Emmener la bonne parole.

Il n'était pas aisé d'être un pilier de la foi, encore moins lorsque votre dévotion allait au Dieu le plus sanguinaire de l'histoire humaine. Pourtant malgré toutes les épreuves lancées à ma face, je ne regrettais rien. La religion Osmiétiste n'avait rien d'absolue. Elle coexistait sans mal avec les autres croyances, tempérant ainsi les idées de croisades de moines trop zélés. Ceci dit cela ne signifiait pas que les prêtres ne désiraient pas répandre leurs idéaux. La communauté Osmiétiste dépassait de loin les Archipels brumeux, et s'ils n'avaient pas l'exclusivité de cette foi, les pieux guerriers pouvaient se permettre un peu plus de liberté quand à l'expansion de la bonne parole.
En bon Ocertan, je ne pouvais que me charger personnellement de cette tâche divine. Certaines mauvaises langues n'y verraient qu'un prétexte pour m'échapper du temple et des mes responsabilités, balivernes! Après tout c'était presque à contrecœur que je quittais paperasses et rites funéraires. Les aléas du voyage, la découverte de nouveaux paysages, il ne s'agissait que de justes récompenses pour ma sainte dévotion!

J'avais certes roulé ma bosse dans les méandres du Sekai, mais il restait encore tant de terres inexplorées. Aujourd'hui mes pas m'emmenaient dans un recoin oublié du monde. Je venais tout juste de sortir des Grandes Forêts, et déjà la température s'abaissait. Vêtu d'un pantalon en lin et d'une simple chemise blanche, je daignai enfiler ma cape de voyage. La flore gigantesque des Grandes forêts reprenaient petit à petit des proportions normales, le royaume végétale laissant place à la puissance tellurique des montagnes. Le tapis vert s'éclipsait face au manteau blanc, sublimant au passage la lumière matinale. Ayant choisi d'arpenter une ancienne route de commerce, j'évoluai le sourire aux lèvres sur la terre couverte de neige, comblé par la poésie de cette nature hivernale.
Bien-sûr qu'un chantier reculé n'était pas la meilleure façon d'évangéliser les masses, mais à ce moment je ne cherchais plus à faire semblant. J'avais toujours aimé voyager, et cela faisait bien longtemps que je devais voir ce fameux Lac gelé. Il m'en avait tant parlé après tout... Lao-san, mon second instructeur, ancien Ocertan de Jashin. On était censé y aller ensembles, mais Jashin avait la fâcheuse tendance de rappeler mes proches à ses côtés.

Mon entraînement égalant largement celui des ninjas, j'évoluai dans ce relief montagneux sans aucun soucis, mes tengu-getas se moquant du sol enneigé. Une balade sportive qui me porta rapidement au travers du Marais. Cela me prit tout de même plusieurs heures, et ce fut cette fois un soleil couchant qui salua ma venue. Léchant la glace, les lumières flamboyantes crachaient leurs couleurs, transformant ce lac figé en une mosaïque d'émeraudes et de saphirs.

«  Oibexijmia, Afkisuren util Tarinat man. »¹

Une prière de remerciement pour cette vision magnifique. Me dédier à Jashin ne signifiait pas ignorer les autres divinités, et il va s'en dire que mes pensées filèrent vers Karo. Assis en tailleur sur une proéminence rocheuse, je me laissai envahir par ce paysage, la majesté des montagnes couplée à l'élégance du lac recelant un petit quelque chose de divin. Déballant mes Onigiris, je m'offris donc une pause bien amplement méritée, songeant non sans nostalgie que Lao-san aurait probablement adoré l'endroit.

¹_{Terre de glace, la beauté te sourit}

Un paysage nouveau pouvait être une intense expérience spirituelle, d'autant plus lorsqu'on parlait d'une terre aussi irréelle que l'Isthme du Gel. En plein hiver, les alentours du Lac gelé semblaient appartenir à un autre monde. Je ne pouvais que me perdre dans la contemplation de cette peinture mystique, mon imagination débridée me contant la façon dont les Dieux, sous l'influence d'un jour chanceux, avaient canalisé leur inspiration dans cette sublime peinture. Oui, j'avais devant moi un cadeau du Ciel, une magnificence qui comblait à la fois le corps et l'âme.

