Un échange avantageux [PV Kamiko Raion]

Il y a quelque chose d’extrêmement satisfaisant à voyager. Est-ce la découverte d’environnement nouveau ? De la culture étrangère dont laquelle on retrouve, parfois, des bribes éparses de la sienne ? Des multitudes de couleurs oubliées ou de motifs inconnus qu’on voit chatoyer quelques instants dans les rues qu’on parcourt ? Des odeurs quotidiennes d’un nouveau genre, qui viennent étoffer les souvenirs qu’on possède déjà et en raviver d’autres, plus anciens ? Vaste, ce sentiment de quiétude, laisse très vite place à l’excitation. Partout où l’on pose les yeux, l’expérience, nouvelle, nous remue et nous transporte. Qu’allait-on voir ? Qu’allait-on ramener ? Est-ce que c’est bon ? Pourquoi n’entrerions-nous pas là-dedans, pour voir ce qu’il s’y passe ?

Debout au milieu d’un port en pleine effervescence, Raion cherchait encore à quelle question elle répondrait en premier. Son visage caché derrière son voile fétiche, son bandeau de ninja abandonné à Konoha sans vergogne, la commerçante était là sur son temps libre, bien loin des préoccupations du village et de sa fidélité à la seule femme Kage qu’elle connaisse. Son regard passant d’étal en étal, elle vaquait tranquillement, découvrant en direct les milieux de papiers qu’elle avait pu potasser sur l’état économique du domaine Yamanaka. Ni allié ni ennemi, ils se tenait entre les deux puissances qu’était Uzu et Hi no kuni, comme si leur présence n’était, en définitive qu’une anecdote à ajouter à leur conversation quotidienne. Une audace sans borne que la Kamiko se permettrait sans doute, si elle disposait elle aussi de leur terrible arcane. A leur réputation, la jeune femme c’était imaginer bien des fonctionnements pour cet état discret et sans histoire, passant de la dictature mentale totale à la relative paix armée mais elle n’avait nullement senti la tension, caractéristique, d’une population encore sur ses gardes. C’était donc avec un certain plaisir que l’intendante, venue sous couverture, découvrait cette petite ville pleine d’une vie avide et dépensière.

Les Yotsuki savait choisir leurs lieux de rendez-vous, sans nul doute. Raion elle-même n’était pas déçue d’avoir suggéré une rencontre en bateau. Une audace qu’elle avait voulu à l’image de leurs hôtes du jour, sachant pertinemment quelle réputation possédait les terribles combattants des montagnes. Pourtant, loin de craindre pour sa vie, la Kamiko se réjouissait. Elle n’aurait jamais pensé que le clan daignerait lui répondre, la menace discrète d’Uzu planant sur leur territoire. Elle n’aurait jamais pensé, non plus, obtenir une entrevue commerciale en terrain neutre. Une double surprise qui faisait suite à son ambitieux plan d’attaque sur la relation Suna-Konoha, qu’elle espérait tout aussi concluant. Pour l’heure, elle attendait son carrosse, se fondant dans la foule autant que faire se peut lorsqu’on porte un large sandokasa et un rouleau caché par un manteau de voyage délavé.

Autour d’elle, la cloche des débarquements navals retentissait à intervalle régulier, la forçant parfois à se dévisser le cou pour entrapercevoir quelque chose sous le rebord oblique de son chapeau en bambou tressé. Un exercice auquel elle finit par renoncer, au bout de la cinquième fois en vain, de peur de rester coincée dans une position fort peu à son avantage. Elle finirait bien, tôt ou tard, par entendre la rumeur de leur arrivée et prit donc l’initiative de visiter quelques boutiques à proximité à la recherche de quelques petites douceurs et d’une bonne bouteille de saké pour agrémenter une discussion qui s’annonçait très certainement nourrie. Elle se demandait, de toute les denrées qu’elle avait à sa portée, ce que voudrait les Yotsuki plus que tout au monde. A leur place, elle n’aurait pas particulièrement envisagé l’achat de sa propre marchandise, bien trop peu utile à la défense du territoire mais peut-être n’avaient-ils pas besoin de renfort. Avec le recul, les rumeurs sur la force des montagnards au teint basané n’étaient pas si peu nombreuses mais cela ne rendait pas leur investissement plus simple à lire. Raion était, avant tout, une marchande de loisir, bien plus que de soutien et cela ne pouvait signifier que deux choses. Recherchait-il un mécénat ou leur situation d’ostracisme volontaire en avait-il fait une nation paisible ? Ces nouvelles questions vinrent s’ajouter à la foule de celles qui peuple l’esprit bien trop plein de la kunoichi, pour mieux s’y tapir. Elle n’aurait, sans doute, pas de réponse avant d’être finalement devant son interlocuteur. Yotsuki Boo. Non pas Yotsuki Z, comme elle aurait pu l’espérer mais il fallait bien commencer ses négociations quelques parts.

Au gré de ses pérégrinations, Raion, bien trop perdue dans ses pensées, finit par butter contre une personne. Cette dernière, après un regard courroucé, l’abandonne avant même qu’elle ait pu s’offusquer, la laissant seule à observer le dos du matelot qui s’éloigne déjà. Levant donc la tête, elle le regarde disparaitre, avec pour seul indice l’immense symbole de clan qui orne son dos et sa petite frimousse aux cheveux blancs. Un symbole sur lequel son esprit s’arrête. Elle avait déjà vu ce cercle barré de nuage, mais où ? Son temps, court, de réalisation s’accompagne de l’arrivée providentielle d’un mocchi. La sucrerie tourne et retourne dans la bouche de la brune, alors que ses neurones au supplice lui font reconnaitre l’évidence : l’invité, tant attendu, est là.

La main encore farinée de la Kamiko relève le devant de son chapeau, son regard gris acier partant à l’assaut des mats pour trouver le bateau dont était originaire la petite fusée qu’elle venait de croiser. Fier, l’étendard Yotsuki flottait au vent à une vingtaine de mètre de là, alors que l’eau léchait encore la coque d’un navire aux voiles flambant neuve. Etait-ce le cas de la totalité de l’embarcation ? Pas à pas, la lionne progresse dans une foule qui se densifie en écho à une excitation croissante. Visiblement, les montagnards ne venaient pas simplement la rencontrer. Elle observe, sourire aux lèvres, le défilé des marchandises qu’on débarque petit à petit sous les yeux curieux des badauds attirés par la couleur de peau exotique des marins. Elle regarde les quelques mousses rodés à l’exercice, faisant rouler les tonneaux les plus lourd tandis que d’autres dressent l’étale sur lequel ils poseront bientôt leurs denrées pour mieux pouvoir en faire profiter les acheteurs. Ce spectacle, familier, avait un doux goût de nostalgie pour Raion. Elle se revoyait, quelques années auparavant, dans cette routine, accompagnée de son père et de ses cousins, prenant douloureusement conscience de ce que ces nombreuses nouvelles casquettes la privaient de faire. Intendante. Chef de Clan. Chef de branche. Tant de responsabilité qui l’écartait, chaque jour un peu plus, de la simplicité de la vie.

Avec un soupir de regret, la jeune femme se résout à briser son temps de réflexion et pousse la dernière personne qui la sépare du ballet de déchargement du navire marchand. Dans le même geste, elle fait glisser son sandokasa dans son dos, découvrant son visage à la vue du gigantesque type qui surveillait ses semblables. Elle lisse un peu ses cheveux en bataille, adressant un salut de sa main libre à l’attention de celui qu’elle imaginait l’attendre puis reporte sa main sur son manteau. Détaché, le vêtement libère, finalement, le reste de ce que Raion avait pris soin de protéger pour garder son identité la plus discrète possible. L’énorme rouleau Kamiko dépassant de ses épaules, elle finit par rejoindre l’homme qui la domine d’une bonne tête après avoir pris soin de réunir sa cape de voyage et ses emplettes dans son couvre-chef.

