Vue de l’extérieur, Suna était une enclave formée sur un point d’eau protégé des grandes falaises. Le refuge était idéal et représentait une position défensive stratégique et facilement défendable. Son unique entrée était un minuscule chemin entre deux immenses parois. Une véritable foule de ninjas montait la garde en toutes circonstances sur les escaliers sculptés à même la roche devant cet unique point de passage. Le gros des forces en présence était généralement constitué de chûnins et de jônins. Quelques genins pouvaient également être présents pour assurer la liaison ou le soutien logistique. Chaque ninja sunajin devait de temps en temps venir y monter la garde. Généralement, après une mission ou une période de calme, les shinobis du village y passaient un jour. Bien sûr, certains étaient affectés uniquement à la défense et quittaient finalement peu Suna. Ce n’était pas le cas d’Ogawa. Pour une période d’un mois, il avait pris la direction de la défense du village car l’un des hommes qui s’en chargeaient habituellement avait été envoyé en mission. Ayant du temps à consacrer au village et souhaitant rester un peu chez lui, l’Akayuki avait volontiers accepté de rendre service au Kazekage.
Juché en haut des immenses remparts qui dominaient l’étendue désertique à perte de vue, Ogawa était assis en simili tailleur, une jambe sous ses fesses, une autre dans le vide. Parfaitement bien installée sur sa cuisse siégeait un immense cahier de croquis. De son unique main et avec pour seul outil un crayon, le triumvir tâchait au mieux de retranscrire ce qu’il voyait et ressentait. Au loin, le soleil semblait tenter de fusionner avec les dunes. Ses coups de poignets étaient vifs et précis, pourtant en dépit de ses nombreuses tentatives, il n’arrivait pas à un résultat capable de le satisfaire. Soupirant, il laissa son regard se perdre à l’horizon.
« La relève de la garde vient d’avoir lieu » annonça un jeune chûnin brun qui venait de rejoindre le manchot.
Ogawa lui lança un regard bienveillant avant de refermer le cahier d’un geste brusque. Tout en se levant, il rangea son bien dans la sacoche qu’il portait en bandoulière.
« Très bien, allons-y. »
Bondissant quelques mètres plus bas, le jônin manqua de se faire mal aux genoux. Il était passé à deux doigts de la catastrophe. Franchement, quelle idée de vieillir. Comme le voulait la procédure, il avança sur les murailles en détaillant les gardes de la soirée. Rien de bien notable. Comme les jours précédents, il rédigea son compte rendu et termina de lister le personnel présent. Un nom l’intrigua plus que les autres : celui du jeune Kyo. Il s’agissait d’un jônin d’à peine dix-sept ans. Un véritable prodige du désert, une fierté pour Suna. La nouvelle génération était décidément formidable. Déjà Kalida et sa maîtrise du nintaijutsu impressionnait le triumvir, ou bien encore les jumeaux Nozomo, mais Kyo avait placé la barre plus haut encore. Si jeune, il était déjà un élément d’importance au sein du village. Au fond de lui, il était un peu jaloux du génie de ce garçon quand lui avait été contraint de travailler dur et longtemps pour en arriver là où il était. Le génie face au travail, une fois encore il constatait l’injustice de ce monde.
Pour la nuit, Kyo avait été contraint de monter la garde. Nul doute qu’il devait avoir horreur de cette corvée mais il n’avait guère le choix. Le manchot chercha son emplacement sur le mur grâce à sa liste et n’eut aucun mal à la trouver. De loin, il l’observa sans aller le déranger. Retournant à son poste, Ogawa passa la nuit à chapeauter le tout. Comme cela était à prévoir, il ne se passa absolument rien. Tandis que le soleil se levait, la relève de l’Akayuki arriva. Il lui donna sa suite et prit congé, pour aller attendre à l’intérieur du village, juste après la sortie du sentier. Patient, il sortit sa flasque, avala une lampée d’alcool et attendit que Kyo ne fasse son apparition en compagnie de bon nombre d’autres ninjas qui venaient à leur tour d’être relevés. D’un geste de la main, le manchot attira l’attention et lui fit signe de venir.
« Bonjour mon garçon. Pas une nuit passionnante hein ? Dis-moi, que dirais-tu d’aller prendre un bon petit-déjeuner. J’invite. »
Comme à son habitude, Ogawa tentait de se servir de la nourriture comme d’un moyen redoutablement efficace d’attirer les gens. En affaires, la tactique était courante mais fonctionnait magnifiquement bien. Il avait envie d’en apprendre plus sur cet adolescent prodigieux. Qui plus est, un pauvre orphelin comme lui ne pouvait qu’avoir d’emblée la sympathie du vieil ivrogne ayant également perdu ses parents quand il était très jeune. Ne se séparant pas de son sourire légendaire, il ne s’attendait guère à un refus de la part de son jeune collègue. Qui aurait refusé un repas gratuit en bonne compagnie après une longue nuit de labeur ?
