Prémices [Pv: Shirogane Honoka]

Plume à la main, Ogawa lança un regard l’horloge murale de son bureau. L’heure de son rendez-vous approchait. Penchant légèrement la tête, il fit une pause avant de reporter son attention vers la paperasse agglutinée sur son bureau. Même s’il n’était un des membres du Triumvirat Akayuki, sa charge de travail était loin d’être anecdotique. Il se surprit à imaginer à quoi ressembleraient les choses s’il était seul à ce poste. Quelle horreur ! Il ne s’en sortirait tout simplement plus, du moins pas en continuant d’oeuvrer comme shinobi pour le pays du Vent. La situation actuelle lui convenait parfaitement. La lettre qu’il écrivait une fois terminée, il scella le rouleau et le rangea dans son tiroir. Il aurait tout le temps de l’envoyer à qui de droit une fois l’après-midi venue.


Sans prendre le temps de ranger son bureau, il le quitta et ferma la porte à clé derrière lui. À quoi bon ? Il était seul à vivre ici depuis des années. Sa femme était morte, ses enfants le fuyaient comme la peste et ce n’étaient certainement pas ses domestiques qui oseraient s'immiscer dans ses affaires. Tout cela tenait plus de l'habitude qu’autre chose. Il y avait quelque chose de rassurant dans le fait de verrouiller la pièce mais s’il n’aurait été en mesure de l’expliquer.


Sobrement vêtu, le triumvir quitta sa villa en n’oubliant bien évidement pas son célèbre chapeau de paille. Protégé du soleil puissant du désert, il se mit en route, traversant une à une les rues de Suna. D’ici une dizaine de minutes, il s’entretiendrait avec Honoka, une femme du clan Shirogane. Il ne l’avait jamais rencontré personnellement, simplement croisé de loin ici et là. Il ne pouvait pas dire la connaitre réellement, loin de là. Cela ne voulait pas dire pour autant qu’il ignorait tout de cette dernière. En effet, sa réputation la précédait. Muette et amnésique suite à un grave accident en mission, elle avait beaucoup fait parler d’elle. Lorsque la chose était arrivée, Ogawa lui même n’était pas sunajins, son clan négociant alors avec Senshi. Certains la voyaient comme une taupe potentielle mais cette théorie semblait assez saugrenue. Pas impossible, mais fortement improbable.


Si les choses se déroulaient bien, le quadragénaire prendrait la tête de l’équipe Kagayaku. Composée de trois chûnins, toutes des kunoichis, elle n’avait pour l’heure plus de jônin à sa tête. Bien qu’elle se débrouille remarquablement bien en l’état, le Kazekage semblait penser qu’il pourrait être malgré tout préférable de les faire encadrer, certainement pour les rendre encore plus performantes. Après lecture de leurs états de service, Ogawa était loin d’être réfractaire à l’idée, cependant, il souhaitait en apprendre plus à leur sujet pour prendre sa décision. Plutôt que de toute les rejoindre, il avait simplement donné rendez-vous à la plus vieille, celle qui serait à n’en pas douter la plus mature. Elle pourrait le briefer et l’aider à rendre son verdict.


Tandis que le triumvir entrait dans le restaurant, un modeste yakiniku, il s’inclina pour saluer la serveuse mais ne retira pas son chapeau pour autant. Arrivé le premier, il s’installa à table et commanda une bière blonde et bien fraîche. Confortablement installé, il vida la moitié de sa choppe en quelques gorgée avant que son invité ne fasse son apparition. C’était une séduisante femme aux cheveux blancs, assez banale mais avec un visage malgré tout intéressant, certainement à cause des meurtrissures sur sa peau. Toutes ses cicatrices rappelaient à Ogawa les siennes et lui rendaient immédiatement la kunoichi sympathique. Ils étaient tous deux des infirmes luttant contre leur handicap pour demeurer au même niveau que les autres.


« Enchanté Honoka, installe toi, dit-il en souriant sans se lever de la banquette. S’il vous-plait, deux petites soeurs. » demanda le jônin à la serveuse en pointant sa choppe de l’index.


Tout en attendant qu’elle s’asseye, Ogawa se remit à penser au mutisme de la femme. Il savait qu’elle avait trouvé un moyen de s’exprimer, malgré tout, il était quelque peu mal à l’aise. Jamais auparavant il n’avait eu à tenir la moindre discussion avec une personne atteinte d’un tel handicap. Pourtant, quand bien même était-il quelque peu gêné, il se garda bien de le montrer. Il ne voulait pas qu’elle ait droit à ce regard, le fameux regard que tous les infirmes connaissaient bien. Ce mélange de pitié, de gêne et de dégoût. Non, elle n’aurait pas à subir une telle chose.