 

Raion scille à peine du ton caressant de son interlocuteur, brutalement bien heureuse du voile qui dissimulait ses traits. C’était donc ça, un Yotsuki. Elle avait imaginé ses semblables bourrus, presque aussi sauvage et acérés que les montagnes dans lesquels ils vivaient. Pourtant, à entendre les rires et l’effervescence du stand dont, il fallait l’avouer, l’odeur avait de quoi donner faim, ils semblaient à des années lumières de leur image de guerriers solides et peu émotifs. La surprise était agréable et, sans doute, expliquait à merveille l’échange presque cordial qu’ils avaient eu par courrier jusqu’à présent. C’était une main jeune, avide de découvrir le monde, qui viendrait donc mener les négociations en sa compagnie. Jusqu’où était-il formé ? Jusqu’où maitrisait-il les arcanes de son propre clan et du monde ?

S’engageant sur la passerelle à la suite de son hôte, elle laisse son regard passer le long de son dos. Si son caractère semblait affable, Boo portait bien sur lui, au-delà de son signe de clan, la carrure d’un combattant. Nul doute que, si la situation l’exigeait, il était parfaitement capable de désamorcer une escarmouche et cela fit sourire la jeune femme. Féroce au combat, c’était admis, mais l’était-il autant qu’en affaire ? Elle franchit le bastingage sans y penser, lâchant son interlocuteur des yeux pour les fixer sur le navire. Le bois, sous son pied, était de bonne facture et, malgré la mer qui lui rappelait qu’elle n’avait guère l’équilibre marin, donnait à l’embarcation un aspect neuf sans doute renforcé par l’entretien attentif des matelots. La Kamiko voyait, du coin de l’œil, quelques-unes des serpillières abandonnées dans des endroits stratégiques et, malgré le pont éventré par sa trappe vers la cale ouverte, personne ne semblait daigner rester à bord. Elle était donc bel et bien seule avec le Yotsuki, tandis que les autres continuaient leur spectacle culinaire. Raion avait même cru, brièvement, apercevoir un jet de flamme en direction du ciel. Sans doute étaient-ils en train d’épater la galerie pour gagner quelques ryos supplémentaires et, un bref instant, elle regretta de ne pas pouvoir en avoir le cœur net.
 
Son sourire, caché par le voile, vint illuminer ses yeux une poignée de secondes avant qu’elle ne les ferme pour secouer la tête. L’attention était charmante, encore plus s’il songeait avoir la primeur de la faire monter dans un bateau. Mlagré la plus élémentaire politesse, l’idée d’être prise pour une midinette facilement impressionnable teinte le sourire précédent d’une pointe d’ironie. Les mots s’échappèrent alors, tranquilles, tandis que la jeune femme reposait à nouveau son regard sur le marin.
 
Raion grimpe alors devant lui, profitant qu’il prenne quelques secondes pour disparaitre à l’intérieur de la capitainerie. Elle savoure le vent salin qui lui balaye le visage, manquant chaque seconde de faire disparaitre le peu de mystère qu’elle laisse encore planer sur identité, et qui lui rappelle une époque révolue de sa vie. Pour la première fois depuis une éternité, le regard de la jeune femme se pose sur l’étendue, limpide, parcourue de bateaux. Elle écoute le hululement des vagues et le chant des cordes avec nostalgie, ignorant la grande table dressée à son attention pour mieux partir se coller au bastingage. L’onde réverbérait le soleil et lui faisait plisser les yeux mais, pour rien au monde, elle ne se serait détachée du spectacle des navires aux voiles gonflées par la brise prenant la direction du large. Au loin, elle entendait les vagues échos des voix, graves et parfois fausses, des marins qui s’égosillaient en voyant le plancher des vaches s’éloigner. Les remous de l’écume se brisant sur la poupe éclabousse la Kamiko et, conjuguée à l’intervention du Yotsuki, achèvent de la convaincre qu’il était temps de se consacré à un autre spectacle.
 

Elle s’empare de la bouteille, nullement intimidée. Elle n’en était pas à son premier deal et n’avait rien à envier à qui que ce soit, en matière de culot. Pire même, elle se permet de faire tourner l’objet dans ses mains et de le soupeser pendant qu’il lui donnait les détails. Elle n’y vit, rien de plus, qu’un rite initiatique et, au-delà de ça, d’appuyer ses dires par les actes. Sans quitter le Yotsuki des yeux, alors qu’il reprenait son bien, elle glisse son vers devant lui et, alors qu’il les sert, retire son voile. Le visage pleinement découvert, la Kamiko soutient le regard de son partenaire de commerce et, sans prévenir, elle s’empare de son verre pour le porter à ses lèvres. Basculant la tête en arriève, elle vide alors le récipient d’un geste vif, sans respirer. La force de l’alcool, cependant, lui fait pincer les yeux et, à mesure qu’il descend dans sa gorge, la brune doit résister à l’envie, irrépressible de tousser. Elle revient pourtant, aussi vite qu’elle vient de boire sa mise à l’épreuve, ses deux prunelles grises tombant dans celle rouge de son adversaire.

Elle se penche, dévoilant le gigantesque dos nu de sa robe pour saisir ses emplettes et les poser, à son tour, sur la table. La bouteille de saké, plus douce, fait pâle figure à côté de son homologue artisanale mais Raion s’en fiche. Accompagnée comme elle l’était par les quelques plats des échoppes alentours, elle revêtait une autre idée de l’hospitalité et de l’échange qu’ils s’apprêtaient à entamer. La jeune femme ne comptait pas, pas encore tout du moins, montrer l’ampleur de services qu’elle était en mesure de fournir. Au-delà de l’intention, manifeste, de Boo de la jauger, la chef de clan voulait être sûre qu’il ne se débinerait pas, une fois les festivités entamées. Elle refusait d’avoir fait tout ce chemin pour repartir les mains vides.
 
Raion laisse planer un silence théâtral, alors qu’elle dévore une nouvelle boulette. Son ton n’avait rien de doux et sa façon, sobre, dénoncer les faits, venait en surligner à dessein la portée. Elle n’avait, pour ainsi dire, pas l’habitude de prendre de gant quand il était question de commerce, peu importe le lieu et l’interlocuteur. Cette méthode, à double tranchant, lui avait valu bien des soucis et, conjointement, bien des réussites. Ceux qui n’avait pas renâclé devant son caractère chaotique allaient même jusqu’à l’apprécier et le réclamer. Pourquoi perdre du temps, alors qu’on pouvait poser ses exigences sur la table et commencer la vraie discussion ? La kunoichi adresse un sourire carnassier au Yotsuki qui tente, encore et toujours, de la jauger.
 
Se reculant légèrement sur son siège, Raion croise les jambes et laisse reposer, nonchalamment, son menton sur le dos de ses mains croisées. Il n’y avait, dans son attitude, aucune défiance ni défis, et, à bien y regarder, elle avait tout d’une personne dans une attente tranquille et sereine.

Raion observe l’animation autour d’eux, son regard se posant sur les nombreux sourires des hommes du clan qui ne perdaient pas une miette de leurs échanges. Se savoir ainsi au milieu de l’ennemi, privé d’une retraite terrestre rassurante, pourrait effrayer n’importe qui et à raison. Pourtant, c’est un sourire radieux qui fait écho à ce kidnapping inattendu mais au combien prévisible. Elle aurait même, pour tout avoué, été déçue qu'ils ne saisissent pas cette chance.

Quelqu’un de moins buté que la brune aurait jeté un regard en arrière vers la terre mais elle n’a, en cet instant précis, d’yeux que pour la mer ondulante qu’elle aperçoit par-dessus l’épaule de son interlocuteur. Naviguer. Elle n’avait beau pas être née à bord, la Kamiko appréciait chaque instant offert pas la mer capricieuse dans laquelle ils s’aventuraient. Le vent, bien plus fort à mesure qu’ils prennent le large, balaye la longue chevelure sombre de la jeune femme, dévoilant le rond rouge qui décore le large décolleté de sa robe. Spectacle qui semble intéresser certains Yotsuki, si elle en croit les sifflements, les rires et le bruit sec de quelques claques s’écrasant sans doute sur des dos, des joues ou peut-être même des bras. Cette fraternité, mêlée d’un respect sommaire, est bien éloignée de l’ambiance calfeutrée et ambitieuse de son propre clan. Si la plupart des Kamiko s’entendait relativement bien, il était rare de voir sa famille soudée comme l’était les matelots à bords. Cette conscience, bien que pinçant son cœur de regret et d’envie, la fait d’autant plus apprécier le caractère bourru et querelleur de ses hôtes.

Fermant les yeux, Raion savoure l’air marin qui lui fouette la peau, accompagnant la douce musique de la voix posée de Boo. Ses poumons s’emplissent de l’odeur saline, dessinant une douce ombre de quiétude sur son visage jusque-là relativement neutre. Au fur et à mesure que les paroles venaient meubler le bruit des vagues se brisant sur la coque, la jeune femme se mit à compter les points. Il avait raison, et, elle-même anciennement détachée des villages, elle comprenait ce besoin à la limite de l’obsessionnel, d’être en mesure d’anticiper la menace. Elle fut néanmoins agréablement surprise d’observer que, fort de leur ego, ils n’en avaient pas moins gardé l’idée potentielle de s’allier, de près ou de loin, à quelqu’un d’autre pour assurer leur avenir. En cela, la Kamiko ne pouvait se demander d’où venait réellement l’initiative. Volonté de Z ou volonté de Boo ? Elle goûte l’ouverture inattendue avec un bonheur exacerbé par la surprise et ne peut s’empêcher de sourire. La transition allait leur couter, sans nul doute autant qu’elle l’avait fait à son propre clan. Peut-être même plus, si la kunoichi en jugeait par l’esprit libre, taquin et fier, qu’on avait envoyé se frotter à elle. Les Yotsuki étaient-ils prêt au sacrifice ? L’intendante le découvrirait bien assez tôt. Rouvrant ses paupières, son regard tombe dans celui écarlate du marin.

Son ton est taquin mais ses yeux ne sauraient mentir tant ils reflètent l’aplomb de la jeune femme. Créatrice. Couturière. Kunoichi. Chef de clan. Chef de branche. Intendante. Toute les casquettes que Boo avait énoncées, et bien plus encore, se tiennent, condensée dans la petite silhouette féminine que les Yotsuki pensent frêle et timorée. Encore hier, elle refusait de se soumettre à Akimichi Shô et ne pouvait, par pur calcul, refuser d’appuyer la Hokage récemment élue. Devenir intendante était peut-être une erreur de parcours, mais cela s’avérait parfaitement stratégique.

La lionne repose sa bouteille de saké et, dans un geste calculé, effleure les doigts de son interlocuteur en déposant son verre devant lui. Le contact est bref mais doux, prévu davantage pour qu’il relâche son attention que par le besoin réel d’établir un lien. Aussitôt, elle referme ses deux mains sur sa boisson, faisant astucieusement tourner le liquide translucide dans la coupe dans un mouvement trahissant son habitude.

La grande brune ne peut s’empêcher d’en rire. Si n’importe quel Konohajin l’entendait, il lui trancherait sans doute la gorge mais personne ne pouvait nier l’évidence. Pas un instant, les Kamiko n’avait pris soin de s’inclure dans la politique du village, ni participant que du bout de leur doigt de tisseur sans jamais prendre d’initiative. Ils étaient simplement là, dans la pleine conscience de la contrainte que leur indépendance causerait pour leur survie. Tôt ou tard, ils auraient été traqués et décimés, un gâchis qu’aucun Kamiko n’aurait pu approuver. Passant une main sur sa mâchoire pour en éteindre l’amusement, elle pose finalement son menton dessus sans parvenir à faire disparaitre l’énergie pétillante, communicative, qui hante encore son visage.

Se redressant, la jeune femme s’empare du rouleau qui reposait jusque-là à ses pieds et le fait pivoter à la verticale. Presque aussi grand qu’elle, le parchemin sobre, frappé de son symbole de clan, portait de nombreux talismans sombres frappés de kanjis. On pouvait y déchiffrer, répété de manière régulière, les mots marchandises ou encore fragiles. Tapotant affectueusement l’objet, la kunoichi tend son autre main, paume offerte, vers Boo. Balayé par l’air marin, quelques mèches rebelles dissimulent brièvement son visage mais pas l’étincelle farouche de son regard.

La brune ironise, faisant danser la boulette de riz offerte entre ses doigts. Redevenir indépendant, maintenant qu’ils se trouvaient assimilés était impossible mais il y avait d’autres moyens. Ses pensées voguèrent jusqu’à Kuma, une brève poignée de seconde. Echappée à la domination d’un village en créant une autre branche familliale dans un autre ? Un plan fou, presque impossible mais pourtant en marche. Inexorablement, Raion savait qu’elle poserait, tôt ou tard, un pied dans l’enceinte de la si fermée Suna. Mais, bien loin de l’ambition de devenir une épouse, la brune n’aspirait qu’à une chose : unir le Sekai sous la bannière indiscutable de son hégémonie commerciale. Avec tous les sacrifices, à court ou long terme que cela pourrait impliquer.

Dix ans. Dix longue années sur lesquelles reposait l’intégralité de la rumeur fournie que n’importe qui pouvait grappiller aux quatre coins de Hi no Kuni. Etoffée un peu plus chaque jour par le tempérament chaotique, tempétueux d’une adolescente qui, une fois devenue femme, n’avait pas connu de concurrence. Debout sur la corde sensible des Yotsuki, elle ne tremblait pas, continuant d’abattre ses cartes, construisant la voie qu’elle souhaitait vers son objectif, méprisant totalement le bien du village pour son seul et unique plaisir. Totalement ? Faux. Bien qu’elle n’en toucherait jamais un traitre mot à qui que ce soit, la Kamiko savait, pertinemment, qu’aujourd’hui elle traitait sur deux terrains à la fois. Si les échanges entre les deux clans s’avéraient aussi juteux que dans ses prévisions, rien ne lui garantissait qu’ils ne lui demanderaient pas, tôt ou tard, un lien plus profond et plus solide. Mais l’oseraient-ils seulement, devant la peur qu’elle voyait dans les yeux de son interlocuteur, de crainte d’être annexés à leur tour ? La survie ou l’extinction, tel était le choix qu’ils devraient porter jusqu’à la décision finale.

Alors que le dialogue se poursuit, le sourire, déjà féroce, de Raion devint prédateur. L’indépendance ou la mort. Elle partageait cette philosophie d’une manière qui lui était propre et, l’entendre revendiqué sans hésitation lui fit l’effet d’un véritable choc électrique. Si jusqu’à présent la kunoichi faisait preuve de respect poli, son interlocuteur venait de le gagner de fort belle manière. Pour peu que sa taille ne la limite pas, elle aurait volontiers pu continuer la conversation, front contre front, volonté contre volonté. Et l’exploit de trouver quelqu’un à sa mesure dans le domaine n’était pas volé. Ni l’un ni l’autre ne semblait décidé à lâcher du lest malgré les avancements timides entre les échanges.

Face à Boo, dont la main venait de toucher celle de la Kamiko, se trouvait un petit bout de femme à l’aspect bien sauvage. Froide, féline, la voix de l’intendante de Konoha résonne sur le bateau du poids d’une réflexion longue et entretenue. Elle n’avait jamais eu l’occasion de montrer au monde à quel point elle voulait se mesurer aux plus grands marchands du Sekai. Tous ces semblables, concentrés comme ils l’étaient sur la guerre, délaissait le vrai nerf de chaque bataille à ses petites mains avides et expertes. L’argent, centre du pays, coulait à flot et il était juste à portée, si tant est qu’on sache s’en emparer courtoisement.

Elle toise l’homme, se dévissant presque la tête pour mieux lui offrir le visage même du requin des affaires. Jeune clan ? Jeune chef ? La mégalomanie sous-jacente de la lionne de Konoha transparait au plus haut de son vice, juste sous le regard du Yotsuki.

Une pause, brève, alors que le vent repousse les long cheveux bleus corbeaux de Raion vers sa jolie petite frimousse. Un frisson la parcourt, alors qu’ils fouettent leurs deux mains avant de repartir en sens inverse, balayés par un tourbillon marin.

Témérité faite chaire, la Kamiko ressert sa poigne sur son rouleau. De badine, la conversation s’était alourdie. A moins que ce ne soit ce contact, hautement malvenu, qui changeait la donne. Croyait-il qu’elle allait s’en prendre à lui - à eux - par le biais d’un parchemin de transport ? Elle n’avait, certes, pas pris soin de présenter son côté de la balance entre la guerre et la paix mais la crainte lui semblait grotesque. Seule, sans connaissance en navigation, au milieu d’un navire plein à craquer de ninja en pleine forme, Raion se savait parfaitement à son désavantage. Qui serait assez fou, en cumulant les rôles comme elle le faisait, pour créer un incident diplomatique au nom d’un plaisir pervers et sans fondement logique ? La kunoichi n’était pas venue pour se battre, elle y avait renoncé en ouvrant les négociations à l’instant même où elle avait posé le pied sur le navire. Si la situation l’exigeait, elle se rendrait sans se battre, bien plus certaine de l’issue d’une fuite que d’un combat de front. Que pensait donc faire le Yotsuki qui se tenait là, à quelques pas d’elle, le bras tendu pour l’interrompre dans un mouvement qu’elle n’avait pas encore amorcé ? Une lueur sombre teinte son regard d’un défi qui fait écho à l’immense arrogance qu’elle voit dans les deux flammes rouges des prunelles de l’homme.

Resserrant sa poigne, elle refuse de laisser ses yeux vagabonder avec curiosité sur le bras tatoué qui la tient. Ses propres marques, tissées à même sa peau, la démange, soudainement, tandis que le chakras reflux dans ses paumes. Elle n’avait sans doute pas autant de force que son adversaire mais cela lui importait peu. Les ongles presque plantés, elle soutient son regard avec tous l’aplomb dont elle faisait preuve, jusqu’alors.

Le sarcasme se dispute avec l’arrogance dans un murmure suave, presque tendre. Un contraste terrible avec l’air de défi qui vibre dans la moindre parcelle du corps de Raion. Sauvage, elle repoussait toute entière le contact d’une phrase silencieuse, catalyseur de sa volonté. Je ne me soumettrais pas. La jeune femme jouait avec la foudre, sans honte, au nez et à la barbe d’un clan entier dont elle ignorait si l’amitié ou la haine était le sentiments dominant à son égard. Prendrait-elle son premier coup de jus maintenant ? Plus tard ? Irait-elle bientôt nourrir les poissons ? Bien loin d’avoir peur pour sa vie, la chef de clan y voyait un certain mérite et mourrait d’envie de défier les pronostics. Le bon sens voudrait que cette discussion n’est jamais lieu, mais Raion se trouvait à bord. Elle n’était plus à un tour de force près.

La réponse, inattendue, brille en écho à la défiance de la Kamiko. Il n’était pas rare pour elle de se voir femme, au travers du regard d’autrui mais il était étrange, inédit, de se sentir désirer par un type qui, quelques secondes plutôt, faisait de son mieux pour le dissimuler. Dire qu’il la connaissait à peine et que déjà, il s’enflammait d’anticipation. Pas mécontente de son effet, elle devait néanmoins avouer qu’elle se serait volontiers passée de cette nouvelle partie de l’équation. Mais que pouvait-elle faire vraiment, quand la fougue d’un jeune homme qui pensait avoir toute ses chances pesait dans le poids de la discussion ? Voilà qui allait sans doute déplaire à Shirokuma. A vrai dire, la totalité de son initiative d’aujourd’hui lui aurait sans doute fait s’arracher les cheveux de mécontentement. Il pourrait d’ailleurs, toujours le faire s’il l’apprenait un jour. Peut-être même le lui dirait-elle elle-même, pour le plaisir de voir jusqu’où ce charmant Sunajin s’impliquait affectivement dans leur échange. Un sourire tendre passe, fugacement, sur les traits de l’intendante. Par tous les kamis, qu’est-ce qu’elle aimait le taquiner !

Brutalement ramenée à la réalité, Raion secoue la tête, mi-figue mi-raisin. Il n’avait donc pas de limite à son envie de la tester ? N’avait-elle pas encore assez prouvé sa valeur ? Voilà maintenant qu’il voulait qu’elle court aux quatre coins d’un navire en pleine mer pour le divertir. Le sens de l’hospitalité Yotsuki lui échappait mais elle reconnaissait là une coutume guerrière, ancienne comme le Sekai. Les mots ne lui suffisaient plus, il voulait quelque chose de plus tangible, de plus instinctif. Fermant les yeux une poignée de seconde, la brune se résigne. Le temps des paroles était malheureusement pour elle, révolu. Elle allait devoir évoluer sur terrain qu’il maitrisait bien mieux qu’elle. La jeune femme tique à peine, lorsqu’il l’attaque au pied levé sur son ego, mais ne peut rater la pluie d’étincelle qui anime le jeune homme. Il aimait cette situation. Non, il voulait cette situation, avec toute la puissance du désir instable et pur d’un enfant capricieux. De toute son âme, il réclamait qu’elle abandonne son carcan de manière pour passer à quelque chose qu’il comprenait bien mieux. Jetant un regard autour d’elle, la Kamiko devine la tension qui habite l’équipage alors que leur représentant joue. Eux non plus, loin d’être enchantés, ne pouvait malgré tout pas s’opposer à la parade martiale qui couvait sous les traits excités de Boo.

Le navire, dont leur bras de fer diplomatique avait jusqu’à présent rythmé la vie des marins, s’anime dans le défilé bien rodé des habitués à l’escarmouche qu’ils étaient. La table, encore chargée, s’envole en un éclair et disparait dans la capitainerie avec les plus jeunes frimousses. La porte se referme sur eux, mais les joues s’agglutinent sur les vitres, couvrant peu à peu celles-ci d’une buée épaisse qui leur cachait la vue à l’intervalle régulier de leur respiration. Les plus vieux, eux, prennent place à l’écart. Des rires s’élèvent des quatre coins du bateau, échappés des mâts, des cordes ou même encore, de la plateforme du gouvernail où ils commençaient à se réunir dans un ensemble festif. Si Raion avait pu conserver quelques réserves quant à la main de Boo sur la sienne, son clan les chassait volontiers. Ce combat n’était pas une mise à mort mais un spectacle primal, qu’ils appréciaient selon des coutumes qui échappaient encore à la kunoichi. Que se passerait-il, en fonction du résultat ? Accèderait-elle à une autre strate si elle l’emportait ? Devait-elle perdre, par politesse ? Pouvait-elle seulement gagner ?

Le vent vif la sort de ses réflexions, caressant sa peau nue et déposant son voile salée sur les lèvres de la jeune femme qui ne peut s’empêcher de les lécher. Des sifflements, lubriques, répondent à son geste mais c’est bien le dernier de ses soucis. Toujours dans sa main, son précieux rouleau scellé n’était absolument pas prévu pour ce qu’on attendait de la Kamiko. Pire, en le laissant ici elle prenait le risque de perdre son contenu par-dessus bord, au moindre faux pas. Son regard quitte celui de Boo pour se poser sur la plateforme pleine à craquer qui les surplombait et elle se met à sourire. Tirant la lanière de transport, elle projette son bien en l’air pour venir le faire reposer sur ses mains, une courte seconde, avant de l’envoyer, purement et simplement sur la foule. Ils l’attraperaient, elle en était convaincue, aussi se reconcentra-t-elle sur un sujet bien plus épineux. L’art d’échanger des coups avec quelqu’un qui représentait l’antithèse de son style.

Parmi les clameurs enthousiastes qui cueillent sa réponse, elle entend les sifflements désapprobateurs du capitaine. Fataliste, elle ne pouvait que partager son avis à ce propos mais que pouvait-elle faire de mieux ? Refuser n’était pas une option compatible avec tout ce qu’elle avait réalisé, jusqu’ici. La Kamiko trésaille à peine lorsque la foudre jaillie, menaçante. Elle la regarde une poignée de seconde, curieuse, envieuse de ce pouvoir qu’elle-même possédait sans maitriser. C’est d’ailleurs peut-être cette affinité innée, silencieuse, qui l’aide à rester face à son adversaire hérissé d’électricité comme un porc-épique. Lorsque l’un des éclairs lui lèche le bras, engourdissant les muscles sur son passage, la brune darde un regard acéré à son propriétaire.

La voix de Raion est basse, presque inaudible pour leurs bruyants spectateurs. Qu’allait-elle faire pour s’en tirer avec un Yotsuki ? La seule chose à sa portée était leur immense réputation d’utilisateur de Raiton. Une information, maigre, mais une information malgré tout. Repassant en revu ses options, l’intendante parvint à la conclusion, douloureuse, qu’elle risquait de passer un sale quart-d ’heure, encore plus si elle voulait préserver quelques-uns de ses secrets. Et, d’un autre côté, elle hésitait à se mesurer pleinement à son adversaire. Qu’était-il, en équivalence dans son système ? Genin ? Aucune chance. Chuunin ? Jonin ? L’inconnue de puissance lui assombrit les yeux, l’espace de quelques secondes. Il lui fallait plus de données, plus de choses auxquelles se raccrocher pour établir une stratégie viable, si elle en avait le temps et l’occasion.

Lorsque ses mains s’unissent dans le symbole final de sa technique, les yeux d’aciers de la lionne se recouvre d’un voile de chakra concentré. L’aura, que la kunoichi savait d’ors et déjà Raiton, s’amplifie et s’offre à ses yeux rodés à l’exercice. En une poignée de seconde, la tension de Raion diminue alors qu’elle lit en Boo comme dans un livre ouvert. Ses mains reprennent alors vie, signant de nouveau aussi vite qu’elle en était capable avec son membre ankylosé, avant de se fendre d’un gigantesque sourire. Dans une position d’attente similaire à celle de son adversaire, elle appose une de ses mains sur son cœur, déposant un doigt de la seconde juste sous son œil et tire au Yotsuki une langue outrageuse, provocante.

De sa dernière technique, nulle trace n’était visible, mais il aurait été bien plus difficile de rater l’éclair de malice surligner par la voix chaude et encourageante de Raion.

Récapitulatif combat:

L’électricité dans l’air fit frissonner la jeune femme. D’un ennemi, elle était passée à deux. Aurait-elle dû s’imposer de rompre la distance d’elle-même ? Non. C’était bien trop dangereux, bien trop contraire à son caractère. Et, d’un autre côté, l’idée avait un goût de nouveauté bienvenu qu’elle n’eut, malgré tout, pas le temps de saisir. Ses yeux, allant et venant sur les deux Yotsuki qui lui faisait face, ne lui laissait aucun répit. Lequel s’approcherait ? Gâcherait-elle sa préparation sur le clone ou aurait-elle une occasion en or de briller sur l’original ? Là où Raion aurait pu s’attendre à une attaque de grande envergure, elle ne pouvait que remercier le lieu de rendez-vous. L’étendue d’eau et leur navire était les moyens les plus dissuasifs possibles, si tant soit peu que Boo accorde une véritable importance à la survie à long terme de son équipage. La logique, appuyée par l’ambiance familiale et les cris d’encouragement qu’elle entendait tenter de percer le son envahissant du tonnerre, voudrait que oui. Mais qu’en serait-il, une fois lancés, dans la fièvre du combat ? Pourquoi diable n’avait-il pas attendu d’être sur le plancher des vaches pour se livrer à ce petit jeu ? Tant que questions sans réponses, que Raion n’eut guère le temps de creuser.

Elle le voit se ramasser et, dans un réflexe vieux comme le monde, elle sent son corps se recroqueviller pour diminuer les ouvertures. Pour peu, elle se serait presque attendu à ne pas en avoir le temps et, lorsqu’elle le voit se propulser, elle arque un sourcil interrogateur. Etait-il volontairement lent ? N’avait-il pas pensé à rajouter davantage de son chakra pour une technique d’accélération ? La tension apparait sur le visage de la lionne, qui se doit alors d’attendre, supportant un nouvel assaut de l’armure de foudre de son adversaire qui vient lui chatouiller les jambes, déclenchant un engourdissement malvenu qui lui fit manquer, de peu, son changement de position. Le coup, qui aurait pu être légèrement déporté vers le flan, la heurte en plein estomac, lui écarquillant les yeux de douleurs. Pourtant, un sourire sauvage apparait sur le visage de la jeune femme dont les poumons se vident avec violence. Cette fois-ci, il ne la ménageait pas et cela la ravissait, quelque part. Elle n’aurait donc aucun scrupule à avoir. Elle lui laisse savourer la satisfaction du premier sang, enivrante, concentrée sur sa marche à suivre. Corps à corps, Raiton. Si le combat s’annonce rude, il ne sera pas à sens unique. Les deux mains de Raion entament un nouvelle mudra, tandis que le contact douleur s’amenuise. Les crépitements des éclairs recouvrent le son apaisant de la mer et bientôt, viennent s’y rajouter le frottement du tissu. Reveillée par le coup, la robe de la jeune femme s’anime comme un serpent, s’emparant du membre à son contact pour l’emprisonner fermement contre elle. Les poumons de la jeune femme s’emplissent à nouveau, brisant sa voix si sûre dans un halètement soudain et elle relève la tête. Nez à nez avec le Yotsuki dont les bras n’annonçait rien de bon pour la suite, le regard d’acier de la Kamiko pétille quelques secondes avant qu’elle n’achève sa technique, luttant contre la sensation désagréable de l’armure de foudre à laquelle elle venait volontairement de s’offrir.

Là où n’importe qui aurait pu répliquer par un ninjutsu de grande ampleur pour profiter de son avantage, la lionne elle, se contente de poser sa main droite, douce, chaude, sur la cuisse de Boo. Le contact, irréel, bien moins délicat qu’aurait voulu la kunoichi, se prolonge quelques secondes de plus sous la volonté de Raion de détourner l’attention de son adversaire. Un clin d’œil taquin pour achever son tableau presque parfait, tandis que sa main libre disparait au niveau de sa hanche. Elle n’a que peu de temps, avant qu’il n’enchaine, mais elle compte s’en servir à bon escient. La caresse de la Kamiko s’évapore à l’instant même où sa main libre se referme sur l’objet qu’elle cherchait, fusant droit devant son visage dans un mudra d’activation de mauvaise augure. Le Yotsuki remarquerait-il, parmi les cicatrices, la pernicieuse ligne noire qu’elle avait laissée derrière elle ? Peut-être. Peut-être pas. Il la sentirait en premier, ça c’était certain.

Le Fuinjutsu, jusque-là calme, prend vie. Il s’étire, avide, grimpant le long de la cuisse où l’on venait de le poser pour remonter s’emparer tour à tour du bassin, du torse, allant jusqu’à envahir le visage de cible avec un enthousiasme gourmand. Les tatouages, violet et noir entrelacés, ajoutent encore davantage à l’aspect tribal du Yotsuki qui n’a que les deux yeux de Raion en guise de miroir, fixés sur lui, pour comprendre ce qui est en train de se produire. Le chakra, étranger, s’embrase, laissant à la jeune femme le temps d’achever son second mouvement. Sa paume, refermée sur une silhouette en papier plus que reconnaissable, fuse vers son menton. Elle tapote alors la joue du marin, déposant son parchemin explosif au passage, dans une réplique dont l’aspect insultant de la manœuvre pourrait bien lui causer quelques petits soucis à venir.


Autour d’eux, elle n’entendait plus que le crépitement colérique d’une technique suspendue dans son exécution. La foule, autant que le capitaine en furie, s’était tue dans l’expectative de leur champion. Un silence pesant, qui rendait la scène entre les deux adversaires bien moins graves qu’elle ne l’était au vu de la tenue dans laquelle la si délicate fleur de Konoha se trouvait. Il y avait quelque chose de presque grivois, que la jeune femme finit par briser dans une réaction d’un naturel déplacé.

La mer, ravie par leur échange guerrier, avait cru bon de laisser le temps de rafraichir et, le grand large aidant, le vent s’était convié à leur petite fête. Un combo d’élément parfait, pour venir compléter l’idée délirante de la Kamiko de se dévétir, bon gré mal gré, avec sa technique. Les poils hérissés autant par le froid que par l’électricité statique créée par la proximité du Yotsuki, elle se met à éternuer plusieurs fois dans son épaule, manquant de peu de déclencher son parchemin explosif dans le même mouvement. Les larmes aux yeux de cette attaque en traitre de son corps, Raion adresse alors une moue chagrinée à un Boo encore sous son emprise.

Récapitulatif combat:

Raion devait admettre qu’elle ne s’attendait pas à tant de répondant. Le piège refermé sur sa proie, loin malgré tout du relâchement total d’une victoire non acquise, elle avait crû sottement que sa performance suffirait. L’enchainement, propre, aurait fait la fierté de son père, s’il avait pu assister à la rencontre. Après tout, qui aurait pû dire que Boo ne renoncerait pas, de peur de se faire sauter la tête en persistant ? L’indépendance ou la mort. La brune, alors que les éclairs se condensaient dans l’ombre du ninja, compris l’ampleur de son erreur. Sous-estimé et acculé, le Yotsuki montrait que la réputation de son clan n’était pas volée.  

L’élan de la panthère à peine formée force la Kamiko à changer de stratégie. Il était temps pour elle d’abandonner la diplomatie et de faire face à la menace, avec toutes ses capacités. L’animal éthéré lui fond dessus et, avant même que la jeune femme n’ait le temps de terminer les mudras de sa prochaine technique, referme ses crocs sur son épaule droite, la faisant bascule en arrière. Le lien qui la retenait à Boo s’étire puis, sans crier gard, libère sa prise. L’avantage s’évapore donc, dans les cris d’enthousiasme des spectateurs, mais Raion n’en a cure. Alors que les éclairs parcourent sa peau, lui tirant un grognement de douleur exacerbé par les décharges, elle parvient enfin à terminer sa technique. Aussitôt, le cercle rouge, inerte, qui orne son bras blessé se brise. Le tatouage de fil, réveillé par le chakra qui s’y accumule, explose en million de filaments qui s’élancent, avide, vers le félin de foudre, saisissant la moindre des étincelles qu’il dégage pour mieux s’en repaitre. A peine une poignée de seconde après son entrée en scène, la bestiole disparait dans le ballet infernal d’un sceau tissé à même la peau de la kunoichi.

Le sauvetage, in extrémis, ne la dispensa malheureusement pas de la suite. Alors que les bras du clone de foudre se referme sur sa gorge, la lionne de Konoha enchaine. Luttant contre la sensation de brûlure et l’étranglement, elle signe à nouveau les mêmes symboles et, sans même avoir le temps de se remettre en place, le tatouage s’anime, à nouveau. Deux gigantesques groupes de fils s’élèvent vers le ciel, émergeant du dos de l’intendante comme une paire d’aile tissulaire avant de se refermer sur leur victime. La tête du clone, momifié par le tissu, s’étiole et, avant même que la brune ne commence à réellement manquer d’air, la clé de bras qui lui serrait la gorge se volatilise à son tour. Raion, déséquilibrée par l’écart de taille et la première attaque, tombe au sol à plat dos à une petite dizaine de pas de son adversaire. Elle roule aussitôt sur le côté, rétablissant ses appuis, accroupie un genou à terre, reportant son regard sur la cible de son Fuinjutsu. La technique, toujours en cours, lui laisserait un peu de répit mais sans doute pas assez, aussi anticipe-t-elle en rapprochant ses mains. Elle ne voulait pas lui laisser davantage d’ouverture que le menu éternuement qu’elle s’était autorisée.

Sa robe fendue, retombée autour d’elle, ne cachait pas la gigantesque morsure qui venait gêner son mouvement. Elle ne dissimulait pas non plus, malgré l’importante masse de cheveux qui s’était glissé en son creux, l’épaule dont le sceau maintenant chargé, brillait d’une lueur menaçante. Devant son public, l’intendante se révélait enfin dans toute les facettes sa réputation. La chef de clan, bien que zébrée de brûlure et blessée, était encore en pleine possession de ses moyens, ses yeux gris émergeant du rideau de sa chevelure sombre comme deux lames, prête à en découdre. L’esprit, vif, de la lionne luit comme un fard dans son regard alors qu’elle analyse sa situation avec ce calme prudent qui la caractérise. Boo est toujours au même endroit, aux prises avec son sceau. Un point positif, donc, sur lequel la Kamiko ne s’attarde pas plus de quelques secondes. Autour d’elle, il ne restait que lui et, non sans appréhension, le bastingage proche. Immédiatement, les dents de Raion vinrent saisir sa lèvre dans un toc trahissant sa tension et sa réflexion soudaine. Il l’avait fait reculer pour la mener là. Pourquoi ? Le clapotis de la mer et l’air frais ramenant l’écume vers elle ravivèrent la douleur de son épaule dans une éclaboussure salée, désagréable. Cette conscience, soudaine, de l’environnement actionne l’engrenage qui lui manquait. L’eau, crétine. Il vise l’eau. Un plongeon pour une victoire écrasante, indubitable. L’intendante pose alors un regard neuf sur le Yotsuki, partagée entre le respect et la surprise. La manœuvre était osée, bien assez pour qu’elle-même ait pu y penser mais avait-il conscience que, si son plan précédent avait abouti, elle aurait pu y laisser sa peau ?

Comment allait-elle s’en tirer maintenant ? Un rapide tour mentale d’elle-même lui apprend que, si son corps est encore entier, il vaudrait peut-être mieux mettre un terme à ce petit jeu. Elle avait encore de quoi donner le change, mais la durée lui serait sans doute fatale. Son épaule, mordue, la lançait et l’étranglement, s’il n’avait duré que quelques secondes, n’en était pas moins la source prochaine d’une ecchymose fort peu esthétique. Et lui ? Est-ce que le tatouage sombre qui ornait sa peau, dont l’activation rendait les traits flous et iridescents, ferait suffisamment son office ? Le parchemin, toujours sagement posé contre sa gorge, attendait son heure et, même si le Yotsuki fanfaronnait, Raion savait qu’il ne pourrait pas éternellement l’ignorer. Placer là où il l’était, rien n’empêcherait l’explosion d’endommager la peau et, si d’aventure il ne lui laissait pas le choix, elle n’hésiterait pas à en user. Elle ne pouvait pas se permettre de risque la vie de son intermédiaire avec le clan mais elle ne pouvait pas non plus le laisser gagner par politesse. L’ego de la jeune femme et la coutume barbare du clan le lui interdisait, tout comme la bienséance l’avait fait renoncer au renfort rassurant des fioles qu’elle portait dans sa sacoche. L’honneur était sans doute une donnée si importante pour les marins que jamais, elle ne pourrait décemment recourir à son arme favorite, de crainte que celle-ci ne la fasse instantanément perdre leur petit jeu. Dieu que cela la démangeait pourtant. Frustrée, Raion n’eut d’autre choix que de se rabattre sur une autre arme, qu’elle maitrisait tout aussi bien : les mots.

Elle voulait qu’il morde à l’hameçon, encore une fois. Elle n’avait plus de piège sagement préparé, juste les balbutiements timides d’un plan qui s’annonçait, encore une fois, douloureux. Le sceau n’allait pas durer éternellement, son répit non plus. Hésiterait-il à revenir au corps à corps, s’il en était capable ? Utiliserait-il une autre technique à distance ? Les deux possibilités se disputaient âprement dans l’esprit de la Kamiko, sans réussir vraiment à prendre le dessus. En réponse, elle glisse une main vers sa robe, dans un geste qu’il connaissait déjà. C’était son seul moyen de le faire choisir la solution qui l’arrangeait le plus, mais lui ferait-il cette fleur ? Impossible. Impensable. La chance n’était pas une donnée fiable, pourtant Raion choisit de s’y soumettre de son plein gré, faute d’avoir une meilleur idée à sa portée.

