Depuis leur escapade sur l'île qui renfermait les trésors de Fusuke, la Sorcière des Omura avait beaucoup repensé à ce qui s'y était passé et à la progression de son cobaye. Celui-ci semblait la suivre en tout lieu, guidé par sa soif de savoir, de puissance et de découverte, tandis qu'il ne s'était jamais inquiété des différentes découvertes qui y avaient été faites ni des comportements parfois rudes de la doyenne. En y repensant bien, il avait même lu des parties du journal de Fusuke et, tout en sachant quel était le sujet d'étude de la chirurgienne, il ne s'était en rien montré rebuté par la perspective de ces créations mi-humaines, mi-animales. Ces hybridations avaient toujours été sujettes à débat au sein de la grande lignée de médecins et avaient malheureusement été considérées comme abominables par la majorité. Une si naturelle acceptation de sa part était alors un gage qu'il penchait plutôt de son côté de la balance. Du côté de ceux qui adulent le progrès et l'intelligence humaine, qui reconnaissent qu'améliorer la condition humaine n'est pas un crime et qu'il n'y a rien de monstrueux à manipuler les facteurs génétiques.
Il n'était encore qu'un garçon, certes, mais la rapidité de sa progression ainsi que ses capacités si rares – et qui se révélaient d'une beauté sans pareille – faisaient de lui un atout précieux dans sa manche. Si elle avait eu tendance à le considérer autrement qu'un cobaye au cours de leurs dernières rencontres, elle se rappelait tout de même que c'était ce sur quoi leur relation était fondée et elle ne comptait certainement pas laisser passer cette chance. Elle fouilla quelques instants dans le premier bac qui servait de tiroir à son bureau et en sortit des pages jaunies qui composaient la seconde partie du journal de Fusuke qu'ils avaient trouvées dans son laboratoire secret, sur l'île où le garçon avait également développé ses dons orageux. Cette simple connexion entre ces éléments indiquaient qu'il y avait bien plus que le simple hasard qui les avait mis tout deux sur la même voie. Ils devaient se rencontrer. Pourtant pas superstitieuse pour un sou d'ordinaire, Mifuyu s'empara des quelques pages, les plia délicatement et les fourra dans sa sacoche. Elle partit immédiatement pour rendre visite au genin.
La promenade jusqu'à l'habitation du jeune garçon qui, apparemment, vivait seul, fut particulièrement agréable pour la vieille femme. Elle qui restait terrée dans son laboratoire où dans les locaux de la Division d'Amélioration des Performances Humaines pratiquement en toutes circonstances, sentir le vent marin contre sa peau avait un effet revigorant qui lui donnait réellement l'impression d'être cette fillette de treize ans dont elle avait l'apparence. La réalité était malheureusement bien plus affreuse que cela, mais elle avait depuis peu repris espoir en la science : un jour, peut-être même bientôt, elle changerait à nouveau d'enveloppe. Elle occuperait un corps plus beau, plus lisse que celui-ci. Un peu plus âgé, également. Le temps de cette marche, elle en oublia presque tout le stress qui lui pesait sur les épaules. Elle se pensait suivie, soupçonnée voire déjà condamnée et, ces derniers temps, avait pris pour habitude de soumettre chacun de ses déplacements à un calcul risque-avantage précis, pour veiller à ne faire aucune erreur. Pour cette fois, elle s'était dit qu'on pourrait difficilement l'accuser d'avoir rencontré un genin en apparence inoffensif du village, aussi elle n'avait pris aucune précaution particulière avant de se rendre chez lui. Elle avait facilement trouvé son adresse dans les papiers de la DAPHU, puisque le garçon avait été plus ou moins forcé par l'ancienne de s'enregistrer la première fois qu'il y avait mis les pieds.
Elle arriva bientôt devant la porte de son habitation, puis toqua. Elle n'eut aucune réponse. Elle réessaya, sans succès. Plutôt que de se dire qu'il devait être ailleurs, elle enfonça discrètement mais violemment la porte avant de s'introduire dans la pièce principale. Dans le pire des cas, elle l'attendrait là. En attendant, elle souhaitait explorer le repaire du jeune garçon. Elle jugeait toute curiosité autre que scientifique comme une source d'éparpillement et un signe d'oisiveté, aussi elle n'était nullement tentée de découvrir les quelconques futiles secrets qu'il pouvait cacher. Elle n'était pas là pour lancer de rumeurs, simplement pour occuper son temps en ayant une discussion avec lui. Une discussion qu'ils auraient dû avoir depuis bien longtemps. Elle fut tout de même étonnée en apercevant les différents petits temples qui avaient été érigés par l'enfant dans son habitation. L'un d'eux représentait une femme-grenouille, sans doute celle qu'elle-même lui avait faite combattre. Un peu plus loin, une autre de ses victimes. Elle avait déjà vu le libraire faire acte de foi, mais sacralisait-il chacune de ses victimes ? Était-ce un signe de faiblesse ? De culpabilité ? Finalement, n'entendant aucun signe de vie particulier, la Sorcière monta à l'étage.
Elle déboucha bien rapidement sur un toit couvert de plantes, qu'elle avait déjà repéré de la rue sans avoir fait la connexion avec l'adolescent. Elle n'imaginait pas qu'un garçon de son âge, intéressé par la puissance et – elle spéculait – par les filles en pleine puberté, puisse s'occuper d'un tel jardin artificiel qui, il fallait l'admettre, était d'une extrême beauté. C'était un paysage qu'elle ne s'était pas attendue à voir au sein du village caché, ce qui la fit sourire légèrement. La végétation y était particulièrement dense et, à quelques mètres, elle parvint à distinguer quelques hamacs ainsi qu'un nuage de fumée qui se dégageait de l'un d'eux. Elle s'avança dans cette direction pour arriver sur ce qui ressemblait plus à une terrasse. La végétation était moins imposante et le coin avait été aménagé pour l'activité humaine. Face au port et à l'immensité de l'océan, il était amusant de voir le contraste entre les marins qui s'affairaient à charger leurs navires de lourdes cargaisons et, allongé sur son lit de toile, le manipulateur d'orage qui semblait attendre passivement que le temps passe.
Mifuyu s'approcha de lui d'un pas calme et sévère, si tant est qu'une démarche pouvait être jugée ainsi. Sans même le saluer, elle en vint directement au but. Elle devait être sûre, sûre qu'il était avec elle.
"Sanada, puis-je savoir ce que tu as ressenti en ouvrant le journal de Fusuke, la première fois ? Et quand nous avons trouvé son laboratoire, sur l'île ?"
Elle s'assit sur un hamac opposé au sien, de façon à avoir sa tête en face de la sienne. Elle s'imagina que le garçon avait dû être étonné de la voir débarquer ainsi, puisqu'elle-même n'aurait jamais imaginé qu'elle puisse s'allonger dans un tel siège simplement pour venir discuter avec un gamin un peu trop jeune pour la fumette.
