Premiers pas [Uchiha Akira]

Loin à l’ouest, la colossale sphère de flammes s’enfonçait lentement vers l’horizon, prête à être tout entière avalée par la Terre qui lui tendait les bras. Sa lumière mourante embrasait d’une lumière cramoisie le ciel, teintant de rose les paresseux nuages qui traînaient leur lourd coton au-dessus des forêts du Pays du Feu. En baissant un peu le regard, on pouvait s’amuser de l’imprévisible jeu d’ombre, là où les rayons du soleil s’engouffraient dans le labyrinthe végétal que formaient les cimes des arbres les plus hauts, dont le feuillage varié rendait hasardeux le chemin qu’empruntait la lumière à chaque obstacle.
Assis en tailleur sur le toit d’une petite maison, un observateur esseulé se laissait aller à un sourire doux en observant la beauté du coucher de soleil, son installation soigneusement calculée pour s’assurer que personne ne pourrait le voir depuis les chemins pavés du domaine Uchiha. Shishio s’était glissé par la fenêtre de sa chambre, grimpant au sommet de la maison de ses parents, pour profiter du spectacle qu’offraient les dernières minutes de la journée. Pour autant, il n’avait pas laissé ce soudain penchant pour la poésie naturelle surpasser sa prudence évidente – vêtu comme il était de sa tenue de missions, son sac à dos simplement posé à ses côtés, il était plus que visible qu’il allait quelque part. Il était hors de question qu’il se laisse aller et que l’un de ses cousins les plus fouineurs ne l’aperçoive, se mettant alors en tête de le suivre ou de lui faire une misère pour oser s’aventurer hors du domaine une fois la nuit tombée. Shishio avait quelque chose à faire, ce soir-là ; le clan à l’éventail ne se mettrait pas en travers de sa route.

Plus d’un an plus tôt, alors qu’il avait tout juste rejoint l’équipe de Tadake Yurikô, il s’était lui-même surpris en défiant en combat singulier Uchiha Akira, son cousin le plus proche – sur le plan génétique. L’autre représentant atypique du clan avait longtemps été l’un de ses plus insupportables tourmenteurs ; pourtant, ce combat et les longues discussions qui avaient suivi les avaient tous deux ramené à un état neutre, partageant une connivence muette dans leur lutte contre les lourds préjugés du clan contre les enfants de leur acabit. Bien sûr, Akira ne souffrait pas d’être un métis, contrairement à lui – mais il ne rentrait pas dans la norme pour autant.
À l’époque, Shishio avait accepté l’offre du garçon de l’entraîner à résister aux illusions, afin de s’assurer qu’une défaite aussi pathétique que celle qu’il avait connue contre Akira ne lui arrive jamais en mission. Une obligation en entraînant une autre et son hospitalisation lui tombant dessus comme un arbre sur un bûcheron mal avisé, les deux cousins avaient sans cesse repoussé cette promesse sans jamais la tenir. Étant enfin sorti de convalescence, Shishio avait décidé d’accélérer le processus, quelques jours plus tôt – et cette nuit-là, il retrouvait Akira sous la lumière bienveillante de la lune, au milieu d’un des terrains d’entraînement du village, pour régler cette faiblesse une bonne fois pour toutes.

Après tout, Shishio avait un impératif personnel à s’améliorer, et rapidement : il ne pouvait pas supporter l’éventualité que quelqu’un blâme un jour les capacités d’enseignement de Tadake Yurikô quand il s’agissait d’expliquer son incompétence. Elle n’était responsable en rien de son lourd retard, bien au contraire ; c’était grâce au second Hokage qu’il avait aujourd’hui la volonté de faire le mur en pleine nuit pour développer ses capacités et devenir un meilleur shinobi. Il était de retour sur le terrain après sa longue période loin de tout ; il était temps de cesser d’être un poids mort pour l’équipe 4. Ou en tout cas, un peu moins.

