- Essaie encore, ordonna l'Omura a son élève en se mettant en position de garde. Les genoux fléchis, les deux jambes appuyées à poids égal contre la terre battue, elle l'invitait à la rejoindre dans une nouvelle valse de lames.

L'exercice, dans sa théorie, était simple. Sanada devait toucher la vieillarde avec son kunai, peu importait la manière. Il pouvait l'effleurer, l'entailler ou bien la transpercer, il gagnerait dans tous les cas. C'était aussi là l'avantage de s'entraîner avec une membre du clan des médecins, aucune limite n'était à imposer. Cela faisait partie de leur récente série d'entraînements à deux dans le but d'améliorer les capacités du garçon au combat rapproché et à la discrétion, qui étaient les deux spécialités de son enseignante. La guerre, si elle venait, se ferait dans l'ombre. Il aurait besoin de tuer vite et sans éclaboussures sanglantes. Plus important encore, il devrait survivre aux assauts de dizaines de shinobi qui, comme Mifuyu, maniaient les scalpels tant comme outils médicaux que comme instruments mortels. Evidemment, aucun ne l'égalait.

Bien sûr Mifuyu ne le lui disait pas mais son élève avait déjà fait de grands progrès. Si tant était qu'elle se concentre un peu, il lui était toujours impossible de la toucher, mais en même temps combien pouvaient rattraper un corps si souple et si agile ? Malgré son âge, les déplacements de la vieillarde étaient presque félins. Elle bondissait hors de portée de son assaillant, se contorsionnait pour esquiver ses attaques et sortait ses griffes pour riposter. Elle s'amusait avec lui. Peut-être le laisserait-il l'atteindre quand elle en aura marre, peut-être pas. Elle attendait de le voir se donner au maximum, de dépasser ses appréhensions premières concernant le combat rapproché. Il fallait lui prouver qu'il n'avait pas été choisi par la pythie pour rien, qu'elle ne l'avait pas choisi pour rien.

Ils s'entraînaient depuis maintenant une dizaine de minutes -et tout autant d'assauts- et l'adolescent n'était toujours pas parvenu à l'atteindre. Elle évitait chacun de ses coups comme elle exécuterait une danse sur les rythmes rapides des archipels, bien loin de la musique ennuyante du continent. Il y eut toutefois cette attaque, où la Sorcière crut s'être fait prendre à son propre jeu. Jusque-là, elle n'avait utilisé aucune technique pour se défendre, seulement sa vitesse et sa maîtrise des scalpels. Elle avait d'abord esquivé un coup direct porté vers sa tête en se penchant vers la droite puis, elle l'avait prévu, elle avait vu Sanada baisser violemment son bras pour l'atteindre à l'épaule, qu'elle avait pu contrer sans problème avec son arme. Ce qui fut imprévisible, en revanche, c'était le sable qu'il lui jeta au visage d'un coup de pied et qui l'aveugla une seconde.

Quand elle put ouvrir les yeux à nouveau, le kunai de son élève était prêt à se planter dans son abdomen. Elle dut réagir vite, très vite. Instinctivement, elle leva le bras droit au ciel, sur lequel vint s'abattre un puissant éclair qu'elle prolongea jusqu'à Sanada, qui fut forcé de se retirer avant de l'avoir frappée. Elle l'avait touché avec son élément alors même qu'elle avait refusé qu'il ne la batte sur son terrain.

- Pas mal, dit-elle mollement pour minimiser la prouesse du Genin. En revanche, c'est pas avec un peu de poudre aux yeux que tu vas nous faire remporter la bataille…

Son regard fut soudainement attiré par un garçon qui l'observait à quelques mètres. Zut, elle ne s'était pas rendue compte qu'elle était surveillée. Avait-il entendu ce qu'elle avait dit ? Sans doute pas, ou alors il devait être trop jeune pour en comprendre le sens… Du moins, elle l'espérait. Pour lui.

