changer l’ordre naturel ? C’était peut-être le devoir de Fumetsu, c’était peut-être ce qui faisait qu’il était lui-même… Mais était-ce vraiment ma place ?
J’émergeai de mes pensées alors que nous nous arrêtions au bord d’un torrent assourdissant. Visiblement, les minutes de réflexion étaient devenues des heures, et nous étions déjà arrivés non loin du pont. Fumetsu m’encouragea de nouveau à poser des questions, et cette fois je savais exactement ce que je voulais dire. Je n’hésitai pas une seconde et demandai : « Pourquoi faites-vous ce genre de missions ? Vous avez dit que les hommes sont poussés par l’appât du gain. Est-ce votre cas ? » Moi, je voulais aider les autres et protéger mes proches. Est-ce que ce genre de mission allait m’aider dans cette voie ? Je doutais… Et cela me faisait peur.
Ayant passé le plus clair du trajet à réfléchir à cette question, j’eus du mal à me concentrer sur la tâche que m’avait assignée Fumetsu. Des idées pour détruire le pont… Je pouvais entendre le sang battre dans mes tempes et affluer dans mon cerveau. Des idées… Bientôt, la fatigue mentale fut remplacée par de la nervosité. « Un… Euh… Un séisme ? » finis-je par dire, songeant subitement à quelques mésaventures que j’avais connu par le passé, à Hommachi. Mais avait-on les moyens de provoquer un séisme ici ? Cela paraissait impensable. Je sentis mes joues rosir et baissai les yeux, un peu honteux. « Je ne sais pas ce qui peut casser un pont, surtout qu’il est encore neuf… »
Avec le recul, je me dis que j’aurais dû commencer par demander si le pont était en bois ou en pierre. A Hommachi, nous faisions tout à partir de la roche, omniprésente. Au Pays du Feu, parsemé de bosquets et de forêts, les choses étaient bien différentes…
Kamiko Fumetsu
Konoha no Jonin
Messages : 412
Date d'inscription : 17/08/2019
Fiche du Ninja Grade & Rang: JOUNIN - RANG A - Pak Tse Sin de Long Shè Ryos: 480 Expérience: (1086/2000)
Tempérer la curiosité de l’enfant, la modeler vers la créativité et l’assurance. Voilà un programme plus chronophage que prévu, les injonctions morales de Shin semblaient tenaces. Cependant, l’esthète saluait son courage – ou sa témérité, qui sait ? –, il avait osé remettre en question son mentor, chose que peu d’adulte osait faire. Peut-être était-ce là l’apanage de l’innocence ? Néanmoins, le Kamiko se prêtait au jeu avec indulgence, après tout, la morale n’était que le manteau de la sainteté derrière lequel se cache celui qui veut paraître noble. Fourberie et jeu d’esprit que tout ceci.
« Même si la rétribution du labeur est spirituel plutôt que matériel, l’égoïsme est le même. Il n’y a pas de finalité plus satisfaisante qu’une autre puisqu’elle ne correspond, en toute fin, qu’au besoin de celui qui l’attend. Le gain est multiple : il peut être une vie future au-delà du voile de la fin des temps ; il peut être une bourse remplie pour le repas de demain ; il peut être la violence de l’acte. Même si, admettons, tu ne souhaites pas salaire pour ton action, c’est que manifestement tu en as déjà tiré satisfaction personnelle. Ce genre de mission ne m’est guère pénible, non, parce que j’y trouve mon compte. Chaque action a sa conséquence et ne rien faire équivaut tout de même à une conséquence. Ne rien faire est parfois pire qu’agir et j’estime qu’ici c’est le cas. Je ne sais pas si nous sommes dans le bon camp, à vrai dire nous ne le saurons peut-être jamais, mais nous aurons agi. Le statu quo, parfois, n’est pas la bonne solution. »
Après une longue réflexion, le garçon avait fini par proposer son idée concernant la destruction du pont et elle ne manquait pas de panache : un séisme. Le pont qui surplombait le cours d’eau bénéficiait d’une structure en arceaux solides, construits en pierre et dont les pieds prenaient racines directement dans le lit de la rivière. Analysant la topographie de l’endroit de quelques coups d’yeux, le Kamiko en venait à une conclusion différente.