Aussitôt le soleil entièrement avalé par l’horizon, Shishio se leva sur ses deux jambes, enfilant son sac à dos d’un geste souple. Vérifiant d’un coup d’œil les chemins qu’il survolerait pour sortir du domaine clos, il s’élança, bondissant de toit en toit, filant aussi vite que la discrétion le tolèrerait vers le village de Konoha.

Plus tard cette nuit-là, on le retrouverait assis en tailleur sur l’un des trois troncs au milieu du troisième entraînement de Konoha. Comme la première fois qu’il s’était battu contre Akira, il terminait son échauffement en utilisant son chakra pour faire flotter une poignée de kunai autour de lui. Il n’était pas certain de la méthode à suivre pour parer un genjutsu, mais il était presque certain que cela impliquerait un certain contrôle sur ses propres ressources – et puis, ne serait-ce que par nostalgie, il était amusé à l’idée que son cousin le trouve ainsi quand il le rejoindrait.

Un sourire aux lèvres, Shishio salua son cousin d’un signe de tête avant de lever les bras pour récupérer les kunais un à un, s’empressant de s’en saisir avant qu’ils ne tombent – une fois sa concentration brisée, la technique ne tenait que quelques secondes avant que la gravité ne reprenne ses droits sur l’acier flottant. Ouvrant son sac à dos, il remit soigneusement ses armes en place, s’assurant de les enfoncer dans les poches et sangles prévues à cet effet – après tout, sa furtivité de ninja en prendrait un sacré coup s’il émettait un lourd son métallique à chaque respiration parce que ses munitions s’entrechoquaient.

« Un peu de nostalgie n’a jamais fait de mal à personne, n’est-ce pas ? » Repassant le sac sur son dos, il jaugea son cousin du regard – Akira avait changé, il aurait fallu être un idiot pour ne pas le reconnaître. Bien sûr, à leurs âges respectifs, il était naturel pour un adolescent de grandir et de changer, au moins en apparence, mais… Quelque chose disait à Shishio que son cousin était allé plus loin que lui sur ce point. Sa façon de le saluer n’avait rien à voir avec leur échange d’un an plus tôt ; à quel point le garçon était-il différent de celui qu’il avait affronté à l’époque ? « Moi, enseigner des trucs ? Il n’y a pas encore de shinobi assez mauvais dans ce village pour que mes conseils puissent aider qui que ce soit. Peut-être dans quelques années, quand j’aurai un peu d’expérience de terrain… Mais ce ne sera pas de sitôt, en tout cas. »

Saisissant de ses deux mains le tronc sur lequel il s’était installé, il pivota à la force de ses bras pour faire face à Akira, reposa ses mains sur ses genoux à nouveau. Malgré la réponse défaitiste qu’il avait donné à la suggestion de l’albinos, il n’avait pas perdu son sourire, visiblement ravi de passer un peu de temps avec lui. Shishio s’étira lentement, tirant longuement sur ses muscles pour s’assurer que toutes ses faibles capacités physiques seraient disponibles au cours de cet entraînement nocturne.

« Ça va, » répondit-il simplement. « Mieux qu’il y a quelques semaines… Et mieux que l’an dernier. Je suis toujours Shishio le bon à rien, mais je ne suis pas tout seul, maintenant ! Je peux au moins faire de mon mieux pour ne pas être un poids mort pour celle qui a accepté de me prendre sous son aile malgré toutes les galères que cela impliquait. »

Il sauta du haut du tronc, atterrissant sur la terre meuble du terrain vague, laissant de nouveau glisser le sac à dos de ses épaules pour le jeter vers les troncs. Debout face à Akira, il s’inclina lentement, dans une parodie de révérence respectueuse.