« Tu veux commander d’emblée ou on voit ça plus tard ? »


Tout cela était encore assez formel mais rien ne servait de se presser. Après tout, le temps ne pressait pas. Rien d’autre n’attendait le triumvir qu’une montagne de paperasse. Un bon repas en charmante compagnie était de loin une perspective préférable.

La kunoichi qui lui faisait face semblait, du moins de prime abord, assez froide. Le fait qu’elle ne parle pas et que ses réponses soient pour le moment assez directes ne la rendaient pas très sympathique. heureusement, il en fallait plus pour venir à bout de la légendaire bonne humeur d’Ogawa et de son sourire ravageur. Se moquant bien de la situation, il s’empara de la carte et commanda pour eux deux un large plateau de viandes variées. Il fallait bien avouer qu’il avait particulièrement faim. Son verre de bière en main, il la regarda droit dans les yeux lui aussi. Couleur intéressante, peu commune.


« Habituellement j’aime bien prendre mon temps, et détrompe toi, j’ai rien contre un peu de compagnie. Surtout que Rinko n'est pas très loquace, grommela-t-il en parlant de sa chatte. Enfin c’est pas le sujet, t’as raison. Trinquons malgré tout. »


Ogawa, bien qu’il ne soit pas né Akayuki, n’en demeurait pas moins un marchand. Tous les commerciales savaient qu’il était un important de savoir prendre le temps parler. Une bonne négociation commençait régulièrement autour d’un bon repas accompagné de rasades d’alcool. Toutefois, si la chûnin n’appréciait guère ce genre de préambule, il l’en dispenserait volontiers. Tendant son verre vers le sien, il attendit qu’elle lui rende la politesse pour avaler une généreuse gorgée désaltérante.


« Du coup, comme tu dois déjà le savoir, il est question que je succède à votre ancien chef d’équipe, remplaçant de fait Tomei Ena. Je t’ai fais venir car tu es la plus âgée et que je préfère voir les choses avec une adulte. »


Comme le plateau arrivait déjà, impressionnant Ogawa par la rapidité du service, il s'interrompit le temps que la serveuse ne fasse son office. Tout cela avait l’air particulièrement alléchant.


« J’ai lu vos dossiers, je sais globalement à quoi m’attendre mais je voudrais connaitre ton ressenti sur votre équipe et un résumé de tes collègues. »


Concluant ses paroles, le quadragénaire s’empara d’une paire de baguette et plaça plusieurs morceaux de boeuf sur le grill. De loin sa viande préférée, elle semblait juteuse à souhait. Comme son interlocutrice ne parlait pas, il savait qu’il avait le temps de s’occuper de la cuisson le temps qu’elle écrive. Ne sachant pas ce qu’elle souhaitait manger en premier, il lui laissa le soin de s’occuper elle même de sa pitance. Après tout ce n’était plus un enfant, et pas le sienne, nul besoin de préparer son repas.  

La marionnettiste semblait apprécier les deux membres de son équipe. Le portrait qu’elle peignait d’elle était assez flatteur. Un peu plus pour la Kusaribe que la Tomei, mais pas de quoi s’alarmer. A en croire ce que lui avaient appris les dossiers, Honoka lui disait bien la vérité. Il nota le tout dans sa tête. La Shirogane restait cependant bien peu loquace en ce qui la concernait. Cela ne l’était aucunement, pas parce qu’elle était muette, mais au vu de son passé la chose était prévisible.


Une fois sa viande prête à être dégustée, le jônin la retira du barbecue. Après avoir posé les tranches fumantes sur son assiette, il les aspergea d’un peu de sauce soja. D’un oeil, il observa la femme s’occuper de son propre repas. Le fait qu’elle commande du saké la lui rendit rapidement plus sympathique. D’autant plus qu’il avait remarqué sa descente remarquable. Il avait un bon sentiment la concernant.


« Je vois, je vois. »


Le jônin croqua un morceau, regarda son interlocutrice, son cahier, son verre de bière, puis recommença le cycle trois fois. Cela ne lui donnait pas l’air très malin mais la scène était comique.


« Ok, ça roule. J’ai ce dont j’avais besoin, s’égaya l’homme.. Si t’es pressée je ne te retiendrai pas tu es libre de partir. Ou bien tu peux rester avec moi et entrouvrir ton armure pour qu’on puisse faire connaissance. C’est moi qui invite. » ajouta-t-il finalement avec son large sourire habituel.


Il était évident que la kunoichi n’était pas loquace et que la situation, soit ne lui plaisait pas, soit la mettait mal à l’aise d’une manière ou d’une autre. Il n’avait aucune envie de la retenir contre sa volonté mais si par chance il pouvait voir à travers son bouclier il s’estimerait heureux. Le kazekage semblait vouloir qu’Ogawa prenne la tête de cette équipe, qu’il en ait envie ou non et de ce qu’il avait lu puis entendu de la bouche de la chûnin, il était déjà prêt à accepter. Raison de plus pour faire connaissance avec la Shirogane. Malgré tout, l demeurait fort probable qu’elle décline, poliment ou non, sa généreuse proposition. La perspective d’un repas gratuit et bien arrosé ne valait finalement pas tant que ça à bien y penser.  