« La région n’est guère connue pour ses séismes bien qu’il fut un temps où ce fut le cas. Pourtant, ce n’est pas une mauvaise idée en soi mais elle doit être comblée de quelque chose. Je te préconise de mieux regarder. Un élément simple, en face de toi. Qu’elle est l’utilité d’un pont ? Surtout ici. »
Le torrent déchaîné fouettait avec violence les arches du pont prompt à l’arracher de ses gonds, outrage à sa puissance. Planté là, il défiait la puissance de l’eau libre, lui interdisait les offrandes de l’homme désespéré de le traverser. L’esthète avait une idée folle pour le faire tomber, si toutefois il avait raison.
Au fil de la discussion – ou plutôt, de la leçon donnée par Fumetsu – je mesurai à quel point sa pensée était diamétralement opposée à celle de mon temple et, par extension, à quel point le monde dans lequel j’évoluais maintenant était différent. A mon âge et compte tenu de mon manque d’expérience en général, il m’était impossible de trancher. Avait-il raison ? Devais-je m’adapter et devenir comme lui ? Peut-être était-ce ce qu’il désirait au fond, mais je n’en étais pas sûr à vrai dire. En l’écoutant parler ainsi, il me semblait raisonnable et compréhensif. Il ne cherchait pas à me convaincre. Enfin, c’était ainsi que je le voyais du moins.
Fronçant les sourcils, j’observai le pont que nous devions démolir. Il avait dit qu’il manquait quelque chose à mon idée et je cherchais à en identifier la nature. En d’autres circonstances, sa remarque m’aurait davantage stressé, mais je l’avais bien pris, étrangement. Venant d’un shinobi d’élite comme Fumetsu, je me disais que cela sonnait comme un compliment. « Mon idée est bonne, il manque seulement un élément. » Cela aurait pu être pire – j’aurais pu passer pour quelqu’un de totalement stupide.
« Ce pont sert à traverser la rivière. » dis-je tout simplement, avant de réaliser là où il voulait en venir. Me retournant subitement vers lui, j’eus une exclamation : « Vous pourriez utiliser l’eau pour démolir les piliers ?! » J’imaginais déjà la puissance colossale qu’il faudrait pour y parvenir. Peut-être qu’un maître du Ninjutsu en avait la capacité, après tout… « Mais n’a-t-on pas construit le pont pour résister à l’eau justement ? » ajoutai-je dans la foulée, réfléchissant à voix haute. « En plus, à l’académie on m’a appris que le Suiton est faible contre le Doton. J’imagine que c’est pareil pour l’eau et la pierre. » L’était-ce ? J’interrogeai mon professeur du regard. Pour être tout à fait honnête, je ne maniais ni l’un ni l’autre, j’avais seulement retenu la roue des éléments avec l’espoir de passer mon épreuve de rattrapage. Je conclus : « Avec un bon orage, peut-être… »
Finalement, de fil en aiguille, je commençais à prendre plaisir à réfléchir à ce problème de pont. Il fallait dire que j’avais un peu oublié les conséquences de notre mission. Je m’interrogeais déjà sur la suite : comment allait-on procéder ? Moi, je ne savais que taper avec mes pieds et mes poings. Avais-je moindre chance contre un pont ? Fumetsu, lui, cachait bien son jeu ; je n’avais aucune idée de ses capacités – à l’exception de son don héréditaire Kamiko, évidemment. Je lui fis part de mon inquiétude. S’il comptait sur moi pour mettre ce plan à exécution, il allait être déçu, je préférais jouer cartes sur table.