Technique utilisée:

- Tu es bien insolent, répondit simplement la doyenne avec une légère pointe d'humour, pour mettre fin à la conversation. Elle savait parfaitement qu'il avait raison, qu'avoir utilisé le raiton n'était pas dans les règles, mais il l'avait blessée dans son ego en lui indiquant son erreur. Et puis, n'était-ce pas le propre des shinobi que d'agir en dehors des règles ?

Sur le chemin de terre qui menait dans ce coin reculé du terrain d'entraînement, se tenait un petit garçon qui les avait vus combattre et qui l'avait entendue parler d'une "bataille". Elle serra les dents. La connaissait-il ? Savait-il de quoi elle était capable et était-il en mesure de comprendre que ce mot, prononcé dans la bouche de la légendaire guerrière médecin, ne faisait pas référence à un jeu de cartes mais plutôt à un réel bain de sang ? Non, c'était impossible, se dit-elle. Elle devait devenir paranoïaque. Depuis sa discussion avec le Kage, elle avait l'impression que chaque nouvelle rencontre qu'elle faisait lui voulait du mal ou, pire, savait ce qu'elle était en train de mijoter. Elle sentait le village entier parler contre elle et murmurer à l'oreille de l'ombre des tourbillons. Pourtant, elle ne lui en voulait pas, à lui. Elle n'en voulait qu'à son clan, qui avait accepté la domination d'une idéologie pathétique par sa faiblesse. Elle en voulait à Leiko, la reine usurpatrice qui l'avait chassée de son trône. Elle en voulait à Gendo, l'apprenti qui s'en prenait désormais à sa maîtresse.

La Sorcière réfléchissait, planifiait, jugeait de son regard hautain. Heureusement pour lui, le garçon freluquet fit redescendre la tension immédiatement. Son innocence et sa naïveté en étaient presque amusantes, si seulement il n'avait pas eu en face d'elle la femme-enfant, monstruosité de ce monde.

Elle n'avait pas que cela à faire que de s'occuper d'un enfant. Déjà qu'elle avait l'adolescent au calumet à entraîner, elle ne voulait pas d'un fardeau supplémentaire à porter sur ses frêles épaules. Néanmoins, si ce jeune Genin avait réellement entendu sa référence à la bataille prochaine, alors agir de manière naturelle – naturelle pour quelqu'un de lambda, pas le naturel de Mifuyu – alors peut-être pourrait-elle se débarrasser de tout soupçon. Elle hésitait toujours, ne sachant trop quoi faire, quand Sanada prit les devants. Il lui dévoila son statut, celui de sa professeure et répondit à sa question. Bon, il n'y avait plus d'échappatoire. L'ancêtre foudroya du regard le soldat des cinq, puis se tourna vers le garçon qu'elle n'avait jusqu'à présent jamais rencontré. Elle lui afficha un sourire faussement enjoué qui, pour toute personne qui la connaissait, représentait une bien pitoyable farce.  

- Enchanté, je me nomme Mifuyu, dit l'ancêtre avec sa voix légèrement rauque, prise par la vieillesse. Sanada, toi qui est si serviable, pourquoi ne montrerais-tu pas tes capacités à notre invité ? Il sera plus aisé pour lui d'apprendre Hiraishin sous quelques nuages…

Une phrase qui devait sonner bien énigmatique pour le garçon, mais que Sanada comprendrait sans mal. C'était également une manière de dire à son élève qu'il serait celui qui se chargerait de cet apprentissage, car l'Omura n'avait aucune envie de se fatiguer. Elle avait déjà fait la démonstration, c'était amplement suffisant.

- Pour ma part, je vais vous observer un peu en me rafraîchissant, si vous me le permettez. En ces fortes chaleurs, il faut que je prenne soin de mon corps. Avant de partir s'asseoir un peu plus loin, elle fait face une dernière fois à l'enfant qui était venu troubler leur entraînement. Dis-moi, mon garçon, comment t'appelles-tu ?

Quand elle entendit la question du garçon, Mifuyu sourit. Il avait l'air naïf, à croire que les deux comploteurs lui enseignaient une technique par pure gentillesse alors qu'ils ne le connaissaient pas. C'était bien mal connaître la Sorcière que de croire qu'elle faisait quelque chose sans avoir un agenda précis en tête. Ici, d'abord, elle se reposait un peu car, mine de rien, son élève l'avait fatiguée. Ensuite, il les avait surpris. Il n'avait pas l'air dangereux, bien sûr, mais il pouvait bien cacher son jeu comme elle le faisait, non ? Enfin, tout Genin était bon à berner. Enthousiaste comme il était, il raconterait à ses copains et à ses instructeurs qu'il était tombé sur un duo fort sympathique qui lui avait gracieusement fait don d'une technique. C'était bon pour la réputation de l'ancienne qui, bien qu'elle eût déjà une base solide au sein de son clan, aurait besoin de se faire apprécier des autres habitants si elle ne voulait pas que son petit tour de force ne se transforme en bain de sang inutile.

Elle resta toutefois silencieuse, laissant son élève s'occuper des circonvolutions de politesse ridicules. En quelques secondes, elle l'observa ensuite chasser le soleil de son royaume en quelques signes de mains pour y installer des nuages gorgés de pluie. Assise dans son coin, un peu à l'écart mais tout de même à distance convenable pour ne pas forcer sur sa vue, la doyenne rouspéta bruyamment en s'imaginant que le sable sur lequel elle était étendue ne tarderait pas à salir sa belle tunique blanche quand il sera humide. Elle souhaitait éviter un tel embêtement à tout prix, mais elle n'allait tout de même pas rester debout ! Il lui fallait trouver une autre solution !

Ainsi, tandis que son élève était en train de partager son savoir avec le garçon qui les avait dérangés, la doyenne se glissa doucement vers les affaires que le premier avait laissé prêt d'un piquet de bois avant qu'ils ne débutent leur entraînement. Il n'y avait pas beaucoup d'arbres sur ce terrain et s'asseoir sur ce piquet lui ferait horriblement mal au coccyx, elle s'en doutait. Ce qu'elle cherchait, en fait, près du gros bout de bois cylindrique, c'était la veste légère qu'il avait littéralement jetée ici quand l'entraînement s'était voulu plus physique et que la chaleur était devenue un poids dans ses mouvements. Elle l'attrapa du bout des doigts et retourna vite dans son petit coin avant qu'il n'eût le temps de tourner la tête vers elle. Au moment où Sanada termina juste ses explications pour Gintaro, elle glissa délicatement la veste sous son petit corps alors que la terre commençait déjà à lui coller aux mains. C'est un gosse, pensa la vieillarde, il doit toujours être en train de se salir, de toute façon.

Toujours silencieuse, elle ne donna aucune indication au soldat des Cinq, préférant plutôt voir comment il se comportait en dehors de sa sphère d'influence, bien qu'elle ne fût que quelques mètres derrière eux. D'abord, elle le reconnut bien dans les paroles pédagogues et pleines de douceur qu'il utilisait pour transmettre son savoir à cet enfant inconnu, qu'elle l'avait déjà vu utiliser dans d'autres occasions. Elle le trouvait trop gentil, trop naïf, ce qui tranchait à merveille avec le caractère sombre et décidé qu'il lui présentait généralement dans sa quête du surhomme. Ce qui la fit rire, en revanche, ce fut sa méthode d'apprentissage, qui se rapprochait finalement de la sienne, peut-être par volonté de lui rendre hommage – bien qu'elle en doutait – sans doute plutôt parce que son emprise se faisait de plus en plus profonde sur l'adolescent qui, progressivement, devenait aussi terrifiant qu'elle. Il était logique qu'après avoir été entraîné à la dur, lui-même reproduisait des comportements similaires. La pomme ne tombait jamais loin du pommier, disait-on.

