S'il y a une chose à laquelle on ne s'attendait pas, c'est à trouver un artisan boucher dans le domaine du clan médecin. La réputation de raffinement et de propreté clinique qui est associée à ce clan ne colle pas vraiment avec une occupation si sanglante et brutale. Là où les médecins sauvaient la vie, les bouchers causaient la mort et la vendaient pour quelques pièces au kilo. Voilà qui était bien loin de la fameuse éthique Omura, réelle fantasmagorie de ce siècle qui, honnêtement, ne trompait personne. Et encore moins la Sorcière qui, se baladant dans son domaine, ne comptait même plus les signes de cette splendide hypocrisie délivrée par Leiko ou même Gendo. Pourtant, un boucher, il y en avait un. Il comptait parmi les meilleurs du tourbillon, peut-être même de l'archipel. Chez Saiko était une boutique entretenue par un couple de quinquagénaires qui, après une vie passée dans les hôpitaux, avaient décidé d'utiliser leur habilité naturelle avec les couteaux, leur précision rigoureuse et leur connaissance parfaite de l'anatomie pour se reconvertir dans le commerce de viande fraîche. A cette heure de l'après-midi, les clients affluaient. Il n'était pas dans les habitudes de Mifuyu de faire ses courses elle-même, pourtant, grâce à un concours de circonstances saugrenues, elle se trouvait au milieu de cette foule d'affamés. Ici, on voyait de tous les visages. Il était révolu le temps où les seuls clients de l'enseigne provenait de l'illustre famille et, aujourd'hui, même un civil lambda pouvait prétendre à goûter un jarret découpé délicatement par un artiste Omura.
La raison de ce succès était des plus simples : la précision chirurgicale des légendaires médecins se prêtait particulièrement bien à ce genre de reconversion. S'il était possible d'opérer un homme en évitant le plus d'effusions de sang possible, il était également possible de découper une carcasse animale nettement. La viande qui était vendue ici était ainsi particulièrement tendre, finement tranchée, et surtout délicieuse. Elle était dotée d'une réputation de viande de grande qualité, frôlant même le luxe. Elle recouvrait les tables lors des grandes célébrations ou encore des entretiens politiques importants. Le prix, évidemment, s'en faisait ressentir, mais cela n'empêchait pas les familles, chaque fin de semaine, de s'entasser devant la petite boutique pour acheter leur précieuse part. Chaque foyer Uzujin pouvait trouver une occasion à célébrer, justifiant alors l'achat d'une pièce de viande plus coûteuse qu'à l'accoutumé. Tous voulaient offrir à leurs papilles le merveilleux cadeau que de goûter à ces mets d'exception. Toutes ces pièces étaient évidemment produites Chez Saiko.
Si le narrateur peut tant faire l'éloge de cette viande, qu'elle soit bœuf, agneau, veau ou même sanglier, c'est parce qu'il a lui-même eu l'occasion d'y goûter quelques fois. C'est d'ailleurs parce qu'il a ressenti ce besoin urgent de s'offrir à nouveau ce plaisir qu'il a pu y voir Mifuyu faisant ses courses, et qu'il peut nous relater cette histoire, plongeant dans le quotidien de l'infâme chirurgienne.
La Sorcière se tenait alors comme les autres dans la file d'attente, rouspétant contre la lenteur des tenanciers qui, débordés, devaient jongler habilement entre les commandes. C'était toujours comme cela, à cette heure de l'après-midi. La vieillarde confia d'ailleurs au Narrateur qu'elle préférait d'habitude venir plus tard dans la soirée, bien que celui-ci douta qu'elle lui dise la vérité. Elle n'avait pas l'air du genre de femme à se déplacer, encore moins à porter ses courses dans le petit sac en osier qu'elle tenait du bout de son bras maigre et pâle.
"Ah ! Qu'est-ce qu'il fait chaud !" s'exclama-t-elle finalement dans une énième complainte, qui fut, comme toutes les autres avant, ignorée par la masse de clients.
