La croisée des chemins.

Même à la sortie de l'hiver, la nuit posait encore prestement son voile, s'emparant sans partage du début de soirée. Alors que le soleil chancelait, les rues du domaine se paraient de flammes, de multiples lampadaires s'opposant aux ténèbres. Vêtu d'un élégant kimono noir et d'un hakama bleuté, couvert d'un épais haori de la même couleur, son bandeau shinobi enroulé à son front, le chef de la garde attendait patiemment dans un des terrains d'entraînement.
Posé en seiza aux côtés de l'unique arbre du petit jardin, son somptueux katana délicatement posé à ses côtés, le fourreau reposant sur un tissu en coton de toute beauté, Nori incarnait en ce moment l'idéal du Miyamoto. Son immobilité sereine irradiait la tranquillité, tandis que ses yeux fermés, signe d'une éventuelle méditation, maquillaient son visage de l'aura majestueuse d'un géant de pierre.

Le quarantenaire n'était pourtant pas en paix. Cela faisait bien longtemps qu'il n'avait pas pris de disciples, et pour tout dire ça ne lui avait pas particulièrement manqué. Nori n'avait rien contre le fait d'enseigner, et il pouvait se montrer particulièrement pédagogue, pour peu que ses étudiants ne crevèrent pas à la tâche, seulement la responsabilité d'une vie…
Il fallut qu'il entendit parler de la fille Aiichiro, benjamine et dernier espoir d'une famille ayant depuis fort longtemps perdu la voie du sabre. L'enthousiasme du père parvint à percer la carapace de notre soldat, d'où le fait qu'il se proposa en tant que Sensei. Bien évidemment si elle n'avait pas vraiment le choix, lui pouvait fort bien retirer son offre, puisqu'il ne s'agissait après tout pas d'un ordre direct. Même si la plupart du temps le Senkage (ou son office) s'occupait de la formation des équipes, il y avait parfois quelques exceptions.

Nori attendait donc sa probable disciple, ses yeux fermés au monde, son esprit à l'écoute. Il ne tarda pas à la voir, une petite flamme traversant les rues pavées, une brindille de chakra s'approchant du brasier. Une fois la lueur rapprochée, il échangea sa sensorialité pour la vue, posant ses iris dorés sur la nouvelle arrivée.

« Miyamoto Keiko ? Je suis Miyamato Nori, enchanté. »

Aucun sourire ne déforma son visage, et si elle ne se voulait pas hostile, la voix monotone du Jounin ne respirait pas la bienveillance. De toutefaçon pourquoi devrait-il se montrer avenant ? Cette petite faisait parti de son clan, elle devait donc être bien au fait de la rigueur martiale que s'imposait certains d'entre eux.

« Alors petite, dis moi pourquoi je devrais t'accepter comme disciple ? »

Une question abrupte qu'il énonça avec une extrême nonchalance. Tout en disant cela, il quitta son Seiza, se levant en poussant sur la pointe des pieds, il déroula lentement ses voûtes plantaires sur le sol, avant d'enfiler ses pieds dans d'étranges sandales de bois. Des gétas à une seule dent, voici qui était peu ordinaire, cependant rien ne l'était chez cet homme. Son infinie chevelure, ses iris solaires, Nori se montrait dans toute sa gravité. Après tout il n'était pas tant intéressé par les capacités physiques de la demoiselle, tout cela se travaillait. Ce qu'il cherchait, c'était un aperçu de son âme.

Une véritable Miyamoto, une allégation qui ne manqua pas de lui faire hausser un sourcil. Dans un clan aussi porté sur l'honneur et la tradition, il n'était pas rare que les jeunes sortirent pareilles élucubrations. Seulement l'essence des Miyamoto ne se trouvait pas dans le combat. En réalité seule une minorité du clan poursuivait le Nindô, et certes cette minorité était glorifiée, mais incarnait-elle réellement le pinacle de leur éducation ? Le forgeron qui façonnait la lame n'était-il pas aussi méritant que celui qui la brisait sur l'ennemi ? Au moins elle semblait motivée.
La seconde partie de sa réponse fut plus divertissante. Peut-être l'ignorait-elle, mais ces exactes difficultés étaient partagées par l'ensemble du clan. Aller savoir pourquoi, ce que Nori appelait "Arts mystiques" s'évertuaient à s'insurger contre les siens. La petite fit donc comme de nombreux Miyamoto avant elle, le quarantenaire y comprit, elle passa par la voie des armes. Heureuse surprise que le katana fut son outil de prédilection, cela faciliterait son évaluation.