Installée confortablement, elle souriait aux deux garçons, assez sincèrement finalement, même si son expression dénotait également une certaine dose d'impatience. Elle n'était pas venue ici pour cela et n'était patiente que lorsqu'elle se trouvait dans une salle d'opération.

La Sorcière observait la scène qui se déroulait sous ses yeux attentifs, se concentrant bien plus sur le comportement de son élève qu’elle se plaisait à analyser, que sur les progrès du garçon qui cherchait lui aussi à s’approprier les pouvoirs de la foudre. Le regard de Mifuyu était celui d’un juge aussi froid que rigoureux, étudiant chacune des pièces qui lui étaient présentées avant de ranger l’accusé dans la catégorie qui lui correspondait le mieux. Ici, il n’y avait point de culpabilité ou d’innocence, ou plutôt, tous étaient coupables et innocents à la fois. À la place, elle choisit de placer son élève dans la catégorie des pédagogues illuminés, titre qui s’harmonisait parfaitement avec les explications plus lyriques que techniques de l’adolescent. Plutôt que d’enseigner la théorie précise et scientifique qui se camouflait derrière chaque jutsu, il préférait se concentrer sur le contact de l’homme avec la nature, leur relation et leur fusion. Ces explications abstraites fonctionnaient généralement pour lui, elle l’avait souvent remarqué, mais en serait-il de même pour cet enfant qui n’était nullement en âge de comprendre sa connexion avec les esprits naturels de ce monde ? Il n’y avait là aucun jugement de valeur de la part de la vieillarde, qui ne pensait pas qu’une stratégie d’apprentissage soit par essence meilleure qu’une autre, seulement fallait-il savoir l’adapter au public qui la recevait.

Soignant donc son ennui dans cette contemplation raisonnée, l’ancêtre au corps d’enfant était bien loin de se douter des pensées frôlant la déloyauté qui se bousculaient dans l’esprit de son élève et cobaye. Contrairement à ce qu’il imaginait, en revanche, ce n’était pas réellement à l’utiliser pour sa guerre qu’elle avait pensé en apercevant le jeune genin. Elle avait plutôt eu peur qu’il ne découvre leur secret et qu’elle soit obligée de lui faire du mal, ce auquel elle ne prenait pourtant aucun plaisir, soyez-en rassuré.

Maintenant qu’elle était plus ou moins certaine du caractère inoffensif du petit shinobi, elle avait hâte qu’il ne les laisse pour qu’ils puissent reprendre leur entraînement. Peut-être, s’ils se revoyaient à l’avenir et dans des conditions similaires, peut-être alors commencerait-elle à développer des ambitions mauvaises et manipulatrices le concernant. En attendant, il n’était à ses yeux qu’un gamin qui avait comme seul intérêt de lui révéler certains penchants de la personnalité du manipulateur d’orage.

En effet, il est trop tendre, songea Mifuyu, un peu amèrement. Pourra-t-il faire ce qui était attendu de lui quand le moment sera venu ? Il y avait bien évidemment sa quête du surhomme et sa mission religieuse qui galvanisaient la confiance qu’elle portait en lui, seulement comment être certaine que ces facteurs auront une puissance suffisante pour ne pas le laisser engloutir au moment critique ? Ces craintes, rationnelles et légitimes, seraient bel et bien celles qui devraient triompher dans son esprit dont la vieillesse faisait redoubler la prudence. Pourtant, pour une raison presque mystique - et finalement peu lui importait la façon dont il traitait Gintaro - elle voyait son futur lié à celui de Sanada pour encore quelque temps, au-delà même de la seule révolution Omura.

Cet instinct, pour ne pas l’appeler une certitude, ne serait que renforcé si elle parvenait également à modifier l’approche du garçon. S’il était tendre, qu’elle le rende dur ; s’il était sentimental, qu’elle s’en serve pour en faire un soldat sans pitié ; s’il était déloyal, qu’elle le brise.