« Alors dis-moi grand maître, comment je sors d’un Genjutsu avant de me retrouver allongé sur le sol en position fœtale ? »

Quelque chose n’allait pas. C’était une évidence, à présent ; Akira n’avait pas juste grandi, n’avait pas juste mûri, il était profondément changé par l’année qu’il avait passée sans voir son cousin. Même pour Shishio l’incapable, cela sautait aux yeux ; l’albinos avait une amertume dans sa voix, une ombre même dans son sourire. Il n’était définitivement pas dans son état normal. Lentement, le garçon se demanda si le changement qu’il décelait en son aîné était si positif que ça, mais il décida de repousser cette interrogation au fond de son esprit. Était-ce parce qu’il ne souhaitait pas remuer des sujets douloureux pour Akira, ou simplement par lâcheté, effrayé qu’il était de constater ce qui avait bien pu arriver à son semblable en son absence, alors que les deux s’étaient décidés à être là l’un pour l’autre un an plus tôt ? Le Genin préférait penser que c’était la première option, qu’il épargnait à son cousin la peine de devoir exposer ses émotions, mais il n’arrivait pas à faire taire la petite voix qui susurrait la deuxième au creux de son oreille.

Secouant la tête pour chasser ces pensées parasites de son esprit, il fit le choix conscient de se concentrer sur la question d’Akira, mobilisant tous ses neurones pour se concentrer sur l’entraînement. C’était ce pour quoi il était là, après tout ! Ouvrant son sac à dos devant lui, il en sortit trois kunais, réunis dans sa main droite.

« Ma technique ? Eh bien, c’est pas bien compliqué, une fois que tu as pigé le truc, » commença-t-il, avant de poser sa main gauche sur la droite, enfermant les trois poignées d’armes entre ses paumes. « Je… Je fais circuler mon chakra entre ma paume et la poignée, comme pour marcher sur un arbre, tu sais ? Je m’assure que le lien soit bien accroché, et ensuite… » Il écarta ses mains et les lames, une à une, se dressèrent dans les airs, formant rapidement une volée flottante devant lui. « Tu maintiens. Une fois que j’en suis là, j’imagine juste un autre point d’ancrage pour maintenir ma concentration ; personnellement, je visualise un crochet qui serait accroché à mon dos, et à l’instant où je le relâche… » Avec un bruit sifflant, l’acier de gauche fendit l’air pour se planter aux pieds d’Akira. « Le reste se fait tout seul ! »

Les bras croisés, deux kunais flottants encore autour de lui, Shishio pencha la tête sur le côté, écoutant avec toute l’attention du monde ce que lui disait Akira. Ce discours, il l’avait entendu un paquet de fois ; des éducateurs qui voulaient le détendre, le rassurant que ce serait simple pour lui, que tout pourrait bien se passer. Des professeurs pleins de bienveillance qui pensaient que le blocage principal de Shishio était son angoisse face à une tâche difficile ; au lieu de cela, tout ce que ce genre de phrases faisait, c’était de lui enfoncer dans le crâne à quel point l’échec serait humiliant lorsqu’il arriverait inévitablement. Avec un léger soupir, Shishio récupéra les deux satellites d’acier, les rangeant prestement avant de sauter du piquet de bois sur lequel il était perché, faisant face à Akira.

« Pas besoin de me consoler, Akira. » Commença-t-il avec une expression aussi neutre que possible. « J’apprécie ce que tu essaies de faire, mais tu t’en fais pour rien. Je n’ai pas reçu à la naissance le talent naturel qui caractérise notre clan et, pendant longtemps, je me suis apitoyé sur mon sort plutôt que d’en tirer des leçons. Je n’ai pas et n’aurai sans doute jamais de Sharingan, je suis incapable de produire une boule de feu et je dois retenir mon instinct de m’enfuir chaque fois que je fais face au danger. » Avec un petit sourire, il haussa les épaules, ramassant le kunai fiché dans le sol pour le ranger également. « Mais c’est qui je suis, tout simplement. Je bosse plus que n’importe lequel de nos cousins pour un résultat bien inférieur, et alors ? Je ne fais pas ça pour devenir magiquement un génie du jour au lendemain. Si je dois m’entraîner dix fois plus que tout le monde pour être un disciple digne de Yurikô-sensei, alors c’est ce que je ferai, tout simplement. Tu n’as pas besoin de me remonter le moral pour que je sois concentré !
« Alors vas-y, éblouis-moi, cousin. Comment je me sors des cauchemars que tu répands si bien ? »

« Un lac, hein ? »