Pourtant je me trouvai bien dans le monde réel, et ce dernier ne tarda pas à me rappeler à l'ordre. Des cris d'agonies, un son qui d'ordinaire effrayait le commun, mais qu'un adepte de Jashin avait appris à chérir. L'échos ne me permettait pas de localiser proprement leur origine, cependant cela suffit à m'ôter de mon perchoir. Frappant mes getas dans la neige, je dévalai les pentes escarpées pour me rapprocher du lac, ajoutant à l’ouïe et la vue mon sens divin.
Ce fut ainsi que je la trouvai : un chakra flamboyant dans la neige, une vie touchée par le divin. Rapidement une silhouette vint confirmer ma sensorialité, et je n'eus pas à m'approcher beaucoup pour comprendre qu'il ne s'agissait pas d'un simple manant. Cette personne manipulait le fluide mystique. Il était assez cocasse que si les Shinobis recherchaient sans cesse l'obscurité, pour qui savait regarder, l'outil même de leur anonymat les transformait en véritables phares. Deux âmes perdues sur ce Lac gelé, pareille rencontre ne pouvait être un hasard. Bien que je vérifiai la chaîne enroulée autour de mon bras, conscient qu'une rencontre entre ninja finissait rarement paisiblement, j'avançai sans chercher à me cacher vers l'inconnue.

"Et bien demoiselle, souhaitez-vous que je vous aide à rejoindre Jashin? Ou préférez-vous encore marcher du côté d'Amenko?"

Alors oui on avait déjà fait mieux comme phrase d'accroche, surtout quand celle-ci provenait d'un inconnu emmitouflé dans une cape, dont la peau grisâtre et bardée de cicatrices, les yeux anormalement noir et le sourire carnassier faisaient un parfait mort-vivant. Cependant à force d'avoir contemplé le paysage, j'étais sans doute ivre de mysticisme, et Jashin seul savait à quel point cette rencontre était lourde en promesse. C'était exactement le genre d'histoires qui forgeaient les légendes, et s'il me revenait la tâche sacrée d'évangéliser cette terre aride, je l'acceptais humblement.
Joignant l'acte à la parole j'offris mes deux mains à la demoiselle. L'une était vide, la paume offerte, pour signaler mon intention de l'aider, l'autre tenait fermement ma faucille, symbole de destin plus funeste. J'ignorais comment elle allait le prendre, mais une partie souhaitait ardemment qu'elle accepte de se sacrifier, ou au moins qu'elle m'attaquât, que je puisse offrir sa carcasse sanguinolente à Jashin. Il faut dire que son sang peignait adorablement le paysage, et fleure rouge dans cette prairie blanche, elle était absolument magnifique. Mes yeux grands ouverts cachaient à peine mon excitation, tout comme mon sourire qui dévoilait mes dents carnassières. Je ne lui voulais aucun mal, même si mon attitude pouvait laisser croire le contraire.

S'il relevait déjà du miracle de rencontrer un être humain dans ce désert nacré, béni soit le destin pour avoir donné de si beau traits à ma trouvaille. Certes elle était objectivement bien lotie, mais se furent ses yeux carmins couplés à ses habits ensanglantés qui attisa mon désir. J'étais bien mal placé pour juger l'iris d'un autre, vue la couleur absolument improbable de mes globes oculaires. Néanmoins ce n'était pas tous les jours que je croisais un être au regard trempé de sang. Ma première pensée alla évidement aux légendaires Uchiha, pourtant elle ne portait pas dans ses yeux les étranges symboles du sharingan. Non, cette jeune femme était simplement bénie par les flammes, celles-ci lui ayant prêté leurs couleurs.
Bien qu'elle déclinait mon offre, et que son attitude trahissait une méfiance évidente, je ne pus m'empêcher de me réjouir en l'entendant parler. Mes yeux s'élargirent, et j'aurais bien sauté de joie si je n'étais pas convaincu qu'elle me prendrait alors pour un fou furieux. J'ignorais si elle était croyante, mais qu'elle connût les Divinités Osmietistes relevait déjà de l'exploit. Décidément le destin m'avait gâté!

Je lui pardonnai donc le fait qu'elle refusa mon aide, et je ne pus retenir un sursaut de surprise lorsqu'elle signala l'offrande récemment faite à Jashin. La rose cacherait donc ses épines? Joignant mes mains l'une à l'autre, je m'inclinai cérémonieusement, une soudaine lourdeur s'accaparant mes traits. Je profitai également pour activer mon sens divin, confirmant ainsi la nature guerrière de la demoiselle.

« Karloten Jacin Utbagikan »¹

En temps normal cette intervention eusse nécessitée quelques explications, mais j'étais en présence d'une érudite non? De plus, bien qu'elle tentait de faire bonne figure, la demoiselle avait besoin d'aide. Je ne savais pas utiliser mon chakra pour insuffler la vie, seulement cela ne m'empêchait pas d'administrer des premiers soins.

" Je ne suis pas un spécialiste, mais je peux examiner vos blessures si vous le souhaitez. J'ai de quoi nettoyer le sang et ajuster cette atèle dans mon sac."

Qu'elle me laissât faire et je m'activerais aussitôt, ouvrant mon maigre baluchon pour déchirer une chemise, profitant du tissu pour enlever le sang. Ensuite je m'occuperais de cette atèle, manipulant d'abord la jambe pour évaluer les dégâts, puis ajustant les morceaux de bois avec des bandages. Ceci dit il était fort probable qu'elle refusât l'aide d'un inconnu, me laissant alors comme seul loisir que de m'asseoir à ses côtés. Je n'étais pas spécialement bienveillant, mais il fallait croire qu'après un long voyage, le besoin de converser se faisait sentir.

" Dans tous les cas il n'est pas bon de rester ici dans cet état. Je ne connais pas la région, mais je pourrais vous porter jusqu'à un coin un peu plus chaud. Peut-être avez-vous quelques connaissances dans le coin?"

En réalité j'avais bien d'autres question à lui poser. Où avait-elle entendu parler de la religion Osmietiste, quels secrets cachaient ses yeux carmins. Seulement si elle mourrait dans dix minutes d'une hémorragie ou d'une hypothermie, à quoi bon? D'autant que je je connaissais hélas les travers de mon apparence, un peu de chaleur humaine l'aiderait sans doute à oublier mes airs de morts-vivant.

" Au fait je suis Kaice Maho, moine du Temple du bois bleu. Je sais que vous êtes une kunoïchi, votre chakra ne ment pas. Seulement ne vous inquiétez pas, en tant que Moine, je reste neutre dans la valse funeste des shinobis."

¹_{Les dieux éclairent votre offrande.}

Elle ne connaissait personne dans les environs hein? Je ne souhaitais pas douter de sa parole, mais savait-elle à quel point il était improbable que deux ninjas se croisassent dans ce coin perdu, et qu'aucun des deux ne fut un autochtone? Techniquement c'était possible, mais l'expérience m'avait appris à me méfier des coïncidences. Quoiqu'il en soit qu'elle fût honnête ou pas importait peu, elle avait surement ses raisons. Après tout je pratiquais l'ouverture au prochain, mais dans le Sekai, l'amabilité naïve se transformait hélas souvent en tragédie.

Alors qu'elle pointa vers le prétendu village je fis mine de regarder, conscient que dans ce désert blanc, ma vue serait caduque. J'avais volontairement évité la civilisation, aussi ne pouvais-je confirmer ou infirmer ses dires. C'était peut être un piège, c'était surement un piège même, néanmoins je ne ferais pas demi-tour.

" Très bien, allons-y de ce pas! Je ne connais pas la région alors il faudra me guider. On devrait pouvoir trouver un soigneur. Un Iryô-nin serait l'idéal, vous semblez avoir perdu beaucoup de sang."

Tandis que je rassemblais mes affaires, la demoiselle prétendît maladroitement pouvoir s'y rendre seule. Je retins difficilement un soupire las, constatant pour la énième fois les retords des Shinobis. Accepter de l'aide n'était pas chose facile, mais pour les enfants de l'ombre, cela devenait tout simplement impensable. Après peut-être était-je injuste? La jeune femme serait-elle réellement excessivement polie? Après tout je sortais moi-même de l'ordinaire, aussi pouvais-je lui donner le bénéfice du doute.

"Je n'y suis pas obligé certes, mais cela me fait plaisir. Pour tout dire je suis venu dans l'Isthme pour le plaisir du voyage, et l'envie de partager les préceptes Osmietiens. Je sais que mon apparence n'inspire pas forcément la confiance, mais je reste un moine. De mon point de vue, Jashin a décidé qu'il n'était pas encore temps de vous faucher, et Amenko m'a envoyé vous secourir. Aussi si c'est ok pour vous, cap sur ce petit village!"

Un sourire bienveillant illumina ma carcasse, puis lentement, je posai ma main sur son épaule en signe d'encouragement. Cela aurait pu s'arrêter là, sauf que personnellement je n'avais pas envie de me taper deux kilomètres au rythme d'un escargot boiteux. Donnant le dos à la dame, je me mis en position de squat, l'invitant à monter.

"Aller on grimpe! Pas de chicaneries, vous avez peut-être des blessures internes, et de toute-façon ce froid ne sied pas à votre condition."

Si elle avait du mal à tenir sur mon dos, je la porterai contre mon torse. Cela serait certes un peu intime, mais pour le reste, je n'en avais peut-être pas l'air, mais j'étais suffisamment fort pour me trimbaler une adolescente maigrelette. Non je ne lui laissais pas vraiment le choix, et qu'elle protestât de trop que je la chargerais sur mes épaules en bon sac de pommes de terre.
Bien que je m'abstins de courir afin d'éviter de la surmener, ma marche rapide nous porterait sans tarder au dit village. En attendant, j’écoutais ses éventuelles indications, ne pouvant m'enlever une question de la tête. Bon aller, nous n'étions plus à ça prêt.

"Je n'ai pas pus m'empêcher de remarquer vos incroyables iris. Il est déjà rare de rencontrer des individus aux yeux rouge, mais aucun de ceux que j'ai connu ne présentait des pupilles aussi sanguines. Je sais bien que les Shinobis n'aiment pas parler de leurs origines, aussi ne vous sentez pas obligé de répondre. Toutefois cela vous donne un regard hypnotisant."

Elle accepta sans enthousiasme, mais elle accepta tout de même! En même temps pouvais-je la blâmer? La méfiance était chose commune dans le Sekai, et elle était d'autant plus développée chez les agents de l'ombre. Nous ne nous connaissions pas quelques minutes plus tôt, et voici que je la trimbalais sur mon dos comme une amie d'enfance. Seulement nécessité faisait loi, d'autant plus qu''en réalité la situation était bien plus risquée pour moi que pour elle. Qu'une lame empoisonnée pénétrât mpn dos offert, et je rejoindrais Jashin plus tôt que prévu.
La demoiselle s'avéra une excellente compagne de route. Certes elle ne débordait pas d'énergie et elle se vidait peut être de son sang, mais cela ne l'empêchait pas de continuer la discussion, même si on pouvait sentir une certaine raideur dans sa voix. Égoïstement, j'étais presque heureux de son malheur. J'avais déjà rencontré beaucoup de ninjas, mais rares furent les occasions où nous échangeâmes des mots plutôt que des coups.

"Oh ne vous inquiétez pas, mes voyages m'ont enseigné à ne pas juger les gens sur leurs origines. Il est surprenant parfois à quel point la pomme peut tomber loin de l'arbre."

Je me gardai bien d'autres commentaires sur le sujet, mais je n'en pensais pas moins. Ces yeux n'étaient pas anodins, et la façon dont elle en parlait combinée à son statut de Kunoïchi faisaient furieusement penser à un Dojutsu. Ceux-ci étaient suffisamment rares dans le Sekaï, et à vrai dire je ne connaissait que deux clans possédaient ce merveilleuse atout. Il y aurait-il d'autres personne capable de pareil prodige?