Après s'être levé, le Jônin observa plus attentivement la demoiselle. Aucune cicatrice pour perturber sa peau, une politesse fraiche et timide accompagnant ses gestes, il était grand temps qu'elle fut happée par le monde. Il remarqua toutefois ses iris rubis, une couleur plutôt inattendue. Quelle ironie que cette fleure innocente porta la teinte du sang.
Arrangeant l'attache de son katana sur ses hanches, il laissa sa main gauche reposée sur le fourreau, tandis que l'autre passa négligemment dans ses cheveux. Elle semblait honnête, un peu naïve certes, mais sincère dans ses motivations. Il était peut-être temps de creuser plus profond.

« Eh ben, tu ne manques pas de motivations ! Une pointe de chaleur perça sous la voix monocorde. Attaque-moi, avec ton sabre. »

Ôtant ses bras de son Haori, laissant le manteau reposé sur ses épaules, Nori recula son pieds gauche, son corps se retrouvant désormais en diagonal. Sa main droite, ouverte, ses doigts se replièrent, invitant la demoiselle à commencer la danse, tandis que la gauche retrouva le support de la garde.
Oui il était sérieux, elle devait l'attaquer, et tant pis si elle n'eut pas eu le temps de s'échauffer, qu'elle dut se rendre aux toilettes où qu'aujourd'hui il souffrit d'une sévère constipation. Il n'y avait pour l'instant aucun échappatoire.

La fleur passa finalement à l'assaut. Sa position d'attaque était somme toute correcte, on pouvait voir qu'elle avait l'habitude de manier ses armes. Deux, comme l'exigeait la tradition des samouraï, une règle qu'il avait lui même abandonné. Quand on se trimballait kunaïs et parchemins explosifs, un tanto semblait superflu.
Une ruée courageuse, le quarantenaire remarqua notamment sa vitesse, plus élevée que de nombreux genins. Prometteuse, d'autant plus si elle souhaitait être sa disciple. En tant qu'adepte du Iaïdo, Nori brillait par sa rapidité. D'ailleurs ne serait-ce pas l'occasion de lui faire une démonstration ? Brillante tentative que ce fauchage, mais la différence de niveau était juste trop grande. Un rapide pas chassé vers l'arrière alors qu'elle se baissait, il leva la jambe droite, juste à temps pour éviter le fauchage.
Bien-sûr la danse n'était pas terminée. Déjà une main rejoignit un katana, le Jônin s'empara également du sien. Dégainer à une vitesse prodigieuse, la parade se transforma en estoc. Il perfora le sol, prenant appui sur la lame enfoncée pour donner un puissant de coup de pieds, perturbant suffisamment l'axe de la demoiselle pour que ses lames tranchantes se contentèrent de frôler leur cible. Tout comme elle prit sa distance, il rengaina juste après sa réplique, un rictus de satisfaction titillant le coin de ses lèvres.

« L'utilisation de deux sabres, une vitesse surprenante, j'avoue être agréablement surpris. Voix toujours aussi froide, mais compliments sincères. Seulement il faut d'avantage que des capacités martiales pour être mon élève. »

On nota qu'il s'abstint bien de prononcer le mot talent. Oui elle ne faisait pas honte à son nom, mais il y avait un monde entre des prédispositions et du véritable géni. Cela n'avait de toute façon aucune importance. Un bon formateur et de l'assiduité pouvait affiner n'importe quelle épée.
Son visage reprit son masque glaciale, bien que la plissure de ses sourcils semblait… menaçante ? Il était temps de passer aux choses sérieuses. S'approchant lentement de Keiko, il posa sa main droite sur son épaule, ses iris dorés plantés dans les pupilles rougeâtres. Ferme, sa prise effleurait les limites de la douleur. Son visage impérieux montrait toutefois qu'il n'accepterait aucune complainte.

« Et bien gamine, voyons ce que tu as dans le ventre. »

Des mots prononcés à voix basse, ses doigts s'enfonçant littéralement dans la chair de l'enfant. Poigne de fer, il libéra également son chakra. Aura malfaisante, malsaine, fétide. Il n'avait pas bougé, mais pourquoi donc semblait-il si différent ? Le fier Miyamoto laissa place à un véritable tueur, ses yeux d'aigle brillant désormais de l'ubris du prédateur.

« Attaque moi, murmura t'il, son visage soudainement assombri. Tuer ou être tué, frapper ou périr. Es-tu vraiment prête à marcher dans l'ombre du Sekai ? »

Shinobis, agents de l'ombre, elle connaissait surement les nécessités de cette vie. Seulement entre théorie et pratique il y avait un monde. Comment réagirait-elle lorsque sa vie en dépendrait ? Cruel examen que celui-ci, mais la voici au moins prévenue. Nori faisait un excellent professeur, pour les quelques braves, ou fous, capables de suivre sa tutelle.

Récapitulatif: