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Le voyage de Yukio. Rouleau III : Le vide.

Nozomo Yukio
Nozomo Yukio
Suna no Jonin
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Nozomo Yukio


Le voyage de Yukio.


Rouleau III : Le vide.



La route avait été longue, des jours de marche à parfois, par un miracle, accéder à la place relativement confortable de l'arrière d’un chariot. Les choses simples n’étaient parfois pas les plus sympa sous les fesses…

Pour autant, je ne voyais pas un meilleur moyen d’éprouver mon voyage : Toujours porté par les autres, par un convoi ou un bateau, il me fallait alors montrer que les étendues les plus sauvages étaient à ma portée.

Emprisonnée entre plusieurs montagnes, cette région était très pauvre, froide et la vie y était dure. Les personnes y vivant apprenaient à se battre dès leur enfance, selon les dires du rouquin Akayuki.

Politiquement, en l'an dix avant notre ére, l'ancien daimyo du Marais de Kobie, Hundaï Masashide, n'avait pas vu sa région liée à l'Empire Tetsu. Il était alors passé de la bienveillance à la paranoïa, craignant de mourir ou de se faire annexer ses terres, devenant alors un homme cruel. Heureusement, le peu d’aménagement des routes et des officiers ne permettaient pas de durablement surveiller les frontières… Mon passage fut alors incognito, les vêtements élimés et la gueule de paysan aidant pas mal à cacher la vraie nature de ce bon vieux Yukio Nozomo.

Quelle joie de ne plus avoir à répondre à un faux nom, même si la véracité de Imin était discutable au vu de sa condition de “nom de naissance”. Pour les quelques curieux qui souhaitaient savoir un peu plus du voyageur un peu rustre et mal sapé, je leur donnais juste mon prénom. Le plus souvent, cela suffisait.

Un garçon des neiges, dans l’isthme de gel… C’était tout à fait à propos !

Sur la carte apprise durant mes cours, je me rappelais que l’endroit où j’allais n’était qu’une porte d’entrée. La vallée des nuages et la vallée de la foudre se trouvaient après ces monticules de neige : La première, au nord de l'isthme du gel avait un climat un peu plus clément, mais était toujours aussi pauvre. Nous pouvions y trouver de longues plaines coupées par de hautes montagnes, faisant de ce territoire une immense vallée. “Comme si le nom ne nous éclairait pas assez... ” La seconde voyait une altitude moyenne très élevée, rendant très rare la végétation... Il n’était pas rare de trouver des villages isolés dans les nuages, ainsi que des sanctuaires oubliés, cachés de la vue de tous… Au nord de ce territoire se trouvait une immense chaîne de montagnes, composée d'un matériau rare qui se vendait très bien, mais qui provoquait de nombreuses tempêtes, et d'innombrables et terrifiants orages. “L'est de ce territoire est très porté sur le commerce maritime et la pêche, mais fait face à des raids marins de pirates et brigands en tout genre… ”

Il y avait toujours des pirates dans le coup.

Après ma visite du territoire du gel, j’allais sans doute jeter un œil sur ces espaces bien plus au nord ! Il ne fallait pas s'arrêter en si bon chemin, pourtant je prédisais bien de grandes difficultés pour se déplacer, car entre le petit port où j’avais quitté Akabame et le village que je voyais poindre en aval de la colline, il y avait plusieurs jours de routes alors que géographiquement parlant c’était assez proche. Le centre du Sekaï était mieux desservi que les périphéries, ce qui rendait tout plus long et dangereux puisque aménagement voulait aussi dire sécurité.

Sur mon trajet, j’avais croisé quelques brigands qui avaient essayé, tant bien que mal, de me racketter quelques ryos. Les pauvres, rachitiques et tenant des armes ressemblant plus à des couteaux à beurre qu’a une vraie menace, ne firent que peu le poids quand je sortis mon katana pour les défier… Il n’y avait pas vraiment de soucis de la richesse chez eux, mais plutôt de la survie.  La neige et le gouvernement pathétique n’aidaient pas, poussant les populations à la faim et des extrémités dangereuse pour le chaland voyageur… J’imaginais sans peine le marchand un peu sympathique rebrousser chemin en voyant ces bandits. Tout partait en vrille dans cette région, il suffisait sans doute de se baisser pour ramasser les restes : Tetsu ou une autre puissance.

Mon baluchon sur le dos, j'écartais ces analyses géopolitiques du dimanche pour me concentrer sur ma destination : Un village, petit, mais les cheminées fumantes donnaient des indications sur la vitalité des lieux. Le tableau n’était pas complétement noir, les gens vivaient ici de bien bonne manière en s’accommodant des conditions climatiques : Tradition ? Accoutumance ? Résilience ? Pour le coup, les quelques locaux que j’avais croisés et qui n’avaient pas essayé de me faire la peau avaient montré un peu des trois.

C’était chez eux, pourquoi partir ? Des générations entières avaient survécu dans la neige, qu’est-ce qui pouvait changer maintenant ? “Rien, ils ne cherchent pas à améliorer leur niveau de vie. Ils vivent ou survivent. Un mode de vie simple.”

C’était presque admirable, de toute façon, je voyais mal la totalité de la démographie du Sekaï se concentrer sur les plaines fertiles ou les côtes. Il fallait bien des malheureux dans le lot… Enfin, ils ne le voyaient pas ça. Les locaux n’avaient qu’assez peu de points de comparaison, ils ne savaient presque jamais qu’à quelques semaines de marche une autre vie s'ouvrait à eux.

Ce village, Shirakawa-go, ne payait pas de mine avec ces quelques maisons arborant des toits rectangulaires, le fin manteau blanc se fixant sur les pentes de bois pour donner un aspect sécurisant à tout ça : La neige donnait l’impression d’avoir toujours été là, comme un argument architectural totalement prévu par le constructeur. Il y avait sans doute une fonction pragmatique à cette caractéristique, mais elle m’échappait…

La neige, parlons-en !

Pour un enfant du sable, malgré mon nom un peu atypique, je n’avais jamais croisé l’eau sous sa forme la plus poétique. Très tôt sur mon parcours, alors que je progressais vers le nord de mon monde, j’apercevais, se rapprochant, les sommets blancs et majestueux. Cet objectif devant moi, j’avais marché tout en contemplant ces gardes du territoire du gel. Blanc, c’était blanc. Mon premier contact fut au pied d’une des longues pentes, dans une fourrée agonisaient quelques flocons condensés dans une boule froide, enfin tiède. Quelques minutes et elle n'était qu’un souvenir lointain. Du bout de l’index, j’avais inspecté la surface avant d’enfoncer celui-ci pour sentir une chute de température… En adéquation, ma chaleur corporelle rendit l’objet de ma curiosité bien plus liquide et très vite le souvenir prit la place du matériel.

C’était moins froid que ce qu’on m’avait dit ! Malheureux, ce n’était qu’un avant-goût de ce que me réservait l’isthme avec son quotient de tapis blanc et de branches qui cassent sous le poids du fardeau froid…  

Oui, il se pouvait que j’étais sous une de ces branches. Depuis, je me méfiais de cet inconfortable élément. Descendant vers le patelin, je prenais garde aux plaques de verglas sous mes pas. Une scène incongrue, celle d’un homme adulte qui scrutait les quelques mètres devant lui avec une méfiance presque ridicule… Pour un ninja, c’était un comble. Au bout d’une demi-heure, j’arrivais aux premières bicoques pour sentir l’odeur du pain d’épice et du bois vieux. Une odeur vénérable s’associant à la gourmandise. Pour un voyageur qui ne mangeait pas à sa faim depuis quelque temps, cette odeur réveilla en moi une faim, mais également un bruit de gargouillis qui pouvait sans doute réveiller la plupart des habitants du village, si l’on n’était pas en pleine après-midi.

“Prochaine étape, un lieu pour se restaurer et dormir… ”

Avoir un coin pour pouvoir boire un coup et dormir dans un vrai lit ne pouvait qu’être salvateur, engoncé dans de lourdes couvertures j’avais choisis un peu bêtement de dormir sous un arbre, que j’avais débarrassé de la neige à ses racines… Sans penser aux branches. Sacré réveil.

Une faible lumière luisée de derrière les fenêtres et pendant quelques secondes, je fus un peu jaloux de la relative quiétude qu'avaient les habitants de Shirakawa-go. Mon sac remplit de quoi survivre et de quelques souvenirs de mon voyage : Du sable marin ; un coquillage ; un vestige de fleur, je déambulais dans les larges rues du hameau qui accueillait mes pas. Le soleil déclinait déjà à l’horizon, passant derrière les montagnes en ne laissant de son passage qu’un crépuscule orangeâtre. Aussitôt les températures commencèrent à baisser. Il n’y avait, au final, qu’une mince frontière entre la journée d’une fraîcheur douce et la soirée déclinant un large panel de froid. Ce soir, je n’allais pas dormir dehors…  

Il fallait alors me donner les moyens de cette décision : Trouver un habitant généreux ou un aubergiste. Les yeux balayant l’espace devant moi, je cherchais presque désespérément un signe extérieur de la présence de ce type de service. La réponse de la vie fut une absence totale.

“Super.”

Traînant mes pieds comme un clochard, je laissais cette même vie qui m’avait malmené me trouver une solution. Le village était petit, avec une rue principale, certes, mais les coins d’avenues pouvaient révéler des miracles ! Tournant au coin d’un mur en grès, je reçus la vision d’un emblème de pomme où coulait du miel par un choppe comme un assoiffé recevait de l’eau. Mon rythme augmentant, je me ruais sur la porte en réfléchissant sur l’existence des mirages dans la neige… Alors que j'ouvrais la porte, je compris vite que tout était bien réel : La chaleur, la lumière, les odeurs d’épices et de bière… Je fus alors un Yukio heureux, bien trop pour camoufler mon grand sourire en m’exilant du froid approchant.

Dans la pièce principale où j’entrai, en même temps que le vent froid m’accompagnant, un petit comité gravitait déjà autour du feu. Il y avait ainsi une femme d’âge mûr avec un bébé, celui-ci gazouillait tout heureux sur une grande chaise et essayait vivement de dégringoler alors que sa mère le retenait par les épaules pour éviter qu’il ne glisse et plus déboucher sur le feu, bien trop proche. Allongé plus qu’assis, un homme d’une trentaine d'années sirotait tant bien que mal une bière…

La mère de famille zieutait parfois ce qui semblait être son mari, ce qui augmenta bien vite l’âge du monsieur dans ma tête. Une différence aussi nette dans le couple me semblait bizarre, surtout si c’était l’épouse qui était l'aînée. De l’autre côté d’un comptoir, le tenancier séchait ses verres d’un air absent : Peu de clients, mais il espérait que la fin de travail des bûcherons et autres travailleurs allait amener de l’activité et surtout de l’argent.

Même dans un village aussi petit, il y avait des commerces et le point de rendez-vous des poivrots du coin. De quoi se mettre un petit coup dans le gosier avant de souper, dormir et recommencer la journée. Dans mon esprit, ce type de routine était impossible. M’approchant du propriétaire des lieux, je vis ses yeux s’éclairer en se tournant vers moi : Un sourire marchand, avant de proposer quelques boissons locales revigorantes.

- Il n'y a rien de mieux que le vin chaud pour se restaurer quand il fait froid sur les pans de la montagne. Un délicieux mélange d'épices et de vin, cela ne semble même pas avoir de l'alcool … Sinon, il y a la Grolle, une boisson typique de nos contrées qui consiste en du café avec de l'eau-de-vie, sans oublier du sucre et des zestes d'orange ou de citron. Il voyait directement que j’étais un touriste : Mon teint ? Mes vêtements ? Ma dégaine ? On a aussi le lait de poule, fait à base de lait avec des jaunes d'œuf, du sucre, de la cannelle et souvent de la noix de muscade. En version adulte on aime rajouter du whisky ou du rhum blanc… Il embrayait déjà sur les liquides doux et enfantins. Enfin, on a du chocolat chaud.
- C’est tout ? D’un air rieur, j’essayai de faire de l’humour devant la liste et les explications. Il avait du temps, autant s’amuser un peu.
- Le génépi, une décoction d’herbes aromatiques assez typique de nos montagnes. Sans doute que cela plaira à monsieur. Professionnel, quasiment chiant comme la pluie.

Soupirant, je pris le lait de poule. Il était trop tôt pour attaquer les hostilités, sans doute avec les ouvriers des montagnes ? “Peut-être pas.” La transaction faite et le tavernier faisant couler d’un air ravi le liquide dans un verre, sans doute bien lavé, je pus m’installer près du feu qui ronronnait dans son âtre. La famille, près de moi, me fit une place presque inconsciemment. Ne se privant pas de stipuler sa présence, l’enfant cria en me voyant arriver : La peur ? L’étonnement ? L’inquiétude de la nouveauté ?

Dans tous les cas, sa mère lui dit d’un air autoritaire de baisser d’un ton pour ne pas troubler cet étranger. Le père eut l’air de vouloir se lever, mais une tension dans son corps ne lui permit que d’approcher son but avant d’abandonner et de retomber mollement sur sa chaise avec un air de dépit. Me voyant observer la scène, la dame me stipula d’un air un peu absent :

- Hernie discale. Levant un sourcil, j’eus le souci de me rappeler la définition de ce terme… Un truc avec la colonne vertébrale qui déconnait, en tout cas, c’était hyper douloureux et je comprenais vite pourquoi il restait figé ainsi.
- Pas de chance… Une frivolité, mais il fallait bien dire quelque chose quand on partageait la chaleur d’un feu revigorant dans un lieu public. Pour toute réponse, le bébé grommela. Depuis quelques instants il me scrutait comme si j’allais le manger. Tu as de la chance d’avoir ta maman.

Encore une banalité affligeante, mais l’ambiance tamisée et la proximité me rendaient bavard. Relevant la tête, la belle me contempla d’un air affligé avant de lâcher d’un sourire moqueur :

- C’est gentil, mais je ne suis pas sa mère… Enfin, si vous parlez à l’enfant. Du pouce, elle désigna le malade. Je suis la sienne, par contre, qui est lui-même son père. Le pouce se plia pour laisser l’index désigner la tête blonde qui gigotait avec le dialogue.

“Ah.”

- Désolé, je ne savais pas.
- Il y a pas de mal. C’est mon dernier, je l’ai donné à l’armée du Daymio mais il me l’a rendu dans cet état… Démobilisé. Le bougre revient avec son gamin, la mère est morte en couche. Je me retrouve à devoir gérer la descendance… Il peut plus bouger. Du coin de l'œil, je vis l’intéressé se dandiner un peu honteux. L’acheminement jusqu’au village avait dû être un peu en retour en enfance pour lui et ce n’était pas agréable.

La vie avait rendu son jugement concernant cet homme : La blessure qu’il avait eu se soignait mal et il allait couler de longs jours couché ainsi. “Un peu de iroujutsu pourrait le soulager.” Il était vrai que j’avais dû subir des maux plus sévères, dans ma vie, notamment contre Tôka, mais j’avais réussi à toujours m’en relever. Le cap entre le ninja et le civil revêtait aussi de cet aspect-là : Un ninja était soigné par les siens, donc très bien. Les civils n’avaient que la médecine traditionnelle… Bien moins efficace.

J’étais donc un privilégié.


Mon lait de poule en main, j’écoutais bavasser la grand-mère, sacrément jeune alors pour sa place dans la famille. J’avais presque honte, moi, d’avoir pensé qu’ils étaient les parents du marmot, mais comment savoir ?

- Vous disiez que vous avez donné un de vos enfants à l’armée, mais vous en avez combien ?
- Cinq, tout pile ! Mon aîné est armateur, près du village de Uzushio, les autres sont bûcherons et forgerons dans le village… Le p’tit dernier est toujours donné à l’armée, par chez nous. Trop de bouches à nourrir sinon.

“Trois adultes déjà, c’est pas mal.”

Peut-être que la longévité était toute relative dans ce climat sévère : Le froid et les animaux pouvaient rendre le quotidien un peu moins terne. Sur les enfants, seul un avait réussi à partir de son chef... L’autre avait été condamné à une vie choisie pour lui.

“Toujours une histoire de voie.”

En parlant de voie, les ouvriers rentraient sur ces mots dans la pièce vide, sans eux, dans la taverne. Du bruit, l’odeur de la sueur et un coup de froid venu de la porte accompagnaient leur arrivée. Sur le champ, certains foncèrent sur le tavernier qui sortait déjà des chopes, deux vinrent à la rencontre de cette famille proche de moi pour se moquer du blessé et jouer avec le bambin qui piaillait de joie en voyant ses oncles manifestement contents, eux aussi, de voir la nouvelle génération. La mamie, comme une ombre au tableau, se signala :

- Où est Makoto ? Un air inquiet, sur ses traits et ses rides. Une mauvaise impression ?

Sphinx. Yukio 021

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Le voyage de Yukio.


Rouleau III : Le vide.



Les pieds dans la neige, j’avançai vers la rivière qui coulait le long du village : Une façon bien à moi d’explorer la région, puisque j’étais parti à la recherche de l’infortuné Makoto qui était allé inspecter les bords en quête de la réponse à l’insuffisance aqueuse dans le coin.

L’eau manquait, puisque la rivière était presque asséchée : Entre les cailloux surmontés de neige, un filet s’accrochait péniblement alors que la longue trace qui l’entourait signalait que normalement, c’était un vrai torrent qui circulait. Il y avait bel et bien un problème et le fils avait tenté de trouver la source du problème… Et il n’était pas revenu.

C’était le lendemain que j’étais parti en chasse, pourquoi ? Parce que la famille pensait encore qu’il allait rappliquer, que la nuit était tombée et que le froid dissuadait tout le monde de sortir le bout de son nez dans le nord gelé. J’avais alors décidé, en explorateur avisé et en flemmard de sortir le lendemain matin. Moi aussi je croyais qu’il allait rentrer en pleine nuit, mais au petit matin, il fut bien nécessaire de se rendre à l’évidence : Makoto n’était pas là. La mère, portant son petit fils à bout de bras, avait commencé à pleurer dans les bras de ses fils et celui qui peinait à se lever se distingua même par quelques mouvements signalant sa détresse. Il enrageait de ne pouvoir se déplacer… J’avais alors proposé de mener les recherches : Les ouvriers avaient besoin de travailler pour survivre et mes compétences de shinobi pouvaient plus servir que leurs yeux. Enfin, ils ne savaient pas ma vraie nature, mais j’avais brodé le tout avec une histoire d’enquêteur à la mord-moi-le-nœud.

La suspicion au premier abord avait laissé place à une joie, teinté de détresse : Un inconnu allait chercher son fils, c’était déjà ça. Le bébé compris vite la situation, car il piailla de joie… Son oncle avait une chance de s’en sortir.

Vraiment ?

Rythmé par le “crouch crouch” de mes pas, j’avançai péniblement dans cet élément qui n’était pas le mien. Rapidement rattrapé, puis semé, par quelques locaux qui connaissaient les bons gestes et avaient des muscles semi-tendineux et semi-membraneux plus développé que moi… Le voyage montrait bien que j’avais beau être un athlète du combat, la génétique et le cadre de vie pouvaient rendre n’importe qui meilleur que moi. “Les efforts ne font pas tout”.

Sur la rive droite de feu le torrent, je continuai en remontant le filet. Enveloppé dans de larges vêtements, pour me réchauffer, cela augmenta le sentiment d’inertie alors que la neige m’arrivait en haut du mollet. Chaque pas dans la neige était une épreuve d’équilibriste et je contractai autant que je pouvais les bons muscles pour me tenir droit, tout en gardant une dynamique d’avancée… Ce n’était pas facile.

Au bout de dix minutes, je débouchai sur une vallée qui annonçait bien plus de marche : Les arbres stipulaient un obstacle naturel entre le sol et le ciel, ce qui permit à mes pieds de souffrir un peu moins : Le tapis de neige avait remplacé le matelas molletonneux. Accélérant par ce fait, je poursuivis les souvenirs de l’eau en réfléchissant aux possibles causes : Un barrage construit clandestinement par un autre village ou des brigands ? La fin non-prévu d’une source d’eau par un possible réchauffement climatique ? Zieutant la neige environnante, je me surpris à écarter cette dernière possibilité. Il faisait froid, si la neige fondait vraiment l’eau n’était que le dernier des problèmes… La source était donc bouchée, par un élément naturel ou anthropisé.

Ma curiosité me poussa à avancer, plus du tout parce que j’étais chargé d’une mission pour une grand-mère, mais parce que je voulais savoir le fin mot de cette histoire !

La vallée, schématisée en “V” serpentait entre deux constructions rocheuses qui dominaient les pauvres marcheurs qui passaient par là : Le ciel gardait encore la main mise, mais dans mon champ de vision du gris et du blanc menaçaient. À certains endroits, les éboulis avaient rejoint le lit de la rivière, amenant le fin filet à disparaitre sous les aplats ajoutés. Je ne suivais, dorénavant, que le dessin des berges qui me poussait toujours plus au fond de la vallée. Les yeux sur les pentes m’encadrant, je réfléchissais à la formation antique de ce lieu : Comment un passage d’eau pouvait creuser ainsi le monde ? L’érosion pouvait faire de sacrés travaux, pour peu qu’on lui laisse le temps de faire son œuvre : Lorsque la pente diminuait, les eaux ralentissaient et prenaient plus de largeur, creusant une gorge moins profonde et plus large en forme de « V ».

Lentement, mais surement, j’arrivai sur un défilé qui changeait la typologie du phénomène fluviale, pour autant je compris tout de suite ce qui se tramait au sujet de la rivière : Une large pierre, issus sans doute des versants environnants, bloquait la voie et donc le flux… De ses côtés découlait l’eau tant chérit par les habitants de Shirakawa-go. La tension du courant sur la pierre aurait déjà dû la faire rouler pour que la vie suive son chemin, mais le poids et la position du roc l’empêchait de bouger… L’eau luttait, mais n’arrivait à rien. La solution était donc de bouger le monstre géologique. Posant mes armes par terre, enveloppés bien vite par la neige, je me mis en position pour pousser le rocher, mais au bout de quelques minutes d’efforts je me rendis bien compte que ni le courant ni mes pauvres muscles ne pouvaient changer grand-chose… Le ninjutsu alors ? Cherchant dans mon arsenal, je visais à déplacer ou détruire l’objet de ma venue. D’un geste expert, je produisis du vent et du feu, mais rien ne réussit à changer la donne… La surface plus sombre à cause de la chaleur, le roc se tenait toujours fier devant moi.

- Putain. J’enrageais, cherchant vainement une solution.  Dans mon élan un peu simplet, j’envisageai même le genjutsu… Sur un rocher.

La solution était sans doute posée par terre, près de mes chaussures : Le bon vieil acier pouvait faire des miracles, peut-être aidé par le chakra et la technique. Empoignant la garde de mon katana après l’avoir récupéré, je sentis le contact froid contre ma paume. La lame devant moi, je me sentais rassuré… Le voyage m’avait donné peu de situations où l’utiliser, mais les réflexes et les sensations étaient là.

“Je me sens bien.”

D’un geste expert, je levais mes bras pour trancher ce qui m’importunait : Un grand coup s’abattit, mais la seule réponse fut l’énergie cinétique qui se diffusa dans mes muscles plutôt que dans la roche… Une douleur ainsi qu’un bruit strident. L’arme était robuste, mais le rocher toujours plus. Rien de cassé, ni chez moi ni sur mon katana, mais l’obstacle se dressait toujours devant moi. Intact.

“Match nul.”

Il me fallait plus : Taper plus fort ? Trouver la faille dans la structure ? Mobiliser plus de lame ? Regardant mon tantô au sol, je compris vite qu’ajouter une arme de plus n’allait rien apporter. Tout résidait dans le bon coup ou le bon enchainement.  Respirant une grande goulée d’air, je me mis dans la tête de découper le rocher d’une façon ou d’une autre ! Pour ça, je devais d’abord penser et ensuite agir… La raideur dans mes bras ne me permettait pas de m’épuiser à frapper sur de la roche, de plus l’état de mon katana rentrait en jeu. Le chakra pouvait sans doute m’aider sur cette histoire : Renforcer la lame comme mon coup pour arriver à un succès.

Me mettant accroupis, les genoux approchant dangereusement de la surface blanche au sol, je me mis à cogiter sur la démarche. « Couper » un objet revenait à rompre les liens qui le maintenaient ensemble, pas de métaphore là-dedans : Couper c’était agir sur l’objet à une échelle invisible pour mes petits yeux. Rompre les liens demandait de la force, d’une intensité qui variait grandement selon le matériau à couper. Bien que trancher un fromage avec le plat de la main soit envisageable, nous employions des outils pour optimiser nos efforts : ils nous permettent de concentrer toute la force appliquée en un endroit précis. Avec un couteau, le tranchant est si fin que notre force se répercute sur une très petite surface. Cette pression importante va fragiliser les liaisons locales et générer des microfissures au sein du matériau. Un katana n’était au final qu’un gros couteau associé à un peu d’honneur.

Bien entendu, j’arrivai à couper un fromage ou une pomme. Le bois était aussi envisageable, mais la pierre… J’arrivai peut-être à ma limite physique, mais j’avais des ressources mystiques pour passer outre !

Me relevant, confiant dans mon idée, je posai la main sur ma lame pour l’envelopper de chakra. Ceci fait, je me lançais dans une nouvelle attaque : Une frappe verticale qui entama à peine la roche sur le dessus. Reculant d’un pas, j’étais soulagé de ne pas sentir le contre coup sur mes biceps et mes triceps… Pour autant, j’étais déçu de la défaite du chakra sur la nature. Ajouter un élément katon au flux de chakra en place n’allait servir à rien, mais je pouvais faire autrement : Les dents serrées, je concentrai mon chakra dans mes poumons pour transformer l’air expiré en une pâte fantomatique de couleur blanche qui vint se coller à l’acier froid disposé devant mes lèvres. Automatiquement, le chakra devenu quasiment solide vint se blottir sur l’ensemble de l’arme avant de s’étendre dans le vide en suivant la forme de base. D’un katana, j’arrivai à un nodachi d’énergie… Le chakra, coupant à l’extrême, avait des propriétés que n’avait pas le simple outil. Tentant une nouvelle frappe, celle-ci égratigna la roche sans pour autant la couper en deux. Un palmier était facilement destructible, mais c’était un autre niveau ici.

Cette fois, je bloquai un peu. Soupirant, je repris ma position de départ pour reconsidérer ma tactique. Tout miser sur le ninjutsu était une erreur, il y avait dans le kenjutsu quelques arcanes permettant d’arriver à un résultat supérieur… Quatre techniques de base : kiri otoshi, kiri age, kiri keishi et maki otoshi. Tout naissait et mourrait de ces cheminements : On ne choisit pas quel technique on utilise, tout vient de l’adversaire et de ses mouvements puisque ce sont des mouvements du sabre incluant une parade et une attaque, sauf le premier. Kiri otoshi était la coupe originelle : Dévier en attaquant, la parade et la riposte étant simultanée. Le kenjutsu visait à couper un corps, ce que je tentais outrepassé le but de cet art, mais je sentais bien qu’il y avait une carte à jouer là-dedans. Pour couper le corps de l’autre, il fallait briser son shinsei, son attitude. Certains diraient la garde, mais il y avait une vraie dimension psychologique là-dedans.

Couper, c’était briser l’autre.


Pour ce faire, la lame et le corps sont un. Lorsque la lame finit sa coupe, le corps a fini son déplacement. C'est important pour la coupe et la survie du sabreur. La puissance des jambes, attachées au corps par les hanches, est transmise au sabre. Alors, sans force, toujours disponible à l'imprévu, les frappes et les coupes deviennent d'une puissance et d'une lourdeur impressionnante. Caressant la garde de mon arme, je cherchai en elle cette force qui me permettait de détruire l’obstacle devant moi.

“Il n'y a pas trente-six façons de pourfendre un homme. Il n'y a pas plusieurs manières de porter un coup, de frapper et de trancher qu'il s'agisse d'un spécialiste ou non, d'une femme ou d'un enfant. Si l'on veut en chercher d'autres, il n'y a qu'à porter une botte ou faucher. Tout se résume à vouloir couper l'adversaire, donc il est tout naturel qu'il y ait peu de façons de le faire.”

La solution était simple, en fin de compte : Pour détruire le rocher, il fallait le couper. Comment ? En trouvant le bon enchainement ou le bon coup. Pour ce faire, la ressource était en moi. J’étais le moteur de mon katana comme il était mon outil… Tel le ninjutsu, le kenjutsu devait refléter quelque chose chez moi. Un “moi” véritable ? Non, sans doute plus que ça… Le chakra était une condensation de mes énergies, mais ce qui se tramait entre moi et ma lame transcendait cela.

Une nouvelle fois, je me relevai… Mais l’esprit plus calme, adepte d’une philosophie nouvelle, je m’engageai dans la voie de la pratique du sable plutôt que de la destruction pure et simple par le ninjutsu. Le sabre élégant pourvu devant moi, je faisais de long geste amples et lent devant le rocher. L’objectif ? Sentir le mouvement, avant de frapper… Là où un adversaire me répondait, je devais chercher une réponse dans la nature. Le vent se leva, enfermé dans la vallée, il fit bouger les branches et tomber la neige qui stationné sur les cimes.

Au moment où l’eau cristallisée rejoignit le sol, je frappai une fois pour distinguer la résistance : Une frappe simple, souple, qui fut un échec, bien sûr, mais qui fut le point de départ d’une nouvelle série de coups dans les airs… Pendant quelques minutes, le manège continua tout en alternant les frappes véritables et les mouvements plus spirituels.

Si la base du kenjutsu était les quatre techniques de parade et de riposte, il fallait saisir ici une concentration de ces attaques. Chaque geste servait un but : Orienter une attaque, se replacer, reprendre position sur ses appuis… Frapper, au final, c’était d’abord être solide soi-même.

“Je suis solide, moi ?”

Un sabreur se devait d’abord d’être un monument de stabilité, dans la tête, et ça… C’était pas gagné.“Nul châtiment n'est pire que le remords.” Le souvenir restait, impérissable. La mémoire était parfois la meilleure des armes, surtout quand elle nous frappait, nous-même. Je ne pouvais atteindre la plénitude en portant ainsi un tel fardeau : La mort de Ishi, l’échec et l’exécution de mes chuunins… Le corps occupé, mon esprit vagabonda et je compris vite ce qui bloquait vraiment ma progression : Le passé, comme le rocher, je n’arrivai pas à le couper.

Enfin, ça je le savais déjà… Rien de nouveau sous le soleil, ou la neige. Pour autant, au fond de cette vallée, loin de chez moi, je voulus changer les choses. Comment ? Cette fois, un bon enchainement ne pouvait pas m’aider. Frappant une nouvelle fois la roche à la recherche du bon angle, ma lame ripa pour déstabiliser toute ma posture. Les dents grinçantes, je me remis dans le mouvement en me focalisant. Le passé, ce n’était pas le rocher : Pas la même existence, pas le même poids.  

La lame orientée vers le sol, en diagonale avec la garde jouxtant ma cuisse, je me lançai dans un nouvel assaut. Cette fois, la lame décrivit un bel arc avant d’éclater la roche sur un bon millimètre… Ce n’était pas couper, c’était fendre. Stoppant la charade, je pris un pas en arrière pour réfléchir. Droit comme un “i”, le katana reposant flegmatiquement contre ma hanche, je me creusais la tête pour voir ce qui n’allait pas…

J’avais connu une semi-réussite, mais je sentais bien que j’étais dans le faux. Le mouvement était bon, pour autant la finalité n’allait pas ! Pendant ce temps, les flocons perlaient et je me rendais compte que ma posture immobile pendant les quelques minutes précédentes avaient permis à mes épaules de gagner quelques centimètres par l’ajout de couches de neige. Levant la tête, je reçus quelques-uns sur le visage. Respirant, de la condensation se formait dans l’air autour de moi… Le temps se rafraichissait, ma chaleur interne interagissait avec mon environnement.

Plus que ça, je sentais le monde autour de moi…

Suivant la trajectoire d’un de ces cristaux, je le vis pivoter au gré du vent jusqu’à arriver avec le reste de la neige à mes pieds. Observant un second, celui-ci s’écrasa à la surface de la fine rayure que j’avais formée sur la roche après un coup… Tel un baume, il fondit au contact de l’obstacle devant moi. La température était différente, entre mon corps et cette pierre. Moi qui pensais qu’elle était plus froide, en fait elle rayonnait d’une vitalité minérale dont j’étais privé par les battements de mon cœur. Sur ce fait, je respirai une nouvelle fois, mais l’air me parut plus froid, plus clair, comme si je n’avais jamais respiré avant…  Regoûtant ainsi cet oxygène, je compris enfin ce qui me manquait.

Il y avait des éléments plus faciles que d’autres à couper, le bois par exemple, mais en appliquant uniquement de la force brute ou une technicité extrême, on ne faisait que fendre l’adversaire… Couper, c’était défaire les liens, et donc comprendre le lien. Musubi, Il faut agir comme si on lisait en l'adversaire. On est lié à lui, on devine ses désirs comme si on était à sa place. Il faut faire le vide en soi et les intentions de l'opposant doivent résonner en nous.

Je devais vivre et respirer la pierre. Plantant mon sabre dans le sol, traversant la neige et la terre, je posai ma main ainsi non armée sur la surface de cet obstacle que je voulais éliminer : Un long silence se fit, ponctué par le vent et le bruit de l’eau qui essayait de passer derrière le rocher. Arrêtant de respirer, je cherchai la respiration de cette pierre dont j’avais établi le contact. Captant la chaleur de la roche, derrière la factice fraicheur inorganique, je repris ma respiration en suivant les pulsations infimes que je sentais par la pulpe de mes doigts.

Le ninjutsu, c’était expulsé de l’énergie par le corps, mais je n’avais jamais reçu une énergie ainsi… L’inverse de ce que j’avais connu m’affecta, comme une compréhension plus approfondie de ce qui m’entourait. Pour autant, comme pour la pierre, je ne touchai que la surface. Un monde, derrière le monde, m’entourait. Je comprenais la pierre, dont la matière touchée le sol, allant jusqu’aux montagnes, mais l’eau qui coulait à mes pieds, entre les cailloux, demeurait, par son mouvement, inconnu à mes sens.

Le désir d’en savoir plus me poussa à m’accroupir pour toucher l’élément aqueux, mais je sus bien vite que ma tâche n’était pas finie : Je devais couper la pierre, l’eau viendrait bien assez vite… Laissant couler mon bras, rompant la liaison petit à petit, doigt par doigt. Je finis par mon index qui décrivit une courbe particulière avant de rejoindre le reste de ma main.

“La technique ne fait pas tout, il y a toute une facette psychologique… ”

Reprenant ma respiration à un rythme plus classique, je repris conscience de mes sens : Mon cheminement minéral m’avait placé dans un état presque second. Ma connexion physique avec le bout de terre m’avait amené à une probable connexion avec la nature… Une connerie baba cool dont je me serais moqué précédemment, pourtant ici je demeurai calme. L’air dans mes poumons augmentait ceux-ci de taille pour disparaitre par la voie d’entrée : Ma bouche. Le changement de température de ce séjour laissant un phénomène dans l’atmosphère autour de moi.

Je me retournai pour empoigner mon sabre et ce que je ressentis fut bien plus important : L’acier respirait également, tendrement je sentais les ramifications de ces pulsations se propager dans le sol. Lentement, je sortais la lame de sa gaine naturelle pour la redécouvrir dans l’air. Rien n’avait changé, mais tout était fondamentalement différent.

“J’avais ça sous le bout du nez tout ce temps ?”

Décidé, plus que jamais, je me mis en garde pour couper une bonne fois pour toute cette pierre qui me barrait la route, à moi et à l’eau. C’était drôle de se dire que ma rencontre avec la rivière allait se faire par l’intermédiaire de la destruction de cet obstacle, comme deux amants. Un léger sourire sur les lèvres, je plaçai la pointe de mon katana contre le rocher pour voir si je pouvais ressentir celui-ci à travers mon arme… Malheureusement, il y avait des limites. Un peu déçu, je détachai les deux objets pour me mettre en garde et me préparer à frapper : Frapper pour couper, frapper pour percer la coquille et sentir plus profondément la respiration de la pierre.

Relâchant la lame, au-dessus de moi, je frappai un grand coup et ma lame guidée par mon esprit pénétra dans la roche sans pour autant finement la trancher. Le crissement de l’acier contre la pierre émit des étincelles, mais l’important était que j’avais vraiment avancé dans la technique… Pour autant, l’objectif n’était pas rempli !

Un coup unique ne suffisait pas, il me fallait plus d’application dans l’exercice du kenjutsu… “Telle une respiration, il faut plusieurs pulsations.” Sans un mot, je délivrai le sabre de son fourreau minéral pour me remettre en position : Il fallait retenter l’opération, mais j’avais appris de mon échec. Le secret pour couper la roche était de l’entailler pour trouver les bonnes veines, les faiblesses dans la structure et continuer à frapper… Un enchainement, venant d’un coup simple, éclairant la voie pour les autres qui, méthodiquement, cisaillent la cible.

Recadrant ma respiration pour revenir au calme, je préparai déjà mon attaque : En général, on dit que lorsque l'on porte un coup à l'adversaire, le corps et le sabre ne manœuvrent pas ensemble. Selon les formes d'attaque de l'adversaire, notre corps prend d'abord la forme attaquante, ensuite notre sabre porte son coup à l'ennemi indépendamment de notre corps. Ou bien, dans certains cas, notre corps ne bouge pas et seul notre sabre passe à l'attaque de l'adversaire, mais dans les grandes occasions, c'est le corps qui attaque tout d'abord et le sabre suit. Le sabre devenait une extension de mon corps, comme un être indépendant. Cet équilibre était difficile à trouver, mais après des années de formation j’avais réussi à atteindre ce stade… Dans cette nouvelle forme de kenjutsu, je mobilisai les bases de mon art dans une dynamique nouvelle.

Il fallait alors se lancer.

Reculant, je portai un coup vertical devant moi en avançant la jambe droite : C’était le coup qui éclairait la voie, bien vite l’acier découpa difficilement le rocher, mais la résonance dans mon bras me stipula quelques effets dans l’ensemble de la structure. Sortant vivement mon arme, je restai sur mes positions en avançant ma jambe gauche de sorte que mes pieds encadrent mon corps pour solidifier complétement mon action. Instantanément, je lançai un coup latéral qui afficha dans l’obstacle une large croix. Sortant rapidement, je sentais que tout se précisait : La force du coup ainsi que la réponse de la cible. Je me projetai sur le côté pour frapper en diagonale dans ma dynamique. Le temps d’atterrir sur mes deux jambes que je multipliai les impacts coupants sur la surface de la pierre : Chaque fois, ma lame entrait et sortait jusqu’à atteindre une forme d’habitude. Les entailles se faisaient plus profondes tout en devenant plus fine… La vitesse augmentant, elles apparurent après-coups, en même temps que les fêlures fragilisant le tout.

Je devenais plus fort alors que l’ennemi s’affaiblissait. Peu à peu, je sentais que la pierre cédait : D’un coup final, je coupai la roche en deux alors que l’eau derrière celle-ci trouvait son chemin. La faiblesse de la pierre profitait également au flux de la vallée qui franchit l’obstacle en projetant des bouts de pierre partout… L’un des projectiles m’entailla le bras, mais je ne sentais rien que la plénitude d’avoir réussi. Le liquide coulant à mes pieds, trempant mes chaussures et le bas de mon pantalon ne changea rien. Respirant pleinement cet air gorgé de poussière et de gouttelettes d’eau en chemin jusqu’au sol, trop concentré dans ma tâche et mon succès, je n’entendis pas entendu la menace approcher.

Technique (1/2):


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Le voyage de Yukio.


Rouleau III : Le vide.



Il est amusant de penser que j’avais beau m’être connecté à la nature par un procédé presque mystique, je restai totalement incapable d’entendre les pas étouffés d’un ours de près de trois-cents kilogrammes qui s’avançait vers moi.

Sans doute que la vision de ma lame, puis du rocher qui s’écroulait en faisant bien trop de bruits pour ses pauvres tympans avait affolé l’animal, car il n’eut même pas le réflexe presque intelligent de menacer d’un grognement roque, il avait d’office attaqué… D’un coup de griffe expert, il prit mon dos pour un tronc où il aiguisait docilement ses serres. Attentif de mon succès plutôt que de la menace, je fus projeté en avant sous l’action des muscles soutenant le coup dans ma chair.

Le premier ressenti fut la douleur, me faisant pousser un grognement sourd puisque mon visage vint plonger dans la neige. Le froid vint ensuite, mes vêtements déchirés ne faisaient plus obstacles à l’air qui entrait abondamment dans les trous… Enfin, les longues perforations qui constellaient mes atours. Pour le coup, pas besoin d’un état mystique de sabreur pour savoir que j’étais dans la merde. Un peu bousculé, je me retournais vivement pour faire face à ce nouvel obstacle de la vie… Une mauvaise chose contre une bonne ?

“On n’est jamais tranquille.”


Mon katana toujours en main, puisque j’avais pris l’habitude de m’associer à lui comme à une bouée même si je me retrouvais à l’autre bout du champ de bataille… C’était dur, mais j’avais bien plus de chance de survivre en le tenant fermement qu’en le lâchant sous l’action de la douleur. La situation où j’atterrissais sur le tranchant n’était jamais arrivé, dieu merci.

Face au gros ursidé qui se tenait fièrement sur ses quatre pattes alors que j’étais mollement sur mes fesses, je pus un peu identifier le machin : De petite taille et trapu, sa fourrure abondante était de couleur sable où trainaient des flocons qui s’accrochaient. Il possédait une bosse sur les épaules, une face légèrement bombée où s’exprimait un air innocent, presque apeuré, alors que ses longues griffes aux pattes avant disposaient de reliquat de mon sang et de ma chaire.

Un animal, un gros morceau…

Devant sa proie ainsi à sa merci, il se permit un grognement roque sans équivoque : J’étais une menace sérieuse et il voulait m’éliminer. Les dents serrées à cause des pulsations de souffrance dans mon dos, je ne pus qu’acquiescer. Il y avait quelqu’un de trop dans cette vallée et je comptais bien sortir vivant de cette confrontation !

Avec mon bras libre, je me relevais pour me mettre en position de combat : Je ne pouvais rien faire en étant assis dans la neige comme un mollusque, un peu chancelant à cause du choc, je me mis en garde. L’ours ne parut pas plus inquiété par ce changement de paradigme, car il me fonça dessus comme si je n’étais qu’un lapin alors que j’étais néanmoins doté d’une griffe, moi aussi.

L’animal était lent, sans doute à cause de sa taille et son poids. Je le vis venir, mais mon corps avait encore du mal à se remettre de l’attaque surprise, car j’étais également assez long à la détente. Levant mon sabre, bien trop tard, l’acier froid rencontra la kératine alpha composant les armes de mon adversaire. La grande différence fut dans la force appliquée au coup, mon bras se déplaça trop vite de devant moi à derrière moi et je volai dans la rivière, roulant relativement sur les cailloux qui composaient le lit de celle-ci.

“Frontalement, ça passe pas… ”

Je me doutais bien de la finalité de ma confrontation, mais devant l’urgence, je n’avais pas trouvé mieux. Le bras ankylosé par le choc, je me relevais pour ne pas me retrouver une nouvelle fois vulnérable. Devant un adversaire plus lourd et fort que moi, je devais mobiliser mes avantages : La vitesse et le ninjutsu ! Me battre à distance était la bonne méthode, pour autant le nouvel assaut de l’animal me prit de court et mon bras actionné pour les mudras dut abandonner son ouvrage pour entamer plutôt une esquive. Le plan B était donc de frapper dans les côtes ! La patte passa bien trop près de mon visage, mais je réussis à me faufiler d’une roue sur le côté avant de lâcher un violent coup de lame dans la patte arrière du bougre. Me replaçant, j’eus l’idée inédite de mettre en pratique ce que j’avais expérimenté sur le rocher. En parallèle, l’ursidé se retournait pour essayer de m’avoir : Sa peau était épaisse, protégée par la fourrure qui amortissait de manière bien trop efficace mes coups.

Une armure naturelle.

Respirant un grand coup, je reculai pour reprendre mes esprits et retrouver cet état qui m’avait permis de faire fi de la résistance minérale : En plein combat, solliciter ainsi mes sens était difficile. L’adrénaline et le danger m’empêchaient de me plonger totalement dans ma liaison avec l’environnement, si vraiment c’était le cas. Esquivant les deux coups de griffes, je finis les pieds au sec sur une berge de la rivière. Les deux mains sur ma garde dans une position offensive, je calmai ma respiration pour que mes muscles ainsi que mon esprit soient correctement oxygénés. Ainsi au contact de la menace, je devais autant agir que réagir à mon adversaire.

“C’est le principe du kenjutsu.”


La suite de mouvement que j’allais chercher à produire demandait bien plus de dextérité contre une cible mouvante que contre un pauvre rocher bien incapable de répondre. Une seule erreur et je me retrouvais encore une fois entaillé, ou bien projeté à terre… Ou bien écrasé par le poids de l’animal. Dans tous les cas, ce n’était pas bon pour moi. L’important alors était de bien saisir le moment pour engager cette série de frappes chirurgicales… L’arrivée de la chose sur ma position ne me laissa pas la place pour plus de réflexion : Me baissant vivement pour ne pas subir le coup de griffe, je me relevais pour amorcer un coup de bas en haut avec mon sabre. Par un subtil déplacement de la nuque, suivis d’un coup de tête, l’ursidé repoussa ma garde.