Sanada se leva avec le soleil, comme toujours. C'était un des désavantages de dormir à la belle étoile, cependant, le spectacle de l'astre de lumière embrassant les quais du port était une bien belle consolation. Il s'étira longuement. L'apprentissage des arts martiaux avait quelque peu changé ses habitudes, le rendant plus sportif mais, surtout, plus souple. Après les exercices matinaux qu'il s'imposait, il s'occupa avec bonheur de son jardin suspendu.
Il n'avait pas grand chose à faire, ayant reconstitué un biome plus ou moins indépendant. Les limaces bleues qu'il avait chassées avec Haruka servaient de gardiennes aux plantes les plus précieuses de Sanada, celle qu'il inspirait au travers de son calumet. Les vers de terre assuraient l'oxygénation de la terre légèrement salé par l'air marin. De plus, des centaines d'insectes venaient butiner les fleurs au-dessus de la cohue de la rue avec bonheur, donnant vie à ce temple de la nature.
Après quelques soins apportés au royaume végétal, Sanada invoqua un nuage de pluie avant de sortir de son immeuble. Depuis qu'il maîtrisait le Ranton, il n'avait plus besoin d'arroser chaque pot, et se contentait de faire pleuvoir une légère pluie tôt le matin. Il sortait généralement ensuite pour éviter les remontrances des voisins aussi matinaux que lui.
Face à la plage, il prenait le temps de lire quelques pages du recueil religieux confié par sa mère puis allait nager une bonne heure. Enfin, allongé au soleil sur le sable chaud, il allumait son calumet pour la première fois et lisait un livre. Ensuite, seulement, il prenait une toilette d'eau douce avant d'aller à l'académie. Aujourd'hui cependant, il n'avait pas cours, il prit donc son temps et lu en bronzant jusqu'au zénith du soleil avant de rentrer pour faire exactement la même chose sur son toit végétalisé.
La vie de Shinobi n’était pas de tout repos. Entre les missions et les entraînements, le corps et l’esprit était mis à rude épreuve, ce qui rendait ces journées où il pouvait ne rien faire d’autre que flâner aussi agréables.
Après un repas cuisiné à la braise, le genin s’installa confortablement dans son hamac et alluma son calumet. Depuis quelques jours, il repensait à cette théorie sur l’unité du chakra et du monde. Tout cela faisait sens dans son esprit, comme une évidence. Tout était lié partout en tout temps. Les dieux eux-mêmes faisaient partie de cette même nature qui ne formait en réalité qu'un grand “Un”. L’ultime objectif de la vie dès lors était d’embrasser le plus de chose pour se rapprocher de cette nature sculptrice de toutes choses.
Perdu dans ses pensées, il ne se rendit pas tout de suite compte que quelqu’un approchait. Il se redressa pour apercevoir, à sa grande stupeur, la Sorcière Omura. Dans une tenue toujours aussi impeccable qui contrastait avec sa peau couverte de fine cicatrices lui donnant un air de poupée recyclée, la jonin semblait parfaitement à l’aise, comme toujours. Elle jeta son regard froid sur le jeune homme.
"Sanada, puis-je savoir ce que tu as ressenti en ouvrant le journal de Fusuke, la première fois ? Et quand nous avons trouvé son laboratoire, sur l'île ?"
À ces mots, la Harpie en culotte courte s'allongea sur le second hamac sa tête faisant face au genin. Celui-ci fut pris de court par la question, mais surtout les circonstances.
Mifuyu n'avait jamais mis les pieds chez lui, plus encore, il ne l'avait vu que très rarement dans les rues du village. Le plus souvent, elle semblait être à la DAPHU, Sanada s'était même demandé plusieurs fois si elle dormait sur place sans jamais oser l'interroger sur cela.
Sanada prit un long moment pour réfléchir, fumant d'un air distrait en fixant le ciel azur. Enfin, après de longues minutes, il s'éclaircit la voix enroué par la fumée et se leva.
- C'est drôle que vous me posiez la question aujourd'hui et surtout maintenant. Avez-vous déjà entendu parler de Fukui Kenichi ? C'est un philosophe et théoricien qui a écrit un livre sur l'unicité de ce monde. “ Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme.” Bon pour faire court, il finit par dire que l'arbre, le chakra Katon, la fourmi, le fromage, tout n'est qu'une chose sous différentes formes. J'aime bien cette pensée, elle est à la fois rassurante et bénéfique pour l'homme. Elle nous place au sein d'un plus grand ensemble, mais elle légitime notre place. Tout ça pour vous dire que quand je pense à ce Fusuke, et ces créations. Je me dis que peut-être lui aussi avait saisi cela. Si on prend ce point de vue, être un être moitié animal, moitié homme est une évolution et non une régression. Il n'y a pas de hiérarchie entre les choses, et un insecte est vraisemblablement aussi complexe qu'un homme, l'alliance des deux est donc un bienfait, un palier de plus vers l'unification totale de l'être avec le grand tout. Dit-il en faisant les cent pas devant la Sorcière.
Il hésitait à lui révéler le vrai dessein de sa vie, la mission que les dieux lui avait confié. Pourtant, il comprenait de plus en plus cette religion appelé science et y voyait une pensée pas si éloignée de la doctrine enseignée par sa mère. Après une longue latte, il se lança enfin.
- Je voudrai vous dire quelques choses, une chose que je n’ai jamais dite à personne. Ma mère est une Pythie. Quand elle entre en transe, elle est capable de transmettre le message des dieux. Et c’est la raison de ma venue au village. Je dois devenir plus fort parce que je dois retrouver le prophète, celui qui pourra ouvrir la porte des cieux. Je ne sais pas où, ni quand, il naîtra. Il est peut-être déjà adulte. Je n’ai aucun indice et le poids du ciel sur mes épaules. Allez-vous m’aider à devenir plus fort Mifuyu-sama ? Allez-vous m’aider à me rapprocher de ce plus grand ensemble ? À devenir plus qu’un homme ? Car un simple homme,dit-il en baissant la voix, , de l'aveu même de la Pythie, ne peut pas retrouver le prophète.
Sanada soudain envahi par une vague d’émotions fit face à la mer, pourtant, il lui sembla qu’un poids venait de disparaître au fond de son âme, soulagée de n’être plus le seul à porter ce qui était, pour lui, un véritable secret divin.
Mifuyu eut un long moment pour réfléchir dans son hamac, avant que le libraire n'entama sa réponse. Le temps lui parut long, mais elle n'osa pas en troubler le silence. En effet, elle préférait mille fois une réponse préparée et construite à une réaction trop spontanée – surtout venant d'un adolescent, qui pouvait prétendre savoir de quoi ces créatures étaient capables. Mifuyu regardait autour d'elle. Elle ne faisait plus face au port, mais plutôt à la ville, dont la vue était grandement obstruée par l'imposant jardin dressé sur ce toit. Elle put remarquer plus en détails l'attention particulière qu'il portait à son petit coin de paradis. Elle vit que les plantes étaient pour la plupart humides, quand bien même il n'avait pas plu une goutte ce matin. Il avait donc pris la peine de toutes les arroser lui-même. Cela n'avait finalement rien de trop surprenant, elle avait l'habitude depuis ces derniers mois de voir ce garçon s'appliquer avec le plus grand sérieux et calme dans tout ce qu'il faisait. En un sens, la doyenne était comme lui : son jardin secret était celui de la science, où elle s'appliquait à sublimer le corps humain comme lui sublimait la fleur. Pendant quelques minutes, elle en oublia presque qu'elle lui avait posé une question, perdue dans l'immensité de son esprit et dans la beauté du décor dans lequel elle se trouvait.