Inviter la kunoichi était visiblement tout ce qu’il fallait pour l’inciter à rester. La perspective d’un repas gratuit était à ses yeux bien plus intéressante qu’Ogawa ne l’avait pensé de prime abord. Intéressant, il ne manquerait pas de s’en souvenir. Après tout, connaître les petites faiblesses des gens pouvait toujours s’avérer utile. D’un œil amusé, il regarda la chûnin commander immédiatement une nouvelle bouteille de saké. Elle buvait beaucoup pour un si petit brin de femme. En cela, elle ressemblait beaucoup à sa veuve. Quel hasard qu’elle porte également le même nom qu’elle. La vie était décidément pleine d’ironie. Il n’eut cependant pas le temps de s’attarder dessus car son interlocutrice sortait une cigarette. Avec une grimace, il la regarda la porter à sa bouche. Depuis toujours il détestait la fumée et l'odeur du tabac. Quelle idée d’en allumer une lors d’un repas ? Quel cruel manque d’éducation. La charmante compagnie offerte par la séduisante kunoichi se gâta instantanément. Restant courtois, il lut son message avant de rire de bon cœur.


« Va savoir, je suis peut-être un autre tocard de plus ? Je me moque pas mal de ton accident, de ton mutisme et des rumeurs qui courent à ton sujet. Le soucis c’est que je ne connais aucune de vous trois, j’ai supposé que tu étais peut-être du genre réservée et que le bon couteau pourrait aider à ouvrir le coquillage. M’enfin, il est pas exclu que la coquille soit tout bonnement vide et que tu sois simplement taciturne. Faut pas toujours chercher la perle cachée. » expliqua l’homme en haussant les épaules et se grattant le haut du crâne l'air pensif.


Le moins que l’on puisse dire, c’était que les paroles du jônin envers la kunoichi étaient loin d’être douces. D’un autre côté, elle semblait favoriser l’honnêteté alors lui dire les choses comme il les voyait sans trop prendre de gants avait tout l’air d’être une bonne idée. Dans le pire des cas, il se mettrait à dos sa possible future subordonnée mais elle lui assurait qu’elle se tiendrait à carreau quoiqu’il advienne. Comme si une bande de chûnins pouvait lui tenir tête. Il n’était plus si jeune mais il ne fallait pas le prendre pour un impotent.


« Quant à ta question, faudrait demander directement au Kazekage. Il m’a simplement expliqué qu’il souhaitait vivement que j'accepte de vous prendre en charge. De ce que j’ai appris et à en croire tes dires, j’ai mon idée sur la question. M’est avis que vous avez juste besoin d’un vrai meneur. Malgré votre apparente cohésion, un commandement efficace semble vous faire cruellement défaut. On peut pas blâmer la petite Tomei, c’est qu’une gamine, c’est normal, dit-il en regardant d’un mauvais œil la cigarette. Si c’est pas ça, ma foi j’en sais rien. »


Même s’il demeurait modeste en présentant la chose comme une simple possibilité, l’Akayuki était persuadé de ce qu’il avançait. Les trois membres de l’équipe Kagayaku avaient d’excellentes qualités individuelles et il ne manquait rien de plus qu’un liant pour les unir efficacement et tirer le meilleur d’elles même. Ogawa serait ce catalyseur, du moins le pensait-il. Néanmoins, avant cela il serait certainement contraint de mater une bonne fois pour toute l’actuelle dirigeante. 

Constatant assez rapidement la gêne que la cigarette causait chez le jônin, la kunoichi s’empressa de l’éteindre. Cela ne sembla guère lui plaire. Dans son petit cahier, elle fit comprendre que si cela causait un problème il aurait pu tout simplement le dire. Ogawa haussa les épaules en regardant le reste de fumée s’échapper vers le haut de la pièce.


« C’est pas faux, mais je ne suis pas encore ton chef, j’avais pas envie de t’y contraindre. »


Ceci étant, si d’avenir il acceptait de les diriger, il faudrait qu’ils parviennent à un accord. La cigarette était un poison sans intérêt aucun et pouvait facilement nuire à la réussite d’une mission. Sa fumée était visible de loin et la chaleur du bout repérable à des kilomètres. Rien de bon ne pouvait être retiré de cette stupide invention. Le triumvir se demandait en quoi le tabac pouvait bien intéresser les gens, tout en occultant l’ironie de la situation. Un ivrogne maudissant les fumeurs, il y avait bien de quoi rire.


