Vingt coudées sous les mers [Entraînement]

Technique à apprendre:

Sanada traînait les pieds en direction de l'académie. Ce matin-là, il avait un cours général et théorique sur le Ninjutsu. Même si ces leçons soporifiques de quelques heures étaient rares, elles n'en étaient pas moins obligatoires pour celui qui avait choisi la voie du combat élémentaire.

Il éteignit son calumet en le tapotant contre un banc assaillis par des élèves occupés à jaser sur les dernières rumeurs, puis pénétra dans l'académie en quête de la salle.
Comme d'habitude, le vieux professeur qui s'occupait de l'histoire des arts shinobis semblait plongé dans un parchemin, sa posture raide plantée au milieu de l'estrade. Sanada sortit sa plume et son encre, et, caché au fond de sa capuche attendit le début de la complainte monocorde.
Au bout d'un long moment et alors que la salle bourdonnait des conversations alentours, le professeur se racla la gorge d'une manière peu naturelle qui ne pouvait signifier que le commencement de son monologue.

Sanada, peu convaincu, laissa pourtant sa plume tracer le contour des mots que dictait le vieil homme.


- “ Bien, nous allons aujourd'hui rentrer dans des aspects beaucoup plus théoriques concernant le ninjutsu affinitaire. Vous êtes bien sûr dans la confidence concernant l'universalité du chakra chez les individus. Vous savez aussi que par-delà la présence de ce flux énergétique malléable, il se présente sous cinq affinités. Passons la base et venons-en donc à la théorie qui nous intéresse. Je veux avant tout insister sur le terme “théorie”, contrairement aux faits que l'on peut évoquer concernant les balbutiements de la compréhension du chakra comme les affinités; aussitôt que l'on plonge plus loin dans cette forme de pouvoir sur les éléments, les chercheurs en sont encore à des suppositions. La théorie que nous allons étudier ce matin est donc à prendre avec des pincettes. Selon le chercheur Fukui Kenichi, le chakra est intimement lié à sa relation avec la nature, et ce, selon les différentes affinités. Il prend pour exemple le plus célèbre les incarnations animales que peut prendre le chakra selon son élément. Cette animalité du chakra est la preuve d'un lien plus profond entre les êtres vivants et l'affinité. Kenichi affirmait ainsi que toutes les panthères étaient d'affinité Raiton. Le loup est Doton, bien qu'il puisse être d'une affinité Hyoton aussi, le requin est Suiton etc. On peut dégager plusieurs faiblesses de ce raisonnement grâce aux avancées modernes. D'abord, le dragon qui semble pouvoir être modelé dans plusieurs domaines de ninjutsu, ensuite, certaine espèce comme le loup cité précédemment…”

Sanada sentait sa plume devenir une enclume dans sa main. La chaleur qu'il ressentait emmitouflé dans sa capuche et la sensation de bien-être immédiat lorsqu'il posait sa tête contre la table eurent raison de son assiduité et bientôt, le genin se réfugia dans un demi-sommeil aussi fugace qu'agréable.
Le temps passa et la torpeur se transforma en songe.

- Jeune homme. Jeune homme !

Sanada se réveilla en sursaut, écartant le parchemin collé à son visage. Clignant des yeux pour se réhabituer à la luminosité, ses orbites s'écartèrent à la vision de la salle complètement vide. Même le meuble parlant qui servait d'enseignant avait disparu.

- Jeune homme, il serait temps de rassembler vos affaires, je vais fermer la salle. Dit la voix de ce ton monocorde que le genin ne connaissait que trop bien.

Se retournant, il put observer à son plus grand désarroi la petite silhouette trapue de son professeur Kawabata Yasunari. Une sacoche de cuir délabré dans une main, un immense trousseau de clés dans l'autre, le vieil homme au ventre rond regardait Sanada derrière ses lunettes rayés. Son air semblait toujours aussi impassible, comme si son corps n'était qu'une pellicule enrobant un vide sentimental saisissant.

- Je suis désolé monsieur, je me suis assoupi parce que je m'entraîne dur en ce moment.

- Oh, ne vous encombrez pas avec des excuses, je sais pertinemment que la plupart de mes élèves n'écoutent pas. Ils dorment, jouent à des jeux. Tout cela ne me dérange guère voyez-vous, je m'interroge simplement sur la raison de leur présence. Sachez que je milite pour que mes cours soient facultatifs. La contrainte n'a jamais été un bon terreau pour les fleurs de la connaissance.