Il fallait le dire, il était quelque peu compliqué de se concentrer sur la leçon d’Akira tout en subissant son illusion. Désorienté, Shishio avait passé une bonne partie de l’explication de son cousin à confronter ses cinq sens à l’hallucination qui avait envahi son cerveau. De toute évidence, sa vue était intégralement prisonnière de la technique psychédélique qu’il subissait. Il se demanda un instant si Akira lui parlait vraiment, ou si le discours qu’il entendait faisait partie de l’illusion ; levant les mains au niveau de sa tête, il claqua des doigts à plusieurs reprises, à différents endroits, pour s’assurer que son ouïe fonctionnait encore comme il se devait. Hochant lentement la tête, il prit une longue inspiration – il n’avait sans doute pas prêté une attention suffisante à l’odeur du terrain d’entraînement avant que le Genjutsu ne lui tombe dessus pour noter une différence subtile, mais il put au moins confirmer que rien de choquant n’atteignait ses narines. Il sentait l’air nocturne, l’odeur des conifères que la bise hivernale portait jusqu’à lui. Jusqu’ici, tout semblait naturel. Il porta la main droite à sa bouche, la léchant du bout de la langue – le goût de sa peau était toujours le même. Il appuya ensuite sa main gauche contre le piquet sur lequel il était assis, s’assurant de la texture du bois. Il hocha à nouveau la tête, toujours aussi lentement. Seule sa vue était prisonnière.

Bien sûr, dans un véritable affrontement, une vérification si méticuleuse de ses cinq sens revenait à supplier l’adversaire de mettre fin à ses jours rapidement, tant elle l’avait paralysé longtemps. Cependant, puisque c’était la première fois qu’il expérimentait une illusion tout en ayant la présence d’esprit de l’analyser, il prit tout son temps. Uchiha Shishio était un garçon qui ressentait le besoin pressant de rationaliser tout ce qu’il apprenait, tout ce qu’il faisait, tout ce qui lui arrivait. Il avait passé de longues heures à comprendre comment le vent et ses gestes pouvaient influencer la trajectoire d’un shuriken avant d’atteindre le maigre niveau qui était le sien. C’était la seule méthode d’apprentissage qui fonctionnait pour lui ; étudier les éléments les plus basiques d’un processus jusqu’à ce qu’il soit capable de véritablement les comprendre, puis décomposer et reconstruire chaque technique à sa façon. Que ce soit pour les maîtriser ou les contrer, ça revenait fondamentalement au même, non ? S’il voulait être capable de réagir au pied levé à une illusion, il avait intérêt à d’autant mieux comprendre leur fonctionnement général dans le détail ; la vision psychédélique qu’Akira imposait à ses yeux serait probablement la meilleure cible d’entraînement qu’il aurait pour accomplir cet objectif, aussi en profita-t-il autant que faire se pouvait.

Après quelques minutes de cette attentive analyse, il prit une longue inspiration et déposa ses poings sur ses genoux, stabilisant sa position sur le piquet de bois. Il expira jusqu’à vider ses poumons, fermant les yeux pour se débarrasser de la distraction constante qu’étaient les couleurs changeantes de l’illusion d’Akira.

« Un lac… Lisse, calme, sans vague. »

Répétant ces mots comme un mantra pour mieux concentrer son imagination, Shishio traça dans son esprit cette large forme remplie d’eau, si immobile qu’elle reflétait le ciel aussi fidèlement qu’un miroir de plusieurs dizaines de mètres de périphérie. Il n’était pas certain de l’endroit où il se tenait dans cette vision ; il était à la fois debout au bord du lac, à taille humaine, observant son reflet dans l’eau et à la fois une grande puissance invisible, située à l’horizontale entre le lac et le ciel, capable d’agir de façon omnipotente sur cet environnement de sa création. Levant cette main invisible et gigantesque, l’index et le majeur tendus et serrés l’un contre l’autre, le reste du poing fermé, il traça lentement le kanji « explosion » à la surface de l’eau – un symbole avec lequel il était particulièrement familier, utilisant régulièrement des parchemins explosifs dans ses combats. Dans le monde réel, il frappa ses deux paumes l’une contre l’autre, s’efforçant de visualiser une explosion qui perturberait ce lac, faisant s’élever une grande colonne d’eau ; puis il ouvrit les yeux et…

« Aïe ! »

De toute évidence, ouvrir grand les yeux, d’un seul coup, ce n’était pas la meilleure option. Les lumières psychédéliques, encore tout à fait présentes, lui avaient agressé la cornée, manquant de le faire tomber en arrière.

« Hm, j’ai raté un truc. »

Frustré, Shishio joignit à nouveau ses paumes, provoquant de force une nouvelle explosion de son chakra, sans que rien ne change à sa situation. Il croisa les bras, se forçant à y revenir depuis le départ.

« Ah, attends – je crois que je sais ce qui pèche. »

Il lui fallut de longues minutes pour mettre le doigt sur la solution ; dans son empressement de suivre les enseignements d’Akira, il ne les avait intégrés que superficiellement. En écoutant son cousin lui expliquer que sa vision de son chakra était bonne et que cela lui permettrait de maîtriser rapidement le kai, il avait sauté les étapes ; il s’était focalisé sur la représentation visuelle qu’Akira lui suggérait et non pas sur ce qu’elle signifiait réellement. Il ne suffisait pas d’imaginer un lac explosif pour que tout le reste se fasse comme par magie, c’était une évidence qu’il ne réalisait qu’après coup.

Plaçant à nouveau ses paumes sur ses genoux, il inspira longuement, puis expira tout l’air de ses poumons et inspira à nouveau. Quelque part dans le système circulatoire de son chakra, une perturbation s’était dissimulée pour troubler ses sens. La chercher était vain, il n’avait pas une vision suffisamment précise de son énergie pour cela. S’il voulait la chasser en dehors de son corps, il n’avait qu’un seul choix : pousser partout en même temps. Il joignit ses mains pour former le signe du tigre et, s’il se représenta à nouveau le lac lisse qu’Akira lui avait décrit, c’était cette fois-ci en arrière-plan de son esprit, occupant une part bien plus faible de son imagination.

« Kai ! »

Le lac éclata en une puissante explosion projetant des centaines de litres d’eau dans les airs tandis qu’il s’efforçait de faire vrombir une importante vague de chakra à travers tout son corps, lui donnant un instant l’impression que sa peau risquait de se décoller de ses os.

Il ouvrit les yeux, et vit Akira devant lui.

« J’ai ré- » la gravité décida ce moment pour rappeler à tous qu’elle existait, et Uchiha Shishio, légèrement déséquilibré par l’effort, connut une chute magistrale vers le sol. « … Aïe. »

« Ça fait maaaal… »

Tout son corps heurté par la chute, Shishio se permit de geindre tout son saoul, se sentant suffisamment en confiance avec Akira pour réagir ainsi à sa moquerie sans craindre que la situation ne dégénère. Les jambes en l’air tremblant encore du choc, la tête et la nuque contre le sol, il était replié dans une position ô combien inconfortables ; il ne faisait nul doute qu’il la sentirait passer pendant quelques jours, cette chute-là. Forçant son corps endolori, il se mit à quatre pattes avant de se relever complètement, faisant craquer ses os en quelques étirements pour étouffer la sensation lancinante qui lui traversait les membres. Accessoirement, il était on ne peut plus ravi d’avoir une aussi bonne excuse pour bouger ainsi ; lui qui n’était pas le moins du monde habitué à recevoir des compliments ou même une quelconque forme de reconnaissance, il se retrouvait profondément mal à l’aise quand on lui en donnait. Se contorsionner pour mettre fin à l’inconfort de la chute, c’était un excellent moyen de dissimuler sa gêne et de faire comme si de rien n’était – joindre l’utile à l’utile, au final. Pour un peu, il se serait demandé si cette chute n’avait pas été inconsciemment calculée : elle lui sauvait bien la mise.