Quand Sanada eût fini de dispenser ses dernières explications à Gintaro, elle se leva enfin de son petit bout de terre recouvert par la veste du garçon - qu’elle jeta d’ailleurs un peu plus loin sans trop d’égard - pour les rejoindre. « Invoquer le tonnerre, le demander, c’est la première étape. Seulement, ce ne sera pas toujours aussi simple qu’aujourd’hui. Tu n’auras pas Sanada à tes côtés pour créer l’orage et, parfois, il fera si chaud que créer de la foudre te semblera impensable. Et pourtant, il te faudra concentrer ton chakra en l’air et le modeler selon la foudre. Quand tu sentiras les premiers éclairs parcourir ton bras, si petits et insignifiants fussent-ils, il te faudra donner une impulsion supplémentaire pour chercher la foudre jusque très haut dans le ciel. »

Après ce conseil donné à Gintaro, elle s’adressa finalement à Sanada.

« Ne lui fais pas croire que la technique est plus facile qu’elle ne l’est. Tu dois te montrer plus sévère, mon garçon. »

Sanada et Gintaro s'affrontaient sous les yeux de la vieillarde qui, un peu lassée, commençait à laisser courir ses doigts dans la terre sèche pour en soulever des petits pâtés. Elle avait hâte que ce moment se termine afin d'en revenir à des sujets plus sérieux. Cela faisait bien soixante ans qu'elle avait passé l'âge de materner des gamins. A son âge, elle se devait de penser à elle, à son avenir. Perdue dans ses pensées, elle ne voyait plus les deux garçons qui s'échangeaient des coups, le plus jeune d'entre eux tentant désespérément d'électrocuter le moins jeune. Arriva même un moment où, sa patience de vieillarde ne supportant plus l'attente, elle se leva avec la ferme intention de mettre fin à tout cela. Elle allait crier, peut-être s'énerver contre le môme pour lui faire peur – suffisamment pour que lui aussi la surnomme la Sorcière.

Pourtant, et il fallait avouer que la doyenne en fut surprise, à l'instant où elle s'apprêtait à déchaîner son caractère tempétueux et mesquin, le Genin hurla à la victoire et, après quelques actions dont Mifuyu ne releva pas encore l'importance, déguerpit aussi vite qu'il n'était arrivé. En somme, il ne fut qu'une drôle de parenthèse dans leur entraînement quotidien – une parenthèse assez longue tout de même. Elle n'avait pas compris la raison qui l'avait poussé à s'enfuir si promptement, d'autant plus qu'un comportement comme celui-ci semblait hautement impoli aux yeux d'une femme si traditionnelle que la chirurgienne, toutefois elle n'était pas assez impliquée dans l'interaction pour en avoir quelque chose à faire.

"Hein ?" demanda bêtement Mifuyu en voyant que Sanada lui avait parlé. Comme cela lui arrivait quelques fois, distraite, elle mit quelques secondes à recomposer les paroles de son élève dans son esprit. "Ah oui, la technique ? Je l'ai déjà vue, mais ça s'arrête là. Disons que de mon temps, pendant la grande guerre, on apprenait un peu plus aux enfants que d'allumer un feu. Enfin, je te regarde, mon garçon."

Elle observa le soldat des cinq effectuer la série de mudra qu'il avait retenue. A les voir, cela n'avait rien de compliqué. Même elle, qui s'était récemment découvert un attrait pour la foudre, cette énergie blanche et pure, aux côtés de son élève, devrait pouvoir y arriver. Ca ne lui changerait pas vraiment la vie, mais cela lui éviterait déjà de s'énerver contre sa pauvre lampe à huile défectueuse dans son laboratoire.

Par mimétisme, la doyenne reproduisit les signes incantatoires à son tour, prenant exemple sur l'adolescent. En un sens, c'était une sorte de téléphone arabe chakratique. Restait donc à espérer que le chaînon précédent ne s'était pas trompé… Sanada obtint un bien piètre résultat, mais un résultat tout de même, ce qui était tout le contraire de la doyenne qui ne se demandait plus pourquoi elle n'avait jamais été intéressée par le ninjutsu. Ce n'était pas son truc, voilà tout. Pourtant, elle était une génie, une combattante légendaire, capable de retenir le fil de la vie comme de le trancher. S'avouer vaincue serait une injure à son immense talent. Elle feinta donc d'abord de hausser les épaules, comme si son échec ne lui faisait ni chaud ni froid, puis reprit finalement son apprentissage timidement.

Peu à peu, une lueur fragile se dessinait au bout de ses doigts avant de vaciller puis de se dissiper sans qu'il ne soit possible de la retenir. C'était un exercice extrêmement frustrant pour la vieillarde qui, habituellement prodige dans la manipulation de son chakra tout comme dans sa concentration, éprouvait là de sérieuses difficultés. L'explication, bien sûr, n'était pas difficile à trouver : elle maîtrisait son chakra, certes, mais le ninjutsu était un exercice bien différent de l'iroujutsu, qui restait très largement son seul domaine de prédilection jusqu'à présent – elle avait tendance à y lier l'art des poisons, qui n'était rien d'autre qu'une forme de médecine plus… élégante.

D'un coin de l'œil, elle observait son élève qui, lui aussi avait des difficultés – bien qu'elles fussent moindres. Elle écoutait ses quelques indications pour corriger sa posture, sa concentration et sa manière d'aborder la technique, mais rien ne semblait fonctionner. Enfin, elle crut que la solution allait lui tomber toute crue dans la bouche. En effet, Sanada venait de se rendre compte qu'il avait mal retenu le dernier mudra : voici qui expliquait tout ! La Sorcière n'était pas incompétente, elle avait été mal aiguillée. Voilà qui fut un réconfort bienvenu à l'orgueil démesuré de cet être si imbu de lui-même.

Après quelques tentatives, le garçon découvrit enfin quelle était la combinaison parfaite, qu'il dévoila à voix haute pour que Mifuyu s'entraîne. Elle recommença donc une dernière fois, convaincue de son succès imminent. Malheureusement, si la lueur fut bien plus intense que celles précédemment obtenues, elle vacillait tant qu'elle ne tint pas plus de quatre secondes, quatre longues secondes qui parurent une lente agonie à l'Omura.

De son côté, Sanada était déjà prêt à reprendre l'entraînement et ne manquait pas de le faire savoir à qui voulait l'entendre. Mifuyu, elle, enrageait. Comment un genin pouvait-il réussir là où elle échouait ? D'un certain côté, elle était rassurée que ce genin fut Sanada, son élève, maître de l'orage et de la foudre ; il n'empêchait que la situation restait humiliante.

"Cesse donc de t'agiter et viens m'aider, toi ! Mes éclairs sont trop vifs, ils ne se stabilisent pas comme une lumière devrait le faire."

Etait-elle simplement trop puissante pour maîtriser une technique si basique ?

"Limpide", grogna presque la doyenne en réponse à son élève, qui tachait de lui décrire son ressenti en exécutant la technique afin qu'elle visualise la bonne méthode à adopter, ne sachant pas qu'au contraire il l'embrouillait encore plus. Mifuyu était une scientifique, elle avait toujours fonctionné par un cheminement d'étapes bien structuré : observation, hypothèse, puis expérimentation ; tout ceci soutenu par des chiffres ou des phénomènes chimiques analysables et d'une précision parfaite. Les ressentis ou les métaphores n'étaient pas faites pour elle : elle se moquait pas mal de comparer son énergie spirituelle à une fontaine qu'il faudrait réguler pour ne pas en briser l'équilibre, elle voulait simplement qu'on lui dise clairement quelle était la bonne dose de chakra à employer, et comment. Des faits et encore des faits.