"Mes yeux, ma peau, mes cheveux... pour tout dire je ne connais mes véritables parents. Ceci dit jusqu'alors, tout ceci ne semble être qu'une jolie farce d'Amenko! J'ai longtemps cherché une explication à mon apparence, mais il semble bien que ce ne soit qu'une simple anomalie."

Si ma réponse semblait mélancolique, il n'y avait aucune trace de tristesse dans ma voix. J'avais depuis longtemps fait la paix avec mon statut d'orphelin, et quand à mon physique, la honte s'était depuis longtemps évanouie. Cette rareté me rendait unique, et de cela je pouvais être fier.
Tout en faisant de mon mieux pour continuer la discussion, tout d'abord car cela me permettait de m'assurer qu'elle fut encore lucide, et ensuite parce que courir dans le froid s'était un peu chiant, j'accélérai progressivement le pas, de façon à ne pas brusquer la passagère. Nous quittâmes enfin le lac gelé pour une communauté de sapins ce qui me permit d'augmenter encore ma vitesse. Nous approchâmes du but, et derrière de valeureux conifères se dévoila une pittoresque bourgade.

Si tout semblait plus beau avec ce manteau de neige, il fallait tout de même avouer que l'on faisait rarement mieux en matière de coin paumé. Quelques maisons de pierres, un pont couvert de verglas, et une bâtisse un peu plus grande au centre qui devait surement servir de mairie/hôpital/marché couvert.

"Hum, il y a t'il quelque chose que je devrais savoir sur les habitants? Ou peut-être puis-je vous laisser faire les présentations?"

Ma course avait laissé place à une marche tranquille, tandis que je me plaçai sur le sentier de terre, ou plutôt l'endroit où la neige était légèrement moins épaisse. Après tout mieux valait ne surprendre personne. J'avais déjà une blessée sur le dos, inutile de rajouter une bande de villageois apeurés sur mes épaules.

Charmante personne, la demoiselle tenta d'adoucir mes propos, me faisant réaliser au passage qu'il était vrai que je parlais assez durement de moi-même. Je ne partageais pas son optimisme, ma foi m'ayant appris qu'il fallait parfois accepter les entorses de la vie. J'étais né dans la peau d'un monstre certes, cela ne m'empêcha toutefois pas de croquer ma part de bonheur. Ceci dit ses mots venaient probablement d'une sincère affection, aussi me gardai-je de la contredire.

Ainsi donc les autochtones étaient habitués aux étrangers, comme quoi même une région aussi reculée avait son lot de visiteur. Je me doutais bien qu'il devait y avoir d'autres centres d’intérêts que le pure plaisir du paysage, mais mon âme romantique préférait croire que la beauté des lieux suffisait à attirer les regards.
Suivant les indications de la belle, je m'approchai sans cérémonie de la fameuse bâtisse. Quelques silhouettes s'esquivèrent rapidement en me voyant arriver, témoin peu rassurant de la méfiance des habitants. Prenant une profonde respiration, tentant à défaut de sourire d'afficher une tête plus ou moins neutre, j'ouvris un des battants des grandes portes de bois. Bien-sûr il fallut que ce dernier grinça, emportant tout espoirs d'une entrée discrète. Si jusqu'alors l'ambiance se voulait lugubre, la chaleur et la lumière régnant à l'intérieur me saisit au cœur. Je n'eus pas vraiment le temps d'observer que la demoiselle se tenant non loin de l'entrée, visiblement une secrétaire ou une sorte d’hôtesse, sauta littéralement de son siège, attrapant une lanterne avant de courir à mes côtés.

"Au grand dieu vous venez voir Haru? Pauvre enfant que lui est-il arrivé... Venez suivez-moi je vous..."

Comme toute personne saine d'esprit, et disposant d'un peu de compassion, la jeune femme avait réagit au quart de tour en voyant l'état d'Etsu. Celle-ci en avait surement vu d'autres, seulement le voyage, la neige encore présente sur nos habits et le sang coagulé, tout ceci devait surement rendre la scène plus morbide qu'elle ne l'était vraiment. Hélas, alors que la belle se rapprocha, elle fit l'erreur de m'observer. Alors même que nos regards s'entremêlèrent je constatai la peur s'emparer de sa face, la frayeur chassant avec fracas la compassion qui l'avait précédemment poussée à agir. Lentement elle fit un pas en arrière, bégayant des fragments de mots que son désarroi rendait inintelligible.

