Message à Correcteur:

Il s'était passé quelques semaines depuis le retour des deux compères du laboratoire secret de Fusuke. La doyenne avait rapporté avec elle tout ce qu'elle avait pu, au point de jeter certaines de ses rations pour faire un peu de place dans le gros sac qu'elle avait pris avec elle. Des dizaines et des dizaines de papiers, des livres, des schémas, tout y était. Elle avait délicatement déposé le tout dans le petit atelier caché dans sa demeure. Elle avait d'abord entreprit de tout trier, puis, après avoir rangé environ un tiers des papiers, avait abandonné et disposé tout le reste en boule. Toutes ces informations ne lui serviraient de toute façon que de rappel ou d'instructions le moment venu, car elle avait emmagasiné toutes les informations nécessaires quand elle était encore sur l'île. Maintenant qu'elle était de retour au village et était parvenue à se libérer un peu de son travail à la DAPHU – une pile immense de dossier avait attendu son retour et l'avait occupée durant les semaines passées – elle pourrait enfin continuer son apprentissage. Cette greffe, c'était son avenir. C'était la résurrection d'un clan disparu, celui des Omura qui n'avaient pas peur, celui des Omura avides de puissance, celui des Omura qui savaient faire le juste calcul entre la morale et le résultat. Les Omura d'avant la guerre, dans lesquels la doyenne avait baigné toute son enfance. C'était un temps qui lui paraissait lointain mais, assez paradoxalement, qui lui revenait avec plus de force que la plupart de ses souvenirs de ces vingt dernières années. La vieillesse, disait-on, vous ramenait inexorablement vers l'enfance.

Sur l'île, elle avait appris que tous les animaux ne convenaient pas à tous les corps ni à tous les types de chakra. La première étape, donc, était d'essayer cela. Elle avait demandé à l'une de ses connaissances de l'hôpital de lui apporter le cadavre d'une quinquagénaire d'identité inconnue. Personne ne lui avait rendu visite, personne ne l'avait réclamée alors qu'elle était à l'hôpital depuis deux semaines et décédée depuis trois jours maintenant. Les médecins l'avaient maintenue dans une pièce réfrigérée au cas où mais, comme l'exigeait la procédure, elle avait finalement été transférée jusqu'au cimetière alloué aux inconnus. Hormis qu'elle n'y était jamais parvenue, puisque la connaissance de la vieillarde l'avait réceptionnée en route. Sa disparition était passée totalement inaperçue, tout comme l'avait été son admission à l'hôpital. C'était une histoire bien triste que voilà, mais, au moins, elle tenait son premier cobaye. Elle avait conscience que la greffe serait inutile sur un corps mort – et surtout qu'elle ne pourrait pas aboutir – mais c'était une première étape nécessaire pour tester sa pratique. Elle devait s'entraîner à coudre et recoudre des membres animal sur un corps, avant de s'occuper de la régénération de leurs capacités motrices. Seulement quand elle aurait réussi cette étape pourrait-elle basculer vers l'expérimentation humaine.

Ainsi, l'horrible chirurgienne se tenait devant sa table d'opération, sur laquelle était posé le corps recouvert d'un drap blanc. Elle avait également amené une seconde table de bois qui, d'ordinaire, se trouvait dans le salon, pour y poser les autres ingrédients dont elle aurait besoin. Car oui, elle s'était offerte une petite partie de chasse avant tout cela. Elle était allée dans la forêt qui entourait le village et y avait tué quelques félins, dont les corps sans vie étaient simplement entassés sur le coin droit de la table. Elle avait également acheté des tarentules et des rapaces dans des boutiques animalières spécialisées, sans spécifier aux vendeurs que son but n'était pas de les dresser, mais plutôt de les abattre. Enfin, dans la salle voisine, dans sa cage fermée à clef, reposait une bête qu'elle entendait s'agiter et grogner. Celle-là, ce serait pour plus tard…

Mifuyu attrapa les pages du journal de Fusuke qui traitaient des tests à réaliser avant une greffe. Elle les avait longuement étudiées quand elle les avait découverts, aussi il lui avait paru important de les mettre de côté. Maintenant qu'elle avait tout à portée de mains, elle pouvait enfin commencer la pratique. D'abord cette pauvre femme, puis un cobaye vivant et, enfin, elle-même. Elle découvrirait à quelles créatures elle s'assimilait le mieux, bien qu'elle eût déjà sa petite idée…

La première étape était de prélever des échantillons de chacun des éléments, en commençant par les animaux à greffer. Tout y passa, chats, félins sauvages de la forêt, araignées et rapaces. A l'aide de trois loupes superposées et d'un drôle d'appareil qui projetait de la lumière sur la planche de verre qui contenait le prélèvement, elle observait en détail chacun des composants. Elle les mélangeait ensuite à différent précipités pour mesurer leur composition, qu'elle jugeait en fonction de la couleur de la solution obtenue. Quand elle eût tous les résultats qu'elle attendait, elle put se tourner vers le sujet humain. Elle avait appris dans les écrits de Fusuke que la compatibilité dépendait et de l'animal et du membre greffé. Une pâte de chien serait par exemple rejetée par le corps, tandis que le museau serait accepté. Le scientifique avait d'abord cru ce phénomène aléatoire, alors qu'il était en fait régit par un système bien codifié. Quand on savait le déchiffrer, cette étape n'était plus un problème.

La Sorcière avait donc extrait des cellules situées respectivement dans les bras, les jambes ainsi que les yeux. Cela suffirait pour son apprentissage, d'autant plus qu'elle s'imaginait que ce seraient les greffes les plus courantes à pratiquer, le jour où elle lèvera son armée de surhommes. Elle compara chacun de ses résultats avec le tableau dressé par Fusuke. On pourra dire qu'il lui avait bien mâché le travail. Sa conclusion fut la suivante : d'abord, que les résultats des chats et des félins sauvages étaient pratiquement identiques – elle découvrait donc qu'elle pourrait greffer au cadavre leurs yeux, mais pas plus ; ensuite, que les tarentules seraient rejetées par chacune des parties du corps évaluées ; enfin, que les yeux des rapaces pouvaient également être acceptées, tout comme la greffe de plumes sur les membres inférieurs – même si, en toute honnêteté, elle avait encore du mal à en percevoir l'utilité. Elle aurait également pu tester ses bestioles plus précieuses qui l'attendaient dans l'autre salle, mais elle souhaitait plutôt les garder pour quand elle aurait un peu de pratique et, surtout, lorsqu'elle opèrerait un cobaye encore vivant.

Elle fit donc une première tentative avec les yeux des félins sauvages chassés dans la forêt. Elle découpa les attaches et des yeux de la femme et des yeux de l'animal avec une paire de petits ciseaux puis, avec une cuillère, retira les globes de leurs orbites. Il se dégagea un bruit qui rappelait celui d'une gelée royale écrasée ou d'un pas effectué dans une boue un peu trop fraîche. Elle en eut un frisson, mais cela ne suffirait pas à l'arrêter. Elle commença par l'œil droit, qu'elle traita avec la même délicatesse qu'elle l'aurait fait pour une greffe sur un être vivant. Elle avait déjà appris à greffer des yeux, aussi elle ne s'inquiétait pas trop du résultat. C'était sans compter pourtant sur la différence entre un œil félin et un œil humain. Aidée de son chakra médical qu'elle puisa en grande quantité, elle accompagna la greffe de toute la chaleur de l'Iroujutsu pour faciliter l'acceptation de l'œil par le corps, hélas, sans succès. Il y eut comme un "pok" retentissant et, l'instant d'après, les mains de la doyenne étaient recouvertes de sang violet et glacé, comme l'était le visage de la femme. Un vaisseau sanguin avait explosé car elle avait essayé de le connecter de force avec ceux de l'animal. Mais ce n'était pas la bonne solution. Les vaisseaux n'étaient pas compatibles ! Bon sang, elle aurait dû s'en douter ! Il fallait recommencer et, cette fois, veiller à adopter une nouvelle stratégie.

Elle ne répéterait pas son erreur pour l'œil gauche. Ce fut compliqué mais, cette fois-ci, elle tenta de contourner les vaisseaux sanguins en les orientant avec son chakra. Elle infusa dans le sang une dose de son chakra médical sous forme de très fines particules qui, à l'emplacement de la jonction entre les vaisseaux humains et animaux, se transformaient et s'adaptaient comme par magie. Comme l'œil félin était plus petit que l'œil humain, la chirurgienne cousit une partie de la paupière contre l'œil pour s'assurer qu'il tienne bien. Ce n'était pas très esthétique mais, au moins, la greffe semblait avoir fonctionné. Il était un peu tôt pour le dire étant donné que la patiente était morte, mais c'était encourageant pour la suite. Elle continua donc de s'entraîner avec les différentes autres parties d'animaux récoltés et, après avoir charcuté une dizaine de fois ce si joli cadavre en se heurtant à des difficultés similaires, elle se sentit finalement assez confiante pour s'attaquer à un corps humain vivant.

Nous retrouvons la vieillarde une semaine plus tard, cette fois-ci dans son laboratoire personnel de la DAPHU. Elle y sera aussi bien, puisque seulement peu de gens étaient autorisés à y pénétrer. Or, tous ceux qui le pouvaient partageaient globalement ses idéaux. Elle avait donc amené ici tout son barda, à comprendre les cages contenant les animaux qu'elle avait nourris toute la semaine durant et les quelques bestioles mortes qui lui restaient. Elle possédait encore la dépouille d'une petite panthère qu'elle avait rencontrée et abattue dans la forêt. Elle était curieuse de réaliser une nouvelle greffe de ses yeux, sur un patient vivant cette fois. Quels en seraient les effets, seraient-ils fonctionnels ?

Devant elle, une table en métal cette fois. Dessus, un homme maintenu endormi par une drogue qui devrait encore faire effet quelques heures. Elle n'avait aucun remords à expérimenter sur lui, d'abord parce qu'elle n'était pas du genre à faire dans la pitié, ensuite parce qu'il était malade depuis des années. Il était alité sur un lit de la DAPHU depuis bien longtemps – sans que personne ne vienne plus s'enquérir de son état depuis les quinze derniers mois – et sa maladie lui avait progressivement fait perdre l'usage de certains de ses sens. La maladie s'était d'abord répandue dans le cerveau, limitant irrémédiablement son espérance de vie, puis avait lentement progressé jusqu'aux nerfs optiques et ses tympans. Il était désormais aveugle et complètement sourd. Finalement, si elle réussissait, elle lui rendrait un bien grand service.

Mifuyu reproduisit le même procédé macabre que la semaine précédente. Elle fit sortir les yeux de leurs orbites à l'aide d'une cuillère afin de faire cela proprement. L'homme était toujours endormi et ne sentait pas la douleur. C'était aussi ça, l'avantage d'être médecin et empoisonneuse. Bien enroulé dans la douceur de son chakra médical, elle approchait lentement l'œil droit vers le vide laissé sur son visage. Elle l'y incrusta doucement, en faisant attention à ne pas faire exploser un nouveau vaisseau sanguin. Après avoir facilité son intégration grâce au chakra, elle ouvrit sa paupière et l'éclaira avec une bougie. Sans faire exprès, elle renversa une goutte de cire le long de sa joue qui lui laissa une marque de brûlure. La pupille ne réagit pas au changement brutal de lumière. Était-ce parce que l'œil était extrait d'un animal mort ? Non, en faisait l'expérience sur l'autre œil pas encore greffé, la lumière semblait toujours activer ses réflexes naturelles. Elle avait échoué et n'avait pas su rendre ses facultés à sa prothèse.

Elle l'arracha de nouveau, pour voir ce qui n'allait pas. En opérant, elle avait malencontreusement déchiré la cornée qui recouvrait l'œil, qui captait ainsi toute la lumière environnante, laissant la pupille rétractée au maximum en permanence. Hors de question de reproduire cette erreur lors de la seconde opération. Cette fois, elle enveloppa l'intégralité de l'œil dans son chakra, de manière à former un cocon protecteur, bien que cela lui coûte une plus grande quantité d'énergie. Le second œil, dont la cornée était toujours intact, sembla répondre correctement. Elle en aurait le cœur net quand il se réveillera.

En attendant, elle pouvait passer à l'étape ultime de son apprentissage afin de vérifier le bon fonctionnement des fonctions motrices des organes greffés. Elle dévoila enfin le contenu de sa cage masquée, qui grogna en la voyant arriver. La cage était un carré de trois mètres de côté dans laquelle évoluait un magnifique ourson – si cela s'appliquait, on dirait qu'il en était au stade de l'adolescence – qui mesurait environ un mètre cinquante de haut, pour au moins pareil de large. Il se mit à griffer les barreaux de la cage violemment pour s'en dégager, comme s'il savait ce qui allait lui arriver. La Sorcière, arrivant devant lui – calmement malgré la colère de la bête – souffla une poussière orangée vers son visage et, l'instant d'après, la créature se laissa tomber sur le sol.