Sanada ne put s'empêcher de rire face au contraste entre son honnêteté et son air toujours aussi calme, presque apathique.

- Pourtant, cette théorie m'intéresse, je veux dire, les trucs sur les animaux et le chakra.

- C'est une théorie approximative si je dois me confier franchement à vous. Elle a pour avantage cependant d'introduire les techniques en questions, qui requièrent souvent une grande maîtrise du chakra.

- J'ai une question, professeur, est-ce qu'un godaï est capable de produire une technique semblable ?

- Tu es d'une double affinité ?

- Oui monsieur,Suiton et Raiton, je peux produire quelques techniques impliquant des nuages. Je les ai trouvées dans un temple, dans des statues de jeune femme. J'ai aussi calqué le clone affinitaire pour créer un clone d'orage, et justement, je me demandais si une matérialisation animale Ranton était possible.

- En théorie, je ne vois pas ce qui pourrait l'empêcher... Attends suis-moi.

Le genin suivit Yasunari dans les couloirs de l'académie notant le soudain tutoiement de son supérieur qui ne semblait pas aussi attaché au protocole que cela en fin de compte.

Ils arrivèrent dans un couloir sombre et sans fenêtre. Une seconde, Sanada fut pris de panique à la pensée d'une cave au fond de l'académie et d'un prof ennuyant qui cachait sa maladie mentale au travers d'un filtre d'inhumanité. Mais l'homme écarta simplement une clé de bronze de son trousseau avant d'ouvrir la porte qui menait à son bureau.

Sanada pénétra dans la salle aussi sombre que le couloir. Une odeur de renfermé imprégnait l'atmosphère humide et étouffante. Yasunari déposa sa besace et son trousseau sur un vieux fauteuil rapiécé et d'un geste, pour la première fois, énergique, écarta de grands rideaux, laissant la lumière du soleil éclairer le bazar incroyable qui s'étalait devant les yeux du genin.
Des dizaines de colonnes de livres de la taille du jeune homme semblaient avoir poussé sur le parquet. Cette forêt de pages cachait la vue, si bien que pour avancer, il fallait littéralement se glisser entre les arbres littéraires.

- Tu m'excuseras, cela fait des mois que je n'avais pas ouvert ces rideaux. J'étais en voyage.

- Ah oui ? Où ça ? Demanda Sanada par politesse autant que par curiosité.

- Bon alors, cherchons ce fameux livre. Répondit le professeur comme s'il n'avait rien entendu.

- Je peux ? Demanda Sanada en montrant son calumet.

- Bien sûr ! Comme tu as pu le remarquer, je ne suis pas très regardant sur ce genre de choses. Dit-il avec un rire pincé.

Pour la première fois, Sanada regarda réellement cet homme. Il l'avait vu plusieurs fois, et c'était toujours endormi durant ses cours. Mais jamais il ne l'avait vu comme autre chose qu'un pantin doué d'une parole qu'il fallait retenir. Ses cheveux gras et clairsemés sur le haut du crâne semblait en adéquation avec la peau luisante et trouée d'une barbe naissante et grise. Un long nez bosselé retenait des lunettes rectangulaires tandis que son regard se perdait dans ces loupes, lui donnant un air de taupe mal lavé. Tout dans le physique de cet individu était repoussant pour Sanada et pourtant, une sympathie qu'il ne comprenait pas était en train de naître en lui.

- Ah voilà ! Dit enfin le professeur en revenant à son bureau. ]b]Je t'en prie, tu peux t'asseoir ! Mets ce qu'il y a sur la chaise par terre ne t'en fais pas. [/b]

Sanada s'exécuta donc, tentant de ne pas trop coller son kimono sur la chaise, ce qui rendait sa position particulièrement inconfortable.

- Je n'ai presque rien sur le Ranton. Cependant, j'ai longuement parcouru l'Isthme de gel à la recherche des manipulateurs du Hyoton, la glace. Je peux donc te dire avec certitude que l'élément de glace possède une technique d'invocation animale. Si j'en crois mes propres théories, tu vas devoir trouver un animal correspondant à ton affinité, puis le créer en chakra pour pouvoir avancer vers la voie d'une technique. Je vais me renseigner de mon côté. Mais il faut être logique et réfléchi. Quel animal peut, à ton avis allié l'eau et la foudre, élément contraire et pourtant si complémentaire ?