Cet animal était bien trop intelligent. J’avais entendu parler d’assistant ninja venant de milieux naturel, notamment les ninken :  Essentiellement des chiens étant en mesure de travailler avec un ninja grâce à leur éveil et leurs aptitudes. Ils ont la possibilité d'utiliser le langage humain, de marcher sur l'eau et d'établir des stratégies de combat. En soi, cet ours arrivait à riposter contre un juunin… Il y avait donc de l’inné et de l’acquis. On ne formait pas uniquement les animaux, il fallait une base propice. “Peut-être que cet ours pourrait devenir un ninken”.

Pour autant, actuellement, c’était mon adversaire et il ne se laissait pas faire ! Reculant de nouveau, je me remis en garde pour partir cette fois à l’initiative de l’assaut. Souffrir de l’attaque m’interdisait bien des tactiques, il fallait prendre les devants. C’était une composante du combat : attaquer en avançant pour pourfendre l'adversaire en le prenant par « surprise ». Passer de to ma à ma, en cassant la distance ; attaquer pendant qu’il lance son attaque, ou bien attaquer après que le combattant opposé a lancé son attaque, donc au moment de l’impact.

Ici, je cherchais uniquement à avoir la primauté dans l’action : Forcer à ce que cela soit l’ours qui réagisse plutôt que moi. L’animal avait bien plus de facilité à attaquer qu’à esquiver, pour autant il se débrouilla très bien en évacuant sa tête et ses pattes de mouvements assez large, mais il dut néanmoins subir quelques coups, arrachant des morceaux de poils et échappant du sang sur les pierres, au sol. Mon enchainement destructeur ne pouvait être mis en place, car il me manquait le coup directeur…

L’endurance de la bestiole lui permettait d’encaisser et je me doutais bien que la vie dans la forêt lui avait réservé des coups plus dangereux que ceux délivrés par mon katana. Soudain, l’ursidé se mit sur ses pattes arrière pour se projeter en avant dans l’espoir de m’écraser de son poids, ou au moins de me chopper avec ses griffes plantaient en avant. Je voulus reculer, mais glissant sur la pierre humide je ne pus qu’accepter mon sort…  

Plaqué par terre, le dos tapant et frottant violemment contre les cailloux alors qu’une masse de poils et de fureur me crispait les muscles et les os, je vis bien ma dernière heure arriver… La douleur me lança dans tout mon corps, complétement paralysé. Pour autant, dans la chaleur de la fourrure, j’étais à l’abri des griffes et des crocs de l’animal. Le bras bloqué, je ne pouvais pas le terrasser héroïquement en lui plantant ma lame dans le ventre, mais j’avais quelques arcanes que je pouvais mobiliser ! Serrant le poing, je concentrai mon chakra pour l’enflammer dans mes phalanges réunies : Je ne pouvais pas le frapper avec, mais la combustion allait bien évidemment réagir avec le combustible présent tout autour de la bête.

Un grognement paniqué et l’ours se releva d’un coup pour s’écarter et plonger son corps dans l’eau nouvellement arrivée : Une porte d’entrée ? Saisissant mes dernières forces, forçant mon corps meurtri à se relever, j’amorçai le coup qui allait guider toute la suite du combat… Et peut-être de ma vie, si je ratai.

L’ours, la tête fixait sur moi alors que son ventre se mouillait presque tendrement pour échapper aux brûlures, dut faire un choix entre éteindre le feu qui s’étendait et esquiver le coup qui pointait le bout de son nez. Au dernier moment, il chercha à fuir la frappe verticale, mais ne réussit qu’à délocaliser le point d’impact sur une autre partie de son corps : Son épaule. L’acier passant relativement bien la barrière de poil et de muscle, ainsi que de graisse, je pus enfin saisir l’amplitude de la défense de mon adversaire : Face à moi, le corps bourru de l’ours était forgé pour le combat, pour survivre face aux siens et aux autres menaces des montagnes. Peu de points faibles, mais il fallait en créer… Comme pour tout.

D’un geste expert, je sortis la lame pour amorcer une danse, entaillant et décrivant de larges arabesques pour assouplir et affaiblir cette armure naturelle qui tenait bien son rôle devant les multiples coups depuis le début du combat. L’ursidé eu bien l’idée de contre-attaquer, mais tout était joué : J’esquivai en attaquant juste derrière, comme si tout était prévu dans mes mouvements. Confiant, de par ces expériences, je me permis d’amorcer le coup final un peu plus tôt en percevant dans les muscles de mon opposant la dynamique d’un coup. Il fallait l’achever, maintenant, d’un coup latéral je cherchai à trancher dans le vif pour enfin rendre la chair de l’ours tendre et vulnérable, mais dès que ma lame rentra dans le corps de la bête, elle se permit de se projeter sur moi, plantant encore plus l’arme dans son poil pour viser mon visage de ses griffes.

In extremis, j’esquivai, mais l’une des armes naturelles de l’animal m’entailla le front violemment… Le sang s’évacuant sur mon visage, je fus aveuglé un bref moment ce qui laissa le temps à l’ours de me mordre pour me projeter à distance. Ballotté entre les crocs de cette chose qui devant la douleur et la panique voulait juste s’enfuir, je perçus le sol comme un vrai moment de calme alors que mon torse subissait la douleur des trous à plusieurs endroits : La prise avait été forte, par la pénétration des dents, mais aussi la pression de la mâchoire. À terre, je n’entendis que les grognements de l’animal alors que mes yeux s’embuaient de larmes et de sang…

J’avais survécu, mais à quel prix…

La main toujours accrochée à mon sabre, que j’avais tiré des chairs de l’ursidé, je me relevai péniblement pour retomber juste après… En respirant, je sentis une pression à l’endroit de mes côtes, mais aussi une douleur vive dans mon dos. C’était le moment pour un check-up ? Pas vraiment. Déjà, j’entendais l’ours se rapprocher pour m’achever, alors qu’un bref instant avant, c’était moi qui devais être vainqueur… Ni une ni deux, je multipliai les mudras pour projeter une petite boule de feu dans le but de faire reculer le monstre de force. La seule échappatoire était le lit de la rivière, remonter le cours de l’eau par le défilé pour utiliser la stature de l’ours contre lui. Je pouvais me mouvoir plus facilement que lui dans la géographie étroite de cet endroit de la vallée… Mon corps allait pouvoir suivre ?

Une seule façon de vérifier, sans attendre je m’élançai en clopinant vers l’entrée de la possible miraculeuse sortie… Des pas lourds dans la neige me signalèrent que le mammifère me suivait. Il était sur mes talons même. Dans mon sang, l’adrénaline me poussa à accélérer : Je ne me sentais pas capable de faire de nouveau face à l’animal, il fallait donc que j’arrive à m’extirper de ce guêpier, mais peut-être que le défilé représentait une plus grande menace… Un cul-de-sac pouvait amener la fin de mon parcours dans le Sekaï.  

Les pierres naissaient dans mon champ de vision périphérique : Les abords se resserraient alors que l’eau montait, concentrée par les limites minérales. Le liquide jusqu’aux genoux, tout devenait plus compliqué, mais je gardai une avance sur l’animal plus large et lourd qui se révélait alors bien plus empêtré que moi. Baissant les yeux pour voir où je mettais les pieds, je compris vite que je laissais dans mon sillage du sang qui suivait le courant comme s’il faisait partie de la rivière depuis toujours… Dans ma dynamique, je saisis un peu d’eau pour me la balancer au visage, histoire de nettoyer le sang qui avait coulé de mon front. Les cheveux collaient par mon fluide vital se dégagèrent avec le peu d’eau que j’avais appliqué et ma vision se conforta de cette action : Pour s’enfuir, il valait mieux voir le plus clair possible !

Au bout de quelques minutes de course poursuite, l’ours arriva à un moment où ses flancs frottaient avec violence contre les parois, pour autant il continua en faisant rouler les pierres derrière lui… Un monument d’entêtement, alors que moi-même je luttai pour conserver mon rythme. Se risquant à un coup de patte, je sentis l’impulsion, car il s’arracha à la paroi en raclant avec un bruit roque et me projetai en avant en cherchant à encaisser le moins possible… Mon saut en avant, partant de mon pied gauche m’amena à me faire entailler le bras du même coté et surtout poussé, alors que j’étais en l’air, par l’énergie musculaire de la bête. Me réceptionnant en tapant contre la pierre, je me relevai vite pour courir le plus vite possible. Quelques secondes furent nécessaires pour me rendre compte que l’attaque de l’ursidé n’était qu’un baroud d’honneur, il avait rebroussé chemin…  

J’avais gagné en survivant à son attaque surprise.

Pas mécontent, mais dégustant sévère… Je choisis de continuer ma route en me soutenant aux divers rochers qui dépassaient de l’encadrement du défilé. Je venais de vivre une grande aventure, qui avait marqué durablement mon corps.

Il me fallait un abri et vite.

Technique (2/2):

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Le voyage de Yukio.


Rouleau III : Le vide.



J’ai toujours été un bagarreur, pas forcément le plus fort ni le plus malin… Mais au moins, je ne pouvais pas cacher que j’étais téméraire. Plusieurs fois j’avais failli mourir de la main des hommes : Cette embuscade dans les montagnes, Nôka… Mais ici, c’était un ours qui avait bien failli me faire la peau.

Je n’avais pourtant rien demandé, je rendais même service à un village…

Une mère éplorée devait sans doute attendre le retour d’un de ses fils. “Elle en a d’autres si besoin.” L’ursidé avait sûrement dézingué le pauvre Makoto, pour le bouffer dans sa tanière, ou alors il avait réussi à fuir… Qui sait ? Pas moi et j’avais déjà du mal à retenir la vie qui coulait de mes plaies pour m’occuper de la survivance d’un autre.

Les “crouch crouch” dans la neige liquide étaient dans un rythme saccadé, ma jambe droite me faisait mal, mais toujours moins que le reste de mon corps. Quittant le défilé, qui restait praticable si on aimait bien se frotter aux pierres qui jalonnaient le chemin, je ne pus retenir mon ravissement devant le lac qui s’étendait devant moi, à dix bons kilomètres. Les dents serraient par l’effort et par la douleur qui palpitait autant dans mon dos que dans mon bras gauche, je cherchais un abri ou au moins un endroit pour me reposer… Hors de question de s’arrêter en plein milieu de la nature, l’ours pouvait trouver un autre moyen de passer la vallée et me retrouver pour finir le travail. Pourtant, l’adrénaline qui m’avait fait avancer jusqu’ici se dissipait sans mal et la fatigue rendait mes pas moins assurés.

Je distinguais sans mal une petite bâtisse sur les bords du lac et je compris que la vie ne m’avait pas abandonné : Qu’importe la nature de ce bâtiment, il allait devenir mon foyer pour la nuit, histoire de lécher un peu mes blessures comme un gros chat. Il fallait encore marcher jusqu’à lui et il était à une extrémité de l’étendue qui rajoutait pas mal de marche. La mort dans l’âme, je me résignai à tirer ma carcasse jusqu’à là.

Un œil expert pouvait sans doute voir les gouttelettes carmin que je laissais derrière moi, mais je me réconfortai en pensant qu’il n’y avait pas d’autochtone assez sauvage pour venir essayer de me boulotter… Au contraire, les seuls humanoïdes que j’avais une chance de croiser étaient surtout des chances de survie en plus ! “Sauf les bandits que j’ai croisés depuis mon arrivée dans la région… ” Mes vêtements déchirés sur le dos et mon katana toujours en main, j’étais à la fois une cible de choix pour les charognards et un individu à éviter. Ceux qui allaient se risquer à me chopper était confiant ou complètement fou !

Heureusement, longeant les bords du lac trop calme pour ma situation périlleuse, je ne rencontrai nulle âme qui vive… La fermeture du défilé par le rocher et la situation un peu paumée du territoire de l’isthme permettait une densité de population faible : Une chance ou une malédiction pour moi, qui risquait fort de mourir seul d’hypothermie ou de mes blessures. Les trous dans mon haut laissaient passer l’air et je sentais de plus en plus la peau de mon dos s’engourdir, alors que de temps en temps des spasmes de douleur contractaient mes sens… Tant que je souffrais, je ne mourrais pas de froid. Triste et dur constat qui était le mien.

On est quoi ? Midi ? Le son de ma voix résonnait sur la surface plate de l’eau. Une voix enrouée, qui parlait surtout pour se tenir compagnie plutôt que pour communiquer avec quelqu’un… Pendant quelques instants, le ton enroué me fit penser au grognement de l’ours avant que je ne comprenne que ma propre voix me faisait cette impression.

Au zénith de la journée, il faisait quand même froid. Pour autant, le soleil permettait de réchauffer le peu de peau que je lui montrais : Mon visage. Enfin, si on excluait le vent qui refroidissait tout… La neige perlait du ciel, frappant le sol, mon corps et l’eau qui ne paraissait même pas s’en apercevoir. Des volumes s’accrochaient même à mes chaussures alors que j’avançai, conséquence sans doute du fait que je trainais des pieds... La force me manquait, je la sentais partir comme le sang qui perlait de mes bras et depuis mon coccyx.

Un check-up… Je ne voulais même pas y penser.

Mon corps ne se mouvait que par l’espoir de pouvoir s’allonger dans peu de temps. Une fois allonger ? Eh bien, aucune idée. Dormir ? Le froid engourdissait plus que mon corps… Mon esprit aussi prenait un sacré coup. “Lorsqu'une personne meurt du froid, c'est parce que son métabolisme se ralentit progressivement. Le cœur bat moins vite et la respiration s'atténue. La personne n'a plus de défenses. Puis toute la machinerie s'arrête.” Comme un manuel, je me répétais les dangers de céder ainsi à la fatigue… C’était céder à la mort.

Tant que je marchais, faisant produire de la chaleur à mes muscles, je vivais… Tant que j’avançais, je vivais. Le gros danger allait être à l’arrivée, sur ce que j’allais trouver dans le bâtiment. Avancer c’était une chose, mais prospecter.

“Bon dieu que j’ai sommeil.”

J’approchai de la bâtisse, un genre de maison qui ne payait pas de mine, mais pour moi, c’était le paradis sur terre… Une promesse. Le bois, maquillé de rouge, faisait tache au milieu de l’encadrement blanc, mais la taille ne la rendait pas imposante. Camouflé derrière quelques arbres, j’avais l’audace de penser que sous un certain angle, elle était invisible.

Montant par l’escalier sur la petite terrasse qui encadrait l’entrée, je me stoppai un instant pour écouter autour de moi et surtout dans le bâtiment : Des pas, une quelconque respiration, des objets tirés ou poussés… Le silence. Les dents serrées j’assurai le coup en poussant la porte du plat d’une main alors que l’autre se tenait prés à balancer le katana d’un geste expert… Dans un petit grincement, le bois pivota pour laisser entrer la lumière dans une pièce vide, hormis du bois disposé près d’une cheminée. C’était une baraque de pêcheur, quelque chose de communal sans doute pour accueillir les prestataires de la survivance d’un village. Rapporter du poisson demandait quelques jours de travail pour un village entier, j’imaginais sans mal un village proposer la construction de ce type de logement pour aider les habitants.

D’un soupir, je fermai la porte derrière moi avant de m’allonger derechef près de la cheminée… J’étais vidé, mais pas que de mon sang ! Mes forces m’abandonnaient et j’avais terriblement froid. La finalité de ma quête n’apportait que plus de réconfort, et de danger, car je n’avais plus à bouger… Mon objectif était atteint, mais celui en secret était de survivre. Il fallait me réchauffer et j’avais tout ce qu’il fallait sous la main ! De ma main gauche, je pris une buche avant de la jeter activement dans l’antre et cracher une mince boule de feu d’un mudra paresseux. Les flammes prirent tout de suite, privilège du ninjutsu. Voyant la source de chaleur apparaitre, je m’abandonnai enfin à mes blessures…

Un peu de repos pouvait me faire du bien.

Des rêves brumeux, pourtant j’avais chaud. Je sentais bien que la vie palpitait sous ma poitrine même si la douleur cachait bien des sensations. J’étais au sec, au chaud et je n’avais qu’à me soigner pour être remis sur pied… Un optimiste dirait que j’étais en sécurité. Dans mon songe, des coups a la porte me forçaient à me lever péniblement pour ouvrir… Dehors, toute ma famille de Suna qui m’attendait avec du maté et des pâtisseries. J’étais très content de cette attention, surtout que c’était une longue route ! Hayato était là, en train de fumer sa clope et de se plaindre du froid alors que Honoka se jeter à mon coup, heureuse de me revoir… Les autres étaient là : Kalida, Ogawa, Kuma… Même Kyou était dans un coin à zieuter les alentours à la recherche d’un danger reptilien. Soudain, mon frère se changea en ours et se jeta sur moi alors que la belle muette me bloquait plus qu’elle me récompensait de mon attente. Je fus croquée, d’un coup sec… La vision devenant extérieure, je voyais mon corps comme si ce n’était plus le mien. Enfin, ce qu’il restait.

À mon réveil, en sursaut, je compris certaines choses. Déjà : Une cheminée s’ouvrait et se fermait, sinon elle pouvait être abimée par la pluie ou la neige. Ici, une mince fumée sortait de l’âtre sans pour autant filer dans le couloir prévu à cet effet… La chaleur était démultipliée, ainsi que les gaz toxiques. Haletant, je cherchai un outil adapté pour décoincer la trappe qui servait à faire tout coulisser… Heureusement que je n’avais qu’allumé qu’un seul combustible, qui déjà, avec ma sieste, se mourrait.  Si j’avais été plus gourmand en chaleur, je serai mort asphyxié.

Quelle mort de merde.

Deuxièmement, mes blessures n’étaient pas si graves… En tout cas,  les entailles et autres grosses plaies. Cependant, le temps pris pour réagir avait permis à certaines de s’infecter et la chaleur que je ressentais dans la pièce était plutôt dû au fait que mon corps était en ébullition. J’avais de la fièvre… Mon front pouvait tout à fait convenir pour faire cuire des œufs. Non pas que ce fut un symptôme, mais c’était une manifestation signalant une réaction de l'organisme, le plus souvent face à une infection. Ainsi, je devais prendre soin de désinfecter ou au moins traiter mes bobos. Dans un état comateux, sorti en trombe de mon sommeil pour régler quelques menus détails de cheminée, je ne pris pas garde de me ménager et le sol me le fit bien sentir… De faiblesse, je chutai pour atterrir sur le ventre, mais surtout sur le nez qui s’écrasa sur le parquet sale. Encore une douleur, qui me fit grogner silencieusement tellement je me sentais mal. Ma main courra autour de moi pour chercher une prise ou un appui, mais rien. Je me décidai alors à me relever dignement par la seule force musculaire, d’une pompe, mais l’exercice me montra que mon corps était salement amoché et affaibli. Arrivant à me positionner sur le dos, je me permis de regarder le plafond en haletant… Me mettre sur le théâtre principal de mes blessures n’était pas une super idée, mais au moins je ne respirais pas la poussière à même le sol.

- Comment je vais m’en sortir ? Ricanant, je me rendais compte un peu stupidement que j’allais peut-être mourir de cette fameuse fièvre. Ce n’était ni un homme, ni un ours qui allait m’avoir, mais une bactérie et la réponse de mon corps. “Bah bravo, Yukio.”

Épuisé, je me rendormis très rapidement. Trop rapidement.  

- Alors Yukio, on se laisse avoir ? Une voix, comme un souvenir, mais je n’arrivais pas à me rappeler qui était le propriétaire de ce ton un peu détaché. Rouvrant les yeux, je ne sentis que le vide autour de moi.

Personne dans la pièce, juste moi et mes plaies. Je me relevais, toujours très diminué, pour inspecter les lieux : Rien, des murs blancs et que peu de meubles. Une pièce unique, peu de matériel pour faire à manger… Ce n’était pas destiné à être habité, ni mobilisé pour le secours d’un blessé. Si j’avais eu une ligne de pêche, cela aurait été le lieu idéal. Qui avait parlé alors ? Sans plus y penser, ma tête étant plus proche d’une cocotte-minute que d’un vrai nid à réflexion, je dissipai cette interrogation au profit d’un besoin simple : De la chaleur, il fallait rallumer le feu. Me traînant, non sans mal, vers la cheminée, je mis la dose de bois dans l’âtre pour allumer le tout d’une étincelle. Les braises encore chaudes faisaient le reste du travail.

Soufflant de fatigue, je me désapai pour enfin intervenir sur les trous dans le corps qui me faisaient tant souffrir. Ce n’était pas beau à voir… Des tissus autour des plaies commençaient déjà à former du liquide jaunâtre, telle du pu. Je soufflai légèrement en voyant ça, ce n’était pas beau à voir, mais on pouvait encore intervenir. Ce que je voyais, c’était le résultat des crocs de l’ours… Il était normal que la salive et une hygiène dentaire animale puissent amener à un tel résultat, prenant mon courage à deux mains je récupérai mon katana pour cautériser tout ça.

Refermer les plaies et brûler les bactéries ne pouvaient que régler mes soucis, non ?

Pour le torse, je voyais assez clairement les endroits où intervenir. Les dents contractées par une bûche que j’avais taillée pour m’empêcher de me blesser à une échelle buccale, j’entrepris de me brûler moi-même avec un flux de chakra katon. Au bout de quelques minutes à crier contre la cale et haleter de douleur, je dus me mettre en chasse de mes bobos du dos…

Une occasion de me contorsionner en essayant de cautériser le plus possible les peaux brûlées et pas celles saines et intactes. Échec sur ma clavicule gauche qui pouvait accuser dorénavant de comporter de longues traces de brûlures…

“Putain.”

Prenant un temps pour récupérer un rythme cardiaque simple, je restai assis dans la pièce : Les yeux dans le vide après la séquence de médecine douce. Autour de la maison de pêcheur, la nature se révélait bruyante : Des “cui-cui”, de petits cris d’animaux et le tintamarre du vent contre les vitres. Le fond était agréable, en vérité, sauf que j’avais du mal à me concentrer sur ces bruits… La tête me tournait, résultat de la douleur et de l’infection qui me tapaient les sens. Il y avait toujours, dans mes tympans, la pulsation de mon cœur qui me rappelait que j’étais vivant.

Je ne me sentais pas très bien, en fait. D’un pas incertain, je décidais de me lever pour chercher l’air pur et une réponse organique, celle du froid sur ma peau. Resserrant les pans de mon kimono sur mon corps, un peu craintif du contact du tissu sur mes blessures, j’agrippai mon katana pour franchir la porte qui me séparait du monde connu. Dehors, les flocons m’accueillirent par une gifle glacée. Le sol était tapissé d’un tapis blanc avec la trace de quelques pas de renards et autres nuisibles : Pas de trous venant des bottes d’un homme. J’allais être le premier humanoïde à fouler ainsi le molletonneux glaçage, les traces de mon passage tantôt avaient déjà étaient recouvertes.

