Il avait toujours préféré la nuit. Séducteur patenté, la Lune lui était sans doute plus agréable, plus belle à la vue en tout cas, qu'une narcissique boule de feu. Clapotements limpide, le choc des sandales de bois sur la pierre rythmait sa marche, poussant la silhouette noir et bleu au travers de la brume. Elle aussi elle lui avait manqué, son odeur fraiche et terreuse, sa robe d'un gris voluble, son étreinte à sens unique. Son corps tout entier reconnaissait cette terre. Ce n'était pourtant pas la première fois qu'il battait la campagne, mais même pour un vétéran, une année d'exil avait son poids.
Était-ce le vent qui faisait danser son ample Keikogi ? Peut-être, mais on aurait juré que plutôt que cette brise légère, l'insigne des Miyamoto ornant ses habits se réjouissait de retrouver son bercail. De son allégeance on ne pouvait douter, le bandeau léchant son front et l'insigne sur son manteau le criant bien assez fort. Un fils des tourbillons revenait vers l'œil de la tempête. Il se doutait bien que le village serait encore là, seulement cette année fut particulièrement riche en péripéties. Le siège de Baransu, l'examen Chuunin, et le regrettable décès de la jeune intendante. Uzushio avait surement gardé les traces de l'histoire. Répondant à ses pensées toujours plus bruyantes, la marche du shinobi se fit plus preste. Qu'en était-il des Miyamoto, ses compagnons, sa garde ?
* Et ben Nori, serait-ce un sourire ? *
Note de sangen dans le silence, la voix langoureuse de Sango résonna en lui. Une esquisse de rire s'échappa alors du susnommé Nori, notifiant un peu tard le sourire qui s'était, malgré lui, emparé de sa face. Et ben pourquoi pas ?
« Eh eh ! Je crois bien que je suis content de rentrer. Comme quoi même un vieux singe peut encore surprendre ! »
Un ton enjoué suivit d'un rire, un vrai cette fois, un rire sans sarcasme ou retenu, un rire un peu rouillé, un rire sincère. Sa marche s'était muée en course, la brume lui révéla un ciel perlé d'étoiles, dame lune brillante de fierté illuminant une magnifique cascade. Le choir aqueux scandait son prélude, arrivaient ensuite les grandes portes de bois. Pour une fois marchands et calèches ne polluaient pas les monuments d'ébénisterie. S'arrêtant un moment, profitant de la chaleur inattendue qui envahissait ses entrailles, Nori observait son nid. Il le savait fort bien, derrière ses portes, dans le creux douillet de la tempête, ce qui l'attendait. Les honneurs ne dureraient qu'un temps, la camaraderie révélera rapidement ses entrailles émaciées. Une seule constante l'attendait au foyer, une chose qui brillait justement par son absence, une personne, l'ombre d'une personne, le fantôme d'une fleure de rose.
* Nori-kun, ce n'est pas très sexy tu sais, tu n'as plus l'âge pour les peines de cœur. *
Une boutade que beaucoup trouverait cruelle, mais nous ne parlions pas d'un Miyamoto venant tout juste de découvrir la voix de ses ancêtres. Ces deux là revenaient de loin. Elle était la mère qui soigne, l'amante qui apaise, l'amie qui sourit. Leur relation absolument fusionnelle, peut-être trop, avait son propre langage. Il reprit donc du poil de la bête notre quarantenaire, chassant le voile du passé, il s'avança en face des portes, levant ses iris dorés vers le sommet. Posant délicatement ses mains sur le paquet accroché à son dos, il ôta le tissu qui l'entourait, présentant avec la déférence due aux trésors, une lame de tout beauté. Si malgré son bandeau et son manteau ils ne l'avaient pas reconnu, peut-être que cette épée raviverait la mémoire des gardes. Assurément cette chevelure ne leur était pas inconnue, cascade de jais, elle était la crinière d'un lion blessé.
« Miyamoto Nori, chef de la garde, je suis de retour. »
Masami n’était que Chunin et bien sûr, garder la porte était souvent la responsabilité de chunins. Ce n’était pas si surprenant, après les jonin avaient autres choses à faire et les genins n’étaient pas les mieux placés pour faire ce boulot. Donc il en venait aux chunin de faire ce travail. Et puis, ce n’était pas tous les chunin qui se retrouvaient avec cette corvée. D’un côté, Masami considérait presque c’était de flatter son égo que de lui donner cette tâche, même si c’était probablement la chose la plus ennuyante qui lui était donnée de faire.
Cette fois-ci on lui avait donné un quart de nuit, ceux qu’elle aimait le moins puisqu’ils avaient l’habitude de chambouler son horaire régulier. Elle sentait que le lendemain, Mifuyu allait lui passer un savon, mais elle ferait comme elle le faisait toujours lorsqu’on tentait de lui en passer un : elle n’écouterait que d’une oreille, hocherait la tête et donnerait de plates excuses.
La jeune femme était appuyée contre l’arche de la grande porte, le regard brun perdu au loin alors qu’elle s’inventait quelques jeux pour garder le sommeil à distance et maintenir son esprit éveillé. Ce n’était pas ce qu’il y avait de plus facile, surtout que la nuit avançait et que l’obscurité endormait encore plus que l’épuisement de la journée qui venait de terminer.
Entre ses doigts, elle tournait et retournait un kunai, chose qu’elle faisait à chaque fois qu’elle était de garde. Contre le mur du village, juste à ses côtés, reposait sa fidèle lance dont la lame brillait doucement à la lueur de la lune.
Elle était vêtue de la traditionnelle veste de chunin. Un tessen bien rangé dans l’une de poches. Dans une autre d’entre elle, on pouvait trouver du fil de fer, un parchemin explosif et un petit rouleau d’invocation. Sur son dos, un immense rouleau contenant son nodachi et son kusarigama trônait alors que sur sa cuisse on trouvait son étui à kunais et shurikens. Il y avait fort longtemps que Masami avait gagné le titre d’armurerie ambulante et chaque fois qu’elle se déplaçait, elle le traînait avec fierté. Disons qu’elle n’était pas une femme que l’on prendrait désarmée.
Mais malheureusement, la quantité d’arme n’était pas ce qui allait vaincre cet ennemi qui se dessinait dans les coins sombre de l’esprit de la kunoichi. L’ennui et la fatigue n’avait guère peur de l’acier du monde.
Alors que sa tête commençait à s’alourdir et que ses paupières clignaient de plus en plus fréquemment, des bruits de pas attirèrent l’attention de la jeune femme. Jeune femme qui n’hésita pas une seule seconde à se redresser, ranger son kunai et récupérer sa lance. D’abord inquiète d’avoir été surprise à se détendre par son supérieur, la Fûma se tenait plus droite qu’un piquet, serrant les dents, mais ce fut avec surprise qu’elle nota que les pas ne venaient pas du village, mais de l’extérieur. C’était quelqu’un qui cherchait asile ?
Pas exactement non plus. L’homme se présenta. Il était un ninja du village, un Miyamoto – chose qui expliquait sa posture, son arme et tout ce qu’il dégageait. Il était bien plus âgé qu’elle et avait la chevelure également plus longue qu’elle ne la posséderait jamais. Les traits de son visage, ses épaules carrées, formées par les années d’entraînement, le chef de la garde d’Uzushio se tenait devant elle. Bien qu’elle n’eût aucun souvenir d’avoir rencontrer l’homme par le passé – après tous les hommes de sa stature ne se présentait habituellement pas aux gens inférieurs.
Et puis, il fallait avouer qu’il avait le visage de quelqu’un qui savait s’y prendre avec la gente féminine (et en général ce n’était pas le genre d’homme qui venait lui parler également.)