Kamiko Fumetsu
Konoha no Jonin
Messages : 412
Date d'inscription : 17/08/2019
Fiche du Ninja Grade & Rang: JOUNIN - RANG A - Pak Tse Sin de Long Shè Ryos: 480 Expérience: (1086/2000)
Bouillonnante de fureur, la rivière tantôt s’arcboutait sur les piliers du pont, tantôt les caressaient langoureusement comme l’étreinte d’une femme. L’esthète observait d’un regard distrait l’écume qui sortait des langues bleutées des vagues tandis que son apprenti réfléchissait à voix haute. C’est qu’il y avait, en essence, une beauté intrinsèque à un tel spectacle : la machinerie humaine triomphait face à la nature et ils étaient là pour néantiser cette prouesse d’ingénierie et d’architecture. Le Kamiko, soudainement fatigué et comme écrasé par la pression des eaux tourbillonnantes, ferma les yeux et croisa les bras. Son plan ne se réduisait pas à opposer deux éléments, il souhaitait seulement prolonger la loi naturelle d’opposition en les mariant : deux opposés s’attirent. Si l’eau ne peut vaincre la terre, ensemble, ils peuvent néanmoins créer puis agir conjointement sous une forme bâtardisée : la boue. Ironie du sort, il n’en avait pas lui-même les capacités et s’en était rendu compte à force de contempler le déchaînement des eaux ; l’Artiste ne s’était point embarrassé d’apprendre à maîtriser ce qui constituait, pour lui, un art inférieur au sien.
« Qu’avons-nous en mélangeant l’eau avec la terre ? Et si, ce mélange venait avec vive allure depuis l’amont ? Comment créer ce mélange et où pour en obtenir ce que je recherche ? »
Le maître laisserait une nouvelle fois son élève s’exercer puis il agirait : probablement en œuvrant brutalement plutôt que finement. Brutalisme valait finesse parfois, surtout lorsqu’il n’aurait pas le choix que d’avouer son incompétence. Nonobstant cette incompétence, il s’enorgueillirait bientôt de son ingéniosité artistique et de comparer la brutalité d’un acte destructeur à une philosophie naturelle et symboliste. Il y verrait la machinerie de l’Homme détruite par la main de l’Homme, il y verrait un acte nihiliste chargé de significations politiques mais en son for intérieur, il y verrait surtout la charge négative d’un aveu de faiblesse. Sa maîtrise supérieure de son Art ne valait finalement pas grand-chose parfois. Il pourrait bien utiliser ses fils pour faire sombrer le pont dans les eaux tumultueuses mais à quoi bon alors qu’il fallait être discret ?
Séismes, orages, vagues déferlantes… Toutes mes idées se mélangeaient dans mon esprit en un flot confus, tandis que Fumetsu m’interrogeait de nouveau. Je m’appliquais à répondre à ses questions, mais j’avais bien remarqué que lui ne répondait pas aux miennes. Il semblait vraiment déterminé à ce que je trouve la réponse par moi-même, se contentant de m’aiguiller dans la bonne direction. Pris d’un nouveau mal de tête, à force de trop réfléchir, je soufflai et me tortillai un peu, grimaçant. L’exercice était trop difficile pour moi, pensais-je. Cette première mission me demandait bien trop d’efforts intellectuels. J’aurais préféré quelque chose de plus physique ; une mission de protection, la chasse d’un animal quelconque, ou encore des travaux manuels.
« Le mélange de l’eau et la terre donne de la boue. Je suppose que… » Je penchai la tête, pensif. Il me torturait l’esprit avec ses questions. En quoi est-ce que la boue allait avoir un plus grand pouvoir destructeur que l’eau seule ? Je tournai mon regard vers la rivière, en quête d’une réponse. Je la trouvai finalement dans mes souvenirs : les séismes n’étaient pas la seule chose que nous redoutions, à Hommachi. Il arrivait, en de rares occasions, que les orages soient si violents après un épisode de sècheresse, que l’eau ruisselle et emporte tout un pan de la montagne, bloquant la route qui menait au temple. Il fallait attendre des jours avant que les gens du village en contrebas de la vallée ne parviennent à décaisser le terrain. Je compris enfin le sens de la question de Fumetsu ; la réponse devait être un mélange d’un peu tout : séisme, orage, vagues déferlantes… Je lui annonçai alors ma solution, toutefois peu sûr de moi : « Je suppose qu’une boue bien chargée en terre et en pierres peut tout emporter sur son chemin, comme dans un glissement de terrain. » Mon regard se posa sur mon mentor, brièvement, tentant vainement de déterminer si c’était la réponse qu’il attendait. J’avais de la peine à lire ses pensées.