« La vue et l’ouïe, bien reçu. »

*Plus qu’à apprendre à me battre avec les yeux fermés et les oreilles bouchées, maintenant,* se fit-il remarquer intérieurement avec un ton sardonique. Certes, cette information l’aiderait grandement à identifier des illusions une fois qu’il serait effectivement dedans, mais il était bien frustrant de le savoir et d’être incapable de s’en servir pour prévenir les techniques sont il serait victime à l’avenir. Il se demanda un instant si son père était passé par le même genre de dilemmes dans son enfance, avant de se corriger immédiatement – son père, comme tous les Uchiha dignes que leur nom soit retenu, n’avait pas eu besoin de se prendre la tête sur les Genjutsu : ses yeux le faisaient naturellement pour lui. Ce n’était pas une option pour Shishio.

« Ça ne me ferait pas de mal d’élargir un peu mon arsenal, c’est sûr, » répondit-il à la proposition d’Akira. « Plus le combat dure et plus il est facile de lire à travers mes attaques et, même quand je réussis à surprendre l’adversaire, je manque cruellement de coups décisifs. Si je pouvais varier mes stratégies avec une technique d’illusion, je gagnerais quelques opportunités pour atteindre les points les plus fragiles de l’ennemi avec mes projectiles… On ne sait jamais, peut-être qu’un jour ça leur suffira à rester par terre, hein ? »

S’appuyant sur l’un des trois piquets de bois qui marquait le centre du terrain d’entraînement, Shishio porta une main à son menton. Les bras croisés, il réfléchissait ouvertement. Lorsqu’il s’était battu contre Akira, l’année passée, celui-ci avait mis fin à l’affrontement en plongeant le garçon dans un cauchemar éveillé qui lui avait juste montré des visions qu’il avait déjà au creux de son cerveau – des peurs qui le gardaient éveillé la nuit et le torturaient en permanence, actées et matérialisées devant lui. Il n’en avait jamais tenu rigueur à son cousin, bien sûr, mais ce n’était pas une épreuve qu’il était prêt à revivre pour autant. Et inversement, il ne se pensait pas capable d’infliger ça à quelqu’un d’autre : même un homme qu’il chercherait à tuer. Il n’arrivait pas exactement à mettre le doigt sur ce qui le dérangeait véritablement ; après tout, il était un shinobi, un assassin de profession. Malgré cela… Shishio ne pouvait se débarrasser de cette idée qu’il y avait une « façon de faire les choses » et que ce genre d’illusions ne rentrait pas dedans. Il comprenait pleinement que d’autres s’en servent ; lui, en revanche, ne pourrait accepter de combattre ainsi.

« Rien qui se rapproche de la torture psychologique, par contre. C’est… Juste pas mon truc, je dirais. » Il était prudent avec ses mots ; il ne voulait surtout pas donner à Akira l’impression qu’il le jugeait d’une quelconque façon. « Simplement… Quelque chose de simple qui me permettrait d’immobiliser la cible le temps de préparer mes autres techniques, tu aurais ça en stock ? »

*Bordel, ça fait mal au dos, quand même…*

Adossé contre le piquet de bois, les bras croisés et l’air intensivement concentré, Shishio faisait de son mieux pour dissimuler le fait que sa chute particulièrement ridicule faisait encore courir la douleur tout le long de son corps. Les lèvres pressées l’une contre l’autre, les yeux trop fixes pour être vraiment en train de regarder le garçon, les épaules raides, il bluffait du mieux qu’il pouvait, bien déterminé à ne pas admettre qu’il s’était vraiment fait mal comme un abruti. Tout Uchiha Shishio qu’il était, il avait encore un semblant de fierté à protéger. Espérant qu’un changement de position l’aiderait à faire passer la sensation lancinante, il repoussa le piquet d’un coup d’épaule, se servant de cet élan comme appui pour se redresser – grave erreur. Aussitôt en mouvement, il sentit l’intégralité des os de la partie supérieure de son corps craquer les uns après les autres, comme si son squelette avait soudainement décidé qu’il était désormais un xylophone. Pestant intérieurement contre sa maladresse, le jeune Uchiha s’étira, forçant les craquements à se finir pour enfin pouvoir recommencer à bouger normalement.