Endormie, elle la porta jusqu'à la table d'opération. Elle découpa le bras droit de la chose, puis l'enferma à nouveau dans sa prison métallique. Elle entreprit de détacher délicatement le bras droit de l'homme avec ses scalpels renforcés par sa maîtrise du chakra médical. Un grognement, celui de l'animal qui se réveillait, suivi de ses hurlements déchaînés tandis qu'il tentait d'ouvrir la cage de force, firent sursauter la vieille dame qui arracha malencontreusement ce qui restait du bras d'un coup sec. Le sang gicla abondamment dans ses yeux.

"Merde… merde !! Foutue créature poilue !"

Il fallait réagir vite, même très vite, si elle voulait lui recoller son bras avant qu'il ne se vide de son sang. Essayer avec le bras d'ours serait trop prématuré et demanderait trop d'énergie. A la place, elle utilisa comme à son habitude la technique de greffe que lui avait appris Hatsumomo et se rendit compte, en l'utilisant, qu'elle avait réussi à recoller le bras bien plus rapidement, même si cela s'était fait au prix d'une grande dépense d'énergie. Peut-être, se dit-elle, qu'elle pourrait maintenant l'utiliser en combat rapide, le jour où elle perdrait un membre par mégarde. Ces choses-là arrivent…

Complètement épuisée, en revanche, elle partit se reposer et n'ouvrit pas un œil de la nuit. Le matin, elle était emprunte d'une confiance virulente, le genre de sentiment qui vous confère l'impression d'être invincible, d'être capable de tout ce que vous n'aviez pas su faire la veille. Alors, dans son laboratoire, quand elle retrouva le patient endormi et la bête toujours enragée, dont le bras avait été disposé soigneusement dans du sel pour faciliter sa conservation, elle entama immédiatement le procédé de greffe. L'opération fut épuisante, harassante et particulièrement pénible. Il fallait connecter et adapter chacune des cellules humaines à leur homologue animal, empêcher tout saignement et traiter les nerfs pour s'assurer qu'ils ne fassent pas défaut. Au bout de plus d'une heure – c'était très long, une heure dans le sang et la chair fraîche – la doyenne crut sentir son cerveau exploser, bien que satisfait en contemplant son chef d'œuvre. Son premier hybride.

Une fois l'opération terminée, il fallait tester les facultés de cette chose plus vraiment humaine. Avait-elle fait cela pour rien ? Avait-elle percé le secret de son plus vieil ami progressiste ? Elle lui plaça sous les narines des feuilles qui, une fois frottées, dégageaient une odeur particulièrement forte et hautement désagréable. L'homme se releva immédiatement et porta ses mains à son visage. Avec son bras droit, devenu celui d'un ourson, il s'écorcha l'œil et se mit à hurler. C'était l'œil qui, déjà, ne fonctionnait pas. Mifuyu le calma et soigna la plaie. Enfin, il s'exclama : "Je vois ! Je vois ! Je peux voir ! C'est incroyable !". Il resta néanmoins quelques minutes circonspect devant son nouveau bras, incrédule. Il ne comprenait pas qu'il avait été l'objet d'une greffe et que cette transformation serait éternelle. Du reste, il semblait capable d'utiliser son bras correctement, puisqu'il finit par attaquer la Sorcière qui, ne s'y attendant pas, fut projetée sous la force extraordinaire de l'homme qui lui déchira sa blouse. Reprenant ses esprits, elle lui souffla à nouveau une substance assommante et le confia à ses assistants. "Incroyable, oui" affirma-t-elle en souriant.

Elle avait réussi ! Elle pouvait enfin créer son armée de chimères ! La chose n'était certes pas encore au niveau des prouesses de Fusuke, mais avec un peu d'entraînement et les cobayes nécessaires, elle avait la certitude qu'elle le surpasserait.

Elle avait déjà une image très précise de la chimère parfaite. Elle-même en deviendrait une, bientôt.