- Je n'en ai aucune idée.

- Eh bien, je ne vais pas te mâcher le travail jeune homme. Réfléchis une seconde.

Sanada s'enfonça pour la première fois dans le fauteuil, le calumet à la bouche. Lui qui avait vécu plus de la moitié de sa vie sur un bateau voguant sur les mers du sud cherchait dans sa mémoire un animal correspondant au critère. Puis, soudain, il se souvint de la perle de l'empereur et de la course pour la retrouver. Il avait failli mourir noyé et alors, son ami et partenaire de la course l'avait sauvé avec une anguille émettant des décharges électriques.

- L'anguille électrique ! S'exclama Sanada en bondissant du fauteuil.

Le professeur eut un sourire amusé soutenue par un petit rire nasillard et retourna la page du manuscrit qu'il avait devant lui.
Sous les yeux du genin s'étalait une véritable technique Ranton.
Sanada dévora la page jaunie avec délectation. Un dessin représentant une anguille faisait face à une suite de mudras. Plus bas, les esquisses d'une murène bien plus massives indiquait qu'à l'instar d'autre technique, des évolutions étaient possibles.

Bien trop excité à l'idée de découvrir un nouveau pan du pouvoir des cieux, le genin écouta les conseils de Yasunari d'une oreille distraite et après s'être incliné respectueusement, il quitta la pièce dès qu'il le put. Sans perdre une seconde le soldat des Cinq se dirigea vers les terrains d'entraînement.
Il sortit son masque, l'enfila, pria à peine, puis relu une dernière fois les mudras qu'il avait notés sur un bout de parchemin maintenant froissé. Il n'avait aucune idée de la puissance de la technique ni même s'il allait pouvoir l'effectuer correctement. En guise de réconfort, les terrains alentours étaient vides et personne n'allait donc assister à ses essais, aussi ridicules et infructueux soient-ils.

Après une exécution pour le moins hasardeuse des mudras, Sanada écarta ses mains tout en concentrant son chakra entre ses paumes pour tenter de créer cette forme longiligne si caractéristique du poisson foudroyant.
Sans grande surprise, seul un nuage informe parcouru de petites décharges s'échappa de ses doigts avant de disparaître sous la brise iodée d'Uzushiokagure.

Pendant des jours, Sanada réitéra l'entraînement pour invoquer l'anguille électrique et si maintenant, de par sa maîtrise affinée, le chakra prenait la forme de l'animal, il était inerte, flottant dans les airs quelques secondes avant de s'estomper. C'est donc avec une motivation redoublée que le genin se présenta au second cours portant sur “L'animalité du chakra et ses invocations affinitaires”.

Cette fois-ci, il prit note sans jamais laisser échapper son attention. Maintenant qu'il écoutait attentivement le monologue toujours aussi assommant de Yasunari, il en saisissait l'incroyable témérité. Par-delà la forme d'un classicisme insupportable, le contenu du cours était tout bonnement révolutionnaire. Ce vieil homme n'infantilisait pas ses élèves. Au contraire, il les considérait comme des témoins et juges des diverses théories qu'il présentait. Absorbé par le fond et non plus la forme, la plume du genin glissait à toute allure sur le papier, au grand étonnement de ses voisins somnolents.

- “ Comme le clone affinitaire peut avoir, dans certains cas, une personnalité un peu différente de l'original, étant une extension de chakra doté d'une certaine forme de conscience. L'invocation animale, est, elle, une preuve encore plus flagrante de l'extériorité des créations de chakra, réagissant souvent d'une manière similaire à son double naturelle, c'est-à-dire animal. Un loup Doton réagira toujours en osmose avec sa meute, non pas avec son lanceur. Voilà ce que nous dit en substance le troisième chapitre du…"

Mais le professeur avait cessé de parler et le silence prenait doucement la place de la complainte monotone, cassant la mélodie du sommeil dans la plupart des jeunes esprits présents dans la salle. Au fond de la petite pièce et pour la première fois, un élève venait de lever la main. Yasunari regarda longuement le jeune genin encapuchonné, comme désarçonné par un intérêt qu'il n'avait jamais connu.