Restait encore sa dernière question. Comment faire et où ? D’instinct, je tournai les yeux vers l’amont. Il fallait nécessairement que cela vienne d’au-dessus du pont. Quant au comment, je supposai que c’était le moment où nos talents devaient intervenir. Il me fallait donc une solution à base de Chakra, ou quelque chose qui nécessitât ma force. Nous n’avions pas le temps d’attendre la prochaine sècheresse suivie d’une pluie diluvienne. Inspirant fortement, je passai en revue tout ce dont j’étais capable. Je connaissais quelques techniques de combat rapproché… Et j’avais sur moi quelques outils du shinobi : des protections et des armes pour me battre, ainsi que… « Des parchemins explosifs ! » J’avais sorti deux petits bouts de papiers froissés de ma poche, preuve que je n’étais encore pas habitué à les utiliser. « On pourrait faire exploser la terre au-dessus du pont… non ? » Mais est-ce que cela allait passer pour une catastrophe naturelle, dans ce cas ? Il allait falloir bien choisir l’endroit et la façon de procéder pour que les parchemins ne nous trahissent pas. Je soupirai de nouveau. Tous ces efforts pour le profit d’un seigneur… Je n’étais toujours pas convaincu du bien-fondé de nos actions.
Kamiko Fumetsu
Konoha no Jonin
Messages : 412
Date d'inscription : 17/08/2019
Fiche du Ninja Grade & Rang: JOUNIN - RANG A - Pak Tse Sin de Long Shè Ryos: 480 Expérience: (1086/2000)
Les cataclysmes formèrent le monde au gré de leurs puissances divines ; griffes montagneuses et crevasses béantes contaient l’histoire d’une bataille mirifique entre des éléments arcboutés dans un effort cosmogonique. Les rivières n’étaient-elles pas de douces larmes perlant depuis les lointains pics blanchâtres jusqu’à rejoindre leur mère ? Cruel et funeste destinée pour le vieux monde que d’être harnaché, muselé, enjambé, découpé au gré des velléités humaines. L’esthète y voyait un Sublime inadéquat dans cette lutte ; une lutte qui n’avait plus rien de cosmogonique mais se teintait progressivement de la blancheur d’une eschatologie. Il se rappelait soudainement, étrangement, sa visite chez les Akuma. Peuple dévot et libertaire qui vouait un culte à la nature autant qu’à Nibi. Un sourire amer naquit alors sur les lèvres de Fumetsu qui l’espace d’un instant, hors du temps, restait happé dans une esquisse merveilleuse de douceur où tambours et danses occupaient le premier plan. Il regardait alors l’enfant avec lui qui réfléchissait à la meilleure manière d’abattre cet ouvrage et finissait par conclure qu’il fallait provoquer un glissement de terrain : juste hypothèse. Le Kamiko hocha la tête doucement en exclament un guilleret « bravo ! ».
Ce n’est que lorsque son apprenti trouva de quoi provoquer l’effet escompté que l’Artiste sortit de ses pensées pour observer les deux parchemins explosifs que ce premier lui tendait. Il y avait un je-ne-sais-quoi de comique dans la gaieté couplée d’incompréhension qui se lisait sur le visage de l’adolescent. « Range les. Réjouis-toi, tu viens de nous sauver la mise. Qu’aurions-nous fais sans toi ? Frapper à mains nues cette pierre ne me disait rien. Haut en amont, nous trouverons un endroit boueux et pierreux, nous enfouirons les parchemins dans le sol de manière à provoquer un glissement de terrain à la surface tout en amenuisant le bruit de la détonation. Garde les yeux ouverts, il est de ta responsabilité de déterminer le meilleur endroit. »
Sur ces mots, il grimpait la face de la montagne. Cette mission touchait à sa fin et l’enfant s’en sortait remarquablement bien.