Glissant ses mains dans ses poches, son dos se calmant enfin sur la torture, il considéra un instant les propositions que lui faisaient Akira pour ce qui était de la suite de l’apprentissage. *Les chaînes de haricot… Qui a nommé ce truc, exactement ?* Bien qu’il eut des doutes plus que légitimes sur l’onomastique de cette technique, son regard montrait un intérêt non-négligeable tandis que son cousin lui expliquait les effets de cette illusion. Forcer quelqu’un à rester immobile le temps qu’il puisse lui asséner un coup potentiellement fatal… C’était exactement ce que Shishio espérait ajouter à son arsenal. Il avait déjà l’habitude d’alterner entre le corps à corps et la mi-distance pour mieux provoquer des ouvertures chez ses adversaires ; devoir s’approcher pour paralyser l’ennemi avant de reculer pour le réduire en charpie, ce n’était pas un inconvénient, loin de là. Et tout cela, sans avoir à faire apparaître les visions terrifiantes qu’il se refusait à provoquer chez ses adversaires ; c’était simplement la technique parfaite pour lui. Enfin, s’il parvenait à la maîtriser, bien entendu – ce qui était loin d’être un acquis, avec lui.

« Apprends-moi les chaînes d’artichaut, Akira ! » répondit-il brusquement, sans même réaliser l’erreur évidente.

Appuyant soigneusement son sac à dos contre le piquet de bois pour le garder en place, il se débarrassa de ce poids inutile avant de se rapprocher de quelques pas en direction d’Akira, une expression à mi-chemin entre l’appréhension et la détermination se peignant sur son visage. Il écarta légèrement les bras, comme pour montrer qu’il était désarmé.

« Utilise l’illusion sur moi ! Cela me permettra de comprendre précisément de quoi il en retourne, en vivant ce que vit la victime au moins une fois. J’essaierai de m’en libérer moi-même, c’est un bon exercice pour vérifier mes acquis ! » Un petit sourire sur le visage, il réalisa rapidement que, dans son enthousiasme pour cette technique, il avait quelque peu oublié les autres suggestions d’Akira. « Pour ce qui est du reste… » Il hésita un instant, prenant soigneusement le temps de reconsidérer ce que lui offrait son cousin. Il était évident pour lui qu’il ne voulait rien avoir à faire avec le cauchemar que l’illusionniste avait utilisé contre lui l’année passée ; hors de question qu’il se serve d’une technique comme ça contre qui que ce soit, aussi simpliste fut-elle. « Je préfère ne pas connaître la technique que tu as utilisée contre moi la dernière fois. Et pour le coup de Kaikenjutsu… Je serai toute ouïe une fois que tu m’auras appris ce truc-là ! »

La gratitude s’entendait dans sa voix ; que l’on prenne ainsi le temps de l’aider pour lui permettre de devenir plus fort, sans qu’il y ait de réelle contrepartie, c’était loin d’être un acquis pour Shishio. Avoir le Hokage en guise de sensei, c’était à la fois un privilège et une situation délicate : il pourrait sans doute bénéficier d’un traitement de faveur sur certains points s’il essayait et il recevait les enseignements de la kunoichi la plus talentueuse du village, mais elle avait rarement le temps de superviser personnellement son entraînement, accaparée qu’elle était par les affaires quotidiennes du village. Même les missions en équipe étaient rares, ces temps-ci. Et ce n’était certainement pas au reste de sa famille que Shishio pourrait demander de l’aide pour progresser ; son père ne lui parlait toujours pas et les autres membres du clan prendraient sûrement cet entraînement comme une opportunité de le passer à tabac à l’abri des regards. Il avait appris à ignorer les violences régulières, mais pas au point de les rechercher activement. Il recevait de l’aide de temps à autres et il en était systématiquement surpris ; pour Uchiha Shishio, il était difficile de comprendre qu’Akira veuille perdre son temps pour lui. Plaisant, mais illogique.