Finalement, Sanada brisa le silence. Comme souvent, c'était d'une manière légèrement détournée, érudite et pourtant simple qu'il s'exprimait. C'était comme s'il souhaitait toujours démontrer quelque chose en s'appuyant sur des exemples concrets avant de donner son avis. Pour la vieillarde, c'était une grande qualité. Fukui Kenichi. Elle ne dit rien mais ne put se retenir de tousser en entendant ce nom. Quelles conneries, pensa-t-elle. L'Omura pouvait apprécier certains enseignements philosophiques, mais elle restait catégoriquement opposée à ces prétendus penseurs quand ils essayaient d'analyser la nature ou tout autre phénomène scientifique. Ces gens-là étaient des ignorants masquant leur flagrant manque de contenu par de belles paroles, par des sophistications trompeuses. Même si le garçon au masque l'argumentait bien, elle était déçue qu'il puisse suivre un tel enseignement, mais elle s'abstint de dire quoi que ce soit pour le moment. Si erroné que puisse être son raisonnement, il aboutissait à la même conclusion qu'elle : l'hybridation pouvait être source d'évolution et n'était en rien contraire à la morale humaine. Elle fut soulagée, car il était d'accord avec elle.
"Je suis familière avec les travaux de cet homme, bien que je doive confesser être en opposition avec lui. Toutefois, je suis consciente que sa théorie a récolté un certain succès, aussi je n'essayerai pas de la décrédibiliser." Malgré tout le ressentiment que lui inspirait ce théoricien, elle resta modérée dans ses paroles car elle ne voulait pas prendre le risque de contrarier son cobaye. Elle savait qu'il était avide de connaissances et serait en mesure de comprendre, certes, mais à ses yeux les bienfaits qu'elle tirerait à lui expliquer ce qu'elle savait n'égalaient pas le risque qu'elle prendrait en le contredisant. Et s'il se tournait finalement vers une autre conclusion ? Elle l'avait dans la poche, risquer cela maintenant serait d'une grande stupidité pour un esprit aussi pragmatique que le sien. "Je suis toutefois en accord avec toi pour te dire que les expériences de Fusuke sont un pas de plus vers l'évolution. Comme tu dois sans doute le savoir, ses recherches ont pourtant été classées comme "dangereuses" ou encore "immorales" par mon clan. Je prends de grands risques en cherchant la suite de son journal. Es-tu toujours prêt à me suivre ?"
Il y eut un nouveau silence. Le garçon, fumant son calumet, semblait pensif. La vieillarde se demandait ce qu'il pouvait bien penser, s'il avait la maturité de comprendre tous les enjeux qui résidaient derrière sa quête. D'un autre côté, elle ne comprenait pas les raisons qui la poussaient à s'intéresser à lui, du moins au point de le vouloir auprès d'elle dans le combat qui l'attendait. Il n'était ni un membre de sa famille, ni un shinobi puissant, bien qu'il le deviendra sans aucun doute dans le futur. Peut-être s'attachait-elle à cette vision de l'avenir, ou peut-être simplement sentait-elle qu'il était comme elle, pour une raison qu'elle ignorait, à la recherche d'un but plus grand et dangereux ? Un but secret et terrifiant, qui expliquerait cette étrange connexion qu'elle avait senti entre eux ? Loin d'être de nature sentimentale, ce genin l'avait touché d'une façon qu'elle n'expliquait pas. Ou alors, était-ce là un simple moyen d'occuper les dernières années de sa vie ? Elle ne ressentait pourtant pas d'attachement affectif – elle n'avait plus ressenti ce genre de sentiments depuis les morts successives de son mari et de ses enfants – mais plutôt une forme de curiosité, voire même d'intérêt à le voir évoluer à ses côtés. Elle avait l'impression de le comprendre, tout comme elle avait l'impression qu'il la comprenait. Pourtant comment le pourrait-il ? Ils étaient si différents.
La chirurgienne l'écouta ensuite se confier à elle sans réserve. Elle sourit. Avant même d'entendre l'immense secret qu'il s'apprêtait à lui répéter, elle se sentait galvanisée par cet élan de confiance dont il lui faisait preuve : il était tout à elle. Dédié à sa cause, il lui faisait confiance comme à personne d'autre au village. Cela sonnait comme une union à ses oreilles, comme un pacte inviolable. Peut-être même qu'elle aussi pourrait lui révéler ses secrets. Elle écouta sans montrer la moindre réaction sur son visage. Elle le savait plongé dans la religion. Elle avait d'ailleurs eu plusieurs preuves de sa foi et de sa connaissance en la mythologie osmiétiste au cours de leurs précédents voyages. Elle comprenait désormais pourquoi. Cette religion qui lui échappait totalement, lui, avait baigné dedans depuis sa plus tendre enfance. Il n'avait connu que cela : c'était le but de sa vie comme la science avait été celui de la sienne. A la fois totalement étrangère à ses croyances fantastiques, elle le comprenait tout de même plus qu'elle ne l'aurait imaginé : elle aussi avait une croyance immuable, un principe directeur qui régulait toutes ses relations avec le monde extérieur, ses objectifs, ses craintes et ses peines. La science, en ce sens, était-elle si différente de sa religion ? La religion était également l'explication au dévouement infaillible du garçon envers la Sorcière. Il avait besoin d'elle comme elle avait besoin de lui, tout cela pour accomplir son destin. Il était à la recherche d'un prophète. Elle ne le jugeait pas malgré l'apparente absurdité de cette affirmation. Qu'est-ce qui est le plus fou, se demanda-t-elle, entre la recherche d'un prophète et celle de la vie éternelle ? Ne sont-ce pas là deux rêves similaires ?
"Je comprends mieux, maintenant, ce qui s'est passé dans le temple. Je peux t'aider dans ta quête. En fait, je pense que nos deux objectifs sont connectés : je m'aide en t'aidant, tout comme tu t'aides en m'aidant. C'est beau, dans un certain sens." Elle marqua elle aussi une pause. Soudain, une interrogation lui vint à l'esprit. "La quête des cieux et du prophète. Hum. Elle réfléchit quelques secondes. Est-ce dans ce but que tu poursuis l'orage ? N'as-tu jamais pensé que, toi-même, par ta maîtrise de cet élément presque céleste, étais peut-être quelqu'un de spécial ?"
Oh oui, elle, le croyait spécial. Sans doute pas dans le même sens que lui, en revanche. Elle n'admettait pas l'existence des dieux ni même d'une destinée omnipotente, mais elle savait reconnaître le talent quand elle le voyait. Ce gamin avait besoin d'être poussé, même si c'était vers des croyances auxquelles elle n'accordait aucun crédit – sans pour autant les dénigrer.
Le texte en italique, souvenir de la mère-Pythie est un extrait d'"Ainsi parlait Zarathoustra"
Uzulove
Le genin rigola nerveusement à la dernière remarque de sa guide.