- Hm hm. Fit -il gêné. Vous désirez poser une question Sanada ?

- Oui professeur, je me demandais, selon ce chercheur, nos propres techniques nous échappent donc forcément. En plus de maîtriser l'exécution, il faudrait pouvoir dompter son contenu ?

- Ce n'est pas exactement cela, en fait, la thèse de Fukui Kenichi est simple. L'exécution de la technique et son résultat dépendent fondamentalement de la façon de l'appréhender au départ.

Un autre élève interloqué par le dialogue vint se joindre à la conversation.

- Donc si on considère ces techniques d'invocations comme le loup Doton ou les requins Suiton comme des animaux sauvages, ils seront plus puissants ?

- Non, c'est une façon d'apprendre la technique. Transposer la nature animale une fois comprise et l'inclure dans l'exécution du chakra, ce qui, selon lui, est une méthode efficace pour apprendre la technique. “Un loup Doton réagira toujours en osmose avec sa meute”. Si on pense le loup comme un loup et non pas une simple émanation de chakra, on peut alors mieux appréhender la technique, et sa maîtrise n'en sera que plus grande.

- En fait, ce que l'auteur veut dire au fond, c'est que le chakra est une énergie qui est reliée partout et avec tout le monde. Dit un autre élève.

Yasunari, toujours abasourdi par le débat qui était en train de naître dans sa salle, referma son bouquin, comme un symbole que le dialogue était ouvert.

- C'est tout à fait la thèse de cet essai effectivement. Le chakra, peut être animal ou humain, il peut être la foudre et la lave, la feuille et la rafale, car le chakra n'est que le contrôle d'un flux universel et omniprésent.

- Et en quoi le fait que tout cela ne soit qu'un flux pourrait nous aider à mieux maîtriser nos affinités ?

Le débat prit une telle ampleur que lorsqu'il cessa, l'heure de la fin du cours était allègrement dépassé. Les derniers étudiants quittaient la salle, encore galvanisés par tant de nouveautés, ils continuaient les joutes verbales entre défenseurs de la théorie et ses ennemies. Sanada, lui, se dirigea vers le bureau du vieil homme.

Il avait quelque chose à lui demander.

- Monsieur, vous savez où est-ce que je pourrais observer une anguille électrique dans les environs du village ?

Le professeur eut un sourire malicieux en regardant son élève.

- Malheureusement, le marécage où je suis sûr que tu en trouveras se trouve à une journée de navigation du village.

- Bon, tant pis, je ferai autrement...Dit Sanada sans cacher sa déception.

- Si tu peux être prêt demain, je t'emmènerai. Je n'ai pas combattu depuis des lustres, mais nous allons dans un endroit où il n'y a pas foule. Les autorités ne devraient pas nous interdire cette petite escapade.

Sanada remercia longuement son professeur avant de quitter l'académie en sautant littéralement de joie.

Yasunari dormit peu ce soir-là, depuis sa blessure grave et l'échec de la mission, il n'avait jamais accepté de reprendre la responsabilité d'autrui à l'extérieur du village. Pourtant, il avait proposé son aide à ce gamin, sans qu'il ne lui ait rien demandé. Il aurait pu ne rien dire, se lever le lendemain, et aller lire ses textes sans regarder son assistance endormie toute la journée. Il aimait sa routine, loin des risques, de la peur de la défaite et de la culpabilité qui en découlait. Il s'endormit malgré tout au petit matin, non sans s'être maudit une dernière fois pour sa précipitation et sa curiosité.

Le port d'Uzushiokagure était un lieu qui ne connaissait ni le calme ni le silence. Le commerce florissant dans la région et l'impulsion des autorités du village caché du tourbillon avaient fait de ce seul quartier du port la capitale économique de la région.
Avec l'aube, le contraste entre les quais et le reste du village était encore plus saisissant. Sanada mal réveillé, tentait d'esquiver le flot des marins et des porteurs qui acheminaient des denrées vers les entrepôts, attendant un autre navire pour être revendu ou bien utilisé sur place.