"Je vous en prie calmez-vous, je suis Kaice Maho, un moine Osmietiste..."

Je n'eus hélas pas le temps de finir ma phrase, car ayant fait le malheur d'avancer vers la demoiselle, souhaitant simplement la rassurer, celle-ci beugla du plus profond de ses entrailles, avant de s'en aller en courant. Cette situation aurait presque pu être drôle, si cela avait été la première fois. Soupirant lourdement, je refermai la porte derrière moi, m'abaissant afin de laisser ma compagne descendre.

"Désolé... M'enfin au moins comme ça elle ne nous oubliera pas hein?"

J'avais beau faire le pitre, j'étais clairement touché par cette réaction insensée. Au moins maintenant nous étions au chaud, et quelques bancs en bois nous offraient un confort bien mérité. Seulement toute ceci était loin d'être fini. Alors que j'entendis de nouveau la voix de la donzelle, elle était accompagnée des grognements d'un homme qui semblait imposant, et d'une voix de ténor plus réservée. Evidemment, ce fut la l'ogre qui prit la parole, et criant plus qu'il ne parlait, son timbre transpirait la colère.

"Quels orchidoclastes gounafiers osent effrayé ma petite Hana hein?! Je vais leur apprendre moi à ces marauds ce qu'il en ..."

Et encore un autre énergumène qui perdait la voix en me voyant. D'accord j'étais différent des pecnots du coin mais ils allaient sincèrement tous me faire le coup? Soupirant de nouveau, je ne pris même pas la peine de répondre. Dans l'immédiat je n'avais qu'une chose en tête, brûler ce village de merde et dessiner un gros doigt (celui du milieu bien entendu) avec leurs têtes perchées sur des pics. Au moins le troisième larron semblait plus contenu, m'aidant à garder un semblant de calme...

Dans un parfait revirement des rôles, la princesse se changea en chevalier, et voici que celle que je transportai du lac gelé à ce semblant de village prenait ma défense. Malgré son état elle ne manquait pas d'autorité, et je ne pus que sourire en observant les malotrus ravaler leur médisance. Je n'avais pas vraiment l'habitude du rôle de demoiselle en détresse, et bien que ma salive eut encore un goût de sel, Etsu sût adoucir ce misérable accueil.
Fouettée par cette ardente rhétorique, la pléthore se mit en marche. Je n'aurai pas à me soucier d'une autre remarque déplacée, même si hélas cette tolérance n'était que superficielle. Le regard fuyant de la "petite" Hana, les yeux inquisiteurs disséquant mes moindres faits et gestes, ces gens transpiraient la peur.

"Merci beaucoup Etsu, ce fut un véritable plaisir."

Tandis que je lui soufflai ces mots, ma main effleura doucement sa joue pour finalement attraper plus fermement son visage, le rapprochant du mien. Mes lèvres touchèrent brièvement son front, un baiser qui bien qu'inattendu se voulait empreint de douceur. Ce n'était définitivement pas un salut ordinaire, seulement quelque chose chez cette jeune femme résonnait en moi. J'avais agi par instinct, et déjà je regrettai mon geste.
Il était trop tard pour faire marche arrière, mieux valait-il assumer! Armé d'un grand sourire, je me contentai d'un signe de tête avant d'attraper mon baluchon, et de quitter la bâtisse. Pourquoi causer pareille scène? Je savais pertinemment que ce genre de mièvrerie n'était pas digne d'un Ocertan, et encore moins de celui portant l'étendard du Dieu Sombre. Pourtant, tandis que je marchais dans le froid mordant de l'hiver, mon sourire ne me quittait pas. J'espérais sincèrement revoir cette jeune femme, peut-être cette fois dans des circonstances où ma simple présence ne lui attirerait pas l'animosité de tout un village.