Jamais il n'avait imaginé son pouvoir comme une possession. Au contraire, la nature même de son affinité, profondément liée à la Nature lui donnait l'impression de n'être qu'une partie d'un grand ensemble, c'est d'ailleurs pourquoi la théorie unificatrice de ce Kenichi lui avait tant plu. Loin d'être un don à même de flatter son ego, le genin avait toujours vu son pouvoir comme un adoubement de la part des Cinq. Une relation avec les nuages, qui incarnait dans le monde des mortels sa mission et la responsabilité qui en découlait. L'arrogance de Sanada se nourrissait de ce sentiment d'être un élu au milieu des hommes, mais, jamais il ne s'était vu comme autre chose que le serviteur dévoué des dieux.
- Je ne suis pas le prophète si c'est ce que vous voulez dire. dit-il nerveusement. Je ne suis qu'un homme.
À cette dernière phrase les yeux du genin s'écarquillèrent, un souvenir lui revint en tête avec la force d'un coup de poing.
Il revoyait sa mère sur le pas de la porte lui faisant signe. De son sentiment de panique mêlée à la soif d'aventures, de cette fierté qu'il l'avait envahi, mais surtout des derniers mots de la Pythie, des mots qui prenaient aujourd'hui une ampleur gigantesque dans l'esprit bouillonnant du jeune homme. Voulant en avoir le cœur net, il sortit le lourd recueil que sa mère lui avait confié et où il notait tout ce qui lui semblait important théologiquement.
Il le feuilleta avec énergie jusqu'à retrouver la page qu'il cherchait. L'encre, un peu détrempée par les larmes du départ, était maintenant sèche. À peine avait-il été assis sur le navire qui l'emmenait au village caché du Tourbillon qu'il avait noté cette phrase de peur de ne pas s'en souvenir. Bénissant sa piété, il se releva avant de lire à voix haute le message des dieux.
- “ L’homme est une corde tendue entre la bête et le Surhumain, — une corde sur l’abîme.
Il est dangereux de passer au-delà, dangereux de rester en route, dangereux de regarder en arrière, frisson et arrêt dangereux.
Ce qu’il y a de grand dans l’homme, c’est qu’il est un pont et non un but : ce que l’on peut aimer en l’homme, c’est qu’il est un passage et un déclin.
J’aime ceux qui ne savent vivre autrement que pour disparaître, car ils passent au-delà.”
Après une léger silence, Sanada reprit la parole. Vous comprenez ce que cela veut dire, pour me rapprocher du prophète, je dois d’abord échapper à l’abîme. “Dangereux de rester en route”. Dit-il plus bas comme pour lui-même.
Il ralluma sa pipe et après avoir fumé un moment face au port, il se retourna vers l’enfant tissée de chair et la regarda droit dans les yeux.
- Je suis beaucoup plus à l’aise avec mon affinité, je suis presque certain de pouvoir invoquer le nuage de grêle à même d’ouvrir la dernière salle du temple. Si c’est cette voie que les dieux ont choisi pour que je franchisse l'abîme, je l'accepte. Et si vous faite de moi un surhumain, et non une bête comme les créatures hybrides que j’ai vu, je jure sur les Cinq et leur £egoks de vous être fidèle jusque dans l’au-delà. Venez, nous irons au large, c’est plus facile pour moi d’invoquer des nuages là-bas, sans doute à cause de la quantité d’eau, je ne sais pas vraiment au fond.
Sanada rangea le livre de sa mère et referma précautionneusement sa besace en vue du trajet.
Les rues du village abondaient en vie comme toujours ce qui facilita leur chemin, se fondant dans la foule. Même s’ils ne faisaient rien de mal, Sanada sentait malgré tout le poids des actions qu’ils allaient mener. Mifuyu avait bien précisé que les autorités de son clan ne savaient rien de cette quête à la recherche des travaux de Fusuke. S'il avait toujours honni les caricatures de hiérarchie que les hommes volaient dresser entre eux, il connaissait le pouvoir celle-ci, et, à deux, ils ne pouvaient malheureusement rien contre la doctrine d’un village ou bien même d’un clan.
Pour le moment, il ne s’agissait que d’un banal trajet en bateau entre un élève et son sensei afin de s'entraîner. Si le duo pouvait paraître étrange, L’Omura n’étant pas une spécialiste du ninjutsu affinitaire, c’est elle qui avait découvert sa véritable affinité. C’est elle aussi qui l’entraînait depuis, avec des résultats que l’académie jugeait plus que satisfaisant. Suivant la petite fille se déplaçant d’un pas léger, il prit place sur une petite barque et se mit à ramer en longeant le phare du port pour en sortir.
Quand ils furent loin de tout, Sanada lâcha les longs bouts de bois taillés et alluma son calumet.
- Bon avant mon entraînement, je veux bien comprendre pourquoi des membres de votre clan refusent les recherches de Fusuke. Je vois bien l’aspect inesthétique, voir amoral pour certains. Mais je pensais que votre religion consistait justement dans une recherche de la vérité et du progrès sans ce genre de limite métaphysique. Ce que permet la Nature, c’est ce que permettent les dieux. Deux entités qui n’en forment qu’une sont nécessairement plus que ce qu’ils n’étaient avant. Enfin, pourquoi les êtres que j’ai vu sont devenus des bêtes et non des surhumains ? Croyez-vous que je vais chuter du mauvais côté de l'abîme Mifuyu-sensei ?
Il n'est qu'un homme, oui. Tout comme Mifuyu, elle, n'est qu'une femme. Une femme qui a pourtant vaincu la mort, l'ultime obstacle, une femme qui ne cesse de repousser les limites qui définissent sa condition et celles de toutes les autres. Voilà les prouesses qui pourraient lui attribuer un caractère divin auprès de bien des hommes. Ces exploits ne font-ils donc pas d'elle plus qu'une simple femme ? Non. Non, car elle est une scientifique. Comme tout le monde ici-bas, elle n'a jamais rien fait qui ne soit pas naturel, à comprendre ici quelque chose qui ne soit pas physiquement possible au sein du monde matériel. Quand on enlève tout caractère moral à ce qui constitue le "naturel", il ne reste que ce qui est possible ou non, les différentes formes que la nature est capable de prendre, les différentes catastrophes qu'elle peut causer. Dans cette infinité de possibilités offerte aux être humains, dans ce naturel, Mifuyu n'est qu'une navigatrice plus talentueuse que les autres. Elle n'a jamais produit aucun miracle et ne le fera pas. Elle était trop rationnelle pour cela.
La Sorcière écouta le libraire parler. Elle comprenait progressivement tout ce que sa précédente révélation impliquait. Sa vie avait bel et bien été conditionnée depuis l'origine par sa religion, par les prétendues attributions mystiques de cette pythie qui l'avait enfanté. Elle l'observa fermer son livre avec soin pour protéger ses pages sacrées des dégénérescences naturelles de ce monde. Puis, cela se passa enfin. Le moment qu'elle avait attendu depuis leur première rencontre et dont elle avait déjà eu les prémices sans jamais l'atteindre formellement. Ses lèvres bougeaient, le son atteignait ses oreilles mais il fallut quelques secondes avant qu'il ne pénètre le cerveau et que toutes les informations contenues dans ce message soit analysées et comprises.