La neige faisait bien son office.

Sans plus de prévention, je sortis du champ sécurisé de la terrasse pour percer la surface blanche : Jusqu'à la cheville, j’étais enfoui, mais je fis l’effort quasiment surhumain au vu de ma situation de lever les genoux pour marcher jusqu'à l'étendue bleu clair face à moi. Quelques minutes, malgré la faible distance, furent nécessaires pour que j’atteigne les berges du lac : L’eau était calme, malgré le vent qui tapait affreusement sur mes tempes. Serrant plus fortement les manches, pour trouver un peu de chaleur, je me rappelai amèrement que les vêtements ne se régénéraient pas pendant le sommeil… Des trous, toujours, dans mon dos.

J’avais froid, mais uniquement celui inconfortable qui faisait grincer des dents, pas celui qui tuait… Un progrès, j’allais mieux. Je n’étais plus vulnérable.

Sur la plage de galets nus, je réussis à me mettre accroupis pour toucher l’eau : Glacée, c’était peu étonnant. Malgré tout, il fallait faire un brin de toilette… Le sang sur mon visage n’allait pas disparaître seul. Esquissant un geste pour me placer au-dessus de la surface, histoire de mieux voir ma tronche, je fus surpris de rencontrer celui d’une vieille connaissance.

Même un peu choqué.

- Alors Yukio, on ne se laisse pas mourir ? Akira Musashi, samouraï voyageur, s’extirpa de l’eau pour se poser devant moi. Les pieds au-dessus de l’étendue, comme s’il marchait dessus, mais je ne concevais pas de semelle de chakra… Eh oh. Il claqua des doigts. Arrête de regarder mes pieds et plutôt mon visage.

Le type avait les cheveux longs, la barbe quasiment naissante même si fourni. Un air un peu baroudeur, qui allait avec son attitude détendue. Je savais que derrière ça se cachait un monstre du combat : Il m’avait paralysé de son aura glaçante. Qu’est-ce qu’il faisait là ? Comment il sortait de l’eau ?

- Ah oui, tu piges vraiment rien. Il ricana tristement. Regarde-toi, tu ne vas vraiment pas bien… Il désigna la surface miroir du lac avant de se raviser. Il vaut peut-être pas. Écoute ! Tu dois te remettre, mais passer tes journées dans la bicoque en espérant guérir ne va rien arranger : Tu es en train de mourir, il faut manger, boire et surtout que tu restes actif.

Je le regardais, un peu hagard. Les yeux plissés, je décrivais dans ma tête comment il avait vieilli depuis notre dernière rencontre : Il avait l’air plus humain. Chez les Akayuki, il conservait l’air amusé de l’homme, mais la stature de la légende qui imposait pas mal… Ici, accroupis, il perdait en posture digne. Pour autant, l’homme espiègle restait là, prêt à jouer.

- Tu m’écoutes ? J’aurai pas dû taper aussi fort la dernière fois… Tu es devenu idiot. Une provocation pour me faire réagir ? Soudain, un moment de faiblesse et je basculai en avant pour atterrir la tronche dans l’eau.

Heureusement, il se décala à une vitesse ahurissante pour me laisser la place de chuter dans l’eau glacée… Il ne voulait pas m’aider ? Ma rencontre avec le froid humide fut violente, mes mains foncèrent pour rencontrer le fond, peu éloigné de la surface, mais les pierres m'entaillèrent un peu la main alors que j’évacuai mon visage du liquide.

- Quand je te disais de boire, ce n’était pas aussi vite… Aucun rire, malgré la blague. Moi, j’exultais devant cette preuve de faiblesse. Un sabreur qui n’arrivait pas à rester stable.

“Il y a peu, je coupais un rocher et maintenant je ne tiens même plus sur mes jambes… ”

- Tu vas te refaire. Une promesse plus qu’une vague phrase de réconfort. Relève-toi, tu as du travail.

Je ne me relevais pas, stationné les genoux dans l’eau, ma tête se mit à tourner et déjà je voyais la surface se rapprocher. Je chutai, avant que mon visage ne parte dans la vase, j’avais déjà sombré…

Je me réveillais près du feu. Sans la chaleur, je serais mort. Honnêtement. Contrairement au feu qui brillait dans l’âtre, ce n’était pas possible de me ramener une fois éteint… Un peu perdu, je tentais de me relever, mais la tête me tourna et je fus totalement incapable d’agir sur mon corps sans me rendre malade. La fièvre me bouffait alors que tout était trouble autour de moi.

Tout était lourd, tout était dur… Comment j’avais atterri là ? La main, cherchant une quelconque prise, je perçus du coin de l'œil ma lame posée contre le mur de l’entrée. Musashi m’avait sauvé ? Dans l’âtre, les braises dégageaient un peu de chaleur pour l’instant, mais il se mourrait docilement au service de ma propre carcasse.

Mon épiderme sauvé, j’avais quand même un souci majeur : j'avais faim. je me permettais de bouger la nuque, au prix d’une douleur immense dans mon front. Rapidement, je fermais les yeux pour éviter d’attraper le tournis avec ma vision qui rétrécissait et revenait à la normale au rythme des pulsations de ma caboche.

La maison de pêcheur était vide, mais contenait des espaces de rangement… Il y avait un espoir pour que subsistent des vivres : Du pain, même un truc merdique. Il me fallait une ressource pour mon corps et je n’étais clairement pas en état de chasser ou de marcher vers le village le plus proche.

Par un effort surhumain, j’arrivai à me retourner. Soulagé, mais contracté par la douleur, je restais un moment le visage contre le sol à chercher de nouvelles ressources pour me tirer vers le petit placard dans le fond de la pièce. Mon bras droit se tira en avant alors que mon corps se soulevait péniblement. Me propulsant vers l’avant, je réduisais de quelques centimètres la distance… Mais elle me paraissait infinie au vu de ma situation. La tête dans un étau, le temps prit aussi une échelle bien trop longue. Une fois, j’étais loin, une autre fois, j’étais prés.

Tout me semblait complètement déconnecté de la réalité.  

“Un genjutsu ?” je voulus lever le bras dans le mudra du kaï mais même cet effort m’était interdit. La nature même de l’individu Yukio était résumé à une boule de chair sur un parquet poussiéreux. Le ninjutsu m’était trop dur, je n’étais qu’un simple civil dans cette maison.

“Putain.”

Au bout d’un moment à me tirer dans de vagues périodes de clarté, je réussis à effleurer le bois, ce qui provoqua dans mon cerveau le rappel de l’objectif : Manger. Ni une, ni deux, je dégageai mon autre main qui était un peu ankylosé par le temps d’inactivité. L'envoyant en avant, je la faisais rejoindre sa sœur pour attraper les poignées du meuble et tirer pour découvrir le contenu… Le prix fut un grognement de rage autant que de douleur quand les muscles de mon dos furent mis à profit. Haletant, le nez posé contre le sol, je toussai un peu au vu du monticule de mouton de poussière dans le coin. Réduit à si peu de chose, je ne pus relever le visage qu’au bout de quelques minutes pour me découvrir une vision floue, la tête me lançant autant que j’avais chaud.

La chaleur du feu ? L'effort ? La fièvre ?

Je me concentrai intensément pour focaliser tout ça et perçu très vite un petit paquet de gâteau dans le fond… Un reliquat d’une soirée gourmande ? En tout cas, c’était la porte de mon salut. Fallait-il encore l’atteindre … Pour cela, il fallait me soulever de quelques centimètres pour atteindre l'étagère, pour ensuite m’avancer et attraper le précieux. Une manœuvre simple qui devenait rapidement complexe devant ma faiblesse plus que passagère…

L’opération fut la plus dure de ma vie.  

Les jours suivants furent des liens étroits de cause à effet : J’avais attaqué le paquet à mon réveil, sans doute le lendemain au vu de la lumière qui filtrait par la fenêtre… Le feu depuis longtemps éteint ne donnait plus aucune chaleur : J’avais froid, mais je n’avais plus faim. Le cercle vicieux. Prenant péniblement quelques forces par la nourriture, difficilement consommable même, j’entrepris le chemin inverse de la veille pour tenter de réactiver les braises.  De nouveau, la distance et le temps infini… Ces journées n’étaient que des trajets, entrecoupés de perte de conscience et de grande diversion dans mon esprit. J’avais mal, mais en parallèle, je me sentais déconnecté.

Le corps luttait, moi aussi je devais agir… Tristement, je dus me faire dessus et l’odeur rejoignit celle de mon cœur qui serpentait dans la poussière et l’accumulation de crasse. Je n’étais sans doute pas beau à voir, mais qui pouvait me voir ? Moi-même, j’avais perdu le fil avec moi-même.

Bien vite, tout devint un kaléidoscope de lumière alors que par des gestes automatiques, je réveillais la cheminée et dégustais les gâteaux, quand j’y pensais. J’avais sans doute trainé dans cet état second une semaine, mais comment savoir ?

Un beau jour, Akira Musashi se repointa. La démarche détendue, il m’avait surpris en ouvrant grand la porte… Le flash de lumière me conduisit à fermer les yeux et péniblement subir les assauts de mon cerveau. Le samouraï s’approcha de moi d’un air neutre pour m’énoncer quelques observations :

- Tu vas bien mieux, c’est évident, mais même si physiquement tu remontes. Il y a certaines choses qui restent au point mort. “Je remonte ? Connard… ” Le fait que tu réagisses ainsi montre bien que tu vas mieux ! Il se tapota la tempe, je ne compris pas bien son raisonnement pour autant. Devant mon interrogation vaseuse, il retira son index pour décrire à l’oral : Ta tête, ton problème, ce n’est pas la fièvre ou la faiblesse physique, mais bien la caboche.

“La caboche.”

il m’attrapa le bras pour me tirer hors de l’abri : j’étais tiré de façon étrange par cette poigne solide et pourtant si peu brutale. Traîné sur le sol, laissant un tracé méritant peu de détails. Je débouchais par sa dynamique sur la terrasse, puis la neige… Le froid m’assaillit, me faisant mal tout en me réveillant relativement. Les pores de ma peau troublés par la chaleur et la neutralité du cadre se réactivaient pour me donner un message simple : J’avais froid, j’étais vivant. Sur ce fait, il me lâcha tout en me lançant mon katana qu’il avait récupéré prés du mur. Je devais le suivre par mes propres moyens maintenant. Engageant mes ressources, je me mis à genoux, une expérience déjà dure, pour tenter d’arriver à une position stationnaire debout…

La tête en ébullition, je me rappelais certaines impressions et sensations, mais surtout j’avais un objectif : Suivre, survivre… Vivre. Chancelant, je réussis à atteindre un statut stable accroupi, mais actionner mes muscles pour lever mon poids me conduisit le cul dans la neige. C’était froid, mais une partie de mon cerveau m’envoya le simple message : La neige allait nettoyer. Un peu honteux, je cherchai à reproduire le prodige qui m’avait conduit accroupis. Quelques longues minutes furent nécessaires pour revenir à ce stade, mais arrivé là je fus déterminé à reprendre la main sur mon corps fiévreux et faible.

Je réussis à me mettre debout, tout tournait autour de moi et surtout ma tête, mais j’étais debout ! Ramassant lentement la lame qui restait dans la neige, je pus me mouvoir.

Musashi m’attendait, les pieds sur l’eau sans la moindre énergie le tenant.

- Comment tu fai… Il ne me laissa pas finir, continuant sa route. Je devais commencer à le suivre par la technique de “marcher sur l’eau.”

Cette base, apprise tard néanmoins, me semblait irréalisable dans mon état. Il le perçut, sans doute, car il se tourna pour me faire un signe de la main, m’invitant à le suivre… Respirant pour calmer mes douleurs et mes vertiges, j’essayais déjà d’esquisser un pas sur le sol dur avant de me risquer sur la surface du lac. Avec une infinie précaution, j’avançai un pied et faillit presque immédiatement perdre l’équilibre. Me reprenant, je fus bien moins gourmand en faisant uniquement un petit pas.

Confiant, j’augmentai la circonférence des pas et réussit à atteindre une démarche classique dans une fréquence lente… La neige n’aidait pas, mais je progressais vers les berges de l’étendue pour arriver à un niveau défi : L’eau et le ninpo.

L’époque où je concentrai mon chakra n’était pas bien loin, mais la faiblesse rendait mon énergie physique instable… Le chakra changeait de ratio, tout était différent. Je devais me risquer à me baisser pour tester la semelle de chakra sur ma paume ? Peu motivé, aillant peur de tomber à la renverse, je me risquai à balancer la sauce dans mon pied gauche. Mon pied, maladroit, saisit le liquide sans s’enfoncer dedans. Le second le suivit, un peu plus rapide, pour arriver à une position debout, stable… Sur le lac.

Maladroitement et lentement, je le suivis à la source du lac, une petite cascade qui serpentait sur des roches en hauteur avant de se jeter dans l’aire glacée en faisant frissonner la surface. Le bruit, proche du phénomène, encadrait la scène d’une note grave et continue qui me prit bien la tête. J’avais déjà du mal à me concentrer, cela n’arrangeait rien.

Là, sans un mot, il attendit calmement que je prenne place à ses côtés pour examiner le point : Rien de particulier, à part le courant qui me semblait fort. Un homme adulte pouvait sans doute se retrouver écraser par le flux descendant des rochers jusque dans le lac… Observant un temps, l’agacement pris le pas sur l’émerveillement devant la nature.

- Qu’est-ce que tu veux qu’on… De sa main ferme, il me poussa dans le dos pour que je sois déstabilisé et emporté en avant, vers la cascade.

Un mélange de sensation me saisit : La faiblesse, le désespoir… Le froid… La colère, la haine, la tristesse, l’amertume et la résignation. J’étais sous la cascade, le flux n’emportait finalement pas un homme adulte, mais les trombes qui me tombaient sur la nuque n’était pas forcément des plus délicats. Cette force nouvelle qui me tirait vers le bas forçait mes jambes diminuées à pousser pour engendrer une dynamique contraire : Je luttais contre le courant, autant que contre la fraicheur qui coulait le long de ma nuque et de mon torse.

Ma tête, fiévreuse, menaçait d’exploser et c’est ce qui rendait le tout bien plus compliqué… Le choc thermique propulsait la chaleur corporelle à un niveau bien plus élevé. Ce n’était pas un bain, mais la chute brutale de température autour de moi et sur moi me provoqua des frissonnements qui étaient loin d’être agréables.

- Si tu ne veux pas souffrir du courant, coupe-le ! “Hein ?” Me retournant, je vis le samouraï me dévisager d’un air trop sérieux pour faire partie d’une moquerie conceptuelle.

Il me provoquait vraiment.

- Couper la cascade, et puis quoi encore ? Je me relevais pour sortir du chemin de l’eau.
- Tu as coupé un rocher, mais l’eau te résiste encore. Pourquoi ne pas la couper ?
- Parce que… C’est pas possible !
- Pour toi. C’est possible et au fond, tu le sais aussi. Une phrase bien énigmatique, pour autant je restai coi devant sa réthorique assez simple, mais qui rappelai mes brefs sentiments d’il y a une semaine.

L’eau m’avait résisté, mais je tenais un truc. Enfin, j’avais tenu un truc… Aujourd’hui, j’étais faible et sans doute que cet état de transe était bien loin. “C’est bizarre de parler d’il y a une semaine comme si c’était l’antiquité… ”

Etais-ce vraiment une semaine ? Ou plus ?

Mon corps ne m’avait envoyé que des stimuli de douleurs, je ne parvenais plus correctement à évaluer le temps par la faim ou le sommeil… J’étais un navire roulant sur le temps, sans voile et…

- Si tu sais méditer, observer et connaître. Sans jamais devenir sceptique ou destructeur. Rêver, mais sans laisser ton rêve être ton maître. Penser sans n’être qu’un penseur. Alors, ta lame trouvera toujours la voie…
- Tu me pousses dans la flotte pour me délivrer des conneries ET de la philosophie ? Il subit ma pique sans moucheter un poil, me regardant comme on regarde un paysage au loin. Transcendant même mon existence. J’arrive à peine à tenir mon sabre et tu veux que je fasse un truc impensable ?  

Sans un mot, il tira sa propre lame pour donner un coup simple… Le flux de l’eau s’arrêta une grosse seconde, laissant l’air passer entre deux concentrations aquatiques, avant de laisser la physique reprendre sa place dans la réalité… Une action irréelle, je peinais à croire mes yeux embués par la douleur.

- Tu dois penser, ressentir, puis agir… Tu ne vises pas à détruire l’eau, comme le rocher, mais à le comprendre et à interagir avec lui. Stopper l’eau est bien assez, on ne dompte pas facilement la nature.

Il poussait le curseur à un niveau acceptable pour lui, mais surréaliste pour moi : On discutait vraiment de juste arrêter le courant un instant… Comme si c’était une banalité. Par réflexe, je passais la main dans le flux tendu aqueux pour éprouver le retour à la normale de la cascade : Le contact mouillé, froid, la pression sur mon bras pour qu’il se baisse sous le mouvement de l’eau tombant.

Rien de spécial, hormis les minutes précédentes où un homme l’avait coupé.  

- Je te laisse quelques jours pour arriver à ce résultat. Sans attendre, il se retourna pour partir… Il allait et venait dans ma vie comme si de rien n’était.

Moi, je me sentais un peu con, au bord de l’eau avec les jambes un peu chancelantes. Sans plus attendre, je me mis en action…

Sphinx. Yukio 021

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Nozomo Yukio
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Le voyage de Yukio.


Rouleau III : Le vide.



- Je te laisse quelques jours, nia nia nia. Rageusement, j’essayais de brandir mon sabre en coupant l’eau, mais cela ne menait à rien : Ma posture était faible, mes muscles étaient tendus comme ce n’était pas permis pour juste porter la lame et mon esprit était complétement ailleurs, sans doute à compenser la douleur qui me vrombissait la tête.

Cela faisait bien une demi-heure que je m’efforçais de faire quelque chose, sans pour autant y mettre du mien vraiment… Bien entendu, c’était voué à l’échec. Baissant le bras, râlant dans ma barbe, je fus bien forcé de faire un choix : Me plier à l’ordre de Musashi, déguisé en…

“Je suis pas forcé en fait.”

Pour autant, je ne voulais pas vraiment retourner dans la cabane de pêcheur : Sortir m’avait aidé, déjà à me mettre de bout, posture que je n’avais pas eu depuis une semaine. Le samouraï m’avait donné un but, un peu conceptuel certes, mais j’avais un objectif.

Les quelques minutes à agiter le bout de métal coupant m’avait déjà rendu quelques sensations : L’effort, le combat, peut-être même le calme… Le bruit encadrant ma réflexion me poussait néanmoins à revoir cette dernière affirmation. La douleur aussi, qui me palpait la tête.

“Si tu peux rencontrer Triomphe après Défaite
Et recevoir ces deux menteurs d’un même front,
Si tu peux conserver ton courage et ta tête
Quand tous les autres les perdront.”


Lentement, je me répétais le poème dont avait fait écho Akira Musashi. Les valeurs d’un homme, affirmant un stoïcisme bien particulier… Affronter la fièvre, les pieds et les mains dans l’eau glacée, cela remettait en question bien des choses. Que le bonhomme connaisse mes actions avec le rocher et le poème assez peu connu dans le monde shinobi déclinait bien des choses : Il me surveillait ? Il me connait bien ? Trop de questions… Lentement, je me reconcentrai sur la tâche à entreprendre.

Couper l’eau.

Bien malgré moi, je me mis à penser comme un roublard : “Couper l’eau, c’est peut-être aidé par l’évaporation ?” Sur ces mots, je portai la main sur le métal composant la lame de mon katana pour le faire chauffer par l’intermédiaire du chakra katon. Rendre mon sabre rouge de chaleur pouvait entrainer des perturbations dans l’eau glacée composant la cascade, peut-être autant que l’effet flou  qui émanait de mon arme, faisant réchauffer l’humidité ambiante.

Suite à ça, je donnai un grand coup horizontal dans le flux, ce qui n’eut comme effet que de provoquer un peu de vapeur d’eau… Dans un crissement désagréable. À part ça, rien, l’eau passait rageusement sur le métal chaud comme s’il voulait calmer l’ébullition. Au bout d’un moment, le chakra Katon rendit l’âme devant la fraicheur du nord… Même l’énergie mystique manquait de tonus.

Soufflant amèrement mon nouvel échec, je dus me mettre sous l’évidence que quelques tours physiques ou chimiques n’allaient pas m’aider sur le coup : “Tout vient de la caboche.” Comme pour le rocher, je devais me mettre dans un état particulier pour avancer… La tête devait servir le corps, comme l’inverse. Pour le coup, le corps n’était pas en super état et il valait peut-être mieux compter sur l’esprit.

Musashi avait donné un coup unique, horizontale, sans fioriture qui avait stoppé quelques secondes le courant… Je devais faire pareil. “Il avait dit quoi d’autres ?”

Il fallait comprendre l’eau.

Comme j’avais compris le rocher, par un coup en éclaireur pour trouver les faiblesses, j’eus l’idée de laisser paresseusement ma lame dans le flux en tenant mes sens en éveil… Mais à part une pression sur mon bras, rien. Il fallait que je donne du mien, en retournant dans la flotte moi-même ! Amenant la garde de mon katana dans mon autre main, je mis ma paume droite dans le flux tendu pour ressentir de nouveau le contact froid du liquide qui glissait sur ma peau… C’était presque rafraichissant, si on oubliait l’air glacé qui sifflait fort sur le mouillé.

L’eau n’avait pas de faiblesse, ou si elle en avait, le courant et le caractère fluctuant le cachait bien… On ne pouvait pas détruire l’eau, on ne pouvait que le comprendre et tenter de l’arrêter un court instant. Il l’avait dit.  

“Trouver ma place.”

Il y avait des choses que je ne pouvais pas arrêter, je le savais bien : La mort, la souffrance, la politique… Des choses trop grandes, trop complexes. À mon échelle, je ne pouvais qu’agir sur le physique et un peu sur le spirituel. Je devais laisser couler.

Ma main, habituée à la fraicheur de l’eau, arrêta de me lancer pour que je la baisse. Le muscle posté maintenant dans une habitude, je laissais mon esprit vagabonder dans les affres de la vie : Ne faire qu’un avec la nature. Au final, on servait un grand but… Un grand tout, non ? “Peut-être pas.” On cherchait constamment à agir sur le réel, à le plier à sa volonté d’une façon ou d’une autre : La force, l’intelligence… Le fait que le ninjutsu, art infini, amenait toujours de nouvelles techniques servant des buts guerriers, montrait qu’on se servait de tout pour notre but. Le chakra, c’était envoyer soi-même dans la grande bataille.

Le kenjutsu, n’était pas en reste, même si j’étais à l’autre bout du katana, je devais faire mien ce bout de métal qui donnait la mort… Ici, je devais accepter que l’interaction devait être tout sauf violente. J’avais détruit la pierre, je ne pouvais détruire l’eau.

Pourquoi ? L’eau faisait fi de tout ça, elle se laissait couper sans opposer de résistance, tout ça pour avaler la lame dans le liquide. En acceptant la blessure, l’eau ne pouvait pas être vaincue… Il fallait monter le curseur, alors.

“Alors quoi ? Devenir l’eau ?” Pas forcément, mettant ma paume dans une position verticale, je laissais le courant vagabonder sur elle, comme divisée en deux pour que les branches aqueuses se rejoignent après coup. Fermant les yeux, je laissais mes sens vagabonder à travers ce membre dressait dans le flux.

Je ne sentais rien, absolument rien. Le froid et la fièvre rendaient mes sens de sabreur aveugle… Ou alors j’étais trop faible, ou alors je me pensais capable de sentir quelque chose qui n’existait pas.

- Putain. Ma main quitta le courant pour se jeter dedans sous la forme d’un coup de poing. Encore une fois, l’eau laissa glisser pour continuer son chemin, insensible à mes élans guerriers.

“C’est pas comme ça que je vais réussir.”

Haletant de la colère soudaine, mais aussi de fatigue, il fallait que je me calme… Je n’allais arriver à rien dans cet état second, mais pas le bon ! Comme un réflexe, je m’avançai pour mettre ma tête sous l’eau, malgré la douleur de l’interaction entre la fièvre et le froid, il fallait se rendre à l’évidence que cela calmait mes nerfs… Ma température baissait et même si ça faisait mal, je sentais une pointe de bien perler derrière les émulsions. Soufflant, arrachant au courant quelques gouttes sous l’action de l’air, je me remettais dans un état calme.

- Comprendre l’eau, Yukio. Comprendre l’eau et agir… Sortant la tête de l’eau, littéralement, je repris mes essais, mais cette fois avec ma main disposée comme une lame. Les doigts droits et le pouce collé au reste.

Si la liaison avec l’acier ne m’apportait rien, il fallait commencer avec mon corps même pour ne faire qu’un avec l’élément que je cherchai à couper… Des mouvements lents, de droite à gauche, puis revenant sur mes pas, de gauche à droite. Cette routine me prit la journée, avec des pauses puisque la fièvre me tenaillait toujours… Certaines choses de délivraient pas leur secret sur l’instant.

Rentrant bredouille, je piochai dans le paquet de gâteau en me promettant de revenir le lendemain : Je tenais un truc, je le savais. De toute façon, ce n’était pas en essayant de couper sans réflexion l’eau que j’allais arriver à quelque chose…

Comprendre, ressentir, agir.

Cette nuit-là, je repris un peu goût à la vie : La fièvre me faisait toujours autant souffrir, mais ma concentration et mon nouvel objectif me permettaient de passer outre. Il me fallait un but… Comme un animal laissait à l’abandon, je mettais laissé mourir sur le plancher de cette maison. Le défi de Musashi était une pause dans le temps, une coupure dans ma souffrance comme il avait scindé la cascade en deux.

“Et si je commençai déjà à faire le vide en moi ?”

Le samouraï m’avait bien dit la chose : Mon problème, c’était la caboche. J’avais le défaut de trop réfléchir, pour autant je n’étais pas vraiment malin. Je ressassais, encore et encore, les mêmes blessures comme un lion léché ses plaies… Elles étaient infectées, depuis le temps.

Le temps n'avait pas fait de moi un meilleur homme, au contraire. Mon adolescence avait été un peu froide, voire carrément glaciale. Je correspondais, à cette époque, à l'image rêvée du ninja : Neutre, opérationnel... Malheureusement, le masque était dur à tenir pour un si jeune homme et j'avais bien malgré moi compris que je n'étais pas si distant que ça de la vie.

Restait l'insouciance, laisser les grandes choses et les horreurs à Hayato qui gérait bien mieux cet aspect-là… Non, personne n’y croyait. Je m’étais retiré de la piste aux étoiles, presque serein si on omettait les cauchemars et les regrets. Je n’étais pas un bon ninja, j’arrivai à peine à sauver ma peau alors celle de mes subordonnées…

“C’est comme ça.”

Les autres disaient ça, moi je n’arrivais pas à associer la mort de mes chuunins et cette vie sombre à un quotidien, quelque chose à mettre sur le côté en se disant : C’est le travail, ça arrive. Je m’étais retiré quand j’avais compris que je ne pouvais pas poursuivre ce rythme : Il fallait un peu de positif, tel que sauver une albinos de l’esclavage ou aider quelques genins dans l’enceinte du village. Le reste ? Désespéré.

Au fond, je voulais couper cette foutue cascade… Je le devais. Une affaire de survie plus que d’ego ? Oui, sans doute. Quelques heures de vrai sommeil me fut offert, demain j’avais prévu de retrouver le chemin de l’entrainement et de la santé… Peut-être même me laver et nettoyer l’endroit où j’avais passé une semaine sans discontinuer. Le matin suivant, je me levais aux aurores pour faire mon office…

Le corps en mouvement pour nettoyer la pièce, mon esprit était occupé à revoir le coup de Musashi : Un esprit clair, fiévreux, mais reposé qui analysait dans une pure technicité l’attaque. Le balai posé au sol, je réfléchissais à la posture du bras et du poignet de l’homme qui avait divisé l’eau en deux. Mon souvenir, marqué par le flou et la maladie, était bien trop fragmenté pour vraiment le mobiliser techniquement, mais je ressentais encore parfaitement la puissance émanant du coup, et son calme.

Surtout le calme.

Sans prévenir, je me mis en garde avec mon outil de nettoyage. Opérant des coups latéraux avec le manche, je cherchai à reproduire cette aura avec le coup… Car c’était ça, le coup transposait une aura devant lui.  

“Une aura ou du chakra ?”

L’idée que Musashi maitrise le chakra était étrange, je ne le voyais pas opérer de mudra ou avoir entrainé cette énergie mystique. Pour autant, sa capacité qui m’avait paralysé durant notre combat témoignait d’une maitrise qui s’apparentait au ninjutsu, ou un talent naturel… Moi, je ne pouvais me représenter être un monstre naturellement au katana et au chakra. “Comme quoi, tout le monde n’est pas égal.” J’étais né nomade et j’avais monté par la seule force de mes efforts…

Fallait-il faire un effort ici ? Ressentir, il fallait ressentir. Lâchant l’outil de ménage, je sortais pour aller à la cascade… N’allez pas croire que c’était simple, mes pas mal avisés étaient pus rapide que la veille, mais toujours aussi raide… La neige, vicieuse, n’attendait qu’un moment de faiblesse pour accueillir mes fesses ou mon torse, voir mon nez droit dans la poudreuse. L’organisme considérablement diminué, je pouvais quand même voir une amélioration même si je n’étais clairement pas sortie d’affaire.

Arrivé au lieu de l’entrainement, je pus commencer à ressentir l’eau, à la manière de la journée d’avant je plaçai mon bras dans le flux tendu, mais bien vite je préférais plonger ma tête dedans carrément : Oui ça faisait mal, mais ça donnait le tempo de la journée. J’avais décidé, dans un élan un peu stupide, de me punir moi-même à chaque échec en me plaçant sous l’eau tombante. Pensant, un peu naïvement, que faire corps avec l’élément, c’était le subir pour l’accepter plus vite…

Un long moment, j’attendis en haletant d’avoir une illumination, mais tout ce qui arriva, c’était que j’étais trempé et que j’avais froid. Des soucis physiques, mais où était le mental ? La friction mentale pour “comprendre” l’eau comme j’avais compris le rocher ne vint pas… Quelques frissons me laissèrent entendre que je m’approchai, mais en fait pas du tout. Sortant du courant, je réfléchis à la suite : L’aura, dans le coup. Pensant d’abord à la combinaison de la force et de la vitesse, je me mis sans vergogne à frapper calmement, mais férocement l’eau de ma main disposée en lame. Je n’avais pas oublié de ressentir.

Pour autant, au bout d’une heure d’effort, je ne parvins à rien…

Respirant un grand coup, mettant ma colère de côté, je me plongeai dans l’eau pour calmer mon esprit comme me reconnecter à l’élément que je voulais séparer. Disposant mon chakra uniformément sur mes jambes et mes fesses, je pus me mettre en position de méditation sous le flux… Ce n’était pas agréable, mais le vide dans ma tête n’allait pas se faire seul.

Pour vaincre l’eau quelques instants, je devais vaincre ma caboche. Je le sentais, Akira Musashi aussi.

Technique 1/3:

Sphinx. Yukio 021

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Le voyage de Yukio.


Rouleau III : Le vide.



Deux jours passèrent ainsi, le front chaud comme jamais en réponse à ma température corporelle trop basse. Je cherchais l’illumination spirituelle en affaiblissant inconsciemment mon corps.

Persuadé que faire le lien avec l’eau venait d’abord d’un travail sur moi-même, je cherchais à abattre les barrages qu’il y avait en moi… Mais, lesquels ? Fermant les yeux, la tête me lançait horriblement et représentait une difficulté supplémentaire dont j’aurai pu me passer… Dans d’autres circonstances, j’aurai atteint plus rapidement cet état second pour faire corps avec mon environnement et ma lame, mais sans doute qu’il fallait que je passe par l’intense maladie qui me prenait ainsi.

“Au final, ça tient à rien… ”

Souriant, un peu de douleur ou un peu d’amusement, je fermais les yeux. La fièvre et l’état vaseux qui m’avait accompagné durant les quelques jours de mon séjour m’avaient permis une chose : Atteindre plus facilement mon “moi” interne.  Je me retrouvais dans un champ, enflammé, alors que j’avais froid… Privilège du corps sous une cascade, sans doute. C’était quoi ? Du blé ? De l’orge ? J’avais eu l’occasion d’en croiser durant mon voyage, mais c’était dur à croire que j’avais été marqué par ces grandes parcelles agricoles.

Derrière moi, des voix. Me retournant, je pus constater la taille considérable du champ, à perte de vue, mais également la présence de deux ombres, proche de moi, mais également une autre, éloignée… Je ne pouvais me tromper, c’était mes fantômes. Des heures durant je m’étais plongé dans cette dimension, un peu plus remplis que le voile blanc qui m’enveloppait dans mes pires moments.  Du blanc, un écran face à moi. Mon corps ne bougeait pas, dans ces moments. Ma bouche restait close. Une totale dissonance cognitive, je devenais prisonnier de mon corps alors que mon esprit perdait son pied dans le réel. Une partie de ma conscience, peut-être la pire, me faisais comprendre que ce n’était pas normal… Pas du tout. Je ne pouvais que me demander : "Qu’est ce qui m’arrive ?" Perdre la tête, c’était une chose, mais le savoir : Voir clairement dans la défaillance, c’était peut-être le plus horrible.

J’étais prisonnier de la vie, comme de mon corps… À plusieurs échelles. Mon désir de départ venait sans doute de là. Dans ce champ, théâtre mental par excellence, je ne pouvais toujours pas bouger, mais j’étais maitre, autant que victime. La chaleur que je ressentais devait sans doute expliquer le cadre incendiaire, pour le côté agricole je ne voyais pas trop… Longtemps, durant ces journées, j’avais vu ces ombres, mais à aucun moment elles ne m’avaient parlé. Alors, moi, je l’avais fait :

- Je dois faire quoi ? Vous couper ? Aucune réponse, pourtant je sentais leurs regards sur ma carcasse. Dites-moi, qu’est-ce que je dois faire ?

Je parlais à ces entités comme si elles étaient conscientes, indépendantes de moi, pour autant j’étais dans ma propre tête. Des années que je trainais ces blessures, mais il fallait croire que je devais me retrouver sous une cascade pour faire face… Les murmures étaient incompréhensibles, le but n’était pas que je comprenne, mais que je sente la présence de mes fantômes. De longues années à sentir le poids de la mort de Ishi, de long mois à souffrir de l’amertume de la responsabilité dans la mort de mes chuunins… Une orientation considérable de ma vie, de mes choix. Depuis, j’avais refusé de reprendre une équipe à moi seul. Depuis, je fermais plus ma gueule…

“Plus je vieillis, plus je ferme ma gueule.”

Pourtant, la souffrance restait. Il était peut-être temps de rompre le cercle vicieux. Je demandais quoi faire, mais je savais qu’il fallait que je fasse un choix… Regardant attentivement ces ombres, mes ombres, je vis bien évidemment se dessiner les traits de mes proches, mais inconsciemment je savais que ce n’était pas réellement ça le problème.

- Dé… Désolé. Des excuses, c’était vraiment tout ce que je pouvais donner ? Je crois bien que c’est trop tard. Souriant tristement, je visualisais bien mieux la réalité de la chose. Je pensais que vous garder dans ma tête était un juste retour pour ce que je vous ai fait, mais au final je ne fais que me pourrir la vie… Enfin, j’imagine que la punition est pire que le crime. Je n’arrive pas à passer à autre chose, vous êtes toujours dans un coin de mon esprit : En mission, même durant mes jours de repos. Si j’avais été un meilleur chef, un meilleur camarade… Parfois, je me dis qu’il valait mieux que ce soit moi qui…

“Qui quoi, Yukio ? Meurs ?”

Les mains tremblantes, je sentais de plus en plus l’eau qui coulait sur ma nuque et le froid… Pourtant, le feu grandissait en dévorant les plantes. Un paysage qui me rappelait un peu étrangement la scène au cirque, où le feu sombre de Tetsu Akuma avait bouffé la plupart des tentes.

- Il avait nourri la vengeance, là où je nourris le regret. Je suis sans doute mon propre ennemi, je m’empêche d’avancer. J’essaye pourtant, mais je n’arrive pas… Tout me ramène à ça. Je ne me sens pas à ma place et je tente de plus en plus à correspondre à ce que je dois être, mais ce n’est pas moi.

Au fond du cadre de ma vision, l’ombre isolée prit la forme du jeune Yukio. Celui-ci, trop petit pour se battre, porté néanmoins un katana dans les bras… Comme un doudou. Je baissais la tête, je comprenais mieux. Je ne luttais pas que contre les fantômes de mes morts, mais contre l’ombre de mon passé. Tout était lié. “Il a fallu des années pour que cela m’explose au visage.”

- Alors, quoi ? Vous deux, vous n’êtes pas que Saisho et Banme ? Les silhouettes, devant moi, ne prirent aucunes formes tangibles, mais je reconnus bien la voix de Hayato qui me répondait.
- Arrête de te morfondre concernant ta mission dans les montagnes. Tu n’es pas responsable de la mort de tes hommes. Vous avez été pris au piège, la mission n’était pas réalisable en l’état. Ce n’est que le résultat logique d’une nouvelle erreur de jugement du Kaze. Je refusais encore et toujours de l’entendre, comme si je déportais la responsabilité sur un absent alors que j’étais sur les lieux. C’est la vie de ninja.
- Et si je ne veux plus l’être ? Silence gêné de toutes les présences dans ma conscience. C’est vrai ça ! J’ai passé ma vie forcée à me battre, à devenir un shinobi… J’ai les capacités, mais je ne sais pas jouer le mec froid. Pas sur la longueur, en tout cas. Pourtant, je le suis. Je le suis devenu avec les années, un ninja : Même en voulant ne plus l’être, c’est ce que je suis maintenant. Le ninjutsu, le kenjutsu… C’est une partie de moi. Ne plus être un shinobi, c’est ne plus être moi.

Triste réalité. J’étais bloqué dans une vie qui ne m’allait plus vraiment, mais c’était quand même ma vie. Soufflant un coup, j’attendais la réponse de quelqu’un, mais rien. Absolument rien. Soudain, une simple question vint me cueillir :

- Qu’est-ce que tu veux alors ? Personne ne m’avait demandé ça, sans doute que cela ne comptait pas vraiment ce que voulait l’outil. Même Musashi ne m’avait pas demandé mon avis quand il m’avait confié le défi de la cascade.
- Je veux changer les choses.
- Alors, coupe.

Ouvrant les yeux, face à la surface calme du lac, je savais ce que j’avais à faire. J’avais des outils, que je refusais de pleinement mobiliser pour mes objectifs… J’avais une vie, qui n’était pas la meilleure, ni la plus belle, mais qui m’avait donné des choses pour changer, améliorer, autant mon existence que celle des autres. Je pouvais couper cette foutue cascade, j’avais les outils et les capacités. Me relevant, presque péniblement à cause du temps passé dans une position donnée, j’empoignai mon katana pour atteindre une garde fixe, solide et stable.

“Les coups dans le vide n’ont rien donné, Musashi m’a donné plusieurs jours. Je n’ai pas besoin d’une grande technicité, des années de pratiques ne rendent pas capable de ce genre de prouesse…” Vidant mon esprit, déterminé à démontrer que je n’étais pas uniquement un outil, je plongeais la lame dans la cascade d’un estoc lent.

Le courant passa sur l’acier comme s’il n’était pas là, à peine une entaille dans le cours des choses, mais je m’en doutais. Par les pores de ma peau, j’envoyais une onde de chakra qui se propagea de ma main jusqu’à la pointe du katana. La pulsation de mon énergie fut visible le long de la lame, mais également autour du point de rencontre entre l’objet et l’élément. Sous mes yeux, je vis l’eau onduler sous l’action du physique et du spirituel combiné.

Soudain, la fièvre explosa dans mon front. L’action et la concentration rapide avaient ramené la friction dans mon corps. J’avais beau chercher à fouiller dans ma tête, il y avait des choses que seul le temps pouvait clore. M’agenouillant sous la douleur, je fus quand même capable d’apprécier le moment : Le chakra avait un effet, Musashi avait utilisé son propre art du kenjutsu mêlant l’acier et l’énergie pour sa manipulation.

Je pouvais faire pareil.

Quelques minutes furent nécessaires pour que je me relève, rengainant mon sabre, je me mis en position pour un coup du tranchant de la main, shutō-uchi. Un coup porté par le côté de la main opposé au pouce, de l'auriculaire au poignet. Dans les arts martiaux, ce coup était le plus souvent exécuté contre les muscles. Je n’étais pas un pro du taijutsu, mais je connaissais quelques coups théoriques. Pour autant l’utiliser contre un adversaire pouvait me faire très mal, car je n’avais pas assez bien renforcé mes muscles pour porter ces frappes. Certains maitres pouvaient briser des objets, moi je voulais juste reproduire une friction rappelant la coupe d’une lame. Sans attendre, je portais dans ma main une quantité de chakra relativement élevée pour ensuite opérer un coup latéral visant à faire réagir et l’énergie cinétique et l’énergie mystique avec l’eau tombante. Le premier essai fut un échec, mais je continuai malgré tout sachant que j’allais arriver au but… Au bout du cinquième essai, une distorsion se produisit sur la trajectoire de mon attaque. Une microseconde le rideau d’eau s’arrêta pour reprendre sa chute ensuite.

Je fis une pause, contemplant la paume de ma main puis la cascada insensible à mes élans victorieux. D’un grand sourire, je continuais pour améliorer, optimiser… Être capable d’arrêter plus longtemps cet élément. Des heures entières furent passées à cet exercice, mais je n’en démordais pas. Je compris enfin, au bout d’un moment, la finalité de l’affaire :

“Je dois devenir la lame avant de frapper avec une.”

Les Nozomo coupaient bien trop à cette règle : L’habitude gagnait sur la mesure de l’arme. Dés l’enfance, nous avions une arme et on nous disait de nous accommoder du poids et de la taille de l’arme. Le katana, trop lourd, renforçait nos bras. Sa taille, faisait qu’il fallait muscler nos abdominaux pour les frappes… L’arme nous taillait. Mais l’esprit ? J’avais entendu quelques conseils, pensé à certaines choses durant ma formation… Mais on restait autour des bases offensives. Au fond, ce n’était pas que ça. Garder un état ouvert et dirigé, libéré de toute tension, sans trop de relâchement. Éviter d’errer dans les limbes de la mémoire, maintenir cet esprit centré, calme et souple. Ici, je devais d’abord tailler mon esprit avant d’exercer le corps avec la lame en main.

Arrivé à un résultat convaincant, je voulais m’arrêter en voyant la nuit tomber, mais quelque chose me disait que j’étais sur la bonne dynamique… Couper ainsi ma progression avec les futilités de la vie n’allaient rien me faire gagner. Je voulais pousser toujours plus la technique, en utilisant cette fois mon katana qui attendait patiemment à ma ceinture !

Redevenant enfin un spadassin, face à l’élément que je voulais scinder en deux, je concentrai ce que j’avais appris dans mon geste : D’abord, faire passer correctement l’énergie dans ma lame. Pas juste un courant élémentaire, mais un empaquetage de la partie coupante. “Que le dos de la lame soit imbibé de chakra, c’est inutile, il faut que ce qui coupe soit plus fort.” Le katana était une arme faite pour couper, bien plus que ma main disposée en tranche. J’étais persuadé que l’effet allait être bien plus prononcé avec l’outil adapté. Une fois le chakra disposé sur le côté, prés à frapper, je me mis en garde pour faire appel à la technicité du combattant.

D’une frappe précise, j’atteins mon objectif de troubler une nouvelle fois le courant, mais je n’arrivais aucunement à arrêter l’eau. Je régressais par rapport aux exercices avec la main, mais c’était normal… Recommençant une bonne dizaine de fois, j’arrivai à la conclusion, dans la pénombre de la nuit, qu’il me manquait un truc. Mon katana était gorgé de chakra, pour autant je n’arrivai pas à un résultat probant. Je devais peut-être, enfin, sûrement, forger sculpter mon énergie. Augmentant la dose de chakra dans ma lame, je pris soin de former un revêtement coupant sur celle-ci en aiguisant cette partie. Une fois réalisé, je repris mes coups en remarquant que la coupure était plus nette, mais que l’arrêt du courant n’était plus réalisable.

Je compris alors le problème : Le chakra ne se diffusait plus, en voulant être précis, j’avais empêché l’énergie de se diffuser hors de l’arme et c’était cette diffusion dans l’élément atteint qui rendait le tout possible. L’aura de Musashi n’était que son chakra, invisible, envoyé dans l’eau. La légende était un peu démystifiée, pour autant j’avais encore du pain sur la planche.

Je devais rentre l’arme la plus aiguisée possible, tout en transmettant dans l’environnement une dose de chakra précise pour retenir mon passage dans l’élément. “Rien de plus facile.” C’était un travail de chirurgien, littéralement… Je ne m’en sentais pas capable.

“Je dois le faire.”

Alors je le fis.

La nuit passa alors que je m’efforçais de trouver le juste ratio entre précision et puissance, mes bras affaiblis par la maladie ne surent pas s’arrêter alors que mon esprit était en ébullition : Des coups, répétitifs. Je combattais, dans mon esprit, tout en conservant cet état de pure amélioration, permanent. Je retrouvais ce plaisir de voir mes progrès, sur du temps longs, très long… Trop long, sans doute.