Elle retint tout du moins l'essentiel : comme elle l'avait soupçonné, elle était une femme trop puissante pour une technique si banale et, pour une fois, cela lui jouait un tour. Une femme trop puissante, oui, car elle refusait d'y voir une faiblesse, d'accepter le fait qu'elle ait mal dosé son chakra, qu'elle n'était plus capable de mesurer la quantité d'énergie requise à la simple vision d'une technique comme elle en était capable dans ses années les plus glorieuses – encore que, dans un coin de sa tête, elle demeurait persuadée que ses années les plus glorieuses restaient à venir, et qu'elles approchaient à grands pas.

"Bon, je vais essayer tout de même", finit-elle par articuler après avoir observé en détail les démonstrations de Sanada qui, étape par étape, augmenta l'intensité de sa lumière produite jusqu'à créer un orbe lumineux qui suffirait à éclairer le plus grand des laboratoires de la Division d'Amélioration. Cette pensée lui donna un léger regain de motivation, cette technique n'étant pas si inutile finalement.

Elle tenait donc deux nouveaux éléments pour ses nouvelles tentatives. Elle avait compris qu'il lui fallait mettre moins d'énergie pour stabiliser la lumière – d'un côté c'était une bonne chose, cela voulait bien dire que le jutsu était encore moins fatiguant qu'elle ne l'avait cru au départ. Elle songeait également qu'il fallait former un orbe lumineux avec sa main, là où elle avait simplement cherché à expulser de la lumière depuis ses doigts, sans trop se soucier de sa forme, ne laissant alors échapper qu'un flux chaotique, dispersé et éphémère. Une fois cet orbe formé, il était possible d'en régler l'intensité à sa guise comme l'avait fait Sanada.

Les deux shinobi des tourbillons s'entraînèrent côte à côté jusqu'à la nuit tombée. Cela pouvait sembler être un travail acharné pour une technique si faible – Mifuyu ne ferait pas un entraînement comme celui-ci tous les jours – toutefois une telle persévérance avait l'avantage de fixer durablement dans la mémoire tant mentale que physique les gestes adéquats pour invoquer la lumière. Ainsi, quand elle en aurait besoin, son corps suivrait instinctivement sa pensée et provoquerait l'utilisation de cette technique comme si elle la connaissait depuis toujours, comme si elle était un simple prolongement de sa main.

La Sorcière répétait les exécutions de la sorte : les signes incantatoires, la manipulation du chakra pour le transformer en foudre, l'élément avec lequel elle disposait d'une affinité naturelle, puis l'expulsion de ce chakra du bout des doigts tout en veillant à ne pas le laisser s'échapper vers le ciel, mais plutôt le maintenir entre ses doigts jusqu'à ce que l'amas de foudre créé provoque la formation d'une sphère lumineuse dont le rayonnement pouvait éclairer à quelques mètres devant eux. De l'extérieur, cet entraînement nocturne était d'une beauté sans pareille : on aurait dit que les deux Uzujin jouaient avec la Lune, se l'accaparaient de temps à autres pour la former dans le creux de leur main avant de la renvoyer, libérée, vers le ciel.

Progressivement, la lumière se forma, jusqu'à ce qu'elle fut complètement. La doyenne termina son entraînement à quelques minutes d'intervalle de Sanada, qui la regarda finir ses derniers essais avec une patience silencieuse, sa préférée. Elle avait enfin réussi à doser correctement son chakra, et ce sur plusieurs échelles ; elle était désormais capable de créer deux orbes lumineux de taille et d'intensité différentes, éclairant une zone élargie pour un coût en énergie augmenté. Malgré un début difficile, elle fut finalement satisfaite d'elle-même ; elle n'apprenait pas de nouvelles techniques tous les jours, encore moins en ninjutsu, aussi elle retrouvait là les frissons de ses premières années, avant que la plupart de ses entraînements se focalise sur le combat aux scalpels, aux couteaux ou à toutes autres lames courtes.

Bien que maigre, c'était un nouveau pas vers son avènement final : elle amènerait la lumière sur son clan, qu'elle ferait à nouveau rayonner de sa gloire passée.

Technique apprise :