En se rapprochant de l'échoppe, toutefois, l'attention de l'Omura se détourna bien vite des agissements des quatre mains qui s'agitaient tant bien que mal pour répondre à toutes les commandes. Non, ce qu'elle voyait, elle, c'était les deux autres mains, un peu plus loin, qui taillaient un immense morceau de cochon fièrement dressé sur une barre métallique. Elle fut absorbée par la vision du sang qui coulait, drainant ainsi toute la consistance de la bête qui s'affaissait lentement contre sa broche. Bientôt, elle s'écraserait au sol, lasse. La broche ne tournait pas sur elle-même, les avancées technologiques ayant débuté avec la création des villages n'allant pas encore jusqu'à accomplir ce genre de prouesses. A la place, c'était l'artisan boucher qui tournait autour de la bête et l'assaillait de toute part avec son couteau. Cette prestation sanglante, cruelle pour certains, était jubilatoire aux yeux de la vieille dame. Le Narrateur, qui essayait en vain de continuer de converser avec elle, la vit d'ailleurs s'éloigner et sortir de la file pour se poster devant l'éphèbe au hachoir. Il pensa d'abord qu'elle admirait sa vigoureuse beauté et le blond éclatant de ses cheveux, car, si l'on oubliait son tablier tâché de sang de porc, il était sans aucun doute le plus beau garçon du domaine. En un sens, le Narrateur n'avait pas totalement tort, car il y avait de cela dans l'obsession de la chirurgienne. La beauté, c'était tout ce qui l'attirait. La beauté de l'homme, mais plus particulièrement la beauté de ses gestes.
En effet, elle observait ses mains douces et élégantes tournoyer autour du cadavre de la bête. Elle put constater dans sa technique un rituel qui ne changeait guère. En réalité, il répétait un même geste de manière machinale pour éviter tout mouvement superflu et ne perdre aucun morceau de viande par une découpe trop grossière. La technique était simple mais demandait une grande habileté. Il écorchait une première fois la pauvre bête par un coup en diagonal, partant de la gauche pour finir en haut sur la droite, afin de réduire son attache à la broche. Un morceau de viande se relâchait alors sur le haut et pendait, le rendant plus facile à couper sans atteindre les os. Le second coup de couteau était horizontal et venait immédiatement se poser contre la première marque laissée par le hachoir. Se déversait alors une grande quantité de sang qui coulait le long de la peau de la bête avant d'atteindre le bac qui se trouvait à ses pieds.
Chaque effusion de sang était tant de spectacles réjouissants pour la matriarche qui voyait la bête se vider à vue d'œil. Bientôt, il n'en resterait qu'un fin filet de viande et une peau braisée imbibée de l'odeur de la bête. Ce type de viande était habituellement servi en apéritif dans le village des tourbillons, et si Mifuyu n'en raffolait pas, elle commençait à y voir un attrait jamais pensé auparavant. Cet art n'était finalement pas tellement différent du sien. Elle-même avait développé une technique similaire avec ses scalpels, dont le but était d'aggraver une blessure déjà ouverte. Ce coup-là était similaire à la seconde incision que pratiquait le garçon. Mais lui le faisait avec tant de panache… Elle enregistrait chacun de ses gestes, comptait les secondes entre chaque impact et étudiait avec précision la trajectoire de sa lame. Mais observer n'était pas assez. Elle devait apprendre, elle devait connaître son secret.
Le Narrateur, qui était resté tout ce temps à côté, assistant à la création de cet intérêt malsain dans le cerveau de la Sorcière, l'entendit très distinctement prononcer ses prochaines paroles.
"Comment t'appelles-tu, mon garçon ? Accepterais-tu de me suivre et de me présenter ta technique de découpage ? Je suis très impressionnée."
Le garçon leva la tête et fut marqué d'une vive émotion lorsqu'il découvrit le visage d'Omura Mifuyu. Comme tous ici, il la connaissait. Elle était celle dont certains prononçaient le nom avec effroi, d'autres avec admiration. Pour dire vrai, il avait remarqué que quelqu'un l'observait, mais n'avait osé lever la tête de peur de se déconcentrer dans son travail. Il lui fit signe d'attendre de la main et se tourna vers le couple qui tenait la boutique.