J’avais passé presque trois jours sur la posture du porc-épic, pourtant ici je fatiguai au bout de quelques heures. Sans doute l’usage excessif de la technique pour marcher sur l’eau, qui retenait ma concentration et mon chakra sur deux endroits à la fois. Peut-être aussi que j’étais un peu mourant. L’aube pointant le bout de son nez, mes muscles me lançaient alors que, comme un signe, mon meilleur coup fut quand les rayons du soleil touchèrent la surface maintenant dorée de l’eau descendante. Le courant s’arrêta, comme dubitatif devant ma réussite, pour se remettre en marche…

J’avais égalé Musashi, je m’écroulais alors que, comme un réflexe, je postai mon chakra dans ma paume pour servir d’appui dans ma chute.

- J’ai réussi. J’avais outrepassé pas mal de poncif, j’étais épuisé. Haletant, je n’en croyais pas mes yeux. C’était le bon moment pour un retour du samouraï, malheureusement ce n’était que le soleil qui pointait le bout de son nez…

Persuadé que je méritai un peu de sommeil, je m’en allais dormir un coup. Mes jambes étaient en bien meilleur état que mes bras et les pas étaient assurés par ma détermination d’aller pioncer un coup dans la maisonnette nettoyé. Dans la surface striée de la cascade, je pus voir un quart de seconde une ombre… Je m’arrêtais pour mieux percevoir, mais elle s’enfuit. “J’ai vraiment besoin de sommeil.”

L’immersion dans mes propres ténèbres avait rapporté dans la réalité quelques fantômes ? Souriant à ce synopsis de fiction, je m’en allais dormir.

“Je ne vais pas faire du genjutsu sur moi-même.”

Technique 2/3:


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Le voyage de Yukio.


Rouleau III : Le vide.



Un bruit lourd me tira de mon sommeil, quelque chose se passait dehors. Sortis précipitamment du lit, j’arrachai mon katana de sa place pour aller me défendre : Le cabanon n’était pas une forteresse, j’étais beaucoup plus en sécurité en dehors concernant une quelconque attaque. Les mouvements brusques me causaient toujours une douleur à la tête, mais mes muscles étaient reposés. La pénombre laissa la place au soleil radieux de la fin de matinée : Quelques heures me séparaient de mon couché, mais j’allais déjà mieux.

Face à moi, le vide là où devait se trouver la surface placide du lac… Enfin, le vide s’apparentait plutôt à une atroce entaille géante, laissant à découvert les pierres nus sous l’eau. Le lac avait été séparé en deux, devant moi, m’offrant son dos. Un individu bien connu.

Musashi.

- “Stopper l’eau est bien assez, on ne dompte pas facilement la nature”. Hein ? C’est déjà pas mal, vu d’ici.
- Tu n’aurais pas compris… Et puis, il vaut mieux que tu apprennes progressivement, non ? Je soufflai amèrement. Il avait un peu raison, s’il m’avait présenté la chose ainsi j’aurai connu de l’excitation, mais également du désespoir… C’était sans doute d’un autre niveau, quand on n’avait pas pratiqué avant. Tu as la base, Yukio. Il ne reste qu’à l’appliquer sur une plus grande aire.

Comment savait-il mes progrès ? Encore une fois, je me sentais surveiller. J’étais fatigué de ces jeux, de ces ordres et de ce défi…

- Non, j’ai résolu le problème de la caboche. Je m’occuperai de votre technique plus tard.
- Vraiment ? Tu penses que ça se règle en deux coups de cuillère à pot ? Il paraissait s’amuser de ma naïveté, en se tournant vers moi il posa nonchalamment la pointe de son sabre dans la terre de la plage.
- Qu’est-ce que vous en savez, en fait, de ce qui se passe dans ma caboche ? Je m’approchai de lui, un autre défi en tête que découper un morceau de lac. J’étais en colère, sans doute à tort. L’isolation et les efforts condensés dans une excitation animale.
- J’en sais pas mal pour t’annoncer que ce que tu comptes faire est voué à l’échec, tu n’as pas vaincu la dernière fois et dans ton état, tu n’en es surement pas capable.

Cette fois, je le croyais sur parole. Stoppant nette mon avancée, je baissai mon sabre, vaincu sans combattre par les souvenirs.

- C’est mieux, bien mieux. Il sourit, un peu tristement. Il devait apprécier mon ancienne envie de me battre et me voir ainsi défait ne lui plaisait guère, peut-être plus qu’avoir à me vaincre le sabre en main, mais néanmoins. Bref, si tu sais stopper une cascade, briser ainsi la surface de l’eau ne devrait pas te poser de gros soucis, je me trompe ?
- J’en sais rien.

Je voyais assez bien la manœuvre, pourtant l’aire d’effet de la technique me rendait assez curieux : Il fallait ajouter à la concentration et la dissipation dans l’élément une mécanique de projection. Il fallait essayer de couper sur une grande surface, plus que ma lame pouvait toucher… Musashi, avec un coup net, avait divisé le lac sur dix mètres assez strict.

- Alors essaye. Une invitation, pour une fois qu’il restait durant mes tentatives… La solitude perdait peu à peu son influence sur moi. J’appréciais cette attention.
- Vous n’avez pas répondu à ma question.
- Quelle question ?
- Sur tout le truc mental, ce qui cloche chez moi. Je tapotai ma tempe d’un index paresseux.
- Tu le sais, je le sais. Pas la peine de rester un quart d’heure sur ça : Ta combativité est revenue, tu as compris certaines choses, mais le temps va affirmer ta décision… En tout cas, je l’espère.

Soupirant de ce manque d’informations, je saisis bien vite que j’essayais de trouver des réponses chez une tierce personne, quoi que bien informée, sur des choses qui se déroulaient plutôt dans ma tête. Il y avait au moins une zone d’ombre dans la connaissance du samouraï, le futur n’était pas tracé… À moi de répondre à ces espérances, pour lui et surtout pour moi.

“Quand faut y aller, alors.”

Sans attendre une quelconque explication du “mentor” improvisé, j’empoignai mon katana pour tenter le premier de mes nombreux essais : Couper l’eau, je savais faire, pour autant il y avait une dynamique de plus que je devais ajouter… Comme un mudra, c’était un ajout qui changeait tout.

Au fond, le kenjutsu comme le ninjutsu, étaient des formes d’agrégats de signes et de mouvements pour accomplir à un but : Créer du feu ou du feu ; couper… Bien entendu, l’objectif de la pratique du katana était toujours, à peu-prés, dans la voie pour couper quelque chose.

“Dans d'autres écoles on enseigne des techniques variées de maniement du sabre. Elles commercialisent la Voie et le font certainement dans le but de faire croire aux débutants qu'elles connaissent un grand nombre de techniques du sabre. Tout cela parce qu'elles pensent qu'il y a plusieurs façons de pourfendre quelqu'un. C'est là leur erreur. Il n'y a pas 36 façons de pourfendre un homme. II n'y a pas plusieurs manières de porter un coup, de frapper et de trancher qu'il s'agisse d'un spécialiste ou non, d'une femme ou d'un enfant. Si l'on veut en chercher d'autres, il n'y a qu'à porter une botte ou faucher. Tout se résume à vouloir couper l'adversaire…”

Je m’éloignais un peu de la voie, en voulant couper autre chose qu’un homme, pour autant, je pensais être sur le bon chemin.

Une vision plus spirituelle ?

Pour moi, en tout cas, dans le processus j’avais appris des choses… J’avais encore tout à résoudre, semblait-il, mais ici aussi j’avais l’impression d’être sur la bonne voie. Il restait encore à concrétiser la direction.

“Bon, je dois donc projeter mon chakra en frappant, de sorte à continuer la coupe sur une bonne distance…” Cela ressemblait donc au croissant de chakra, que je connaissais bien, mais je ne visais pas à trancher vraiment, mais à projeter un effet tranchant ou divisant. Je saisis alors, finalement, la subtilité : Par mon coup de Katana, j’ordonnais à l’eau de se séparer. Encore fallait-il infuser suffisamment l’arme d’énergie pour que cet ordre se répercute assez loin.

“Que disait Tadake ? Projeter soi-même ?”

C’était une affaire de volonté ? Cela, je savais faire ! Me reconcentrant sur mon exercice, je chargeai la lame de chakra avant de donner un coup de haut en bas, la pointe finissant dans la flotte. Une légère entaille s’ouvrit dans l’eau, devant le point de rencontre entre l’acier et l’eau, mais rien de plus : Premier échec, attendu cependant. Je détendis mon bras pour reprendre une garde fixe, sentant le regard pointu de l’homme derrière moi. Le second essai fut l’occasion de projeter plus de chakra, pour imiter le croissant de chakra, l’énergie pénétra l’eau, mais sans le couper comme Musashi l’avait fait. Akira hocha la tête, d’un “non” discret. La voie du ninjutsu n’était pas la bonne, l’infusion au chakra n’était pas la vraie piste à exploiter.

- L'eau est une très bonne image pour faire comprendre le but. Il faut rendre notre esprit semblable à l'eau. L'eau prend la forme des récipients qui la contiennent, qu'ils soient carrés ou ronds. L'eau peut se réduire à une goutte ou atteindre la taille d'un océan. L'eau qui se trouve au fond des gouffres profonds à une couleur d'un vert pur. Je t’ai dit de comprendre l’eau, puis d’agir… Tu as agi, mais tu ne comprends toujours pas l’eau.

“Je fais pas du suiton, la flotte, je la comprends pas vraiment.”

Rongeant mon frein, je continuais à frapper en gardant cette idée à l’esprit : Comprendre l’eau, un problème récurrent pour cet exercice. Je trouvais des voies de garage pour avancer, sans pour autant saisir le vrai sens de l’action. Le mentor le sentait bien, mais me laissait me dépatouiller dans la mélasse : On apprenait vraiment par les erreurs, finalement.

Au bout d’une heure de tentative infructueuse, où le génial samouraï avait fini par s’asseoir en regardant, je désespérais de ne pas trouver la clé de la maitrise de cette évolution… Plantant mon arme, de rage, dans l’eau et la terre. Je respirai un grand coup avant de me retourner.

Ce n’est peut-être pas fait pour moi. Je me battais avec mes outils, mais j’avais sans doute trouvé trop fort. Il observa ma réaction d’un œil neutre, réfléchissant sans doute à une piste… Pour toute réponse, il me dispensa une nouvelle citation énigmatique.

- Dans tous les arts militaires, tout obéit au rythme et à la cadence. Dans les affaires abstraites également. Lorsque le rythme domine, l’exécution est bonne. Le rythme alors ?

Le rythme.

- Je ne comprends rien. D’un signe du menton, il m’invita à reprendre. Respirant encore une fois pour évacuer ce trop plein de tension, je cherchai dans ma mémoire et mes leçons de quoi analyser cette affirmation.

Comment combattaient les Nozomo ?  L’objectif était de ne pas laisser de faille à l’adversaire durant l’assaut, toujours frapper en se replaçant pour amener spontanément une nouvelle attaque. Pas de mouvements déchets, pas de cadences trop lentes ni trop rapides. Un équilibre. Trouver le rythme qui me correspondait et qui mettrait en difficulté mon adversaire. Ici, je devais avoir un rythme différent ? Sur une frappe unique ? Il devait bien voir que je galérais à comprendre, car il ajouta :

- En toutes choses, tant que l'on n'est pas en harmonie avec les rythmes, on tergiverse sur rapidité ou lenteur. Lorsque l'on est devenu expert dans toutes les voies, on ne semble pas rapide aux regards des autres.

Je détestais ce type, je ne comprenais rien et tout devenait flou plus il parlait… Il me provoquait ? Il se foutait de ma gueule ? J’avais rencontré déjà des trous du cul qui jouaient de la philosophie et des proverbes à la con, mais lui il tenait une couche ! Et j’avais appris de Tadake, qui était déjà un maitre en la matière.

“Je dois trouver le rythme de l’eau et le faire mien ?” Je récupérai mon katana, toujours planté, et je me mis en garde. Calmant ma colère et cette frustration qui gâchait mes efforts, je tentais de mettre en pratique ces vaporeux conseils. Je devais me retrouver en harmonie avec l’eau, ce qui signifiait en fait, peut-être, être fluctuant : L’eau était calme comme agitée, et très vite ce rythme pouvait changer. Couper l’eau, c’était changer de rythme pour que le sien devienne le mien… Couper, c’était adapter un rythme, ordonner à l’élément de suivre sa volonté. Mon esprit devait suivre le courant, plutôt que de le subir… Ne pas rester inactif dans les instants de tranquillité, ni se précipiter lors d’un danger. Le mental et le corps ne devaient être subordonné l’un à l’autre, je représentais ici un idéal martial et tactique qui transfigurait la simple exécution aqueuse. L’esprit ne devait ni combler les manques, ni être la goutte de trop.

Se concentrer sur la bonne chose : La fièvre qui me vrillait le crane, je devais la mettre de côté pour fixer mon enjeu. “Plus facile à dire qu’à faire”.

- Une contre-mélodie ? Je murmurai pour moi-même et le grognement d’affirmation du vieux sage me fit comprendre que j’avais saisi la bonne chanson.

Couper la pierre, c’était trouver la faiblesse, couper l’eau, c’était ordonner à l’élément… “Ce sera quoi après ?” C’était sans doute un combat contre moi-même plus que contre un quelconque obstacle.

Lentement, j’inscrivais de grands arcs de cercles dans les airs avant de stopper le geste dans l’eau, envoyant du chakra vivement pour surprendre et “attaquer”. Une erreur, l’onde éjecta de l’eau à l’opposée de moi, mais aucune entaille. Je reprenais en joignant les deux mains pour donner un coup parfaitement vertical… Rien, je choisis alors de m’immerger à la taille dans le lac pour approfondir le débat : J’avais joué sous une cascade, pourquoi je ne pourrais pas continuer dans le lac ? Dans cette position, mes coups frappaient bien plus l’eau et perdaient en vitesse, mais peut-être que c’était le prix à payer pour adhérer au rythme de l’eau tout en mettant mon grain de sol.

Qui sait ?

Une main plantée dans le froid mouillé, je mobilisai mon autre pour faire un grand coup frappant l’eau de manière assez subtile.

- À moins que ton objectif soit d’éclabousser les gens, c’est mal barré pour couper. Sans me retourner, je sortais ma main libre pour lui faire un grand doigt d’honneur.

Plus doux et plus de chakra. Lentement, je frappai de sorte à ne mettre que la moitié de la lame sous la surface du lac. L’onde, coupante, jaillit pour sectionner l’eau en deux sur un bon mètre, cependant l’effet dura que peu de temps. Un coup de chance ? Je n’avais pourtant pas fait quelque chose de spécial, je m’étais peut-être acclimaté au rythme de l’eau avec le temps et les essais.

Non ?

Retentant, certains d’avoir trouvé le bon filon, l’échec fut de taille… Aucune réaction, je fluctuai entre le dégout et l’incompréhension. Laissant mon katana baigner dans l’eau, je réfléchis quelques secondes à tout ça, avant de retenter : L’esprit devait être calme pour que le chakra soit le plus stable possible. Tant que l’arme était en main, le flux d’énergie était continu entre ma paume et la garde, pour autant je sentais que la moindre défaillance de mon esprit pouvait rendre ce flux incompatible avec la division de l’eau. Un esprit calme, au service d’une compétence calme. Rentrer dans l'eau sans l'offenser, mais appliquer une force assez forte pour plier le liquide à ma volonté : Scinde-toi, reste en place.  

Pas de violence, ce n’était pas le but. Ma réussite avait été un coup de chance, il fallait la reproduire en accentuant les progrès. Levant peu à peu mon arme, en augmentant l’ampleur du chakra dans ma main, je jetai un coup unique qui produisit, par bonheur, une profonde entaille sur deux mètres. Je vis, avec un certain plaisir, les pierres sous la surface aussi clairement que possible : Il n’y avait plus d’eau devant moi, en tout cas pendant une bonne seconde. À partir de ce point, toutes mes attaques amenèrent à un résultat équivalent, plus aucun échec, et surtout je progressais.

Au fond, j’étais heureux de voir cette consécration : J’avais réussi et la réussite croissante de mes entreprises amenaient toujours plus ce sentiment d’accomplissement. Je me sentais entier, enfin… Cette vision, sous la cascade, m’avait amené à reconsidérer mes forces et mes faiblesses, surtout mentale. J’étais là à ma place, dans l’eau, mon sabre dans les mains à associer mes compétences avec mon être, à travers l’énergie physique et spirituelle combinée. C’était peut-être l’accomplissement de mon art : Le ninjutsu et le kenjutsu ensemble. Une grande goulée d’air et j’administrai une nouvelle frappe, concentrée et chirurgicale, qui scinda l’aire devant moi sur une dizaine de mètres.

  Le voyage de Yukio. Rouleau III : Le vide.  080b4910

J’avais réussi.
J’avais triomphé de moi-même.


Pas d’applaudissement, rien, juste un signe de tête entendu de mon mentor qui était resté tout le long à m’observer. Cela avait duré quelques heures, mais il avait attendu.

- C’est parfait, mais tu as encore du chemin à faire.
Phrase typique des mentors un peu capricieux. On parle souvent de “passer de la montagne à la mer”. Cela signifie qu'il est mauvais de répéter les mêmes choses au cours d'un même combat. Répéter deux fois la même chose est encore passable, mais jamais trois. Si on ne réussit pas une première fois un certain coup, alors, même si on le tente une seconde fois, son efficacité sera douteuse. Applique plutôt un coup inattendu, chaque fois d'une façon assez différente, et si cela est inefficace, tente une autre tactique. Il faut être capable d’innover et s’adapter, mais on oublie souvent d’être le ciel… Un regard une nouvelle fois entendu. J’ai passé des années à chercher la signification d’être le ciel, j’espère que tu sauras, aujourd’hui, chercher aussi.
- Hein ? Bien entendu, je ne comprenais pas… Mais il éclaira ma lanterne.
- Je t’ai appris à couper l’eau pour que tu me rejoignes dans cette expérience : Ton esprit est plus calme, mais rien n’est gagné. Il faut toujours tendre à plus : Il reste des choses que tu ne peux couper, comme ton passé. Il sourit, il savait. Mais tu peux couper le ciel, Yukio. Pour cela, il faut… Il laissa sa main s’étendre lentement, dans un geste large et lent. Comprendre et agir.

“Putain.”

Technique 3/3:

Sphinx. Yukio 021

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Le voyage de Yukio.


Rouleau III : Le vide.



La posture est importante : Regarder droit devant soi, sans incliner ou pencher la tête sur le côté. Les yeux doivent refléter la sérénité. Il ne faut pas plisser le front, juste le froncer un tout petit peu, sans cligner des yeux, mais en les gardant fixes, légèrement clos : Une large vue de l’environnement. Le corps était une ligne, partant des épaules vers le bas, avec le dos droit et le bassin rentré.

J’avais tout à réapprendre.


J’avais passé presque vingt-quatre ans à apprendre de travers le kenjutsu. À vivre sur une fausse voie, à manier faussement une arme qui n’était pas vraiment la mienne… Je devais réapprendre pour me réapproprier Yukio, Yukhan, quiconque. La fièvre, comme les pensées, était une façon de poser à côté l’existence pour se concentrer sur ma pratique : Entrainement sur entrainement, les pieds nus dans la neige, je balançai un bout de bois dans l’air autour de moi pour me réapproprier les katas des Nozomo avec une toute nouvelle vision du kenjutsu.

Bien droit, donc, je pris appui sur mes genoux et mes pieds en tendant le ventre pour ne pas avoir les reins courbés. Le dernier élément était le katana, ici étant une simple branche, dont la “garde” était contre mon ventre, avec du lest à la ceinture. Je passais de longues heures à me tenir droit dans cette posture, avant d’exécuter les mouvements bien connus.

Une semaine depuis le défi de Musashi, il était parti derechef après m’avoir proposé de couper le ciel… Une connerie, aurait dit l’ancien Yukio, mais je comprenais ici l’ampleur et le sérieux de la nouvelle. J’avais coupé une masse d’eau en quelques jours, en comprenant à peine les fondements de mon propre art. J’étais amplement capable de diviser le ciel, il fallait pratiquer et…

Comprendre.

Les premiers jours, j’avais été cloué au lit par la maladie : L’effort et la concentration affaiblissait mon corps, en tout cas, ce fut ma première pensée, mais c’était un nouveau défi. J’étais plus fort que jamais, car j’avais compris.

Comprendre quoi ? Que le passé, les traumas et les erreurs étaient pour moi comme des poids qui m’alourdissaient et m’empêchaient de correctement avancer ? Il ne fallait pas être un génie pour le savoir, mais il fallait une grande force mentale pour passer outre. Je manquais de cette force, je restai dans la haine de moi, la peur de l’échec et de la perte. Ma lame était comme un marteau que je fracassai contre mes adversaires… J’avais réussi à couper quand j’avais réussi à me détacher peu à peu de moi pour aller vers le reste du monde.

Dans la posture de combat, le regard doit être ample et large : Percevoir et voir sont deux notions différentes. Le regard qui voit est intense, le regard qui perçoit est doux. Être capable de voir ce qui est éloigné comme si c’était proche et de voir ce qui est proche comme si c’était éloigné était la base de la maitrise du kenjutsu, de la voie que je voulais emprunter. Regarder sur les côtés sans bouger les yeux : En permanence, voir et percevoir. Comprendre et sentir, en fait.

Je m’étais infligé cet entrainement pour me punir d’avoir été si bête, si long à la détente… J’avais suivi la tradition Nozomo comme un chien suit son os, sans comprendre les fondements. Je devais voir plus loin… Vaut mieux tard que jamais. Les coups latéraux et verticaux se multiplièrent dans la journée, j’affinai mes gardes et peaufinant également mon esprit. Je n’avais pas touché au métal de mon arme depuis des jours, je ne le méritais sans doute pas…

“Ici encore, je suis trop attaché.”

Je méritais, je devais juste mieux aiguiser cette spiritualité qui allait rendre mon arme plus décisive et féroce. Couper le ciel, c’était une affaire de corps et d’esprit. Un peu de chakra, mais tout venait de moi… Tout venait de moi, en fait. Je projetai autour de moi de l’énergie, jusqu’alors négative. Pour avancer, je devais changer.

Me réinventer.

La branche en main, je voyais en ce végétal une arme que je tenais très légèrement entre le pouce et l’index : Le majeur ni crispé ni relâché alors que l’annulaire et l’auriculaire étaient serrés sur la poignée. Une main lâche n’était pas acceptable, lors de la frappe la tenue de mes mains devaient rester inchangée sur la poignée, sauf pour la parade où le pouce et l’index devaient bouger légèrement. Tout devait transmettre l’intention de pourfendre !

Je n’avais pas un katana dans les mains, mais je voulais pourfendre… Je voulais trancher. Je me devais de consacrer mon énergie à la réalisation de cet objectif : Pourfendre un homme, pourfendre un monde. C’est ce que je devais tracer en moi. Au bout de quelques jours, j’avais réussi à aller mieux : Mon mal physique s’en allait alors que je laissais s’échapper la négativité et les remords. J’aurai pu rentrer au village de montagne, j’aurai pu rentrer à Suna… Mais Yukio ne pouvait pas encore rentrer.

Je n’étais pas complétement achevé.


Entre les arbres, sur les abords de la maison de pêcheur, je me permettais de fureter entre les troncs : Léger sur les orteils, les talons appuyaient fortement au sol. Marchant de grandes enjambées, puis de petites ; rapidement ou lentement, tout en conservant une démarche normale. En garde, je zigzaguais entre les sapins qui lâchaient un peu de neige d’étonnement devant mon manège. Aucun pied ne devait bouger seul, mes déplacements se devaient d’être fluide et accompagné de tout mon corps. L’exercice physique de cette réalisation me fit beaucoup de bien, au cours des jours : Une petite balade, un cache-cache avec les écureuils que je me plaisais à débusquer et à suivre en essayant de m’acclimater au rythme de leurs petits sauts et grimpettes. Ce n’était pas une recherche d’un quelconque caractère ludique, ni l’application d’une maxime telle que “rapide comme un écureuil”, seulement avec le climat, je n’avais qu’eux sous la main…

Moins fiévreux et plus libéré, je pus m’attarder sur le véritable trajet de ma lame… Enfin, mon bout de bois. Condition sine qua non pour arriver au bout de ce nouvel objectif fantasque : Connaitre le trajet constant de la lame dans les airs et le connaitre suffisamment  pour pouvoir le mouvoir librement, même si je tenais mon arme avec seulement deux doigts. Le sang froid était de rigueur, surtout face à un danger imminent. Porté un coup vers le bas et le relever en suivant le même trajet, pareil pour un coup latéral. Quelques jours seulement furent nécessaires pour m’approprier le poids et la longueur de ce végétal, que je lâchais ensuite pour récupérer ma lame.

J’avais opéré la rupture : Je n’étais plus le même homme, il me fallait alors avoir la sensation de ne plus avoir le même katana.

Sortant du bois occupé depuis quelque temps, j’allais dans l’unique pièce de mon refuge pour me réchauffer vaguement prés du feu : Séchant mes mains légèrement, je m’assis pour prendre un repas frugal : Poursuivre les rongeurs m’avait permis d’en attraper certains en leur éclatant le crâne avec le bout de bois. De quoi faire le plein de viande et donc de protéine pour me remettre d’aplomb. Plus j’arrivais à m’adapter aux déplacements de ces animaux, plus je me sentais d’attaque pour me lancer à corps perdu dans le plus grand accomplissement de ma jeune carrière d’épéiste.

Couper le ciel.

En début d’après-midi, je sortis enfin de ma tanière après le repas pour agripper la garde froide de mon arme et apprécier, quelques instants, la sensation dans ma paume. Le soleil tapait assez fort sur la surface de l’eau et son reflet fouettait l’acier pour se projeter sur la neige à mes pieds. Une belle journée, si on oubliait le froid qui attendait son heure, à la tombée de la nuit, pour reprendre son dû.

Je n’allais pas attendre le gel nocturne pour me lancer dans la chose. Ni une ni deux, je me mis en position pour fragmenter mon coup en plusieurs parties : l’impulsion, la frappe et la récupération de l’énergie cinétique. Frapper était une chose, mais ne pas se laisser entrainer par la masse et la force en était une autre… Opérer une chose aussi irréelle que diviser l’oxygène, ou quoi que ce soit en relation, demandait sans doute une force exceptionnelle et une technique parfaite. Je ne savais pas vraiment où commencer dans mes tentatives, reprendre les bases de la frappe me semblait être un bon début.

Les pieds ancrés au sol, je postai mon katana au-dessus de ma tape en regardant droit devant moi. La respiration calme, je frappai rapidement devant moi avant de me remettre en position automatiquement : Comme dans mes exercices, la lame descendait et remontait par le même chemin. Une voie fixe, droite et inexorable.

Une bonne heure passa, sans que je n’ajoute un quelconque chakra dans le mouvement : Je voulais d’abord rendre mon geste le plus précis et automatique possible. La mémoire musculaire était une chose, mais la précision du mouvement demandait une autre forme d’habitude : Le cuisinier opérait la même découpe des milliers de fois si bien qu’il pouvait l’effectuer sans même s’en rendre compte. Je réussissais, depuis le temps, à amener mon esprit à agir tout en réussissant à penser à autre chose : Le prochain coup, la prochaine esquive… Au fond, il fallait beaucoup plus.

Je devais arrêter de penser.

Les yeux dans le vague, cherchant à percevoir le monde autour de moi sans me focaliser sur un point, je frappais en contractant mes muscles dans le but de conserver la même trajectoire sur dix, cent, mille coups. La précision et la vitesse, couper l’air, c’était aller à sa vitesse comme couper l’eau demandait d’être sur la même longueur d’onde que… l’onde. Il fallait se rapprocher de l’élément en question pour pouvoir interagir avec… C’était, sans doute, ma meilleure piste.

Au bout de cette grosse heure à agiter mon sabre,  je m’arrêtais pour reposer mes muscles : La fatigue gagnait pas mal mon corps, puisque encore un peu affaiblis par la maladie. Je sortais, théoriquement, de convalescence même si je n’étais pas restais alité depuis un bail. Baissant enfin ma garde pour souffler un coup en me rafraîchissant prés du lac, je m’assis pour méditer un instant devant la surface de l’eau.  Les paroles de Musashi pour la coupe de l’eau pouvait encore me servir, bien au-delà du but initial : Une question de rythme, ça cela pouvait encore servir. Le rythme de l’air ? Comme une réponse, un coup de vent troubla la surface de l’eau et agita les mèches devant mon visage. Mes cheveux, longs et sales, n’avaient cessé de pousser depuis mon départ de Suna… De plus, ma barbe gagnait aussi une bonne partie de mon visage. Sans attendre, je repris ma lame pour mobiliser cette précision gagnée manu militari pour me raser… Sans mousse ou produit, cela piquait et je sentais la rougeur d’un outil qui n’était pas adapté, c’est-à-dire une lame d’une soixantaine centimètre tenue à bout de bras.

Mais cela faisait le travail, enfin pour la majorité des poils qui poussaient sur mon menton. Une frange restait imperturbable à mes assauts… “Putain.” Abandonnant la lutte, préférant comme le disait l’adage : “Choisir mes batailles”, je reposais l’outil improvisé pour reprendre ma contemplation de l’azur froide. Un temps de méditation était profitable, l’action et l’adrénaline causées par l’effort ne permettait pas un point de vue assez travaillé sur l’expérience. Un arrêt, de temps en temps, permettait de voir où j’en étais rendu.

Seul dans la neige, après une attaque d’ours et affaiblis par la maladie, j’avais déjà vécu pas mal de chose durant mon séjour dans les contrées froides de l’isthme. Pour autant, je restais là à ne pas me lasser du paysage devant moi : Un lac, des montagnes, quelques sapins et de la neige. Beaucoup de neige. J’avais délimité ma zone en dégageant la neige, ainsi j’étais sur une partie sèche entourée de quelques centimètres d’eau cristallisée. Tout cela donnait un aspect féérique à mon cadre et je sentais encore le froid sur mes pieds nus alors que je vagabondais entre les troncs. Pourquoi j’avais fait ça  ? Endurance, solidité de l’appui même en se les gelant ? Sans doute… J’avais besoin de me reconnecter avec mon environnement et quoi de mieux que par la voute plantaire. “Quelle connerie, franchement.”

J’étais apaisé, bien plus neuf qu’a mon arrivée dans la région, pour autant une partie de moi, sans doute la plus Nozomo, redoutait ces traditions et cette spiritualité grandissante : La guerre était sale, il fallait passer outre les poncifs concernant la posture ou quoi… Un modèle, c’était trop rigide pour ce que demandait le combat en condition réelle. Comme Sarada, à la fête foraine, je voyais le côté pragmatique et je me méfiais de certains points. Pourtant, au milieu de ce paysage vide et pur, je me mis à penser que ce n’était, finalement, pas que des conneries : Pourquoi ne pas apprécier un peu le cadre et me connecter à lui ? Des générations de combattants s’associaient à une spiritualité, à la recherche d’une force autre que la seule musculaire, peut-être que le nouveau Yukio pouvait un peu plus correspondre à un samouraï normal ? Akira Musashi répondait à ce type de modèle et il était bien trop tenace pour être combattu à la légère.  

L’état d’esprit que j’avais ressenti en découpant le rocher me plaisait, je sentais que j’étais plus qu’un petit ninja de bas étage… Je me sentais plus fort et avec la division de l’eau, je n’avais qu’effleurer sans ressentir de nouveau cette sensation. Me rapprochant, à quatre pattes, de l’étendue, je passais nonchalamment la main dans l’eau pour éprouver sa fraicheur. À part quelques frissons, rien ne m’arriva : Pas de connexion, pas de sentiment d’infini. Soupirant, je me relevais pour reprendre mes séries.

"Cela viendra, je le sais… "
"Je le sens."

Technique 1/4:


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Le voyage de Yukio.


Rouleau III : Le vide.



Il fallut trois jours de mouvements perpétuels pour que je sois content de ma prestation : L’esprit calme, j’avais éprouvé mon corps plusieurs fois durant le séjour, mais ici tout était calculé et millimétré. Mon coup latéral était parfait, mécaniquement chirurgicale et d’une vitesse acceptable… Enfin…

Je manquais de vitesse, effectivement.

La fatigue rendait mes muscles durs, ajouté au froid, je n’étais donc pas dans la meilleure des formes pour découper à la vitesse de la lumière le ciel. Pour autant, j’avais eu le temps de réfléchir sur mon tracas de sensation : La roche était un obstacle solide, qui m’empêchait de passer et de répondre à ma mission, alors que l’eau n’était qu’un défi évitable si j’en avais envie… Je devais sans doute me mettre en difficulté, pour retrouver cet état d’esprit quasi mystique.

“Oui, d’accord, mais comment ?” Les nuages, perlant dans le ciel ne représentaient pas de grandes menaces pour la fourmi humaine prés du lac que j’étais… Mettant cette problématique dans un coin de ma tête, j’avais entrepris d’ajouter du chakra au mouvement latéral du katana. Soufflant pour apaiser mon corps, je me lançais dans des séries en projetant de l’énergie par la lame, devant moi. Aidé par la dynamique, je voyais cet exercice comme des croissants de chakra enchainé, plus puissant… Ceux-ci, d’une blancheur pure, s’échappaient du tranchant pour disparaitre quelques mètres plus loin, comme j’en avais l’habitude. Le problème était que mes projections, aussi coupante soit-elle, ne brassaient l’air que pour se déplacer… Couper le ciel, couper le vent lui-même, c’était tout autre chose.

“Si c’était si facile, tout le monde le ferait… Qui tu serais pour réussir là où Musashi à échouer ? Oublie tes rêves prétentieux, redescend sur terre… ”

Évacuant, comme le chakra, ma négativité, je continuais à produire des coupes larges en espérant chopper le truc : Comment atteindre un objectif sans avoir la clé ? Pratiquer aveuglément un truc, sans savoir si ça allait porter un quelconque résultat, c’était vraiment mortel. J’avais une volonté assez forte, longtemps éprouvé par les entrainements, ici l’objectif était assez improbable, mais bon.

“J’ai réussi à couper de la flotte, ça doit pas être si dur, non ?”

Malheureusement, rien ne vint à part un épuisement à force de projeter mon énergie physique et mentale combinée… Je manquai d’endurance, ou alors j’arrivais à une limite bien trop humaine. J’avais déjà passé des jours entiers à m’entrainer, mais il apparaissait que le soleil de Suna était plus revigorant que celui de l’isthme, je pouvais aussi miser sur le froid et la difficulté de déplacement dans la neige qui épuisait rapidement. Psychologiquement, le focus particulier de la posture de combat demandait aussi des efforts appuyés alors que le mouvement, mécanique, passait assez bien…

Finalement, à chaque fois que je rencontrais Musashi j’étais obligé de tâter les limites de mon art et de remettre un peu en cause ma technique. Les doigts crispés sur la garde de mon katana, je goutais à cet état de quasi asphyxie après l’entrainement, mais ici, c’était pendant. Le corps obligé de s’agenouiller, car trop vidé de sa source de mobilité, je respirais pour retrouver un semblant de stabilité, les genoux projetant de la neige autour d’eux.

- Merde. La maladie et le résultat des griffes de l’ours n’étaient pas loin, même si j’allais mieux. Mon poing frappa violemment la matière blanche sous moi, pour rencontre la terre et me donner une douleur qui me fit regrette aussitôt mon action.

Je cherchais à changer, autant dans mon style que ma façon de réagir, mais je finissais par revenir aux réactions de ce bon vieux Yukio Nozomo… On ne changeait jamais vraiment. Soupirant, je me relevais péniblement pour aller m’asseoir plus loin. Apaisant ma colère en prenant une poignée de neige victimaire, je jouais en la faisant passer d’une paume à l’autre pour refroidir ma peau mis à mal par le frottement de la garde. Une légère brûlure me prit, mais j’étais assez solide pour uniquement serrer un peu les dents. Les vertus du froid n’étaient pas à oublier.

Je manquais d’obstacle, je le sentais bien… L’absence d’adversaire réel soulignait que l’ennemi extérieur n’était pas et que la recherche était donc dans la solitude : Trancher dans le vide, c’était aussi trancher son propre égo. Je n’étais pas prêt, au vu de ma réaction. Comment couper le ciel si mon égo me résiste ? Soupesant le poids d’eau cristallisé dans ma main, je réfléchissais à la pratique qui soulignait bien cet aspect. Le iaido, l’art de dégainer le sabre pour opérer une tranche rapide en s’aidant de la vitesse de sortie de la lame. Il y avait trois éléments constituant le iaido : Le corps, travail de la posture et de l’énergie physique ; la technique et enfin l’esprit. Dans l’idée, le iaido demandait des composants assez semblables au chakra.

Physique ; corps ; technique que l’on pouvait mettre en corrélation avec des mudras.

“Oui, le kenjutsu c’est comme le ninjutsu…”

Les Nozomo savaient tout cela, mais ils avaient manifestement décidé de se tourner vers une école de pensée plus pragmatique : Ma formation n’était pas spirituelle, je le savais. Je savais tuer un homme, c’était tout ce que le ninja devait savoir faire… Mais pourfendre mon égo ? “Hmm… Pas sûr.”

Quelle était la recherche intérieure ? Que trouver d’autre à travers un entraînement intense et fatiguant, derrière des gestes à la finalité évidente ? “Soi-même” ? Je cherchai le “moi” profond, certains mobilisés le iaido, moi je le cherchais en voulant couper le ciel. Je pouvais y arriver, alors, en trouvant ce “moi” : La concentration intense sur ce qui peut paraitre insignifiant, à travers le contrôle du mouvement, le travail respiratoire, la force de l’imagination, la création d’un rythme dans les arabesques du sabre qui va résonner jusqu’au tréfonds de soi, à travers le vécu de sensations parfaitement inscrites dans l’espace. La distance, le temps… Le rythme.

À l’inverse du katon, je devais trouver le moi afin de le cristalliser dans mon arme et mon coup. Tadake aurait été ravi de voir que ses enseignements pouvaient servir à autre chose qu’à cracher du feu… Une philosophie portée par le vieil homme, passé à la nouvelle génération et amélioré, modifié. Serrant la neige pour sentir une dernière fois le froid contre ma paume, je repris l’entrainement.

Ni une ni deux, je frappais latéralement en associant le chakra et cet étrange état d’esprit qui définissait le iaido… Je n’avais jamais vraiment pratiqué cet art, cette facette du kenjutsu, mais je me jurai de m’y intéresser en rentrant à Suna. Aujourd’hui, comme demain, je devais faire autre chose. La répétition et la concentration s’accrurent alors que mes forces me quittaient, je ne tenais que par la volonté : Les bras en morceau, les jambes chancelantes. J’étais poussé par un idéal martial, sans doute, ou alors par une fierté mal placée… Ma personnalité avait bon dos.

À la tombée de la nuit, je me permis d’arrêter là. Rien n’avait changé, mais je pus aller me coucher sans avoir honte de ma journée : J’avais dépassé une limite humaine, pourquoi ne pas dépasser une limite du sabreur ?

Le sommeil fut réparateur et le lendemain matin, je sentis bien que j’avais avancé : Mentalement, j’étais plus stable alors que mes coups conservaient leur précision tout en gagnant en vitesse. Pourtant, mes lames de chakra n’effleuraient à peine que l’air ambiant. Je ne coupais que du vide. La frustration regagnait lentement mon esprit alors que j’essayais de reprendre possession pleinement de mes moyens et je compris enfin le problème.

Je pensais.

Je devais couper le fil de mes frustrations, de mes idées… Juste, vivre le sabre ? Vivre le coup ? Laisser mon corps s’exprimer avec un minimum de contrôle ? “Même si quelqu’un est considéré comme doué dans les arts martiaux, s’il conserve la moindre mauvaise pensée, comment pourrait-il accomplir la paix de son esprit ?” C’était, sans doute là, la grande différence entre Musashi et moi.

Le Zen… La concentration en temps réel et l'extériorisation de l'énergie permettaient, peut-être, de gérer les situations, de leurs trouver des solutions pour finalement, refaire le plein.

“Dans les arts martiaux tout comme dans la pratique du Zen, il faut apprendre à atteindre cet état d'Éveil en pénétrant les phénomènes et par le fait même, apprendre à pénétrer la vie, dirigeant ainsi l'esprit et canalisant adéquatement les énergies. Dans les textes, si un sujet voue de la haine et mépris à son adversaire et qu'il laisse paraître son émotion, son combat est perdu d'avance. Si en revanche il « caresse » son adversaire des yeux, de façon bienveillante, tout en gérant son énergie positivement, il peut remporter assurément.”

Musashi était zen, il ne vouait aucun ressentiment ou animosité contre moi lors de notre duel. Il voyait même une jeune pousse parmi les soulards dans le domaine Akayuki… Pourtant, à la fin du combat, il avait déchainé son instinct de combattant en laissant s’échapper son aura, qui m’avait paralysé. Le zen, ce n’était pas tout le temps… Impossible de refuser toute émotion contradictoire. Il fallait mobiliser cet état quand il le fallait, par un entrainement et une recherche de paix. Un équilibre, il avait trouvé un équilibre, entre deux facteurs inverses : tension et relaxation, pessimisme et optimisme, passivité et activité. Là où je me perdais entre action et réflexion, lui il glissait sur les choses.

Pour vaincre le ciel, il me fallait un esprit vide, sans nuages… Comme je recherchais dans cet espace infini qui me guettait, au-dessus de moi. Lentement, mais sûrement, je répétais mes exercices plus lentement en faisant glisser ma lame sur l’air comme mon esprit sur l’apanage blanc du vide, essayant tant bien que mal de finalement combiner l’état d’esprit avec le chakra, cette forme de ki propre au sabreur avec la ressource des shinobis.

Mon moi profond, c’était aussi le ninja. Après tout. Je devais l’accepter, ne plus opérer ce paradoxe total de vivre une vie qui n’était pas correctement taillé pour moi… Je pouvais me courber pour correspondre à ce qu’on attendait de moi, ou bien courber cette vie pour que je puisse totalement m’installer.

J’étais ninja, comme samouraï. J’étais Nozomo comme je ne l’étais pas… Dur, avant, de saisir la finalité de tout ça, mais finalement, peut-être étais-je un infini ? Je pouvais tout être, sans me sentir meurtri. Apprendre du ninja comme du spadassin, du consommateur de maté comme du torturé par le remord... Je pouvais apprendre, collecter les expériences et les mobiliser dans mon art sans jamais être définis par ceux-ci. Chercher à fuir, c'était me couper d'une partie de moi.

Oui, j'étais un enfant quand les regrets sont arrivés, plus vieux j'avais encore échoué en collectant les remords. Aujourd'hui, encore, les stigmates restaient mais je pouvais vivre avec... Je le faisais, continuellement, depuis. Je choisissais ma propre voie : Me lier à l'infini, chercher à me lier au monde sans m'alourdir de la douleur, tout en la conservant pour rester vivant.

Relaxant mes muscles en arrivant à cette idée, la peaufinant en essayant de percevoir tout les aspects de cet "infini". J’arrivai à un point où mes coups courbés l’air sur leurs passages, bien entendu ce phénomène était autour de la lame et pas concerné par le chakra qui continuait à voltiger sans rien appliquer à l’atmosphère. La vitesse d’exécution accéléra, de même que cette concentration spéciale qui ressemblait à un focus sans l’être vraiment… La répétition avait apporté une nouvelle façon de penser le combat, en ne pensant pas.

J’étais connecté à ma lame de façon symbiotique, et par son médium je touchai l’air à travers l’acier… Je ne sentais pas encore correctement l’oxygène, mais je sentais le froid de l’acier qui ne pouvait se confondre avec le froid de la neige. À travers ma paume, le vent du mouvement se diffusait dans mon épiderme et je sentais la trajectoire du sabre comme s’il était mon propre bras. J’étais en paix, bien plus que je ne l’avais jamais étais, en vérité.

“Je suis l’infini et ma lame est le vaisseau de ma connexion avec le monde.”

Les pieds ancrés au sol, mon corps à travers ce bout de métal fendait l’air. Je me sentais léger, vide de tout. L’exercice devenait une danse et la danse devenait moi… Un ballet, répétitif, mais jamais lassant, où mon esprit était comprimé dans la lame sans pour autant être enfermé. J’étais conscient de la terre et de l’eau cristalline à mes pieds, je sentais le faible courant du lac qui venait mourir sur la plage.

Je pouvais faire plus… Bien plus.

Arrêtant mon geste au milieu, comme coupant un fil trop tenu, je perdis cet état volontaire sans m’en inquiéter. J’avais saisi la clef, j’avais entrouvert une porte et constaté un faisceau de ce qu’il y avait derrière. Il me fallait l’ouvrir complétement et pour cela… Il me fallait venir à la rencontre de l’élément. Levant la tête, je saisis le pic des montagnes qui me méprisaient, couvert de blanc comme un glorieux dessert : J’allais monter pour côtoyer les nuages, marcher dans ces épais volumes et saisir l’opportunité de me lier au ciel…

  Le voyage de Yukio. Rouleau III : Le vide.  24082610

Avant de le couper, bien évidemment.

Technique 2/4:


Sphinx. Yukio 021

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Le voyage de Yukio.


Rouleau III : Le vide.