« Fûma Masami, m’sieur. Ravie de voir de retour. Je vais juste devoir vous donner les formulaires habituels de contrôle, si vous n’êtes pas dans un retour urgent, cela va de soi, sinon il me ferait un plaisir de vous accompagner jusqu’à la tour du kage, bien que je doute qu’il y soit présentement. »
Bien entendu qu'il n'eut pas à attendre. Une des grandes portes de bois s'entrouvrit, juste assez pour une jeune femme lourdement armée. Elle s'avançait en hâte, une fille du clan Fûma, son corps musclé témoignant que l'attirail qu'elle portait n'était pas juste pour le show. Pratiquant lui même le combat rapproché, le Miyamoto savait reconnaître un confrère, bien que dans le cas présent, si la demoiselle était certes dédiée aux maniements des armes, l'étiquète du Bushido lui restait inconnue. D'autres lui reprocheraient sans doute son parler, Nori lui s'en contrefichait. L'accueillant d'un brève inclinaison de la tête, le quarantenaire plaçant sa lame au niveau de ses hanches, contrôlant la dureté de l'attache avant de répondre.
« Aucun soucis Masami-san, énonça t-il d'une voix calme. Nul besoin de déranger Tsuri. Je suis tout à vous. »
Il était véritablement de bonne humeur. Son ton presque chaleureux, son regard apaisé et… Serait-ce un début de sourire qui étirait ses lèvres ? Suivant donc la demoiselle au travers des portes, il en profita pour laisser vaquer son regard. Même à cette heure tardive des torches encore vives illuminaient la rue principale, projetant une lumière dansante sur les édifices de bois parsemant l'entrée. Certains étaient même encore ouverts, Izakaya pour la plupart, où se laissaient aller les hiboux nocturnes d'Uzushio. Une architecture élégante et raffinée, rien de moins pour l'ombre de la fameuse ligue marchande. Ce fut dans une petite cabine installée juste à côté des portes qu'entra Nori. L'exiguïté de l'endroit forçait la promiscuité, ce qui ne le dérangeait pas le moins du monde. Posé contre un mur, il attendit patiemment les parchemins, puis se saisissant d'une plume il démontra ses talents pour la calligraphie. On s'étonnait toujours de voir un guerrier excellé dans un domaine artistique, pourtant pour qui connaissait réellement le clan d'épéiste, cela n'avait rien de surprenant. N'avaient-ils pas après tout une de leurs fameuses écoles dédiée à l'Esprit ?
Après s'être extirpé de la (trop) petite cabine, Nori porta un énième coup d'œil au alentours avant de reposer ses iris dorés sur la demoiselle. L'heure tardive obligeant, les rues étaient presque désertes, au grand désespoir du ninja qui aurait aimé célébrer un petit peu son retour. Ce fut alors qu'une étincelle maligne s'alluma au coin de ses yeux, tandis que ses lèvres se délièrent de nouveau.
« Hum, après un an d'absence, je pourrais profiter d'un petit résumé des évènements majeurs ayant touché le village. Auriez-vous un peu de temps ? »
Alors-même qu'il disait cette phrase, son regard passa rapidement sur les trois endroits encore ouverts. Ouai, ils auraient pu se poser sur un tatami, dans la chaleur douillette d'une auberge, et discuter autour d'une table bien remplie. Seulement si cette femme l'avait accueilli elle devait être de garde, l'uniforme qu'elle portait en témoignait. Hors de question qu'il servit d'excuse à un abandon de post.
« J'ai ramené avec moi une excellente bouteille de saké, je pourrais vous rejoindre sur les murailles si cela ne vous dérange pas. On pourrait même commander quelque chose dans un des Izakaya, Setsuna-sama doit être encore ouverte non ? »
Voici une proposition plutôt insolite. Certains verraient sans doute d'un mauvais œil la consommation d'alcool pendant un tour de garde, mais assurément personne ne viendrait critiquer les méthodes de Miyamoto Nori. Même à moitié saoul, il serait sans doute plus efficace que la plupart d'entre eux. Restait-il à savoir si la demoiselle était prête à lui donner un peu de son temps. Après tout, il ne souhaitait pas imposer sa compagnie.