Récapitulatif combat:

Du haut de sa supériorité toute relative, la jeune femme dû compter sur son contrôle d’elle-même pour ne pas soupirer de soulagement en entendant le Yotsuki jeter l’éponge. Son cerveau encore perdu dans le combat, mouline quelques instants dans le vide, à la recherche d’une entourloupe qui pourrait lui couter cher, avant de finalement autoriser le corps de l’intendante à franchir les quelques pas qui les séparent. Au supplice, les muscles endoloris par les nombreux – trop nombreux – chocs électriques, Raion le rejoint et dépose une main amicale sur son épaule. Instantanément, le sceau responsable de toute la peine du ninja reflux et se stabilise, cessant d’embraser les terminaisons nerveuses pour le plus grand soulagement de Boo.
Elle souffle et, sans crier gard, laisse ses jambes céder à l’appel de la gravité. Tombant sur les fesses à côté du grand gaillard, elle secoue la tête pour chasser la fatigue qui commence à arriver, doucement mais surement. Alors que les marins les entourent, se tapant dans le dos, elle s’allonge à côté de lui. Le regard tourné vers le ciel, obscurcit de temps à autre par le passage des Yotsuki qui venait saluer les deux combattants, la Kamiko pousse un long et profond soupir, alors que l’adrénaline redescend.
L’aveu lui coute mais elle ne pouvait pas ignorer les efforts qu’il avait mis à la tâche. Cette consolation, bien maigre, sonnait cependant le respect que lui vouait la Konohajin. Toute vainqueur qu’elle fut, elle en avait sué. Les bleus qui s’apprêtait à germer un peu partout sur son pauvre corps témoignait du soucis, réel, qu’avait eu Boo à essayer de l’envoyer au tapis. Une information à la fois rassurante et terrifiante, si elle devait se soumettre à ce petit jeu à chacune de leur rencontre. Percluse comme elle l’était, la brune aurait bien voulu, elle aussi, disposer d’un sort d’annulation magique pour son épaule qui la lançait terriblement. Peut-être était-ce là sa punition pour avoir été sans pitié, mais que pouvait-elle réellement y faire ? Quittant un instant le ballet paresseux des nuages et les ondulations hypnotiques des voiles, Raion plonge à nouveau son regard dans celui, incandescent, du jeune homme à ses côtés.
Avec un sourire las, elle réprime un bâillement de fatigue sous les quolibets des matelots venus s’échanger les paris qu’ils avaient fait sur leur dos. Le moindre de ses nerfs lui rappelait avec humeur que le corps humain n’était pas préparé à subir la foudre autant de fois qu’elle l’avait fait au cours de ses dernières minutes. L’explosion du clone, en plein milieu du sceau, lui avait donné le petit coup de jus de trop, au point où elle sentait encore le contact des zébrures d’énergie lui chatouiller la peau. La Kamiko avait quelques difficultés à remuer une partie de sa main et, un instant, elle eut peur que les attaques n’aient touché quelque chose d’essentiel. Pourquoi diable avait-il fallut qu’elle se lance dans cette démonstration de force, déjà ? Foutues coutumes. La brune se retint de maugréer à voix haute mais l’ombre de sa mauvaise humeur passe, un court instant sur son visage avant qu’elle ne retrouve son air neutre habituel.

L’ambiance, festive, continue à évoluer autour d’eux dans un bruit de raclement d’objet contre le bois du pont. Chaises, tables et tonneaux s’échangent dans un joyeux tintamarre sous le regard sévère d’un capitaine dont l’embarcation était passée à deux doigts du sabordage. Bercée par les rires et les quelques entrechoc de verre, Raion réalise que, si elle a bel et bien mal partout, elle a maintenant d’avantage faim. Elle en était presque étonnée, après l’énorme coup de genou qu’elle avait reçu, mais c’était mieux, bien mieux, que la sensation d’avoir été brûlée de l’intérieur par la foudre. Mue par un estomac capricieux, la brune décide qu’il est temps pour elle de se relever. Luttant contre les courbatures, elle se hisse tant bien que mal sur ses deux jambes avant de tendre une main secourable à Boo.
Entourant son torse avec son bras blessé, elle sert la main de son adversaire avec une force somme toute relative au vu de ce qu’elle avait pris dans les dents plutôt. Comme pour appuyer sa question, le ventre de la jeune femme se mit à rugir de contrariété alors qu’elle tirait – ou plutôt tentait – Boo sur ses pieds, lui faisant lever les yeux au ciel d’agacement. Après tous ses efforts d’apparat, il lui avait fallu une poignée de seconde pour tout gâcher. Pire encore, l’hilarité provoqué par son estomac dans les talons avait gagné la totalité de l’équipage, la laissant, une fois de plus, dindon d’une gigantesque farce qui échappait à son contrôle. Elle ne trouve alors rien de mieux pour y échapper que de soutenir le grand gaillard qu’est le Yotsuki jusqu’à une chaise gentiment posée tout près de là, à leur attention.

Après avoir fait signe à un matelot, l’intendante saisit son rouleau de son bras valide, remerciant d’un hochement de tête reconnaissant l’homme qui venait de lui apporter. Elle crû même bon d’abuser de son amabilité, l’invitant à dérouler ce dernier avant de croquer dans la peau tendre de son pouce. Les spectateurs, curieux, s’agglutinent autour du gigantesque morceau de papier rectangulaire, dont l’intégralité de la surface était parcourue non pas par des lignes d’écriture peinte mais par un travail de broderie complexe, dont les symboles de sceau se mirent à luire au soleil, impatients de libérer leur contenu. Grimaçant alors qu’elle tirait sur son épaule blessée en composant son mudra, Raion appose finalement sa main sur le parchemin qui se transforme alors en un véritable théâtre de fumée, que la brise marine dissipe presque illico. Les couleurs, chatoyantes, des tenues tirent des cris surpris à l’équipage et, devant leur hésitation, la Kamiko ne peut s’empêcher de sourire.

Elle revient à Boo, profitant de l’animation qu’elle venait de créer, alors que les vêtements se dévoilaient, petit à petit, dans les mains des hommes. Elle avait voulu les faire sobre, presque spartiate, mais n’avait pu résister à l’envie d’ouvrager les ourlets de ses nuages qui faisaient tant la fierté du clan de l’orage. Partout où elle entendant le bruissement des créations, elle sentait le ravissement qu’elle produisait, dans une danse pleine de quiétude que la couturière connaissait pour l’avoir vécue des centaines de fois. Raion, si l’on passait outre son sale caractère de morveuse, était une femme généreuse, autant pour son profit que pour la satisfaction toute personnelle que ses clients se battrait pour ses services. C’était l’expérience, unique, qu’elle créait à chaque nouveau deal, dans le plus pur respect de son interlocuteur et du moindre de ses désirs. Lorsqu’elle se fixe enfin dans le regard du Yotsuki, ses yeux brille d’un éclat de curiosité brûlant, presque provoquant.

Elle avait volontairement baissé sa voix, ne voulant que l’information ne leur appartiennent qu’à tous les deux comme si c’était un secret inavouable. La Kamiko était pleinement consciente qu’il s’agissait là d’une proposition folle, presque traitre à leurs deux allégeances. Philanthrope, elle n’en voyait pourtant pas le mal, mais plutôt les nombreux avantages. La confiance qu’elle venait de gagner n’en serait que renforcée, avec la garantie d’un contrôle total sur ce que l’autre était en mesure de connaitre et de maitriser. Les gains mutuels étaient immenses, les risques, eux minimisé par l’enseignement en direct, de l’un à l’autre. Elle balaye pourtant sa propre phrase, levant son verre vers son interlocuteur dans un geste festif à l’égard de ses hôtes. La jeune femme n’attendait pas de réponse immédiate, aussi se laissa-t-elle happer par l’instant, offrant un temps de réflexion bien venu pour l’audace dont elle faisait preuve. Le nez en l’air, les yeux furetant à la recherche de l’origine de l’odeur que la mer rabattait vers eux, la brune observe avec la curiosité d’un étranger, le tintamarre joyeux d’une cuisine en ébullition alors que l’équipage presque au complet achève d’installer ce qui servirait de remontant aux deux combattants. Les ordres du chef s’échappaient de temps à autre par la cale ouverte, sous les chants enthousiastes des commis et le bruit de crépitement de l’eau, à moins que ce ne soit de l’huile ? Pour toute la menue connaissance que l’intendante avait de la cuisine, les deux se ressemblaient à si méprendre, mais le fumé gracieux qui s’échappait jusqu’à eux vint conforter son estomac dans l’idée de gronder d’impatience. Ce n’est qu’une fois tous attablé, sous la surveillance stricte d’un marmiton bien décidé à épater la galerie, que Boo se met à rire, sans que la brune n’en saisisse toute la substance. Un rire qui devient assez vite une question compréhensible, qui étire la mine fatiguée de la Kamiko dans un sourire.