Je jure sur les Cinq et leur £egoks de vous être fidèle jusque dans l'au-delà.
C'était la seule phrase qui comptait. Elle la répéta machinalement dans sa tête, plusieurs fois, pour être sûre d'en avoir bien saisi le sens. Ces paroles raisonnèrent longtemps dans son esprit. C'était là l'aboutissement ultime de ce qu'elle s'était efforcée à construire ces derniers mois en le prenant sous son aile : maintenant, et seulement maintenant, était-elle prête et disposée à lui révéler ses ambitions.
Elle suivit le garçon sans lui offrir de réponse. Il n'y en avait pas besoin, le silence étant un gage implicite d'acquiescement. Ce silence, en réalité, sonnait pratiquement comme une promesse : elle ferait de lui un surhumain, oui, et non une bête. Dans le futur, quand il aura pleinement maîtrisé son affinité et qu'elle aura enfin percé les derniers mystères enveloppant les expériences de Fusuke, il deviendrait l'un des hommes les plus puissants de sa génération, peut-être même de l'histoire shinobi toute entière. Elle se prenait à rêver, imaginant une nouvelle fois toutes les possibilités que lui offraient la nature, toutes les combinaisons et les perspectives d'évolution scientifique qu'elles impliquaient. Elle offrirait tout cela à ce garçon. Une étrange pensée vint la frapper soudainement. Elle pensa à quelqu'un qui n'était plus apparu dans son esprit qu'à de très rares occasions au cours des vingt dernières années. Et si ce qui expliquait son désir de voir Sanada suivre la même voie qu'elle, c'était le fait que son feu petit garçon, lui, s'engagea dans le chemin de l'Ethique ? Elle ne voulut pas creuser cette question, tout du moins pas tout de suite, aussi la balaya-t-elle de ses pensées aussi vite qu'elle était apparue. Elle refusait catégoriquement de se montrer si sentimentale.
Le temps de cette promenade jusqu'au port, elle oublia tous les obstacles qui s'étaient dressés sur sa route. Son opération dont le succès n'avait été qu'en demi-teinte, la révolution des éthiques et le déclin inexorable des capacités des membres de son clan et, plus récemment, sa confrontation verbale avec le Senkage. Ces éléments qui l'avaient affaiblie au point de songer plusieurs fois que son heure était finalement venue, que son âme ancienne devait se résoudre à abandonner ce monde, paraissaient bien maigres désormais à côté de toutes ces perspectives réjouissantes qui semblaient pousser naturellement et simultanément autour d'elle. La progression de sa disciple, du libraire et du garçon aux tatouages – dont elle ignorait encore le nom – lui apparaissaient désormais synonymes au mot futur.
Elle décida de tout lui dévoiler sur leur frêle embarcation.
"J'ignore ce que tu sais au sujet des Omura. Sache qu'il fut un temps où ces expériences étaient loin d'être réprouvées mais, au contraire, étaient la norme. Nos plus brillants chercheurs s'engageaient dans des casse-têtes indescriptibles pour en tirer les plus petites avancées scientifiques et devinrent ainsi les pionniers du monde médical. Moi-même, je fus considérée comme l'héritière de cette génération d'or et dédia ma vie à la poursuite des rêves de ces idéalistes de génie." Une sensation d'extrême nostalgie vint soudain secouer la dame de fer. Elle repensait à ses parents et à ses pairs, à son enfance qui tourna uniquement autour de la médecine, aux rêves communs que partageaient les membres du clan. Tout était si simple, à cette époque, car les codes moraux n'étaient pas les mêmes. Personne ne considérait mauvaise l'idée de modifier un corps si c'était pour le rendre meilleur, personne même ne pouvait associer à cela un caractère abominable. "Seulement, le cours de l'Histoire se répète inlassablement et, avec la guerre, vinrent les grands chamboulements. Nos talents dévoilés au grand jour, nous devinrent à la fois la famille la plus recherchée du Sekai pour nos connaissances médicales, mais également celle la plus menacée. On nous enviait nos talents, on nous surveillait, mais on nous recrutait et nous respectait. Ce furent les plus beaux instants de ma vie. Evidemment, ils présageaient la tempête qui suivrait."
Elle choisit de ne pas mentionner sa famille. S'ils étaient un exemple parfait du déchirement progressif qui eut lieu entre éthiques et progressistes, certains souvenirs restaient douloureux, même pour une femme réputée pour son insensibilité. C'était particulièrement le cas des bribes d'images qui lui revenaient d'Onshi, son cher époux.
"Plus on s'est rapproché de la fin de la guerre, plus nos recherches apparurent au reste du monde comme dangereuses. En effet, la paix amena avec elle son lot de changements : particulièrement les alliances. Or, le développement de nouvelles améliorations humaines dans l'ombre fut incomprise par les clans extérieurs : eux n'y virent qu'une nouvelle préparation à la guerre, une trahison future, entraînant encore une fois le cycle de la méfiance ; alors qu'il fallait simplement y voir un progrès, une avancée scientifique qui pourrait bénéficier à l'humanité toute entière. Toutefois, les dirigeants prirent peur et plus aucune famille n'osa soutenir la nôtre. Voilà, c'est dans ce contexte que le mouvement éthique se développa et pris l'ascendant sur le reste. De mon côté, j'étais, pour une raison extérieure, indisponible. Je n'ai rien pu faire pour défendre mes idéaux." Elle omit volontairement les raisons de son absence. Elle ne pensait pas le garçon prêt à entendre la terrible vérité sur sa condition, sur son apparence de fillettes rapiécées. Il n'y avait de toute façon aucun intérêt à le lui révéler pour le moment. Elle soupira finalement. "Assez parlé du passé." Elle aurait pu continuer pendant des heures, revivant la gloire de ses plus belles années. Au lieu de ça, c'était sa sévérité qui reprenait à nouveau place dans sa voie. "Maintenant, les choses vont changer. Je t'expliquerai et, avec ça, te parlerai des recherches de Fusuke. Mais seulement si tu réussis ta technique. Puisque c'est la condition sine qua non à notre avancée dans le temple, je veux que tu la maîtrises avant ce soir."
Les révélations de la Sorcière étaient saisissantes. Ainsi, le clan de médecin avait vécu une insurrection interne et l'image policée des Omura aujourd'hui n'était donc qu'une nasse de fer de certains membres sur d'autres.
Sanada haïssait les gens tièdes plus encore que ses opposants idéologiques. Il s'était toujours méfié de ceux qui hésitaient à trancher la tête du poisson, mais se délectaient de sa chair cuite, la quête spirituelle nécessaire à l'épanouissement de l'âme dans le monde des mortels ne supportait pas la demi-mesure.
Pour le genin, sous la lumière directrice de Mifuyu, les éthiques semblaient être de cette espèce d'homme qui, ayant trouvé leur chemin de croyance, renonce à en découvrir tous les sentiers, préférant traverser la forêt de la vie sur les routes tracées par les innombrables pas des tièdes qui se suivent à la file indienne. Et plus les tièdes passent, plus le chemin se fait large, confortable. Bientôt, il sera pavé, et alors, plus de quête spirituelle. Juste un chemin, tracé, avec un départ et une arrivée, connue de tous. Que l'un dépasse l'autre sur le large chemin au sol infertile, il sera félicité. Qu'un autre en revanche sorte de la voie, écarte des ronces et glisse entre les arbres pour y découvrir les merveilles du royaume végétal, il sera ramené de force.
“A quoi bon user tes pieds sur une terre irrégulière, regarde ici, c'est confortable. Regarde, ici, c'est plat.”
Les Omura éthiques avaient donc renoncé à leur propre croyance, restant dans un confort dégénéré. Selon les propres mots de la Sorcière, ils devenaient plus faibles, fatalité d'une âme trop tranquille sur un chemin trop fréquenté.
Il est dangereux de passer au-delà, dangereux de rester en route, dangereux de regarder en arrière, frisson et arrêt dangereux.
L'Omura conta donc l'histoire de son clan et de cette corruption soi-disant morale qui infectait le clan. Plusieurs fois, Sanada voulut poser des questions, notamment sur l'origine de son apparence. Le genin avait entendu des dizaines de rumeurs sur le paradoxe entre l'ancienneté présumé de Mifuyu, étant considéré comme une sage au sein de son clan, et son apparence de petite fille. Le genin, lui, penchait pour une potion rajeunissante ou qui empêchait de vieillir qu'elle prenait régulièrement. Il la savait aussi douée avec les potions qu'avec ses scalpels, c'était donc la réponse la plus probable pour le jeune homme, encore trop naïf et crédule pour ne serait-ce qu'imaginer les actes infernaux à l'origine de la Harpie.
Lorsqu'elle exigea la réussite de la technique en quelques heures, l'esprit de Sanada redevint alerte, après l'échec sur l'île, il ne voulait pas la décevoir une nouvelle fois. Il voulait se montrer digne de son intérêt, digne de devenir l'incarnation en chair de la pensée progressiste et de son pouvoir sur le réel.
Sanada invoqua un nuage sombre qui vint poser un voile noir sur l'eau turquoise, cette technique était maintenant si naturelle pour le jeune homme qu'il ne fallait que quelques secondes au nuage pour se former. Laissant ses doigts glisser pour enchaîner les signes incantatoires, il tenta de transformer le nuage en orage de grêle, mais à la place, une fine pluie vint perler sur son visage. Sanada recommença encore et encore. Inlassablement, il répétait les mêmes gestes, invoquant une nuit fugace, puis une petite pluie fine.
- Je ne comprends pas, je suis pourtant capable de faire un nuage de pluie beaucoup plus imposant. Ce matin-même, j'ai arrosé mes plantes avec un nuage de pluie qui m'a trempé en quelques minutes. Cela fait plusieurs heures que nous sommes sous ici, et nous sommes à peine humide. Dit-il avec agacement.
Sanada répéta l'exercice encore, mais, la frustration grandissante avec les échecs, il devenait de plus en plus brouillon. Perdant son sang-froid, il lâcha son chakra ranton sur l'énième nuage qu'il avait invoqué. Un véritable orage survint tout à coup, douchant la barque sous une trombe d'eau. Les éclairs fendaient le ciel, grondant la colère du soldat des cinq. L'échec n'était plus permis, dorénavant, il savait ce qu'il devait faire et il ne laisserait rien ni personne empêcher son évolution vers le surhomme. La tempête cessa aussi vite qu'elle était apparue. Sanada s'assit, toujours contrarié. Il bourra sa pipe et avala avec délectation la fumée qui apaisa son courroux à mesure qu'elle gagnait son corps et son esprit.
- Vous croyez que je fais quelque chose qui ne va pas ? Le nuage sombre peut se transformer en pluie et en orage, pourquoi il ne pourrait pas se transformer en nuage de grêle ? J'ai lu des choses à propos de la grêle et de la neige, mais je n'en ai jamais vu, c'est peut-être pour ça.
Pendant les heures qui suivirent la première partie des révélations de la Sorcière, elle eut tout le loisir de penser à ce qu'elle pouvait, ou ne pouvait pas lui dire. Lui révéler la vérité sur elle était hors de question, tout comme il était hors de question également de lui donner trop de détails sur son plan d'action pour le moment. Tout ce qu'il avait besoin de voir, c'était que l'ancienne lui faisait confiance en lui confessant son objectif final. Le déroulé précis des évènements, il l'apprendra en temps voulu. C'était également un moyen de le garder proche d'elle : tant qu'il ignorait encore certaines clefs, elle prenait moins de risque que ses intentions s'ébruitent et, en même temps, le garçon resterait auprès d'elle, subjugué par l'attirance naturelle des êtres humains vers le mystérieux. Il fallait qu'elle entretienne ce sentiment de dépendance, qu'il imprime qu'il avait besoin d'elle.
Ses pensées furent bercées continuellement par les gouttes et les vagues qui, tantôt mouillaient simplement son visage, tantôt manquaient de faire renverser leur bateau. Le libraire s'entraînait aussi dur qu'à son habitude mais n'obtenait pas les résultats que tous deux espéraient. De temps en temps, la chirurgienne soufflait ostensiblement pour renforcer la pression qu'il avait sur ses épaules, l'air de dire : Tu as plutôt intérêt à réussir, sinon c'est que tu n'es pas digne de l'intérêt que je te porte. Comment tu vas le trouver, ton prophète, si t'arrives même pas à invoquer la grêle. Hein ? Pour elle, pourtant, une solution lui semblait évidente. Son esprit était scientifique : on ne pouvait pas obtenir un changement d'état si facilement. La transformation chimique d'un élément n'était pas instantanée et, pour obtenir la forme désirée, il fallait bien souvent passer par une multitudes d'étapes différentes auparavant. Il en allait de même avec les poisons. Quand finalement l'adolescent sembla perdre patience, elle accepta de lui révéler ce qu'elle savait, bien qu'elle fusse toutefois étonnée qu'il ne s'obstine pas comme il le faisait d'habitude. Il semblait moins sûr de lui, comme frustré. Sans doute était-ce à cause de la pression qu'elle avait mise sur lui, pourtant, s'il se considérait réellement comme un être élu, ça ne devrait pas lui faire peur. Elle le vit même, pris de rage, abattre son chakra de foudre contre l'orage qu'il avait créé. Cela ne lui ressemblait pas.
"Tu n'as jamais vu ni neige, ni grêle : certes. Mais là, tu essaies de passer d'un nuage sombre à de la grêle, c'est bien ça ? Réfléchis mieux. Dans tes livres, y est-il inscrit que la grêle est grêle dès l'instant de sa formation ?"
