Tsuma, petite île, située au nord du pays des tourbillons. L'île est connue pour son unique village, éponyme. D'apparence quelconque, le village est en réalité un centre culturel important du Pays des tourbillons, célèbre pour ses artistes, ses écrivains et ses poètes, le village accueil chaque année, à l'occasion du festival de dramaturgie, les troupes théâtrales les plus courtisées du pays. Abandonnant les théâtres provinciaux de petites seigneuries locales, ils viennent, tous pour l'occasion, faire montre de leur savoir-faire d'acteur, mais aussi bien entendu de plume.
Ce lieu de paix et d'encre ne pouvait être qu'un refuge sûr pour une jeune Miyamoto amatrice de la pratique et qui, à ses heures perdues, n'hésitait pas à jeter à l'encre noire, quelques mots médiocres sur une fine feuille de papier de riz. Mais ce n'était pas en qualité de poétesse ratée qu'elle se rendait sur l'île. Moins encore en tant que Miyamoto. En mission étrangère à son village, elle avait bien pris soin d'ôter son bandeau. Rien sur elle ne permettait de faire de pont avec Uzu. Rien ne permettait d'identifier la jeune fille comme shinobi, si ce n'est peut-être le sabre qu'elle portait dans son dos et dont elle ne pouvait se débarrasser sans se sentir délestée d'une partie de son âme elle-même.
Arrivée sur l'île à l'heure du repas, elle sirotait quelques boissons sucrées et fruitées, spécialités locales et fort rafraîchissantes. Autour d'elle, s'improvisaient quelques spectacles de rues. Quelques aèdes en quête d'un nom récitaient tout haut leurs poèmes, des comédiens répétaient leurs textes, des artistes peignaient les masques d'opéra servant à beaucoup de pièces en ces contrées. Le village, sans nul doute, n'était jamais aussi vivant qu'en ces instants-là. Les manutentionnaires se démenaient pour ériger de la place principale, vide et plate, de hautes estrades de bois. Lentement, la scène prenait forme sous l'œil alerte d'un metteur en scène qui ne voyait là rien d'autre que l'érection d'un autel à sa gloire.
Cet homme-là, c'était Motokimi Kanze, seigneur parmi les dramaturges, il avait écrit les pièces les plus magnifiques, les plus élégantes, les plus puissantes, pareilles aux mythes anciens, chaque mot qu'il jetait sur un papier blanc et vide était semblable à l'acte de la Création. Il était l'incarnation vivante du Verbe. Accessoirement, il était aussi le commanditaire de la mission qui occupait l'esprit de Hanako. Protéger un acteur, et pas n'importe lequel, son acteur fétiche, car le sieur Motokimi, conscient de son génie, savait reconnaître celui des autres et cet acteur-là, Tosharu Mifano, il en avait. Ils s'étaient d'ailleurs mutuellement reconnus comme des maîtres en leurs arts, un accord commun et tacite était né entre eux d'un simple regard. Le premier écrirait, le second parlerait.
C’était en tout cas pour l'acteurque la chunin était présente. Ayant trouvé une lettre menaçante, frappant de mort l’acteur pour le moindre mot prononcé sur scène, l’écrivain avait fait appel à un ninja pour la protection de son alter ego de scène, homme qu’il détestait autant qu’il admirait. Et il craignait la disparition de cet éphèbe au phrasé quasi-liturgique, si maîtrisé que, comme un miroir, il reflétait, semblable à la réalité, l’éternité du Verbe.
Kanze, n'eut nul mot à dire à la jeune fille. En un regard, il comprit ce qu'elle venait faire là et fit signe à un jeune comédien à l'accueillir, ce à quoi le jeune garçon se plia, non sans manifester un certain agacement qu'il ne prenait pas la peine de camoufler devant la jeune fille. Il la guida jusqu'à une petite chambre d'auberge où reposait toute la troupe. Il ne jouerait pas avant deux soirs et profitait de leurs temps libres en repos et en préparation.
Le soir même, au souper, Hanako fut présentée à toute la troupe. La présentation, tout du long, fut faite avec toute la froideur du jeune homme. Son visage ne se laissait distraire d'aucun sourire. Des sourires cependant, il y en avait et le reste de la troupe semblait ouverte à la discussion. Hanako, après avoir été abandonnée par le jeune garçon, discuta avec homme ventripotent, que les rondeurs rendaient plus sympathique encore que les autres. Il lui parla de quelques banalités de la vie de la troupe et du métier d'artiste. Et puis Hanako curieuse, s' aventura sur le terrain de son étrange hôte.
“Et celui-ci, quel est son problème ?”
“Celui-là, hmm, il n'est pas très content de … comment dire ?” et devant le regard, paradoxalement, doux et inquisiteur de la gamine, il reprit en toussotant, "c'est-à-dire que le p'tit Tayachi … C'est le plus grand fan de Mifano, et puis son apprenti, il y tient comme à la prunelle de ses yeux et … et … le prend pas mal, mais … quand il a su qu'une gamine était missionée pour protéger son héros, tu comprends. Et on sait tous à quel point Kanze est un radin et on attendait tous quelqu'un d'expérimenté…”
Hanako resta seul un moment. Elle était dépitée. Non pas à cause des doutes émis sur ses compétences, ça, elle n’en avait cure, mais parce que Kanze qu’elle considérait comme un dieu vivant était habité d’un défaut aussi mesquin que l’avarice…
Sa soirée lui permit de mieux comprendre la vie de ce groupe de voyageur. L’entente y était plutôt cordiale, malgré une certaine froideur entre l’acteur fétiche et le dramaturge. Le jeune homme qui avait accueilli Hanako était un génie en devenir, seul héritier du grand Mifano. Son arrogance cependant en agaçait plus d’un.