Récapitulatif combat:
Santé
100%
Chakra
100%
Résumé : Bientôt boom-boom. Référence aux Akuma compréhensible ici.
Qu’aurions-nous fait sans moi ? Je rougis, pourtant incapable de savoir si Fumetsu faisait véritablement mes louanges ou s’il forçait le trait, moqueur. Secrètement, j’espérais que ce soit la première option. Je n’en avais pas vraiment conscience, mais j’étais un être en quête d’amour ; je désirais être choyé et protégé, mais également félicité, d’une certaine façon – sans tomber dans l’excès, car je ne voulais pas être au centre de l’attention non plus. Fumetsu admirerait-il, pour autant, un enfant qui n’osait pas contredire, faire un éclat ou même simplement affirmer sa position ? Il était clair que je n’allais pas m’illustrer par mon esprit, auprès du chef du clan Kamiko.
J’hochai la tête, tout en écoutant son plan. L’homme, rompu à l’exercice, avait rapidement su composer avec les éléments que je lui avais fournis. De ma proposition, il en avait fait une approche concrète et solide. J’étais sincèrement rassuré, car je ne pensais pas avoir d’autres solutions à offrir. J’avais très clairement atteint les limites de mon imagination. Mon soulagement ne fut, néanmoins, que de courte durée : il me chargeait de trouver l’endroit le plus propice à la réalisation de son plan. Je blêmis. « O-Oui, d’accord… » Comment ? Il m’avait donné des éléments de réponse : haut en amont, un endroit boueux et pierreux… Je me les répétai mentalement, tâchant de ne pas oublier tandis que nous reprenions la route. « Boueux et pierreux. Boueux et pierreux. Boueux et pierreux. »
L’avantage d’avoir terminé la phase d’observation et de planification, c’était que nous nous retrouvions de nouveau à marcher dans la nature. Je pouvais enfin respirer et vagabonder, l’esprit libre des tourments de la réflexion. Je trottai donc tranquillement, aux côtés de mon sensei, sans dire un mot. Dans ma tête, je chantai doucement, au rythme de mes pas : « Boueux et pierreux. »
Nous empruntâmes la route jusqu’à un embranchement. Sur la droite, le pont que nous devions détruire pour la gloire de Konoha. Tout droit, la route continuait, longeant la rivière plus en amont. Nous passâmes sans nous arrêter, poursuivant notre chemin à rebours des flots, mais je ne pus m’empêcher de jeter un regard sur la droite, par curiosité. Il y avait du passage et une petite file s’était formée au niveau d’une guérite, juste avant de pouvoir prendre le pont. Je devinai que c’était là qu’il fallait payer son passage. « C’est vrai qu’il a du succès, ce pont. » fis-je remarquer à mon tuteur. « Boueux et pierreux. » Je repensai à ce que nous allions faire, le crime que nous allions commettre. Je ralentis le pas, attrapant la manche de Fumetsu avant de la tirer doucement. Je ne voulais pas déchirer son habit, seulement attirer son attention.
« Je… Vous ne pensez pas que nous devrions prévenir ces gens ? Je me dis, peut-être… Ils n’auront pas le temps de partir sinon. » Je me mordillai l’intérieur des joues. Pourvu qu’il ne prenne pas ma question comme une énième remise en question de notre mission. Même si, dans le fond, j’aurais vraiment préféré ne pas la faire, cette mission, je ne voulais pas qu’il me jugeât parfaitement incapable. « Peut-être qu’on pourrait donner l’alerte en revenant en courant… Ou bloquer le passage, le temps de… » continuai-je, ma voix de plus en plus ténue et inaudible.