"Papa, désolé, puis-je quitter mon poste pour l'après-midi ? On me demande. - Quoi ? Enfin, mon fils, tu n'es pas sérieux ! On a besoin de toi ici. - C'est Mifuyu-sama, Papa. Le visage du patriarche blêmit. Les battements de son cœur s'accélérèrent et une certaine excitation vint rejoindre ses joues sous la forme de pigments rosés. - Oh ! Mifuyu-sama qui demande mon fils ? Vas-y ! Qu'est-ce que tu fais encore là, hein ? Ne la fais surtout pas attendre."
Un peu plus tard, terrain d'entraînement du domaine Omura.
Le garçon, qui répondait au nom de Heishi, s'était dévêtit de son tablier. La Sorcière put l'observer avec plus de précision, tandis qu'il pliait et rangeait son outil de travail dans sa sacoche. Il avait une silhouette élancée, des vêtements classiques mais propres ainsi que des cheveux blonds et ondulés qui lui tombaient jusqu'au niveau des yeux. Dans ceux-ci brillait le vert émeraude de la jeunesse et de la naïveté, dont l'ancêtre rêvait d'être recouverte à son tour. Son visage était fin et n'avait pas encore été marqué par la rudesse des années. Ce n'était pas arrivé depuis de longues années, pourtant elle le trouvait beau. Elle l'enviait presque, lui qui rayonnait dans l'insouciance de l'âge et dont la peau était si pure. Il n'avait rien avoir avec cette vieillarde qui l'observait, coincée dans un corps rafistolé dont les cicatrices hantaient ceux qui la croisaient.
Heishi :
Ils se trouvaient désormais sur un petit terrain d'entraînement au sein du domaine Omura, qui, en été, servait également de terrain de jeux aux enfants. Le fils du boucher avait accepté de l'y suivre, honoré d'avoir été choisi par la chirurgienne. Il l'avait vue lorgner sur son couteau et sa pièce de viande. Avant qu'elle n'ait dit mot, il sut ce qu'il devait faire. Pour lui, innocence n'était pas synonyme d'ignorance. Il ne faisait aucun doute pour lui que ce qu'il apprendrait aujourd'hui à la doyenne lui servirait dans d'atroces circonstances, même s'il était encore bien loin de mesurer l'ampleur des conséquences. Comment pouvait-il imaginer que, d'ici quelques mois tout au plus, tout serait changé dans son clan ? Que sa dirigeante serait peut-être morte parce que lui, adolescent et boucher, avant enseigné comment se servir d'un couteau à une vieille dame.
Mifuyu avait déjà analysé et observé chacun des mouvements du découpage du garçon. Elle n'avait besoin de son aide que pour pratiquer et adapter ces gestes en technique ninja. Pour cela, il lui suffisait qu'il explique brièvement sa démarche. En fait, elle l'ignorait, mais le chevalier aux yeux émeraudes avait suivi, comme tant d'autres, son cursus à l'académie et, quand il n'aidait pas ses parents les week-ends, était lui-même un Chunin dont les progrès étaient suivis de près par ses supérieurs. Il avait cette similarité avec la femme-enfant d'être spécialisé dans l'art du combat, malgré les prédispositions évidentes de son clan pour les disciplines médicales. Tous deux se regardaient, muets.
Il brava finalement ce silence en s'adressant à la Sorcière d'un ton naturel, dénué de toute peur. Quand sa voix se fit entendre, les oiseaux autour se turent pour l'écouter comme s'ils n'avaient attendu que cela.
"Aggraver une blessure est facile : il suffit de frapper la plaie une seconde fois, sous un angle inversé. Si vous parvenez à atteindre la où la blessure initiale est la plus profonde, le sang coulera de lui-même." Puis, toujours avec le même calme, Heishi sortit un kunai de derrière son dos. Elle comprit immédiatement qu'il maîtrisait les arts ninjas, et sourit. Il souleva son haut et le jeta à quelques mètres derrière lui. Enfin, il s'entailla le torse à une dizaine de centimètres en dessous de son pectoral droit et tourna son flanc dans la direction de la progressiste. "Venez, essayez."
