Un instant, Mifuyu crut le saisir. Sa lame s'enfonçait dans le corps de sa cible, Kei. Celui-ci, malheureusement, digne héritier de son père et des connaissances d'un clan de médecins de génie, parvint à dévier la lame au dernier moment avec sa paume pour éviter d'être atteint à un point vital. La Sorcière resta interdite, ne comprenant pas le geste de son adversaire. Il était évident qu'avec la vitesse dont il venait de faire preuve, il aurait pu éviter l'assaut. Même elle, du haut de son expérience, l'ego gonflé par la confiance aveugle que lui portait Sanada, savait bien, au fond, que ce combat était perdu d'avance. Alors pourquoi avait-il laissé le sang jaillir ? Pourquoi s'était-il laissé transpercer ainsi ?

Elle ne tarderait pas à le comprendre. Une fois de plus, elle s'était faite piégée, et par un adversaire redoutable. Quand Kei s'écroula sur le sol de manière si exagérée, si fausse, elle saisit toute l'ampleur de la situation. Ce piètre jeu d'acteur n'était pas pour elle, il faisait plutôt partie d'un plan ficelé longtemps à l'avance. A quelques mètres d'eux, deux silhouettes masculines s'approchaient. La doyenne fronça les sourcils et recula d'un pas. Bien malgré elle, elle observait ces deux illustres individus d'un œil mauvais. Plus que jamais, elle était emplie de la haine la plus virulente. Gendo… Gendo, Gendo, Gendo ! Ce nom se répétait en boucle dans sa tête sans pouvoir jamais s'arrêter, de plus en plus vite, de plus en plus fort. Elle voulut lui sauter au cou, lui trancher la tête avec son tanto, voir la vie quitter ses yeux et son souffle quitter son corps. Mais elle ne le pouvait pas. Il y avait trop de monde qui pourrait l'en empêcher. Pire encore, il y avait le Senkage. Cet homme qui lui vouait déjà une haine certaine serait certainement comblé de croire Mifuyu part d'une infâme conspiration contre le village, il n'hésiterait pas à la condamner. Pourtant, elle n'avait pas même commencé à bouger ses pions. Tout son plan, pour le moment avait été bousculé par l'intelligence de Gendo, qui était celui qui avait su lui imposer ses règles pendant les dernières semaines.

A cet instant, elle se rendait compte de sa faiblesse, de sa passivité. Elle n'avait rien fait. Elle s'était faite menée en bateau depuis le début. Elle se savait rivale de Gendo, mais elle ne l'imaginait pas agir si promptement. Elle avait même pensé que cette mission serait l'occasion de le doubler, d'enfin le décrédibiliser. Au lieu de ça, le piège s'était refermé sur elle. Il fallait à tout prix s'en échapper. Il fallait à tout prix reprendre son calme, faire disparaître la colère de son visage qui n'inspirait déjà pas grande sympathie.

Mifuyu voulut gagner la confiance du Senkage par un geste d'apaisement. Elle rangea sa lame dans le fourreau qui était camouflé dans le manche de son ombrelle, puis replia cette dernière et la rejeta contre son épaule.

Enfin, la voix de Meyo Tsuri brisa le silence et remplit le boyau d'une tension plus forte encore qu'auparavant. Même en temps de guerre, rarement la Sorcière avait-elle connu une telle concentration de haine et une situation si inconfortable. Tous, ici, représentaient un danger potentiel. Tous les acteurs de ce spectacle morbide dégageaient une aura puissante, tous avaient un rôle à jouer, mais aucun ne pouvait encore deviner le dénouement de l'intrigue.

Sanada fut le premier à répondre. Peut-être, se dit la femme-enfant, que l'innocence d'un enfant suffira à ramener le Senkage dans notre camp. Nous nous sommes faits avoir honteusement, mais il est encore temps de rectifier le tir. Nous avons des raisons de nous trouver là, nous sommes légitimes. Et nous avons connu la même surprise que lui à la découverte de ce laboratoire. Il est encore temps de retourner ses soupçons vers le vrai criminel, Gendo. Si ça fonctionne, il devrait disparaître pour de bon.

Elle avait beau réfléchir, Mifuyu ne voyait qu'une issue possible à cette scène. De Gendo et de Mifuyu, l'un des deux sera à jamais effacer des intrigues du clan. Il s'agissait alors de ne pas se laisser faire, de se battre avec l'ardeur du désespoir, de protéger sa vie comme elle l'avait toujours fait, quitte à commettre des atrocités inimaginables.

Le discours de Sanada avait été bon, il n'y avait rien à ajouter. Une chose chiffonnait cependant la chirurgienne : si son disciple était prêt à se livrer à un interrogatoire, elle n'était pas certaine de l'être. Elle en sortirait toujours moins coupable que Gendo, toutefois, il fallait voir la vérité en face, elle n'était pas toute rose dans cette affaire et ce, même si elle n'était en aucun cas liée à ce laboratoire, ni à X-23. Comme l'adolescent avant elle, elle s'avança doucement vers les deux hommes, mais maintint toutefois une légère distance, marquant son manque de confiance. Elle salua Gendo d'un hochement de tête accompagné d'un regard qui suffisait à transmettre toute la haine qu'elle ressentait envers lui, mais qui était également une manière de reconnaître son talent.

"Senkage-sama. Tout ce que vous a dit Sanada est vrai. S'il le faut, je me plierai également à votre volonté. Je n'ai aucune envie de combattre qui que ce soit et, c'est en réalité tout le contraire. Je vous dois des remerciements, car votre simple présence ici est ce qui nous a sauvés, Sanada et moi, d'une mort certaine et planifiée par celui qui vous accompagne. Ses mercenaires n'auraient pas hésité à nous massacrer. Car ici, nous ne sommes pas chez moi, mais bien chez eux. Nous ne faisons qu'enquêter. Vous remarquerez d'ailleurs que l'emplacement de ce laboratoire n'est pas anodin : nous nous trouvons sous le domaine de ce Gendo."

Mifuyu vint se positionner à côté de Sanada afin de montrer qu'elle était également prête à obtempérer. Elle était humiliée, perturbée, mais ses souffrances seraient de courte durée, car si elle se montrait suffisamment convaincante, ce serait son adversaire qui prendrait aussitôt feu. Il était temps d'achever la plaidoirie en jetant au loup un nouveau nom, sans savoir qu'il avait déjà été prononcé contre elle.

"En arrivant ici, je n'ai fait que mon devoir. Depuis maintenant quinze ans, mon rôle est d'éliminer les progressistes de mon clan. Je pense l'avoir bien fait et, pour tout vous dire, c'est la seule raison pour laquelle Dame Leiko tolère encore que je sois en vie. D'ailleurs, j'imagine difficilement qu'une opération d'une telle ampleur ait pu être menée sans qu'elle ne la suspecte, pourtant, à aucun moment ne m'a-t-elle demandé d'agir…"

Par cet aveu de faiblesse répugnant, par cette preuve de soumission à sa cheffe, Leiko, elle espérait faire germer le doute dans l'esprit d'un homme qui l'avait toujours prise pour conseillère rapprochée.

Pour triompher demain, il fallait s'écraser aujourd'hui.

Récapitulatif combat: