[Rang C] Un problème simiesque - Geraruto & Kenjirama

Marchant dans les chemins enneigés, l’Augure réchauffait par quelques frictions ses mains endolories par le froid. Quelle sombre idée que l’hiver ! Quelle idée débile que de sortie par pareil temps ! N’aurait-il pas été bien mieux à la chaleur de son âtre ? Ou encore partageant un repas consistant avec ses confrères festivaliers ? Malheureusement, les divins en avaient décidé autrement pour lui. Il ignorait totalement vers quelle destination aller mener ses pas. Quittant le cirque, en route vers Suna pour… pourquoi déjà ?

"Si seulement je le savais…  Oh !"

Oui oh ! C’était le cas de le dire ! Car dans le maussade paysage, notre ami venait de distinguer une bâtisse aux allures chaleureuses… Enfin, un bâtiment debout. Avec de la lumière à l’intérieur et donc un feu. À vrai dire la chaumière n’avait rien de très attrayant, du moins à cette distance. Reprenant sa route avec un entrain néanmoins renouvelé. Il put rapidement confirmer sa première impression : Un bouge. Sale, crasseux, en piteux état. Sans doute le repère de quelques bandits de grand chemin et autres indésirables. L’endroit parfait pour se reposer en sommes !

Sans une once d’hésitation, il ouvrit grand l’imposante porte de bois. Manquant sans doute de faire s’écrouler l’un des murs. Cette entrée tonitruante, ne manqua pas d’attirer toutes les attentions. Une multitude de visage balafrés se tournèrent comme d’un seul homme dans sa direction. Certains étaient curieux, mais la majorité était ouvertement hostile. Allant presque jusqu'à grogner à son passage lorsque l’Augure, sans se démonter, avait avancé de quelques pas vers le comptoir. Le barman lui aussi, ne semblait pas réjouit de cette intrusion. Malgré l’hospitalité relative du lieu, c’était avec enthousiasme que Gëraruto passa commande.  

"Une liqueur s’il vous plait !"  

Loin de s’exécuter prestement, le tenancier resta impassible, les yeux comme deux billes noires encrées dans les siennes. Au moins, le lieu était chauffé et la lumière irradiée par la rustique cheminée réchauffait un peu notre héros. Tiens, la lumière venait de disparaitre…  Tournant la tête vers sa droite, il put constater que trois solides gaillards s’étaient avancés tout en le fixant. À l’étude attentive des traits de leurs visages et de la posture de leurs corps - À savoir : sourcils froncés, bouches renfrognées, muscles bandés et mains refermées – l’Augure, sans vouloir trop s’avancer, imagina que ces derniers ne lui voulaient pas nécessairement du bien… Levant les sourcils, il se détourna des diables pour revenir au tavernier indocile.

"J’ai traversé les montagnes pour venir ici, je rêverais d’un verre…"

Comment aurait-il pu imaginer que ses mots d’apparence anodine, entrainerait pareille réaction ? Dans le fond de la salle, alors que l’un des trois hommes s’était entre temps armé d’une hache. Un air entraînant commença à résonner.

"Votre rêve c’est de picoler !? "

L’agressivité palpable du Golgoth laissait à deviner qu’il jugeait cette espérance futile. Un sourire s’épanouit alors sur le visage de l’Augure. Se levant, il regarda l’assistance et… ce mit à chanter.

"Je suis malin, vieux et habile
Le cirque est mon quotidien
Trop de mes visions rendent les gens tristes
Mais malgré mon apparence
Malgré mes allures de transe
Moi j’ai toujours rêvé d’être un grand artiste !

J’peux interpréter tous les plus grands classiques
Gagaku, shomyo, ko et même Kowaka !
On peut dire que je suis divin
Car dans l’art moi je suis serein

Hey ! Merci pour le verre !

Oui vous l’aurez compris moi j’ai un rêve ! "

Prenant son verre dans une attitude théâtrale, le vieil Augure observa cette salle jusqu’alors si hostile qui devint tout à coup le spectacle d’une camaraderie sans faille. Les truands s’enlaçaient et dansaient en farandole. Le musicien, jusqu’ici apathique, redoublait maintenant d’effort pour poursuivre la cadence de cette mélodie entrainante !  Emporté dans le tourbillon, Gëraruto reprit à tue-tête, avec l’ensemble des convives.