La Jonin fut étonnée d'une telle invitation, mais également flattée. Elle se rendait compte qu'elle n'était pas seule dans sa guerre et que, même si peu de gens le manifestaient, elle pouvait trouver des soutiens dans beaucoup de foyers Omura. Elle sortit à son tour ses scalpels et donna une violente impulsion dans ses jambes menues. A sa grande surprise, le garçon repoussa son premier coup sans grande difficulté et la repoussa de quelques mètres. Elle resta interdite quelques secondes, puis, sans rien dire, mena son deuxième assaut. Le garçon ne l'esquiva pas, mais elle ne toucha pas non plus le centre de sa blessure. Le sang, bien sûr, coulait, mais ce n'était pas ce qu'elle espérait. Elle venait de lui créer une seconde plaie et non d'utiliser la puissance de l'impact précédent pour entailler plus profondément encore sa peau. Abîmer ce corps était une tragédie pour la dame, qui ne reculait néanmoins devant rien pour devenir la meilleure.
Ils continuèrent ainsi pendant plusieurs heures, sans jamais échanger de mots. Tous deux savaient bien pourquoi ils étaient là et, même s'ils n'oublieraient pas cette rencontre, ils n'en reparlaient plus. Pour lui, c'était une maigre contribution à la quête de la doyenne et, pour elle, il n'était qu'un tremplin de plus vers son objectif. De temps en temps, ils faisaient une pause pour soigner le garçon qui encaissait toutes les attaques de Mifuyu sans jamais montrer de signes de faiblesse. Pourtant, elle se rapprochait progressivement de son objectif et l'éphèbe perdait beaucoup de sang, chaque blessure se faisant de plus en plus douloureuse.
Enfin, la Sorcière, dont la vitesse outrepassait désormais largement celle de son compagnon, parvint à faire mouche à chacun de ses coups. Sans doute avait elle été aidée par la fatigue immense qui semblait prendre le garçon qui, après le quatrième coup porté correctement, s'effondra au sol. Il était complètement inconscient. Elle se pencha vers lui, le soigna puis le porta à l'intérieur. Elle le laissa étendu quelques heures sur une table de bois surmontée d'un peu de paille.
La semaine suivante, terrain d'entraînement d'Uzushio
La Sorcière avait passé la journée à entraîner le petit libraire à l'art du combat rapproché. Armé uniquement de son kunai, le petit faisait des progrès et serait bientôt capable de résister à un assassin expérimenté. Elle se reposait désormais, seule, adossée à un pilier de bois. Son élève était parti depuis quelques minutes en direction du port, sans doute pour y faire ce que les garçons de son âge faisaient. Enfin, c'était en tout cas ce que pensait celle qu'il appelait la harpie en culotte courte.
Il ne restait plus grand monde sur le terrain d'entraînement, si ce n'était pour les quelques équipes qui répétaient leurs combinaisons phares. D'un coin de l'œil, pourtant, la Sorcière capta quelqu'un qui l'observait. Immobile, telle une apparition qu'elle s'attendait à voir disparaître au moment où elle fermerait puis rouvrirait ses yeux, se tenait Heishi. L'éclat de l'émeraude qui jaillissait de son regard semblait plus éclatant encore que la première fois qu'elle l'avait aperçu. Machinalement, elle tendit légèrement son bras en avant et fit un pas dans sa direction, comme si elle était appelée à lui. A vrai dire, l'étrange adolescent n'avait pas réellement quitté ses pensées depuis leur entraînement fugace. Il ne fallait y voir aucune attirance physique, ni même romantique, mais plutôt une curiosité ou connexion d'ordre mystique. Elle se sentait attirée vers ces cheveux si particuliers et lui semblait également l'avoir trouvée malgré la peur qu'elle infligeait habituellement.