Le genin se dirigea vers un petit quai quelque peu à l'écart de la cohue incessante. Là, des embarcations spécialement réservées aux ninjas du village étaient amarrées. Il s'agissait de simples barques ou petits voiliers sans artifice. Ils servaient principalement aux transports des troupes durant une petite mission, mais plus souvent encore, ils fournissaient un moyen pratique et rapide de se déplacer entre les îles qui composaient le territoire revendiqué du village. Yasunari était déjà devant une embarcation, assis d'une manière peu conventionnel, son kimono rapiécé laissait des lambeaux éparses voler au vent, lui donnant un aspect étrangement éthéré, à l'image des revenants que Sanada lisait dans les romans traitant de monstre et de magie.
À la vue de son élève, il se redressa en refermant le livre d'un claquement sec.

- Tu es bon marin jeune homme ?

En guise de réponse, Sanada sauta sur l'embarcation et commença les manœuvres d'appareillage.

Quelques minutes plus tard, le bateau quittait le grand port D'Uzushio entre deux gigantesques navires de commerces. Malgré la taille imposante des voiles, qui dépassaient allègrement celle du bateau des shinobis, les mastodontes des mers avançaient au ralenti, sans doute freinés par leurs cales pleines de marchandises à destination du continent.

Quand ils furent enfin hors du sillage des géants de bois, l'astre lumineux naissant semblait coupé en deux par la fine lame qui séparait l'océan du ciel.
Le rouge puissant qui entourait le chef d'œuvre des dieux tirait sur le rose puis s'élançait vers le bleu clair. Le spectacle était grandiose, et seul le bruit des vagues accompagnait désormais la valse de l'univers, accentuant la magie qui occurait quotidiennement autour des hommes. “ Le chakra est partout” se dit Sanada en pensant aux théories évoquées en cours.
Aucune puissance humaine ne pouvait remplacer le soleil par la lune, mais cela se faisait-il grâce au chakra ?
Si tout être voyait le flux universel le traverser, sous une forme affinitaire, quel était donc la nature de chakra du soleil ou de la lune ?
Alors que les premiers véritables rayons venaient réchauffer son visage, il alluma son calumet en ouvrant le couvercle qu'il apposait au long tube de bois lorsqu'il était en mer. “Le soleil est peut-être l'incarnation du Katon comme énergie pure, mais alors, qu'en est-il de la lune ?”

Sanada rêvassa ainsi pendant toute la matinée, gardant le cap sans grande difficulté, les conditions climatiques étant parfaites pour la navigation. Yasunari, lui, semblait plongé dans un livre à l'avant.

C'est en fin d'après-midi que l'île indiquée sur la petite carte empruntée au village se dessina derrière l'horizon.
Comme beaucoup d'atolls alentour, il s'agissait d'un petit bout de terre perdu au milieu du désert aqueux.
Les arbres semblaient avoir envahi les montagnes qui dominaient les flots. Une épaisse végétation tropicale recouvrait toute l'île.

Lorsqu'ils arrivèrent à proximité, Sanada aperçut un cours d'eau douce assez large pour laisser passer une barque plonger dans l'océan. Cette rivière remontait l'île jusqu'au plateau des montagnes à un ou deux kilomètres de la plage.
Bien que le soleil amorçait sa descente pour laisser sa sœur illuminer la nuit, Sanada n'avait aucunement envie de traîner à côté du feu. Il avait envie d'aventures et besoin de réponses. Il attendit donc que son professeur s'endorme sous la tente, les parchemins lui servant de couverture. Sanada ferma le livre qu'il avait emprunté à la bibliothèque qui portait sur les poissons d'eau douce et, éclairé par une torche, commença la remontée de la rivière.

Selon l'information qu'il venait de lire, les étranges spécimens longilignes vivaient dans des cours d'eau douce ou des marécages, de plus, il étaient actifs la nuit, ce qui accroissait les chances d'en observer.
Sans craintes, le genin remonta ainsi le courant pendant un moment, avant de bifurquer avec une ramification aqueuse vers un dénivelé de petite cascade venant des montagnes.

L'eau y était trouble, en surface, des centaines de feuilles de nénuphar venaient fermer le rideau qui couvrait le monde des profondeurs. Le bruit des clapotis mêlés aux nuances de vert-gris mis en valeur par la lumière de la lune donnait un charme indéniable à l'endroit. Loin du cliché puant et boueux, ce marécage avait un aspect presque poétique.

Sanada déposa ses affaires et son kimono au sol, lentement, il pénétra dans l'eau pour en jauger la profondeur. Après quelques pas, alors qu'il était au milieu, elle lui arrivait à peine aux genoux. L'anguille aimait les eaux peu profonde et barrées par des branches et des tiges, son corps mou étant parfaitement adapté pour glisser entre les obstacles dans cet environnement.

Après avoir allumé sa pipe pour ne pas s'embarrasser avec trop d'objet, il se tint en équilibre sur une pierre avant d'utiliser le “Henge”, héritage de Shun le directeur de l'orphelinat du village, pour devenir aussi petit qu'une main humaine.

Enfin à son aise sur la pierre devenue rocher, il s'assit et dégusta l'herbe sacré, ses minuscules pieds caressés par le courant.
Les yeux rivés sur le rivage, il embrassait une toute petite surface du marécage de son regard à cause de sa taille, défaut compensé par l'extraordinaire acuité qu'il obtenait en regardant le flot incessant de si près.

De longues heures passèrent sans que rien de notable ne se passe, le genin était presque prêt à retourner au campement quand une immense ombre ondulante frôla la pierre et les orteils de Sanada. Par réflexe, celui-ci releva les jambes et couru de l'autre côté de la pierre pour ne pas perdre l'ombre des yeux. Se jetant à plat ventre pour frôler la surface, il put apercevoir l'animal slalomer entre les tiges de nénuphars. Sa peau blanche luisante était tachetée de points noirs qui ressortaient sous les rayons de la lune. Sa tête plate et écrasée lui donnait un air de poisson-chat pas commode. Une nageoire ventrale produisait une ondulation permanente un peu décalée par rapport aux mouvements du corps, ce qui donnait à l'animal une grâce qui jurait avec ses traits empâtés.

L'anguille était lente dans ses mouvements, elle semblait se maintenir sur place, nageant contre le courant, sans doute à l'affût d'une proie.
Ne voulant rien perdre du spectacle, le genin se releva pour observer la scène en amont. Devant la petite chute d'eau qui paraissait maintenant cascade, il allait voir la victime arriver dans la gueule du prédateur aux premières loges.

Une minute passa à peine et une lueur jaunâtre traversa la chute d'eau avant de disparaître sous le tapis vert pomme des feuilles flottantes. Sanada se précipita vers la bête tapis dans l'eau trouble, qui ondulait toujours lentement sur place.

Ce qui se passa ensuite fut si rapide que le genin dut reconstruire la scène dans son esprit plus tard pour réellement comprendre.

Sous l'impulsion du courant, un piranha solitaire avait été traîné jusqu'à cette chute. Perdu et désorienté, il n'avait pas senti la menace arriver et quand il avait voulu fuir, bien qu'il soit encore assez loin du danger, il était déjà trop tard. L'anguille, grâce à ses organes électriques si particulier avaient tapissé la zone d'un courant si faible qu'il était imperceptible pour les autres être vivant. Aussitôt qu'un intrus avait pénétré la zone, l'anguille avait perçu le minuscule changement au sein de son royaume électrifié. Ensuite, elle avait simplement attendu que le poisson soit à une distance raisonnable pour lancer un assaut foudroyant. L'énergie électrique n'avait mis qu'une fraction de seconde à se disperser dans l'eau, paralysant la pauvre bête qui devait, dès lors, assister encore consciente au festin dont elle était l'objet.

L'action était si rapide que Sanada sursauta de peur, réussissant tant bien que mal à se rattraper à la mousse humide qui tapissait les bords du minéral. Il faillit même annuler la technique du Henge par panique. Heureusement pour lui, il se retint, le rocher serait redevenu une pierre à peine assez grande pour ses deux pieds, le condamnant à pénétrer dans l'eau et être électrifié comme ce pauvre poisson.

Une fois que la bête eut avalé son repas, chose qui ne mit pas plus de quelques secondes, elle s'enroula doucement entre deux rochers, sûrement dans l'attente d'un nouveau plat. Sanada observa le comportement de l'animal jusqu'au lever du jour.
Quand il revint vers le campement, Yasunari était devant le petit feu et s'appliquait à préparer un thé bien noir propice au réveil.