Pour conjurer la grêle, il fallait d'abord qu'il invoque la pluie. La pluie qui, au sein de son nuage artificiel, pourrait être transformée en grêle. "Tu l'as dit toi-même auparavant : Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme. Pourtant, tu essaies de créer la grêle, au lieu de transformer la pluie." Elle lui laissa quelques secondes pour comprendre et reprendre ses esprits puis lui prit sa pipe des mains. L'heure n'était pas aux distractions, ni aux plaisirs futiles. Elle ne la porta pas à sa bouche, mais la posa derrière son dos. "Recommence" lui dit-elle simplement.
La dernière porte du temple n'allait pas s'ouvrir toute seule ! Comment découvriraient-ils les derniers secrets de Fusuke, s'il n'était pas un peu plus concentré ? Pour une femme de son âge, de sa condition, le temps était compté ; plus encore depuis que les autorités se montraient si suspicieuses à son égard. Il fallait qu'elle renverse l'ordre en place le plus vite possible. Il fallait qu'elle poursuive ses recherches, il fallait qu'elle découvre enfin le secret de la vie éternelle. En bref, il fallait qu'il soit prêt, tout comme il fallait que sa disciple termine son apprentissage de ses techniques les plus dangereuses car, ensemble, ils vaincraient Leiko.
Sanada regarda passivement la Sorcière se saisir de son calumet.
Ce tempérament nerveux et agressif ne lui correspondait pas du tout.
Observant les éclairs, il se voyait, au loin, comme s'il était une autre personne. Une personne qu'il aurait jugée pour son impétuosité aveugle.
- Avez-vous déjà ressenti cette sensation d'évasion lorsqu'on use du pouvoir de la Nature ? Cette impression de partir avec son élément et de fusionner avec lui ? Je vous dis cela, car je me sens différent quand je laisse le pouvoir des cieux m'envahir. J'ai envie de frapper comme l'éclair transperce le nuage, j'ai envie de gronder comme le tonnerre. J'ai l'impression que plus je contrôle l'orage, plus c'est l'orage qui me contrôle.
Le genin regarda au loin, comme pour méditer sur ses propres paroles qu'il extériorisait pour la première fois. Sans attendre une réponse de la part de sa guide, il se remit au travail, fort des conseils de la Harpie qui paraissaient on ne peut plus logique.
Se concentrant au maximum en tentant de faire taire la colère du tonnerre, il exécuta une nouvelle fois les incantations invoquant le nuage sombre, puis le transforma en nuage de pluie.
Son âme, comme chaque fois, sembla se scinder, et tandis qu'une partie rejoignait le royaume des cieux, l'autre, encore bien consciente, transforma son approche de la technique.
Sanada, loin d'exiger du nuage une transformation comme il l'avait fait auparavant, tenta de comprendre ce qui provoquait cette pluie de projectiles glacés. Son âme, fondue dans le nuage, commença à l'élever tandis que le Sanada des bas-fonds chargeait la formation éthéré de suiton. Le flot d'énergie continua à relier le nuage, et il montait, montait encore.
Soudain, le genin laissa exploser le suiton au sein du nuage. Celui-ci se cristallisa avec la température de l'altitude, s'agglomérant pour former une sphère solide.
La sphère débuta sa chute inexorable. Elle traversa le nuage, révélant une étendue turquoise aux alentours. La barque vers laquelle elle se dirigeeait cependant semblait voguer au-dessus d'une mer plus sombre, sans doute à cause de sa mère qui dominait l'endroit du ciel.
Sanada, toujours concentré, laissa les boules de glace exploser autour de lui. Pour une raison qu'il ignorait, celles-ci semblaient éviter le genin et la Sorcière “délibérément”. Sanada laissa le bombardement glacé passer. Puis, afin de s'assurer de sa bonne compréhension de la technique, réitéra une nouvelle fois l'exploit de faire tomber la grêle au en pleine mer du sud.
- Vous avez raison ! S'exclama-t-il en s'adressant à la petite fille cousue. Je comprends maintenant le mécanisme. Le nuage est naturellement chargé de suiton. Mais si j'en rajoute et que j'élève l'invocation, naturellement, des gouttes vont se former et cristalliser. Avec la chute, la goutte prend de l'ampleur et ça donne ça sur le sol ! Dit Sanada en ramassant une boule de glace qui fondait sur le bois déjà détrempé de la barque.
Après une petit silence, il jeta la sphère froide dans les mains de la Sorcière.
- Je pense que nous pouvons retourner au temple. Fusuke à encore des secrets à révéler. Pour vous comme pour moi. Dit-il avec un air satisfait.
"Je n'utilise pas le pouvoir de la nature : seulement celui de l'intelligence humaine" répondit simplement l'ancienne au jeune garçon, dont le pouvoir fantastique – celui de manipuler les cieux eux-mêmes – lui échappait totalement. Toutefois, si elle ne pouvait pas réellement s'identifier à ses paroles, ils démontraient une certaine vérité. Elle aussi, quand elle en appelait à la science, s'y abandonnait complètement au point de fusionner avec elle. Son corps en était l'exemple parfait. "Plus je contrôle la science, plus c'est la science qui me contrôle" dit-elle tout bas en reprenant l'expression employée par Sanada. Regardant dans le vide, comme perdue dans l'immensité de ce que ses paroles représentaient, elle ignorait s'il l'avait entendue. Elle n'alla pas plus loin dans ses réflexions. Pas cette fois.
Mifuyu observa le petit libraire prendre compte de ses conseils et les appliquer à la perfection, comme elle l'avait attendu d'un élève si brillant. Le visage concentré, il semblait méditer sur la nature de l'orage, orage qu'il conjurait par sa seule volonté et qui bientôt déversa une averse de grêle tout autour de leur maigre embarcation, sans jamais les heurter. Il s'exclama, fier de sa prouesse – à juste titre, selon la Sorcière, qui ne cessait de s'émerveiller devant la beauté de son art. Le voyant ainsi, capable de manipuler l'orage, elle comprenait pourquoi il pouvait se sentir détenteur d'une mission spéciale envers les dieux. Son art était en tout point différent de celui de la femme-enfant, moins subtil certes, mais était autant impressionnant. Lui modifiait l'atmosphère toute entière, elle la nature des hommes qui l'habitaient. Elle lui sourit, déterminée.
"Nous allons retourner au temple, oui. Mais pas aujourd'hui, il serait trop dangereux d'y aller sans précaution. Le Senkage se méfie et me surveille. Va savoir pourquoi, il considère mes recherches comme une menace. Il n'attend que d'en avoir la preuve pour me faire enfermer. Alors, ne lui laissons pas ce plaisir, veux-tu ?" La Sorcière souhaitait garder encore un peu pour elle les raisons de la suspicion de l'Ombre des tourbillons. D'abord elle lui parlerait doucement des expériences de Fusuke et de ses objectifs et après seulement elle lui dévoilerait ses ambitions et le rôle qu'il aurait à jouer dans cette partie d'échecs. Elle ferait tomber la Reine et peut-être même le Roi, si celui-ci s'opposait à elle. Le village plongerait alors dans une nouvelle ère : une ère dominée par le génie Omura, par le progrès, la tradition et le pouvoir. Son pouvoir.