"Il a un rêve !
Il a un rêve !

Loin d’être cruel je suis plutôt bon élève
Si je n’suis pas de bonne humeur
J’ai tout d’même un cœur de rêveur
Tout comme chacun de vous
Moi j’ai un rêve !

Moi j’ai un rêve !
Il a un rêve !
Moi j’ai un rêve !
On a un rêve !

J’suis un pauv’ gars tout cabossé
Je me suis déjà fait entailler
Les dames sont en pleurs devant mon odeur
Avec mon œil arraché
Plus mes armes et mon faux-pied
Je cherche encore celle qui me donnera son cœur…

Je m’imagine dans les bras d’ma jolie promise
Heureux sur une gondole à Omuiiiii !
Si je suis laid et repoussant
Je suis l’amant, pas le truand
Vous l’aurez compris… MOI J’AI UN RÊVE !

IL A UN RÊVE !
MOI J’AI UN RÊVE ! [...] "

Les minutes défilèrent et chacun y alla de sa petite passion, son rêve… La camaraderie était de mise ! Et chacun était apaisé lorsque bien des minutes plus tard, un jeune homme entra à son tour dans l’établissement. Sans doute même, les rustres guerriers n’y prêtèrent pas attention.  Assis près de l’âtre, Gëraruto sirotait son verre tout en chantonnant encore le refrain entrainant. Se mettant à l’aise, il avait même poussé le vice jusqu’à jeter quelques-unes de ses herbes dans le feu. Rien de trop puissant, juste de quoi détendre encore un peu l’atmosphère. Il manqua néanmoins sa déglutition en observant que l’intrus n’était autre que Ryubei Kenjirama. Ainsi donc était-ce la raison de sa présence ici ? Que pouvait bien faire le jeune hyperactif aussi loin de ses montagnes ? Curieux, le vieil homme se leva avec nonchalance pour rejoindre la table du garçon, qui déjà commandait un festin. Sans prêter trop attention à l’arrivé de l’Augure, il déplia un parchemin caractéristique que notre héros ne manqua pas de reconnaitre.  S’installant sans invitation sur la chaise d’en face, il posa la main sur sa tête qu’il fit pivoter vers le côté.

"Vous venez souvent ici ?"

Si son attitude était donc jouasse, mimant le faux intérêt physique. Ses yeux baladeurs scrutaient en réalité l’objet étendu sur la table. L’âge amenait avec lui quelques dégénérescences, mais forte heureusement, sa vue restait tout à fait correcte ! Aussi avait-il pu reconnaitre quelques signes, bien qu’à l’envers. "vol", "singe", "mission", mais surtout "ryos". Ainsi donc le samouraï des monts enneigés partait-il en quête de récompenses ?

"Comme on s’retrouve mon ami… Je n’imaginais pas vous voir aussi loin de chez vous ! Vous aviez l’air si attaché à vos montagnes. Mais bon… je vois que vous êtes très occupé."

De la tête il désigna la missive. Si les dieux avaient décidé de le mener ici, sans doute allait-il devoir composer avec cette nouvelle. Cependant, comment allait-il pouvoir s’incorporer sans heurt dans les projets du garçon ? Car oui, il en était certain, sa mission était liée à lui. Peut-être pourrait-il, par le biais d’une habile manigance se rendre indispensable… Il pourrait aussi feindre de simplement partir dans la même direction, puis "décider" en route de l’aider. Ou encore, il pourrait le suivre discrètement et intervenir héroïquement au premier pépin. Mais il y préféra une approche plus directe… Il gardait en mémoire que le jeune homme était taillé pour l’action. Il ne devait pas être du genre à ingurgiter cartes et connaissances ! Or, il avait distingué – lors de son espionnage assumé -une localité : Le gouffre putride. Région charmante si l’on oubliait les marécages, l’odeur pestilentielle et les animaux sauvages tous plus redoutables les uns que les autres…

"Aaaah les marais maudits ! Je me rappel la première fois que j’y suis passé. J’ai failli y perdre un bras… et la vie accessoirement. Faut dire que mon guide était pas fut-fut"

Voilà qui devrait suffire pour attirer son attention.

"Tavernier ! Une rasade supplémentaire ! Et préparez donc un lit pour mon ami ! Je pense qu’il rêve… de pouvoir se reposer."

Codage par Libella sur Graphiorum