- Je n'ai pas fermé l'œil, j'ai pu observer une anguille électrique en pleine chasse ! Dit Sanada en s'asseyant sur le sable granuleux.

- Eh bien ! Je vois que tu ne perds pas de temps. Très bien, selon notre théoricien donc, l'observation est la clé, il faut visualiser parfaitement l'animal, mais en plus le connaître pour exécuter la technique. Voyons s'il dit vrai.

Sanada avala un bon petit-déjeuner et, sous les conseils experts de son professeur, il répéta les mudras.
D'abord, il dut les exécuter doucement, puis, rapidement, enfin, par série de deux, il enchaîna les combinaisons. Yasunari corrigeait la position de ses doigts, les transitions entre les signes, la posture des épaules. Très vite, Sanada se rendit compte que pour le vieil homme, l'exécution des signes incantatoires du chakra était un art en lui-même. D'un œil expert, il corrigeait le moindre arc de cercle, la moindre pliure superficielle. Lorsqu'il faisait démonstration des postures optimales et de leurs enchaînements, ses doigts bougeaient si vite qu'il était presque impossible d'en distinguer les signes.

Lorsque le soleil se coucha, Sanada n'avait pas tenté une fois de lancer la technique, il n'avait fait que des exercices liés aux mudras. Il se coucha en se massant les mains. Avant cette journée, il ignorait qu'on puisse avoir des crampes aux doigts.

Le lendemain, l'anguille d'orage avait pris une certaine substance.
Bien qu'encore intangible et inoffensive, elle sillonnait dans les airs comme s'il s'agissait d'un océan, sans véritable objectif cependant. Sa rapidité et son ondulation permanente étaient agréables à voir, mais elle ne semblait pas apte à aider son invocateur au combat.

- Bon si tu stagnes, il y a une solution. Dit le vieil homme en enlevant sa cape trouée.

- Vous voulez comb... ? Demanda Sanada interloqué en se retournant vers lui.

Mais avant même qu'il n'est fini, Yasunari agita ses mains qui se troublèrent tant la vitesse de ses doigts dansants était grande. Une seconde plus tard, il porta une main à sa bouche, laissant une boule de feu flamboyante jaillir en direction du genin. Complètement abasourdi par une attaque si brusque, le jeune genin fut touché de plein fouet et tomba à terre. Si le choc avait été rude et bouillant, la douleur s'estompa rapidement. La chaleur, elle, demeura tant et si bien qu'elle enflamma le kimono du jeune homme qui s'en débarrassa en se roulant à terre.

Les habits encore fumant, il se releva la mine furieuse.

- C'était une attaque sournoise ! Vous avez voulu me brûler, c'est comme ça que vous voyez les entraînements vous ? Si Sanada avait pour habitude de souffrir avec sa guide Omura Mifuyu, il était surpris qu'il en soit de même pour cet ennuyeux professeur de ninjutsu théorique. Mais surtout, il s'en voulait terriblement de l'avoir sous-estimé.

- Tu as paniqué, c'est tout. Si tu es d'affinité Ranton, tu as une part de Suiton dans ton chakra. Or, une technique Katon comme celle-ci peut-être contrer par n'importe quelle technique Suiton. De plus, puis-je te rappeler que nous sommes sur une plage, et que par conséquent, une incroyable quantité d'eau est à ta disposition. Non seulement pour le Suiton mais aussi pour s'y plonger. Le feu Katon, en tout cas celui-ci, n'a rien de spécial. L'eau l'éteint.

- Très bien. Vous voulez combattre, combattons.

- Une seule petite règle jeune homme. J'utiliserais exclusivement du Doton. Toi, tu ne peux utiliser que la technique de l'anguille de l'orage. Une fois que celle-ci m'aura attaqué, tu auras carte blanche.

- Bi..

Le genin, cette fois prêt à toute éventualité remarqua le sable légèrement bouger sous ses pieds. D'un Kawarimi, il esquiva les lances qui venaient de naître dans la terre.

Se concentrant particulièrement sur l'exécution des mudras pour faire honneur à son prédicateur du jour, il écarta les mains doucement pour laisser l'anguille se former tout en restant mobile. L'anguille s'anima, glissant avec aisance et rapidité autour du genin, sans attaquer son adversaire.