Encore une fois, le “crouch crouch” de mes pas dans la neige déclenchait une vive frustration tant la hauteur du volume était élevée : Plus l’on montait, plus la neige gagnait en taille et en dureté. Le froid se faisait plus féroce et je serrais les bords de mon kimono autour de mon torse pour réchauffer le centre du corps, espérant que la chaleur atteigne mes membres.

Quelle idée de monter sur une montagne dans une région qui s’appelait “l’isthme de gel” ! Pourtant, c’était ce que je recherchais dans ce début d’après-midi.

J’étais parti le lendemain de ma décision, histoire d’avoir de la marge puisque arriver en montagne pendant la nuit était un très mauvais choix.  Le paysage rocailleux se disputait avec quelques plateaux où poussait une herbe très fine, lieux de regroupement de chèvres. Tout était tranquille, la vue dans les montagnes était spectaculaire et la plupart de la journée se déroula sur des crêtes pour passer dans l'ubac de la montagne… Le pic était de l’autre côté. Dans la vallée, une forêt c’était développée. En pénétrant au milieu des troncs et de la végétation, la rupture sonore fut puissante : les écureuils passaient d'arbre en arbre en opérant de petits couinements, les oiseaux gazouillaient dans leurs nids ou à la recherche de nourriture. La vie était prégnante.

Pendant la randonnée, je fus tenté de m’arrêter pour faire un peu le spectateur de cette émulsion de vie et d’existences, c’est d’ailleurs ce que je fis à plusieurs moments. Fermant les yeux, je m’insérais par les sons dans ce tourbillon… Le désert ne présentait pas autant de vie dans les confins. De la roche et du sable, voila ce que j’avais connu. Même la mer, dans l’Albatros n’avait pas présenté un si grand enchantement.

Le voyage était parfait, si on oubliait les attaques d’ours. Je ne pouvais attendre plus de ce type de séjour… Et il n’était pas fini.

En fin d’après-midi, j’atteins les pentes de la montagne qui me faisait de l’œil depuis des jours : Un terrible pic qui surplombait le lac comme une maitresse jalouse, se cachant de la suspicion dans les nuages. Moi, je ne cherchais qu’à me rapprocher des amas blancs, quitte à gravir quelques falaises et connaitre quelques tourments.

Le problème était bien souvent la chance insolente… Insolente, car elle se barrait vite en me faisant un doigt. Dès que j’avais posé un pied sur le pan de l’objectif qu’un vent féroce était tombé sur moi. Fūjin, le dieu du vent m’avait choisi comme bouc émissaire de sa colère. Souvent décrit comme un démon à forme humaine aux cheveux rouges avec une peau de léopard et portant sur ses épaules un sac rempli de vent, il avait dû faire un stock pour ce moment, car le vent se combina avec la neige au sol et en l’air pour causer un blizzard féroce et solide.

"Un dieu protecteur, mon cul." Je n’étais pas croyant, mais cela ne me donnait pas envie de l’être.

Courbant le dos pour ne plus recevoir d’épais flocon dans la tronche, je me décidais à avancer pour trouver une grotte et me mettre à l’abri : Pas question de redescendre, la visibilité n’était pas bonne et l’ascension était la meilleure solution pour ne pas glisser et tomber. La tête baissée, je voyais bien que mes vêtements accumulaient de la neige, alourdissant le tout. Quelques mèches s’épaississaient de cette masse infortune et je ne voyais aucun abri à l’horizon, puisqu’en fait je ne voyais rien. Un horizon blanc.

Cela me rappelait le voile blanc qui m’attrapait dans les moments critiques. Devenu faible, à la merci de quiconque, mon esprit vagabondait dans une brume, une vapeur… Derrière un voile accueillant me promettant que tout irait bien. À la fin, était-ce ça que je cherchai ? La sécurité dans cette zone de ma conscience ? C’était quand même un peu trop… Cette partie de moi me faisait, honnêtement, un peu peur. Face à une falaise, j’étais de ceux qui s’approchaient pour regarder. Une distance, un vertige. Une envie de sauter ? Pour quelle raison ? Pousser toujours plus loin, me prouver des choses, montrer que je pouvais le faire : Fer de lance, blessé puis cicatrisé. La tête brûlée, le sauvage, celui qui agite son sabre de partout.

Je m’arrêtais dans ma procession.

Dans ces moments-là, plus je voulais retourner dans le monde où j’étais née plus le voile face à moi prenait de la distance J’étais figé, dans ce voile blanc alors que je voulais bouger un muscle, même une phalange, reprendre le contrôle. Une impression étrange, comme si je me pinçais. Ici, je pouvais bouger, je sentais tout… Mais le souvenir était féroce. J’étais dans ce qui s’apparentait le plus à mon purgatoire personnel.

Yukio, le “garçon de la neige” au cœur d’une tempête de neige.

C’était peut-être ce que j’avais toujours attendu, un signe, une épreuve ? Lentement, je relevais la tête pour faire face au vent, aux flocons… À la vie. Le regard fixe, je plantai mes pieds dans la neige jusqu’a ne faire qu’un avec le sol, à travers la pellicule de neige. Soufflant pour évacuer la fatigue et le froid, je dégainai mon sabre dans un objectif fou : Couper le blizzard.

“Je veux couper le ciel, pourquoi pas cette tempête de neige ?” Ce n’était, au final, qu’une étape. Les doigts autour de la garde de mon arme, je focalisai mon esprit sur bien peu de chose. Je compris alors une grande vérité : Mon corps avait toujours fait le vide autour de moi, pour moi. L’effet recherché pour optimiser mon art et atteindre cet état d’esprit unique, c’était ce que je ressentais derrière le voile alors que tout prenait de la distance avec moi. Avec cette nouvelle compréhension, cette sécurité sensorielle, je n’avais qu’à agir… Déverrouiller les rouages de mes muscles pour activer la machinerie et frapper.

“Comprendre et agir.”

Non, prendre de la distance n’était pas la solution… Je ne pouvais faire un avec l’élément sans le laisser m’approcher. Au cœur du vent féroce, je ne pouvais pas faire mieux. M’engageant dans l’encadrement de la porte, ressentant le flux courant contre mon corps et l’acier de ma lame, je me sentais étrangement emporté. Solide sur mes appuis, j’étais en arrière d’un point de vue spirituel. L’intempérie était forte, peut-être trop pour ce jeune sens de sabreur que je développais à peine. Je m’accrochai au flocon qui volais sur moi avant de m’éjecter d’eux pour ne pas me perdre : Trop d’éléments à prendre en compte !

“Je n’ai pas d’ennemis ici”.

Cette pensée, calmant peu à peu mon cœur battant, me permit de me ressaisir et de me concentrer sur le plus important : Le geste, le mouvement. Un geste pur, précis, rapide… Un condensé de l’art du kenjutsu que j’avais appris durant des années et réinvestis récemment. La lame au-dessus de ma tête, comme un défi, je frappai devant moi. L’air s’emballa un instant dans son sillage, mais rien. C’était un échec, mais je gardai le cap. Audacieux, je remontai mon katana par le même chemin pour reprendre la même posture : Frapper de nouveaux, le vent de face.

Une nouvelle fois, je concentrai mes forces tout en faisant le vide dans ma tête… Les bourrasques étaient comme des gifles. Vous avez déjà essayé d’être un sabreur en se prenant des baffes ? La frustration montait, mais je me devais de garder la tête froide. Le plus important dans l’esprit zen était la courbure, le temps entre les frappes, où l’esprit avait tendance à se perdre dans certaines velléités : Pourquoi j’ai raté ? Quels sont les dégâts ? Je frappe de nouveau ou je pare ? Dans ces moments, il fallait bien entendu réitérer le travail de l’esprit, rester dans le présent et pas dans l’expectative. Ici, je restai encore accroché à mon dernier coup et le froid du blizzard me rappelait à chaque instant que j’échouais.
Déjà, je ne sentais plus mes doigts.

Agitant ceux-ci pour remettre un peu de chaleur dans ces pauvres excroissances, je comprenais bien vite que je devais me dépêcher : Un empressement qui n’allait pas arranger mon état mental. L’urgence me força à respirer un grand coup, aspirant par la même occasion quelques flocons et fermer mes yeux pour couper un de mes sens.

“J’ai vécu vingt-trois ans pour ce moment, si j’échoue, je meurs.”

Loin de me provoquer de la peur, cette idée raffermit mes sens et je frappai de nouveau. Sans inspecter le résultat, je reproduis le geste encore et encore. Poussant sur mes jambes pour avancer en même temps : Un coup, un pas. Peu à peu, le mouvement provoqua dans mes bras de la chaleur qui se diffusa dans mon corps : L’effort me tenait vivant, mais je sentais toujours les flocons. Je gesticulais sans pour autant couper quoi que ce soit. “Je vais continuer.” Le chakra projeté dans mon katana, je projetai également ma conscience et mes sensations dans les minuscules cristaux d’eau que j’arrivai à diviser.

“Plus de chakra, plus de conscience… Plus de ki !”

Cette énergie, équivalente pour les artistes martiaux et les bretteurs à du chakra, était à l'origine de l'univers et reliait les êtres et les choses entre eux. Ils avaient tendance à dire : « nous ne possédons pas le ki, nous sommes le ki ! » Au fond, mon idée de l’infini rejoignait leur conception et ce mystérieux concept se refléter parfaitement dans la situation présente.

Quelques minutes passèrent, où j’affrontai littéralement le blizzard : Un David contre un Goliath puisque la tempête m’écrasait comme un éléphant supprimait une souris. Pourtant, je continuai, animé d’un feu puissant et d’une concentration indéfectible pour ma tâche.

“Couper le blizzard, couper la tempête.”

Au loin, une douce voix s’adressait à moi. Mon corps répondait à des signaux simples et les efforts conjuguaient au cadre dangereux m’épuisaient largement alors que cette voix se rapprochait  :

- Donne-moi de l’eau… J’avais déjà senti ces voix, dans le voile blanc de ma psyché. Poussant plus sur mes appuis je délivrai un nouveau coup.

“J’ai toujours été un bagarreur, pas forcément le plus fort ni le plus malin… Mais au moins, je ne peux pas cacher que je suis  téméraire. Plusieurs fois j’ai failli mourir de la main des hommes : Cette embuscade dans les montagnes, Nôka… Mais ici… Un Yokai n’allait pas m’avoir !”

Le danger… Le véritable adversaire… Mes propres hallucinations, qui sait ? En tout cas, ce coup rompit le sifflement strident du vent dans mes oreilles ainsi que la gifle des flocons. Rouvrant les yeux, je vis un ciel bleu dont la lumière me fit automatique plisser de nouveaux mes paupières. Un instant, j’aperçus une silhouette dans ma vision périphérique : un kimono blanc, porté par une femme à la peau blanche. Aussitôt, elle disparut. La Yuki-onna, la personnification de l'hiver, et plus particulièrement des tempêtes de neige. Elle était connue pour attraper les hommes au cœur des phénomènes neigeux pour les tuer ou les laisser vivre dans quelques exceptions… Une histoire de beauté et de jeunesse. “Je prends pas le risque.”

Mes genoux atterrirent dans le sol tendre, le katana s’affaissa pour arriver également dans la neige… J’étais vidé de toute mon énergie. Dans cet état d’épuisement total, je ne pouvais que respirer. Tout mouvement me coûtait trop cher : L’énergie dans ce coup avait été pharamineuse.

- Tu as vraiment cru à un yokai ? Tournant la tête, je vis Musashi à mes côtés, accroupis. Il t’en faut vraiment beaucoup pour te pousser dans tes retranchements.

Impossible de parler, mais une seule pensée : Comment ?

- Allons ! Je suis là, toujours là. J’apparais et je disparais pour toi… Encore une fois, des paroles nébuleuses que je ne pouvais que peu comprendre. Quelles sont les probabilités que tu tombes sur Akira Musashi à côté d’un lac ? Et qu’il te parle de couper l’eau et le ciel comme ça ? Sans un mot, il disparut pour réapparaitre de l’autre côté de ma vision, balançant nonchalamment sa main pour me donner l’information de sa position. Je suis un personnage marquant de ta vie, en tout cas, c’est ma nature puisque je suis lui. La Yuki-onna, c’est sûrement le fruit de ton esprit qui a besoin de motivation, quoi de mieux qu’un “démon” des neiges pour te pousser là où un simple homme n’a pas pu t’amener ?

Le souffle coupé, j’arrivais à me relever légèrement pour m’asseoir dans la poudreuse face à lui.

- Je suis le fruit de ton imagination : Tu avais besoin d’un soutien dans la maladie, je suis là ! Tu voulais devenir plus fort, je suis là ! J’apparais pour te donner un objectif, pour te pousser à passer ta fièvre au second plan et surtout à te bouger pour ne pas mourir seul dans une cabane, dans ta propre merde… Baissant les yeux, honteux, je ne fus que témoin du son de son rire.

Une libération de mon esprit et surtout une réponse de moi à… Moi ? J’étais juste malade et affaiblis. La seule solution pour moi avait été de me pousser à l’effort par une création imaginaire.

- Tu n’es pas encore mort.  Tadake, une nouvelle voix qui s’apposait à celle de Musashi. Il avait encore raison, littéralement j’avais refusé la mort… D’abord poussé par la fièvre, à halluciner, j’avais adopté cette image pour me donner un objectif.

- Couper le ciel, c’était ne pas mourir… Mais tu es tellement con que tu t’es jeté dans une tempête pour être vivant. La voix de Hayato, dans mon dos, me révéla bien vite que l’afflux mental prés de la cascade était également le fruit, bien plus net, de mon imagination.

“Un voyage spirituel, mon cul. Un fou à lier prés d’un lac… ”

- Pas du tout. Tu as traversé de grandes choses, avant et après ton arrivée dans la cabane… Tout ce que j’ai dit, tu le savais déjà. Il fallait juste te le rappeler et… Que tu comprennes et agisse.
- L’important, c’est de projeter ce que tu es. Dans une situation de crise, je m’étais sauvé la vie en employant des moyens peu conventionnels… J’étais un samouraï, un sunajin, un ninja avec un idéal. Un homme, tout simplement, qui venait de vivre des événements dramatiques… Un état de quasi mort et qui avait survécu, ramené par sa propre volonté.
- Tu t’es réinventé.

- Je me suis réinventé.

Et sur ces mots, ils disparurent, me laissant seul dans la neige alors qu’un vent doux léchait les pentes de la montagne. J’avais toujours un objectif, arriver en haut… Perturbé, mais finalement achevé, je me redressais pour continuer mon ascension. Je n’avais pas dit mon dernier mot : Il n’y avait pas de Yokaï dans ces contrées, mais il y avait bien des nuages à pourfendre !

Rejoindre le sommet et me lier au ciel !

Technique 3/4:


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Le voyage de Yukio.


Rouleau III : Le vide.




  Le voyage de Yukio. Rouleau III : Le vide.  02bd5610

Assis, prés du vide, j’appréciais le ciel et le vertige qui me prenait en regardant en bas : Finis les suppositions ainsi que la frustration. J’étais libéré autant que faire ce peut de ce qui me rongeait en arrivant. Qui aurait crû que mon passage dans un petit village allait m’amener à cette suite d’aventures ?

Qui aurait cru, qu’en partant de Suna j’allais me retrouver.

Attrapant une pierre, entreposée dans la neige dure, je la lançai promptement dans le vide comme un jeu… Aucun vrai sens, à part de concevoir une chute vertigineuse. “Plutôt elle que moi.” Devant moi, des volumes passaient paresseusement : Cristaux de glace à cette hauteur, ils n’en demeuraient que des reliquats du ciel : Des déchets qu’il fallait couper pour retrouver le bleu, des mannequins d’entrainement pour ma lame.

J’avais coupé une tempête de neige en deux, mais j’étais alors à l’intérieur… Une cible plus éloignée ? J’étais ici dans le but de tester, de développer. Pourtant, devant le paysage qui s’offrait à moi, je ne pouvais me résoudre à altérer le tout avec mes gesticulations. “La paresse est un vilain défaut.” Comme les nuages, je péchais énormément en profitant ainsi de la vue qui s’offrait à moi… Mais c’était tellement bon ! Le jeu des formes : Montagnes, vallées, le lac plus bas, amenèrent une suite d’idée et de conclusion chez moi :

“Le vide est l’espace où il n’y a rien, le vide est ce qui ne peut être connu. Ça ne veut pas dire que ceux qui ne distinguent rien ou sont emplis de doutes face à une situation savent ce qu’est le vide ! Bien au contraire, il faut pratiquer sans relâche, mettre en pratique l’enseignement du matin au soir, sans égarer son esprit ou se relâcher. Ne pas dévier. Il faut polir son esprit et sa volonté, aiguiser les deux visions : savoir regarder et voir.”

Comme pour le ciel, je devais éliminer les nuages dissidents qui troublaient la pureté de cet infini bleu. Soupirant devant la tâche à accomplir, je me relevais : Prés à en découvre avec les furieux cumulus. La main sur la garde de mon katana, toujours dans son fourreau, je concentrai mes forces en préparant mon esprit pour la suite : La posture, la respiration, la trajectoire… Des années de pratiques, des années de préparation conscientes ou non pour arriver au sommet de cette montagne.

Couper le ciel, ces nuages, c’était clore un chapitre… En redescendant, je n’allais plus être le même. Peut-être même qu’en attaquant la pente, j’avais déjà perdu tout ce qui faisait de moi l’homme qui avait pénétré dans la vallée.

- Ainsi soit-il, monde, je suis l’infini. Une parole simple, amicale. Entre ciel et terre, ce moment n’appartenait qu’à moi et à personne d’autres. Je touchai, à ma manière, un bout de l’éternel. “Quelle arrogance.” Je m’amusai de cette idée, cette philosophie qui faisait que j’étais là, poussé par le vent et ma volonté.

Arrêtant mon geste, je choisis de marquer le temps, l’espace, de ma présence. Écartant les bras bien larges, des deux cotés de mon torse, je voulais me grandir le plus possible avant de ramener mes paumes vers mon torse dans une respiration intense.

“Je suis prêt”.

Dénudant enfin mon arme, je fis face au vertige et au vide devant et sous moi. Les pieds proches de la mort, je ne regardai nullement la pente qui déferlait à quelques centimètres, mais le ciel qui me faisait face. Ce n’était pas mon adversaire, c’était mon partenaire… Je voulais me lier à lui et le libérer de ces excroissances duveteuses. Armant mon sabre au-dessus de moi dans une garde bien travaillée, je vidais ma cage thoracique pour me faire le plus léger possible. La première frappe fendit l’air, de légères vagues de chaleur restant sur le passage… J’avais coupé l’oxygène devant moi, mais la cible restait lointaine. Je devais donc engendrer plus de dynamique, un coup portant jusqu’aux confins de la masse nuageuse. Sans attendre, je me replaçai pour orchestrer bien vite une seconde attaque, portant plus de chakra et plus de ki. Ce n’était pas un essai au sens que j’acérais mes sens et ma présence dans le monde, je ne testais pas : J’augmentai peu à peu l’aura autour de moi.

Un coup en chassait un autre et le monde devant moi se constellait peu à peu de larges blessures qui se dissipaient avec le vent. Dans le kenjutsu, le ki s’appliquait aussi par le cri au moment de porter le coup. J’étais un ninja, je n’avais pas besoin de crier. C’était le risque de révéler ma position.

Au bout d’une heure, je n’étais pas arrivé à toucher les altostratus qui vaguaient crânement devant moi. Avant, cela m’aurait frustré, mais je respirai un coup pour continuer mon œuvre. La lame fixe, le bras solide, je fixai le paysage devant moi, cherchant à embrasser de mon regard la course des oiseaux, la disparition des monts dans les nuages, … Dans le blizzard, j’avais eu l’occasion de fermer les yeux, mais ici je devais jauger le monde devant moi en gardant bien ouverts mes paupières.

“Couper l’égo.”

Au fond, qu’est-ce que je visais ? “Qui au monde, en dehors de moi, peut accéder à la voie ?”. J’étais à un moment critique, comme naviguer dans un chenal étroit ou négocier un détroit long de cent soixante kilomètres. Vaincre de telles passes périlleuses, c’était ce qui était “franchir des endroits critiques”. Tout le long de la vie, il existait de nombreux carrefours difficiles à traverser. Pour naviguer, je devais connaitre les endroits périlleux, la capacité de mon bateau à sillonner des eaux agitées, savoir combien la journée me sera propice. Je me devais, alors, de considérer les conditions météorologiques, chevaucher les vents arrière et virer de bord selon les vents. Mon expérience de marin, en somme. Des bonnes priorités, c’est ce qu’il fallait choisir : Évaluer la position de l’ennemi et être conscient de ses propres compétences. Prenant la garde de ma lame à deux mains, je tirais vers le ciel le katana en cherchant à grandir le plus possible ma silhouette.

“Je suis le ciel, je suis la terre. Je suis l’infini. Je vais y arriver, je le sais.”

Restant un moment dans cette position, accumulant l’énergie et la concentration, je sentis l’air devant moi qui montais par la dépression de la pente. Le froid et le vent piquaient ma peau, alors que mes mèches fouettaient mon visage. Pendant un instant, je saisis le sens du courant : Suivant, par mes oreilles, le passage de l’air entre les rochers. Ma conscience, utilisant la lame comme une… Antenne ? S’épaissit vers le ciel, vers le nuage. Une impression de douceur, de calme… Une liaison fragile, très faible, mais exploitable. Je ne pouvais décemment pas frapper maintenant, mais je travaillais ce lien.

Un réseau, il me fallait un réseau… Le chakra, à travers mes méridiens, circulait dans mon corps. Créer une voie parallèle, à l’extérieur de mon corps, était une possibilité. Amenant mon énergie physique et spirituelle dans l’acier, je sentais mes mains et ma posture changer pour m’adapter au nuage. Mon regard se tourna vers la bonne direction, les yeux plissés comme je m’étais entrainé à le faire.

Je savais ce que j’avais à faire : Une grande puissance, une grande vitesse. Le katana au-dessus de mon épaule gauche, je frappai en diagonale pour rejoindre mon genou droit. L’onde, invisible, se diffusa dans l’air en déchirant le peu d’oxygène et de condensation qu’il y avait sur son passage. Observant l’attaque par son chemin, je la vis bien vite rejoindre le nuage à une vingtaine de mètres et le découper en deux… L’énergie se diffusa dans l’objet céleste pour dissiper les restes.

Une vague de soulagement s’échappa de mes lèvres sous la forme d’un soupir. Ici encore, le coup était épuisant… Je me jetai en arrière pour ne pas tomber en avant, cela serait trop bête de tomber dans le vide après un tel tour de force ! Dos au sol, le kimono trempé par la neige, je levais mon sabre vers le ciel : De la gratitude, mêlé de fatigue et de rédemption.

- J’ai réus… Et sans pouvoir finir, je m’endormis.

Technique 4/4:


Sphinx. Yukio 021

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