Kamiko Fumetsu
Konoha no Jonin
Messages : 412
Date d'inscription : 17/08/2019
Fiche du Ninja Grade & Rang: JOUNIN - RANG A - Pak Tse Sin de Long Shè Ryos: 480 Expérience: (1086/2000)
Retourner à la nature et à la pérégrination apportait ce quelque chose d’apaisant, indéniablement. L’esthète se murait derrière d’innombrables esquisses naturalistes qui se peignaient au fur et à mesure qu’il avançait sans toutefois se reposer entièrement et uniquement sur l’œil avisé mais jeune de son apprenti. Bien qu’il l’eût chargé de repérer l’endroit le plus à même de causer l’effet escompté – c’est-à-dire une désolation raffinée, bien sûr –, le Kamiko cherchait aussi d’un œil avisé quoique teinté d’une déformation artistique, disons. Là où il posait le regarde, le monde se détournait de sa course immobile pour se répandre en circonvolutions étroites et fines, comme si un grand Artiste tissait le paysage à chaque pas du blanc shinobi. Puis, une secousse sur la manche le happa hors de ses rêveries immondes pour retrouver sa place dans le monde. L’adolescent le regardait, les yeux inquiets, les lèvres balbutiantes. Il parla alors, la voix chevrotante, une voix que l’esthète ne pouvait lui pardonner malgré le jeune âge. Fumetsu afficha en réponse un sourire acerbe tandis que les récriminations montaient et mourraient progressivement. Ses yeux posés sur la petite foule qui se pressait devant le péage, le Kamiko ressentit une excitation lui courir l’échine. « Sublime ! La foule broyée sous le poids des pierres, noyée sous le torrent boueux ! Les cris résonnant dans la vallée ! Les efforts humains, le corps sous tension, sous pression face aux éléments déchaînés d’une nature revancharde ! Quel beau tableau ! Ah. Il me faut un nouveau pinceau, le dernier est cassé au manche, j’oubliais… Alors ce sera une tapisserie. « Nature brisée » ? »
« Non. Qu’est-ce qu’un cataclysme sans victime ni témoin ? Je sais ce que tu ressens : c’est injuste, n’est-ce-pas ? Ils mourront peut-être pour une cause qui les dépasse et n’en tireront ni gloire ni gain. So ist das Leben. » Il garda les yeux entrouverts posés sur Shin mais aucun sourire ne venait éclairer ses traits fins et arachnéens. Rien que le sérieux de ses propos comme réconfort moral. « Au-delà du devoir qui te lie à ta nouvelle vie, les prévenir risquerait de nous condamner. Puis dans le cas de notre capture à cause d’un état d’âme… Je ne préfère pas nommer l’innommable des interrogatoires ; c’est ton nouveau monde qui s’écroulerait tout autour de toi : au-delà de ta propre vie, si tant est que tu y tiennes, c’est la vie de tes amis que tu mets en jeu par ta sensibilité. »
Il reprenait alors sa pérégrination physique et mentale, entraînant à sa suite l’adolescent. « Qu’ils meurent. J’enverrai une équipe récupérer quelques marchandises. » Un gloussement trahissait ses pensées pour qui les connaissait. « Après tout : l’effort vaut le réconfort… » Tandis qu’il continuait son ascension, il jeta un coup d’œil à son apprenti ; un peu plus haut se trouvait un endroit idéal pour causer cataclysme et souffrance. Il souriait de nouveau, les yeux plissés de contentement : il s’amusait finalement et l’enfant y était pour beaucoup.
Je pus sentir le changement d’atmosphère presque immédiatement ; ce fut comme si le froid s’était subitement abattu sur moi. Fumetsu m’accablait de ses propos, les traits sérieux, le regard perçant, et mon esprit tentait vainement de trouver un argument pour m’y opposer. La lutte ne dura pas longtemps. Je baissai finalement la tête, fixant mes pieds honteusement. Mais ce n’était qu’une apparence : je n’étais pas honteux. J’étais effrayé. Effrayé par la froideur dont était capable le Kamiko, effrayé par la portée de ses paroles, effrayé par le dilemme qu’il m’imposait. Ma vie et celle de mes amis, contre celle d’innocents.
Il avait balayé mes questions sans la moindre hésitation, décrivant leur mort comme inévitable, si ce n’était même nécessaire. Et en l’espace de quelques phrases, j’avais retrouvé cette terrible impression que nous évoluions dans deux mondes diamétralement opposés. Mais c’était encore pire que de savoir s’il était juste ou injuste de détruire un pont… Il était question de la vie de ces gens, que je venais de croiser, qui étaient juste-là, derrière moi, qui peut-être m’avaient vu sans savoir que j’allais être leur bourreau. Je regardais mes pieds, car j’avais l’impression de ne plus sentir mes jambes. Elles ne tremblaient même pas, elles étaient simplement froides jusqu’à mon bassin, et c'était comme si elles n’avaient plus la force de bouger. Je ne me sentais vraiment pas bien, j’avais des sueurs froides, la tête qui tournait, et l’impression qu’une pression folle pesait sur mon être.
De son côté, le jûnin finit par reprendre sa route, et je relevai enfin les yeux. Je pleurais silencieusement. C’était injuste de me faire ça. Il m’avait laissé me prendre au jeu, oublier la portée du crime que nous allions faire, trouver moi-même la solution… Pour mieux enfoncer le clou par la suite. « C’est… trop… dur. » sanglotai-je vaillamment, avant d’exploser en larmes.
Je ne sais pas combien de temps je pleurai ainsi. Bien assez pour me sentir finalement vide de toute émotion. La fatigue avait eu raison de mes larmes et de mes sanglots. Mon corps n’avait plus la force de protester. Des passants avaient bien essayé de savoir ce qu’il m’arrivait, mais je n’avais pas eu le courage de leur avouer. A cause de ce que Fumetsu avait dit ; je ne voulais pas me faire arrêter, je ne voulais pas causer de problèmes à Konoha. Alors, je me résignai finalement. A quoi bon rester-là, si je ne pouvais rien faire pour l’éviter ? Fumetsu ou une autre équipe à Konoha étaient capables de mener à bien la mission sans moi. J’avais trouvé ça horrible, j’avais pleuré les éventuels morts et l’immoralité de cet acte, et puis j’avais finalement réfléchi : que pouvais-je faire ? Partagé entre mon devoir et ma morale, j’avais alors tranché.
Sans un mot, sans un regard pour mon sensei, je le rejoignis, puis le dépassai, le regard posé sur le bord de la rivière. Toujours muet, je trouvai un endroit où la terre semblait plus meuble qu’ailleurs et où la digue semblait avoir du mal à contenir à la fois les flots et le talus. Nul doute que l’endroit était propice à un glissement de terrain. Marquant une pause un instant, je descendis près de la berge, avant de me retourner vers Fumetsu. Mes yeux rougis et mon air hagard ne trompaient personne ; j’avais les nerfs à vifs, j’étais poussé à bout, je n’avais qu’une envie : en finir au plus vite. Pourtant, je pris mon temps. Je plaçai soigneusement mes deux parchemins explosifs, attendant l’aval de mon mentor. Puis, je remontai à ses côtés, sur la route.
Là, je décrochai mon bandeau de Konoha et le considérai un instant. Il étincelait, à la lueur du soleil, neuf, propre et sans rayures. Avec un reniflement, je le fourrai dans ma poche. « J-Je ne veux p-pas… » J’avais du mal à m’exprimer, parcouru d’insupportables soubresauts. Néanmoins imperturbable et résolu, je poursuivais : « …être comme v-vous. J-je serai un b-bon shinobi. »
Katsu. Le temps sembla s’arrêter subitement. Je venais de déclencher l'explosion. Je vis la digue voler en éclats, la terre se soulever, les flots s’engouffrer dans la brèche et puis… Mon regard se tourna vers la route qui descendait vers le pont. Je me mis à courir aussi vite que mes jambes le pouvaient, tandis que les éléments se mélangeaient, se déchainaient, me rattrapaient. Tout devint flou dans mon esprit ; je me souviens avoir ouvert la bouche pour crier. Il fallait que j’alerte les gens, que je les sauve du désastre imminent. Je refusais d’être leur meurtrier.
Kamiko Fumetsu
Konoha no Jonin
Messages : 412
Date d'inscription : 17/08/2019
Fiche du Ninja Grade & Rang: JOUNIN - RANG A - Pak Tse Sin de Long Shè Ryos: 480 Expérience: (1086/2000)
Le tableau qu’il se peignait intérieurement prenait une tournure noirâtre, peuplé de nuages lourds et chargés d’un tonnerre tonitruant. Progressivement, une ode romantique au sacrifice se transformait en baroque diluvien aux couleurs ternies par les sentiments amers et les fades récriminations de l’enfant. Néanmoins, au milieu des arbustes, des buissons et sous le couvert des grands arbres de Konoha, l’esthète ne portait plus son regard sur le monde, préférant garder les yeux clos et s’envelopper dans une noirceur pudique qui lui était tant familière ; une noirceur transpercée par à-coups constant, au rythme des sanglots de l’adolescent. Au-delà du voile de sa cruauté, le Kamiko réfléchissait proprement à l’événement. Tournant son regard dans la direction de la guérite, il révélait au monde ses pupilles mirifiques dans lesquelles se reflétaient un instant toute la gloire du cosmos, sublimé par sa vision embellie des choses. « A force de voir le Beau et le Sublime partout. Qu’en est-il réellement ? N’est-ce pas là un travestissement de ce qui est l’Art ? » Il ne portait plus guère d’attention à son apprenti qui, dans son mutisme, plaçait les décharges au bon endroit. Au lieu de s’y intéresser, il leva le visage au ciel et contempla l’étendue bleutée. Il lui souriait douloureusement, étrangement « J-Je ne veux p-pas… être comme v-vous. J-je serai un b-bon shinobi. »
Avant qu’il puisse lui répondre, la terre se souleva dans une explosion muselée et le monde se mit en mouvement lentement, ce qui parut une éternité, et glissa progressivement hors de la brèche. Les éléments déchaînés s’élançaient maintenant vers le pont dans une fureur libérée de toutes entraves. L’œil alerte, Fumetsu aperçut l’adolescent, en perdition psychologique, se jeter sur la route, courant de toutes ses forces. Mais quelques minutes plus tôt, il avait été aperçu pleurnichant sur cette même route : alors, soupirant légèrement mais amusé par l’audace impitoyable dont faisait preuve cet enfant, il s’élançait lui aussi. D’un bond d’une vitesse effroyable, il le rejoint aisément et de sa dextre le frappa entre les deux omoplates tandis que des lourdes bandes noires fleurissaient sur son corps fragile, le scellant dans une prison intérieure.
Penché sur le corps paralysé de Shin, il se métamorphosait alors, prenant l’apparence d’un badaud quelconque (qui ressemblait étrangement à un porté disparu de l’archipel des trois sœurs) et, le crucifiant de ses yeux bleus, lui dit amèrement : « Et que croyais-tu ? Que tu serais assez rapide ?, assez fort ? Tu n’as aucune connaissance, rien encore qui te permette de jouer les héros : tu n’aurais sauvé personne et tu en serais mort. Enfin, réveille-toi Shin : tu ne pourras jamais sauver tout le monde ! D’autres plus puissant que toi ont essayé. » Puis il s’élançait vers le chaos. Finalement, le tableau s’étiolait alors dans une musique sombrement triste : l’Artiste sauverait des vies, cette fois-ci. Pas toutes mais des vies tout de même. « Maudit soit-il. » Même l'Homme le plus cruel avait un cœur. Et, heureusement que l'esthète en avait plus d'un.
Techniques et objets utilisées : Néant.