- Allez attaque-le ! S'exclama Sanada en attrapant l'anguille d'une main pour approcher la gueule plate de l'animal de son visage.

Sa paume fut d'abord parcourue d'un frisson désagréable, puis, une douleur survint dans tout le bras avant de disparaître aussi vite. Surpris, le genin voulu se débarrasser de l'animal nuageux et secoua énergiquement son bras. L'animal fit un petit vol, aussi étonné que son créateur par la tournure que prenaient les choses. Reprenant son ondulation lui permettant de se déplacer, la créature fonça sur la première cible à proximité, le professeur. L'anguille mordit la cuisse du shinobi avant de s'enrouler doucement autour du membre.Comme s'il ne ressentait pas la douleur qu'avait frappée le bras de Sanada, il souriait en regardant l'animal.

- Il faut que je prenne des notes après ce combat. Mais il n'est pas terminé.

À ces mots, il laissa danser ses doigts avant de les poser au sol. Une véritable vague de sable sembla prendre vie à ses pieds, déferlant bientôt sur le soldat des Cinq.
Celui-ci tenta de sauter avec le bon timing comme il plongeait sous les vagues pour éviter leurs roulis. Cela demandait cependant une vitesse et une coordination qui lui faisait défaut et il fut donc logiquement désarçonné par la terre animée en prenant appui sur celle-ci.
Deux petits monts se créèrent lorsque la vague s'écrasa, camouflant le professeur et altérant le terrain. Sans repère et la bouche pleine de sable, le genin se releva.

Un bruit d'explosion et un flash lumineux lui indiquèrent la position de son adversaire. Il ne savait pas tellement comment ni pourquoi, mais il savait que ce flash et cette explosion étaient l'acte d'ultime sacrifice de l'animal envers sa nature orageuse.

Il fit le vide dans son esprit, les yeux fermés, puis exécuta les mudras sans peine avant d'invoquer une belle anguille à l'aspect nuageux parcouru de petits éclairs bleutés qui dansaient sur sa peau. L'animal tournoya autour de son propriétaire, mais sans crainte, ni d'un côté, ni de l'autre cette fois-ci. Sanada admira l'animal avec respect. Il comprenait ce que le théoricien voulait dire, cette technique faisait bien plus qu'animer du chakra, elle était l'émanation de l'orage et de son lien avec toutes choses. L'anguille s'arrêta à hauteur du visage du genin, le regardant d'un air noble.

- Allez, va chasser ma grande. Dit Sanada avec un sourire. La formation nuageuse pivota avant de slalomer entre les monticules à la recherche d'une proie.

- Excellent. Excellent ! Dit Yasunari avec enthousiasme devant le feu qui éclairait son visage.

- Vous avez détruit mon anguille sans mal.

- Oui, mais j'ai dû effectuer une technique Futon pour la contrer. Tu t'en doutes, comme pour le raiton, c'est l'élément qui domine sur le Ranton. Le vent chasse les nuages. La nature nous montre la voie. Encore une fois.

- Oui, je sais.

- Mais cela peut-être un bon allié contre un combattant au corps-à-corps, sans omettre le fait que son explosion lumineuse peut aveugler les adversaires un court instant. C'est une technique utile et efficace, comme toutes les technique animale affinitaire. Sais-tu que le futon est un des seuls domaines affinitaires sans technique d'invocation animale ? D'ailleurs….

- Oh non, s'il vous plait, pas une leçon maintenant. Dit Sanada qui sentait ses paupières se fermer toutes seules.

Quelques instants plus tard, les ronflements du genin sonnaient comme une fausse note dans la symphonie jouer par les vagues et la forêt.

Yasunari, lui, grattait le parchemin à la lueur des flammes, bien trop heureux de pouvoir rédiger les observations qu'il avait faites sur le Ranton.
Enfin, lorsqu'il fut satisfait, il rentra dans la tente qu'il occupait seul, son élève préférant le confort d'un hamac sous les constellations. Le professeur y voyant le reflet de son affinité qui rejaillissait inconsciemment sur son caractère et ses habitudes comme sur tant d'autres.

La nuit fut douce et calme, le petit campement étant désormais protégé du vent par le changement de topographie de la plage, vestige du combat qui avait eu lieu plus tôt.

LA SUITE !