Comme elle l'avait redouté, le fils du boucher disparut en un instant. Il fut emporté par un homme qu'elle ne pouvait que supposer être son équipier, et bientôt ils se battirent en duels à quelques pas de la doyenne. Elle les regardait avec intéressement, souhaitant secrètement la victoire de celui qui l'obsédait. Elle analysait chacun de leurs mouvements et chacune de leurs technique. Heishi était armé d'une lame courte que, dans le feu de l'action, la Sorcière ne parvenait pas à déterminer avec précision. Son adversaire brandissait fièrement un long katana. C'est celui-ci qui avait l'avantage, enchaînant des coups lents mais puissants qui, grâce à l'effet de surprise du début, étaient difficiles à éviter pour le blondinet.
Toutefois, il n'eut besoin que d'une erreur. Il relâcha sa garde l'espace d'une courte seconde, un instant si court qu'il ne soupçonnait pas même qu'il puisse être décisif. Le regard aiguisé de l'Omura, pourtant, n'eut besoin que de cela pour s'enfoncer dans son dos, tout comme sa puissante lame. Le coup paraissait déborder de banalité, le genre qui ne dérangeait habituellement pas les shinobi expérimentés. Pourtant, l'autre garçon joint ses mains sur sa blessure et s'effondra. Le sang coula sur la terre battue et s'agglutina en quelques petits tas autour de lui. Les deux adolescents rirent de bon cœur, puis l'un aida l'autre à se relever et le soigna.
La femme-enfant les observa ensuite se saluer. L'homme au katana s'éloigna, mais Heishi resta. Il tourna la tête vers elle, une expression neutre et pourtant tellement sérieuse sur le visage. Il s'approcha d'elle et la salua en se courbant légèrement en avant.
"Ton dernier coup, il n'avait rien de normal, non ? - En effet. - Peux-tu me l'enseigner ? - Evidemment."
Comme la dernière fois, aucune parole superflue ne fut prononcée. Ils n'en avaient simplement pas besoin, leurs regards suffisaient. Comme la dernière fois, surtout, les oiseaux s'étaient tus pour l'écouter.
Ils se mirent en place, à seulement quelques pas l'un de l'autre. Tous deux disposaient d'un kunai dans leur main droite. Cette fois, ils se battraient à armes égales. "Cette technique doit être discrète. Il ne faut pas que l'adversaire sente la menace. N'insufflez le chakra dans votre arme qu'au dernier moment, et changez également la direction de votre attaque. Visez les points vitaux, mais ça, je n'ai pas besoin de vous le dire." Mifuyu hocha la tête pour montrer qu'elle comprenait ce que lui disait le garçon. Ce coup devait passer pour ce qu'il n'était pas. L'adversaire penserait qu'il ne s'agit que d'une diversion ou d'un ultime coup désespéré, alors qu'il s'agissait en réalité de l'entaille qui suffirait à l'anéantir.
Il y eut, en revanche, une variation comparé à leur rencontre précédente. La progressiste ne fut pas celle qui porta le premier coup. Elle s'était mise en place pour l'attaquer comme il le lui avait décrit, mais c'est lui qui bondit vers elle. Surprise, elle ne réagit pas et il parvint à lui enfoncer sa lame au-dessus du nombril. Un filet de sang sortit de sa bouche, mais elle resta silencieuse. L'adolescent ressortit l'arme de son corps et s'éloigna de quelques pas sans rien dire. Il lui avait infligé précisément ce qu'il essayait de lui enseigner. Il s'inclina une nouvelle fois légèrement pour s'excuser, bien qu'il n'y avait aucun regret derrière.
Au contraire, son regard ne semblait dire qu'une seule chose : moi aussi, je suis fort.
Loin de s'énerver, la Sorcière aimait cet air de défi qu'elle captait dans le regard de l'adolescent. Pourrait-il lui être utile durant la guerre à venir ? Certainement. Il venait de lui prouver qu'il n'avait pas peur de se salir les mains et, par la même occasion, qu'il était de son côté. S'il lui avait été opposé, jamais n'aurait-il osé attaquer la chirurgienne de la sorte. Non, car il savait très bien ce qui l'aurait attendu alors : la mort, et pas la plus douce.