"Maintenant je vais répondre à ta question. Tu voulais en savoir plus sur les hybridations animales. D'abord, si les êtres que tu as rencontrés ont, comme tu le dis, chuté du mauvais côté, c'est simplement car nos recherches étaient imparfaites. Fusuke a consacré sa vie à percer les mystères de l'hybridation humaine et animale. Puis, je l'ai tué et enterré, son secret avec." Elle marqua une pause pour qu'il digère sa révélation, sans pour autant lui expliquer les raisons de son acte. Il ne les comprendrait pas. "Or, nous avons plus ou moins repris ses recherches de notre côté, sans bénéficier des progrès qu'il avait pu réaliser. Je n'étais pas directement en charge du projet, ayant à cœur un but plus grand que j'ai poursuivi toute ma vie." Pendant qu'elle parlait, elle toucha de ses doigts enfantins les traces de suture qui recouvraient ses bras pâles. Elle faisait référence à la vie éternelle, rêve ô combien éloigné dont elle avait pourtant failli su percer le secret. Elle reprendrait bientôt ses recherches.
"Avec les expériences de Fusuke, en revanche, nous serons capables de grandes choses. En temps voulu, tu pourras en bénéficier. Nous te rendrons puissant. Je te dis nous, car je ne suis pas la seule intéressée par ces recherches. Je ne serai peut-être pas celle qui t'opérera. Un mouvement se forme, les foules s'agitent et les plus courageux de la masse s'opposent enfin au joug de leurs oppresseurs. Dans un futur pas si lointain, il se pourrait que toutes ces recherches éclatent au grand jour et qu'on fasse appel à moi pour guider le clan Omura réformé. Le clan Omura des origines, avant tout ça. A ce moment-là, je compterai sur toi."
Elle prit les rames dans ses mains et commença à agiter ses bras, usant de la puissance de l'eau pour déplacer la barque dans laquelle ils se trouvaient. "Pour le moment, rentrons. Il faut encore que tu deviennes plus fort." Les deux Uzujins reprirent la direction du port, qu'ils atteignirent alors que le soir tombait sur leurs épaules. La Sorcière se sentait soulagée de s'être libérée de ce poids, qui l'écrasait depuis de nombreux mois déjà. "Je t'appellerai bientôt. Nous allons retourner sur cette île" lui indiqua-t-elle avant qu'ils ne se séparent.
À l'entrée du port, au milieu de la foule qui se précipitait pour prendre un bateau pour le continent ou acheter des provisions pour le soir qui tombait, Sanada regardait la silhouette de petite fille s'éloigner vers le domaine du clan médecin. Il se sentait ivre des révélations de la Sorcière. Enfin, les dieux lui ouvraient une voie. Enfin, il ne voyait plus à l'aveugle sur le torrent de sa mission divine.
Bien trop en émoi pour pouvoir s'endormir, le jeune homme se dirigea vers les terrains d'entraînement pour parfaire la technique qu'il venait de maîtriser. Maintenant qu'il avait un objectif, il se devait de devenir plus fort, traverser la corde au-dessus de l'abîme, puis, basculer vers le surhomme, fusionner avec la Nature.
*Deviens ce que tu es.* Se répéta-t-il dans une psalmodie intérieure.
Après avoir posé sa besace et enfilé son masque, il se plaça au centre de l'arène et composa les mudras invoquant la pluie. Il laissa le nuage gonflé, puis, la partie de son âme au gouvernail du bateau éthéré le fit monter. Lentement, le nuage réduisait en taille à mesure qu'il se condensait. La température devenait glaciale en haut, tant, que même l'âme en frissonnait. Puis, les gouttes, sous la force de la volonté du genin, s'agglutinèrent pour se cristalliser. L'eau devint glace, les gouttes devinrent grêlons. Bien trop pesants pour le royaume des cieux, ils étaient condamnés à chuter vers la terre des hommes, emportant dans leur malédiction les ennemis du soldat des Cinq.
Sanada laissa la tempête de froid s'abattre sur le sol. Pour tester sa connexion avec le nuage, il se déplaça, mimant un combat de taijutsu. À peine avait-il fait un pas cependant, qu'une large boule de glace vint le frapper en plein visage. L'impact fut brûlant, éraflant sa lèvre avec force. Laissant les gouttes de sang perler, Sanada se remit au travail.
À mesure que la technique était lancée, le terrain devenait impraticable, les déplacements demandaient plus de force, la grêle s'accumulait, formant une jungle de glace qu'il était difficile de traverser. Fort des conseils de la Harpie en culotte courte, il médita sur la connexion de la glace avec la nature, et très vite, il comprit que pour ne plus être entravé, il suffisait d'employer la technique "Suimen Hoko No Gyo".
La nuit était largement entamée, lorsqu'il quitta le petit terrain encore recouvert d'une bonne couche de glace qui fondait pourtant vite malgré l'absence de soleil. Il était fier de son entraînement, il pouvait maintenant se déplacer en symbiose avec son nuage sans craindre un tir ami. La partie de son âme qui montait dans les cieux le protégeait de son propre courroux. Les dieux, petit à petit, lui confiait les secrets du territoire céleste.
Ses rêves furent agités cette nuit-là.
Il marchait dans le couloir menant à la salle de la sorcière au sein de la DAPHU. Comme la première fois, il se lavait, consciencieusement, deux fois, avant d'enfiler la tenue légère des patients de l'hôpital.
Dans une salle bizarre qui était un mélange entre le laboratoire de Mifuyu et celui de Fusuke sur l'île, il s'attachait lui-même à un lit, puis, se tournait vers Mifuyu. Lorsqu'elle parlait, sa voix, qui ressemblait à un croassement, lui rappelait instantanément Onna, la femme-crapaud qu'il avait combattue et tuée dans l'apprentissage du “Shunshin”.
- Voilà la potion qui empêche mes cellules de vieillir. À trop forte dose, cela peut même faire rajeunir. Il faut qu'on reprenne tout depuis le début. Que dirais-tu de cinq ans.
- Cinq ans ? Comment ça ? Non, je ne veux pas rajeunir, je dois suivre la voie, nous venons de la trouver.
- Ne t'en fais pas, avec cet élixir de jeunesse, nous avons l'éternité pour trouver ton prophète.
- Non, s'il vous plaît, je deviens plus fort.
Sans un autre mot, la Sorcière se mettait alors à le gaver, encore et encore, alors que son corps devenait petit, puis fripé, avant le noir complet.
C'est un rapace qui passa au-dessus de son hamac qui le sortit de son horrible songe. Tâtant ses bras et son visage comme s'il voulait vérifier qu'il n'avait pas rajeuni, il se leva et descendit dans son logement qui lui servait de temple. Accroupi devant les autels à la gloire de ses victimes, hybrides tombés du mauvais côté de la corde, il exorcisa ses craintes.
La Sorcière lui avait toujours fait peur, et les mystères qui entouraient ses nombreux pouvoirs, qu'elle gardait intact malgré le temps et la relation qu'ils entretenaient, renforçait ce sentiment enfoui au fond de lui.
Pourtant, par-delà la peur, il se sentait prêt. Le sentier qu'ouvrait la Sorcière était sombre, certes, mais c'était le seul qui semblait réellement s'enfoncer dans la forêt de la puissance.