« Bah, envie ou non c’est plus compliqué que ça de toute façon. Je n’ai plus d’équipe à charge depuis un moment, mes enfants n’ont pas besoin de moi et vous avez visiblement du potentiel. Refuser de m’occuper de vous m’attirerait les foudres du patron pour pas grand chose. »


Ogawa avait-il peur du Kazekage ? Bien évidemment. Quel homme sensé ne le craindrait pas ? Pour autant il n’était en rien obligé d’accepter de prendre la tête de cette équipe. Senshi lui avait demandé, il ne l’avait pas imposé. La nuance était mince mais elle existait bel et bien. Il aurait été sot malgré tout de refuser. Les kagayaku avaient largement de quoi devenir une bande remarquable et les enfants du jônin lui manquaient. Peut-être parviendrait-il à créer un lien avec les plus jeunes ? Cela semblait mal engagé avec la plus vieille, sur ce point il ne se faisait pas d’illusions. Décidant de l’accompagner, il se servit à son tour un verre de saké.


« Je n’ai plus de questions en ce qui vous concerne toi et ta joyeuse troupe. Je pense également que ma décision est déjà prise. Si tu veux commander plus de viande fais toi plaisir, sinon faisons la fête à ces jolies bouteilles. » conclut-il sans se séparer de son sourire éclatant.


Honoka était loin d’être une femme loquace et le triumvir n’avait clairement pas trouvé les mots pour se la mettre dans la poche. Il fallait dire que comparer une femme à une huître était rarement une bonne idée. En un sens c’était déjà un miracle qu’elle n’ait pas pris congé en l’insultant gracieusement au passage. En y repensant cela n’aurait pas été la première fois. Autant Ogawa savait se montrer diplomate lorsqu’il commerçait, autant il pouvait être particulièrement rustre et balourd avec les femmes. La kunoichi était comme sa fille, et avec elle non plus il ne trouvait pas les mots. Cette situation le mettait mal à l’aise, en plus de l’agacer singulièrement.

Il était clair que plus le temps passait, moins la ravissante kunoichi plaisait au triumvir. Les deux n'étaient tout bonnement pas taillés dans le même bois. Ils n’avaient pas d’atomes crochus et le malaise créé commençait sérieusement à se ressentir aux yeux d’Ogawa. Que faire pour y remédier ? Il n’en avait aucune idée dans l’immédiat et cela ne lui plaisait guère. De sa main libre, il avala le verre de saké qu’il s’était servi avant de lire les paroles de la mutilée. Il ricana alors avec nostalgie en remontant son regard vers le sien.


« Eh ouais, trois formidables enfants. Ma plus grande fierté, y’a pas de doute là dessus. Je devais avoir dans la vingtaine à la naissance du plus vieux. Ils sont grands maintenant, ma protection ne leur est plus nécessaire. » expliqua l’homme avec la gorge légèrement serrée malgré son faux air enjoué.


Les choses étaient bien évidemment plus compliquée que la situation odieusement enjolivée par l’Akayuki mais pourquoi s’étendre sur ses problèmes auprès de probable future subordonnée. Cela n’aurait eu aucun sens et n’aurait pas été très professionnel.


« Oh, je suis sûr que ça ne posera pas un problème majeur. J’en suis pas à mon premier rodéo faut dire. » s’amusa-t-il.


La réalité était même que cela manquait au vieux père de famille. Son alcoolisme avait gâché sa vie de famille et il se sentait terriblement seul aujourd’hui. Peut-être que la joie de vivre et l'énergie des jeunes filles sauraient lui rendre le sourire. Du moins, s’il venait à bout de leur caractère exubérant. Rien n’était moins sûr que cela. Son verre vide, l’homme le remplit une fois encore et s’empiffra purement et simplement. Bien vite, il ne resta plus rien à se mettre sous la dent. Largement repu, le jônin fit passer le tout avec un restant de saké et soupira de contentement.


« C’était délicieux, comme toujours. Y’a rien à dire, c’est vraiment une bonne adresse. Comme promis… »


De sa sacoche, le triumvir sortit l’argent prévu pour payer le repas. Il compta, posa la somme nécessaire sur la table et avala une rasade de l’eau de vie contenue dans sa flasque. S’aidant de sa main, le vieux shinobi se releva et offrit un dernier sourire étincelant à Honoka.


« Allez, à la prochaine. »


D’un geste bien trop familier et paternaliste, l’homme avança, posa sa main sur son épaule, puis s’en alla. Ce n’était pas la marionnettiste qui l’avait le plus intrigué mais les jeunes filles dont elle lui avait parlé. Il avait hâte de les rencontrer et s’estimait prêt à rendre sa décision. Quelle erreur magistrale d’un pauvre homme qui ne se doutait pas dans quoi il mettait les pieds.