Elle craque, délaissant les mots pour s’appesantir sur l’odeur délicieuse qui lui chatouillait les narines. Enfournant une première bouchée, la brune plisse les yeux de bonheur alors que son palais se retrouve submergé par les goûts exotiques. Saisi. Amer. Les sensations se mélangent dans un umami puissant, à l’image de la culture que le poisson représente avec fierté. Salé. Fumé. Accompagnée par les voix enthousiastes et les rires, la Kamiko y trouve une chaleur familiale nouvelle qui lui donne immédiatement envie d’en esquisser la silhouette pour ne pas en perdre l’âme. Son ventre, en écho à la symphonie culinaire, se calme et savoure à son tour le cadeau durement acquis, jusqu’à ce que l’urgence d’un sentiment ne ramène la jeune femme à la réalité. Epicé.

Ouvrant brutalement les paupières, elle se précipite sur son verre pour en avaler le contenu d’un trait, des larmes de surprise pointant dans ses yeux gris pourtant si confiant. Petite Konohajin qu’elle était, elle n’avait pas songé une seule seconde que la dose d’épice n’avait pas été prévue pour elle mais bien pour un Yotsuki solide et son palais résistant. Le visage légèrement rougi de sa mésaventure, elle se met à tousser après avoir manqué de s’étouffer dans sa – vaine – tentative pour éteindre l’incendie qui s’était allumé dans sa bouche, dans une hilarité générale que Raion commençait à connaitre par cœur. La terrible lionne, neutralisée par un paquet de piment, avait de quoi faire sourire les solides gaillards qui les servaient et faire jubiler le cuisinier qui la regardait avec une attention farouche. Devait-elle, là aussi, se battre ? N’y avait-il donc aucun moment de paix, au milieu de ses martialistes impitoyables ? Levant son verre à nouveau rempli, elle ne put s’empêcher de sourire, vaincue, avant de le vider une fois de plus. Comment ne pouvait-elle pas leur concéder ce plaisir, alors qu’ils s’évertuaient à lui offrir le meilleur d’eux-même ?

Maintenant plus prudente, elle attaquait son plat petit à petit, alternant les ingrédients une fois qu’elle eut pris conscience que le riz était un meilleur moyen de sauver ses papilles fragiles. Elle entrecoupait son appétit, parfois, le temps de réfléchir à ce qu’elle allait goûter ensuite, véritablement curieuse de tout ce qui passait sous son nez. Son petit manège prit quelques bonnes minutes, laissant la conversation au point mort au profit d’un nombre de service que ne laissait pas deviner la taille fine et élancée de la jeune femme, le temps d’honorer dignement une cuisine nouvelle et inédite qu’elle n’aurait peut-être pas l’occasion de retrouver avant quelques temps. C’est donc une Raion repue, les joues rougies par le goût épicé et les verres qu’elle avait sans doute descendu un peu vite dans son besoin d’éteindre les incendies que déclenchait chaque bouchée, qui reprit tranquillement son échange là où elle l’avait suspendu.

Son sourire trahissait un triomphe solide, total. Le trio qu’il était comportait une main mise sur des domaines éclectiques mais dont le travail conjoint pourrait les transformer en véritable force de frappe marchande. Et c’était cette versatilité que Raion visait : l’offre et la demande était deux capricieuses amantes que la jeune femme voulait contrôler au point de créer la seconde. Les Akayuki dans le désert, les Kamiko au centre et les Yotsuki sur l’eau, ils pourraient déformer le temps et l’attente au point où, bientôt, l’exigence de la clientèle serait supplantée jusqu’à pouvoir gérer l’offre avant même que la demande ne soit formulée. Elle accueille le nom de son nouvel interlocuteur avec un bonheur presque candide, alors qu’elle pose les lèvres sur son gobelet. L’intendante de Konoha appréciait l’offre et, à en juger par la tête du concerné, ce dernier semblait à la fois heureux et frustrée par l’idée.

La Kamiko doutait que quiconque, parmi ses cousins, n'osent commettre pareil affront mais parfois, prudence est mère de sureté. A vrai dire, elle pensait davantage à la relation encore l'armée et les Yotsuki qui, en définitive, malgré leur statut d'indépendant, pourraient peut-être être vu en envahisseur par la population locale, le temps qu'ils ne montrent leurs talents. Aussi préférait-elle que ce petit token, facilement transportable et discret, se retrouve entre les mains du capitaine du navire qui allait sans doute réaliser la plupart de leur courses à l'avenir. Elle se voyait donc mal refuser gîte et couverts à l'équipage qui représentait son salut maritime, en plus de leur faire gagner en capital sympathie auprès des habitants. Une pierre, deux coups, pour faciliter leur arrivée fluviale prochaine par un moyen, simple, efficace, de prouver qu'elle leur accordait sa confiance comme ils l'avaient fait eux aussi, quelque part. Mais Raion avait peut-être commis l'erreur de sous-estimer la générosité de ses interlocuteurs.

Elle quitte Boo, l’espace d’une poignée de minute, dans une discussion animée avec l’homme tranquille qu’était Genji. Avait-il mesuré la différence entre les deux types de bateau ? En mer calme ou agitée ? Le fuselage résisterait-il au long trajet ? Comment organiser les escales ? Comment comptait-il faire pour les passages fluviaux, dès lors qu’elle pourrait obtenir une entrevue et un passe-droit pour le pays du Feu ? A quel point devait-elle prévoir pour le remplissage des différents navires ? Sans pitié, Raion le bombarde de question, lui laissant à peine le temps de reprendre une bouffée de sa pipe, tant les détails affluaient, sous le regard hilare de leur public devant le regard de détresse du balafré.

Lancée dans ses prévisions, la jeune femme manque presque de remarquer le retour à quais de l’équipage Yotsuki qui marquait, sans aucun doute, la fin de son temps de parole. Elle aurait aimé échanger encore davantage avec Boo et les autres mais elle devait se résigner : ils avaient tous énormément de chose à faire et il aurait été téméraire d’abuser de leur hospitalité maintenant qu’un début d’accord se profilait. Le repas, festif, se conclue aussi chaleureusement qu’il avait commencé, dans un défilé connu de matelot qui débarrassait plats et mobiliers dans le joyeux tintamarre qui les caractérisait tant. L’ambiance relaxée se modifie alors en adieux enthousiastes, alors que deux grands gaillards sautent par-dessus bord, sur le ponton, pour amarrer l’embarcation et que deux autres se mettent à courir avec la planche de débarquement.

Quelques rires parcourent l’équipage, le capitaine lui-même adressant un coup de poing d’encouragement au Yotsuki, alors que Raion quitte la personne qui l’a accueilli à bord. S’emparant de son manteau, de son voile et de son large chapeau de voyage, elle se dissimule à nouveau avant de débarquer sur le plancher des vaches. Elle avance donc, délestée de son rouleau commercial, jusqu’à la jonction entre le ponton et l’allée principale du port avant de se retourner une dernière fois pour saluer ses hôtes de la main. Le navire ne l’avait pas attendue pour repartir mais elle voyait quelques silhouettes s’entasser en poupe pour lui répondre, ne faisant qu’élargir le sourire de la jeune femme qui les regardait prendre le large. Elle n’aurait jamais pensé que la situation tournerait à son avantage et, malgré la grande victoire de l’accord entre elle et les matelots d’aujourd’hui, la Kamiko ne pouvait que regretter l’absence de l’intendant en titre ou même de Z en personne. Bien que le caractère du clan faisait de sa parole un excellent contrat, l’intendante et chef de clan qu’elle était ne pouvait que déplorer le défaut de preuve écrite et même craindre que son token de confiance ne soit mal utilisé. C’était là, malgré tout, un pari qu’elle était prête à faire pour patienter en attendant que leurs relations s’approfondissent. Après tout, le clan Yotsuki, aussi bourru et sauvage qu’il était, n’était qu’une petite partie de son ambition.