Toujours sans rien dire, elle soigna brièvement sa plaie, puis riposta. S'en suivit un corps-à-corps endiablé, rythmé par le bruit de la ferraille qui s'entrechoque et les pas irréguliers des danseurs. Elle pourrait le battre, évidemment, mais là n'était pas le but. Elle ne voulait le vaincre qu'en utilisant la technique qu'il cherchait à lui enseigner. Elle cherchait donc la faille dans sa garde, le défaut dans son attitude de combat qui lui permettrait de le saisir par surprise et, comme il lui avait dit, de toucher un de ses points vitaux. Cette faille ne vint pas, alors il fallut la forcer. Dans un combat simple, leur force était équivalente. Dans ce petit corps, Mifuyu n'avait jamais brillé pour ses pures capacités physiques. Un domaine où elle excellait, en revanche, c'était la vitesse. Entre deux attaques, elle profita en effet de son avantage en la matière pour toucher le sol du bout de ses doigts et jeter du sable dans les yeux de son opposant. Aveuglé, il ne put voir l'attaque venir et l'ancienne le contourna pour le frapper dans le dos. Comme il le lui avait dit, elle essaya d'insuffler du chakra dans son attaque qu'au dernier moment. Pourtant, malgré son handicap, Heishi se retourna et contra le coup sans la moindre difficulté.
Elle s'en doutait. Elle avait mis trop de chakra trop tôt. Quand on avait des réserves d'énergie aussi monstrueuses qu'elle, il était difficile de passer inaperçu. Il fallait qu'elle apprenne à jongler avec cela. Sans prévenir, elle entra à nouveau dans la mêlée, mais le garçon l'attendait. Cette fois-ci, Mifuyu désarma l'adolescent en cognant son poignet avec son coude, alors qu'il se remettait en garde. Son arme tomba à terre et la doyenne atteignit un point vital dans le flanc gauche du garçon. Il chut et dut mettre le genou à terre devant la Sorcière. Le coup avait été mieux dosé que la fois précédente, mais, cette fois-ci, elle avait utilisé son chakra légèrement trop tard. La blessure n'était que superficielle et Heishi se releva sans même se soigner, prêt à reprendre le combat.
Ils furent bientôt les derniers sur le terrain d'entraînement. Le combat qui s'y déroulait semblait sans issue possible. Toujours le fils du boucher tombait, mais toujours il se relevait. La doyenne ne perdait pas patience et ne partirait pas d'ici avant d'avoir trouvé la combinaison correcte d'énergie à mettre dans son attaque. Assez étrangement, aussi, elle s'amusait. Cela faisait bien longtemps qu'elle ne faisait plus les choses pour le plaisir qu'elles lui procuraient mais pour les bénéfices qu'elle pourrait en retirer à l'avenir. Pourtant, ce soir, elle appréciait le temps qu'elle passait avec ce jeune homme silencieux. Lui aussi, au fond, devait s'amuser, malgré les blessures.
Il devait être environ minuit quand enfin ils s'arrêtèrent. La chirurgienne avait finalement maîtrisé la technique et le garçon n'avait plus rien à lui apprendre. Son coup était devenu impossible à parer : à vrai dire, elle avait même surpassé son enseignant. Tant de cordes s'ajoutaient à son arc pour faire tomber ses ennemis et monter sur le trône. Une pensée la fit sourire. Quand elle serait reine, il serait son favori.
Elle le remercia et lui tourna le dos. Elle s'apprêtait à partir quand elle fut retenue par la main de l'adolescent qui s'était agrippée à son poignet. On pouvait lire la surprise sur son visage, comme si lui-même n'avait pas prévu de faire cela. Son visage se referma finalement et ses yeux émeraudes éclataient de détermination et de loyauté.
"Laissez-moi combattre pour vous, Mifuyu-sama."
Elle sourit et, cette fois-ci, ce fut elle qui partit.
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