Nuits et jours s'enchaînaient imperturbablement, réglés sur un métronome céleste, divin, sans que rien ni personne en ce bas monde ne puisse y faire quoi que ce soit. Les créatures que nous étions s'affairaient à leurs occupations, auxquelles nous accordions la plus haute importance. Étant chacun son propre centre du monde, il était aisé d'oublier que finalement, au sein du grand tout, nous n'étions rien.
Le temps passait lentement cette nuit là, nuit durant laquelle j'étais posté aux abords du village, en charge de la surveillance de notre chère bourgade. Mes yeux scintillaient d'une lueur bestiale, reflétant la lumière de la Lune qui éclairait l'immensité du désert environnant. J'étais du genre pensif, et pourtant, je scrutais le paysage sans la moindre inattention. J'étais parfaitement conscient de l'importance de cette tâche, et quand bien même celle-ci manquait cruellement d'action, je ne saurais la négliger. Chaque bourrasque ensablée, chaque mouvement perceptible par mon regard perçant était décrypté, analysé. Mes années de survie dans le désert m'avaient appris à lire en lui comme dans un livre ouvert. Les mouvements de dune de sable, qui avaient perdu plus d'un voyageurs, étaient, à mes yeux, comparables aux courants marins pour un navigateur : une suite chaotique d'événements, qui, avec le recul nécessaire, devenaient parfaitement clairs. Je n'étais pas spécialisé dans la surveillance, aucune de mes capacités chakratiques n'était vouée à la perception, mais j'avais une foi inébranlable en ma connaissance. Je suis le désert. Mon corps ne le reflétait peut-être pas, au grand dam de la tribu qui m'avait vu naître, avant de me laisser au bord de la route comme un chien qu'on oublierait sur l'aire de repos sur le chemin des vacances. Mais il était hors de question que le moindre danger n'approche de la cité sans que je ne m'en aperçoive durant mon tour de garde.
C'était avec cette détermination, mettant ma fierté en jeu comme à chaque apparition, que j'avais joué mon rôle des heures durant, jusqu'à ce que les premiers rayons du soleil n'éclaircissent le ciel. L'astre divin reprenait son tour de garde, succédant à notre satellite naturel, signifiant par la même occasion que le mien était bientôt terminé. Dès que mon homologue désigné pour prendre la suite arriva à moi, j'en profitai pour m'éclipser rapidement. J'avais horreur de traîner, flâner et perdre mon temps. Chaque seconde de ma vie était dévouée à atteindre mon but ultime, et rares étaient les occasions où je m'autorisais à passer du bon temps. Peut-être à tort... Contre toute attente, un inconnu m'approcha à la sortie du sentier. Ce dernier, me saluant d'un geste avenant, semblait toutefois savoir qui j'étais. Étrange. Sûrement encore quelqu'un qui voulait me gratter quelque chose. Faisant mine de ne pas le voir approcher, je traçais ma route mains dans les poches, capuche sur la tête, les pans de ma veste noire voletant au gré du vent. Mais l'individu chapeauté s'approcha de trop, allant jusqu'à m'interpeler vocalement. Je ne pouvais plus faire semblant de ne pas l'avoir vu.
— Bonjour mon garçon. Pas une nuit passionnante hein ? Dis-moi, que dirais-tu d’aller prendre un bon petit-déjeuner ? J’invite. — Non merci, j'ai pas faim, répondis-je d'un ton sec, sans même m'arrêter, clairement désintéressé. — GRMBLBLBLBL !
Ça, c'était mon ventre, qui avait clairement décidé de me contredire. S'il n'était pas une partie de moi-même, je l'aurais certainement giflé... M'arrêtant en soupirant, conscient que mon interlocuteur avait entendu mes gargouillis, je me tournai finalement vers lui, constatant au passage qu'il lui manquait un bras. Je ne manquais pas de le dévisager de haut en bas, comme pour le jauger. Je n'étais pas du genre à me baser sur le physique, mais j'étais capable de déceler tant de choses d'un simple coup d'oeil... Plongeant mon regard perçant dans le sien, je penchai la tête en arrière afin de laisser glisser ma capuche, dévoilant ainsi ma chevelure, avant d'hausser les épaules.
— Bon allez, après tout, pourquoi pas. Où va-t-on ? J'ai pour habitude de chasser ma propre nourriture, je ne connais que très peu de commerces.
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