Vaste monde, vaste vide [PV Minato]

Généralement, les gens se prenaient toujours la tête à se poser trop de questions après avoir fait quelques bricoles sans importance, les conséquences et tout ce qui pouvait en découler. Pas besoin d'avoir fait de grandes écoles pour savoir que cela pouvait être une bonne chose comme une mauvaise. Est-ce que statistiquement, moi qui me foutait de tout, me retrouvait plus régulièrement qu'un autre dans la panade? Je réfléchirais à la réponse quand j'en aurais l'envie et le temps.

Là, je préférais de loin me prélasser sur la plage, la tête posée sur l'épaule d'un jeune éphèbe qui me parlait d'étoiles. Et même si la situation pouvait paraître niaise au possible, je me surprenais à trouver l'instant apaisant. Je levais ma tête pour observer la voûte céleste et tentait de décrypter ce qu'il me montrait. Je n'irais pas jusqu'à dire que je ne pipais pas un mot de ce qu'il me déblatérait, je faisais l'effort de poser mes yeux sur le groupement d'astres correspondants mais ça ne me faisait pas la même impression que lorsque je matais le soleil. Les étoiles étaient belles, il n'y avait rien à dire là dessus mais je trouvais qu'elles manquaient de chaleur, trop lointaines. Peut-être aussi parce que ça me ressemblait aussi. Une lumière blanche qui n'émettait rien. Du froid. Du vide. Comme ma mémoire.

Il continuait à parler mais je n'écoutais plus que d'une oreille, mon esprit s'était perdu quelques instants alors que je regardais en haut. Ma main se promenait et dessinait sur sa poitrine des formes qui ne signifiaient rien alors que ma tête reposait toujours près de la sienne. Je sentais ses caresses sur ma jambe, elle me berçait en une façon et ne faisait que m'égarer un peu plus.... un peu plus pour où?

Une image me revint en mémoire...



J'étais une petite fille. Il me semblait que c'était moi. J'étais assise sur une couverture dans le désert et quelqu'un se tenait à côté de moi. C'était visiblement un jeune garçon au son de sa voix. Je tenais contre moi un petit bouquet de fleurs mauves, à l'image de mes yeux, ainsi que ma petite statuette d'Ichibi. Je paraissais contemplative et très attentive à ce qu'on me disait.

" Honoka-chan! Regarde! Là! Cette étoile-là, il te faut bien la repérer. Si un jour tu te perds, il te faudra suivre les étoiles. Elles sont les meilleures guides. "

" Tu as sais des choses *son brouillé* ! Mais comment je sais où ça me mènera? "

Je crus entrapercevoir un sourire et le garçon se passer le doigt sous le nez avec un air enfantin.

" Héhé! Cela te mènera à moi! Je viendrais te chercher en suivant le même chemin. "

Je crus me voir rougir et être habitée par un sentiment rassurant. La petite fille semblait heureuse de savoir que cet autre enfant ne l'abandonnerait pas. Mais qui était-ce? Un frère? Un ami? Il me saisit en tout cas la main pour la serrer.

" De toutes façons, on est les enfants de Shukkaku. On est des élus. "

Je portais à nouveau mon attention sur les étoiles.

" Oui. On est des élus. "



L'image s'évapora lentement à me laissant un goût amer. Des élus, hein? D'après les critères Kaigan, c'était pas mon cas. Et puis, qui c'était ce môme? Puis par réflexe, je cherchais alors du regard la même étoile que dans ce souvenir qui me revenait de nul part. La suivre? Je ne savais pas si j'en avais envie. Je fus prise subitement d'une étrange appréhension, d'une douleur dans la poitrine comme si un courant me tétanisait le palpitant. Cela faisait mal. Fait chier.

Je voulais me débarrasser de cette douleur. De suite. Je n'aimais pas ça. Je n'en voulais pas. Lâche? Totalement. Je ne voulais pas encore affronter le merdier de mon passé. Je ne le sentais clairement pas. C'était comme savoir que juste devant moi, dans l'ombre, il y avait deux grands yeux assassins qui vous observaient. On en ressentait toute la hargne et la rage. On savait que ça pouvait vous sauter à la gorge à tout moment parce qu'on entendait le grognement de cette bête immonde dont on ne cernait aucun contour. J'en sentais toute la pression comme l'étau qui me prenait le cœur à cet instant. Je refusais de foncer dans le noir. Je refusais de me laisser bouffer.

Je crois que je pouvais officiellement dire que je venais de me prendre un vent et je me sentais un peu conne sur le moment quand il m'arrêta dans ma lancée. Je me retrouvais juste au-dessus de son visage à croiser le rouge de ses yeux qui brillaient d'une expression qui me mit mal à l'aise. Une expression qui me ferait presque me sentir honteuse si j'étais douée de quelques scrupules particuliers. J'avais fait une connerie? Mais pour seule réponse, il se redressa et me prit brusquement dans ses bras. Comme ça. D'un coup. J'osais pas imaginer la tête que je devais afficher, des yeux ronds comme des billes. C'était pas tellement le projet de départ. Je voulais.... je voulais quoi?

Mettre mon cerveau sur pause. Je voulais ne plus réfléchir, ne plus penser. Je voulais que toutes ces sensations dégueulasses qui me saisissaient de temps à autre cessèrent enfin. Je voulais pas me rappeler de la merde de mon passé. Je voulais pas assumer la vie d'une autre, la vie d'une pauvre fille que tout le monde dégageait ou aurait espérer voir crever à la place d'une autre. Je ne voulais pas que toutes ces choses m'atteignirent. Je voulais pas me rappeler d'une femme qu'on regardait avec suspicion parce qu'on lui pardonnait pas d'être ce qu'elle était : une Kaigan, une impure, une étrangère, une incapable, une faible.

Je voulais quoi alors, moi qui ne savait que ce que je ne désirais pas?

J'avais mes bras ballants, le long du corps alors que je sentais la main de Minato me caresser les cheveux. J'étais comme... une marionnette dont on venait de couper les fils. Il me disait des mots d'une naïveté attendrissante, un discours qui me prouvait qu'il était un jeune homme bon et sensible, des paroles chaleureuses que n'importe quel être normal devrait apprécier à sa juste valeur. Cependant, je ne savais pas si j'en étais capable. Capable de lui rendre ne serait-ce que la moitié de l'attention qu'il semblait dévouer à me donner.

Je n'étais qu'une ingrate. Une insensible. Un monstre au visage de l'indifférence. J'étais comme le désert dans lequel j'étais née. Devrais-je pourtant m'en contenter? N'aurais-je pas le droit d'entrevoir ou de désirer ce que me montrait Minato? Sourire, rire, pleurer, crier. J'avais envie de tout ça mais comment faire lorsque l'on vous avait volé votre voix pour hurler? Comment faire pour pleurer quand votre cœur paraissait dessécher? Comment s'égayer lorsque aucun éclat ne trouva un échos dans votre mémoire?

A l'écouter, tout semblait si simple et la détermination qui se trouvait dans son regard était si ardente que j'avais l'impression d'en ressentir la chaleur qui s'en dégageait. Je n'étais pas certaine de ce que mes yeux renvoyaient à ce moment là, mais je me sentis sincèrement touchée. Je finis par glisser une de mes mains vers son visage et lui caressa la joue du revers afin de finir par lui repousser une mèche de ses cheveux. J'avançais mon visage pour poser mon front sur le sien, et je fermais les yeux quelques instants.

" Merci. "

C'était la seule chose décente que j'étais encline à lui dire. Lui qui ne me connaissait pas, qui ne savait rien de moi, était prêt à m'offrir une tendresse que je ne méritais pas. Je n'étais humainement pas à sa hauteur, il n'y avait pas photo. Je ne le serais peut-être jamais d'ailleurs. Je finis par enrouler finalement mes bras autour de lui et plonger ma figure dans le creux de son cou. Naturellement et de par mon élan, nous retombions en arrière, allongés sur le sable. Je le sentis serré contre moi et maintenant sa chaleur me donnait l'impression de me brûler la peau. Je crus un instant retrouver le goût du sel dans ma bouche. Une larme roulait le long de ma joue.

Une larme. C'était tout ce que j'avais été capable de donner à cet instant là. C'était mieux que rien je supposais, mieux que ce que j'avais été capable de donner à mon propre réveil. D'ailleurs, ce fut sans doute ce que l'on me reprocha le plus avec le recul. Mon absence. Mon absence de remord ou de peine. Mais ils s'attendaient à quoi cette bande de cons? J'aurais pleurer pourquoi et pour qui puisque je ne me souvenais de rien? J'étais moi-même la victime de ma propre indifférence puisque je ne pleurais même pas pour mon propre sort. Alors le reste du monde...

Pourtant, le souvenir qui était venu ébranler mes pensées me faisait quelque chose. Les paroles de Minato entraient aussi en échos avec celui du petit garçon de ma mémoire, à vouloir me protéger. Mais de quoi? De la folie de l'humanité? S'il en existait un remède, ça se saurait depuis longtemps. De moi-même? Mais nous étions tous notre propre ennemi. Est-ce que je voulais seulement être protéger d'ailleurs? Bien qu'il y avait là quelque chose de rassurant de savoir que quelque part, quelqu'un avait pu avoir une si honorable pensée pour moi, je n'étais plus la petite fille du souvenir. Je supposais que j'avais appris de manière assez amère la leçon qui consistait à nous faire comprendre qu'il ne fallait rien attendre des promesses.

Sur mon visage caché, j'eus un petit rictus jaune à cette réflexion qui finit par s'éteindre pour écouter à nouveau les paroles de mon partenaire qui commença à me faire un court résumé de sa vie. Voilà donc ce qu'il était. Un orphelin qui portait sur ses épaules le poids des responsabilités d'une petite famille. C'était... courageux. Bien plus que je ne le serais jamais puisque mon profil ne correspondait pas aux siens et je me trouvais bien incapable de lui dire comment je devais être à son âge. Toutefois, je pouvais au moins affirmer que je connaissais la lourdeur des attentions de ceux qui nous entouraient et nous jugeaient par ignorance.

Je finis par glisser lentement sur le côté avant de me tourner totalement sur le dos. Je quittais simplement ses bras avant de tendre les miens pour essayer d'attraper mon carnet dans les affaires présentement en boule à côté de notre petit campement. Quand je réussis à mettre la main dessus, je commençais à écrire quelques mots à son attention.

" Je ne me souviens que d'instants ou d'impression que je suis incapable de décrire avec des mots. Chaque visage est un brouillard et chaque nom un son effacé. "

Je lui glissais mon texte sous le nez, avant de changer de page pour continuer à écrire.

" Il n'y a rien qui mérite d'être raconté. "

Je le croyais sincèrement.

" Je ne connais pas ma famille biologique et j'ai troqué mon nom pour celui de mon père adoptif. Il est ma seule famille et par extension son clan, les Shirogane. "

J'aurais pu dire que Suna était ma famille aussi, mais je n'étais pas certaine que c'était ce genre de chose qu'il souhaitait entendre... ou plutôt lire.

" J'ai eu un fiancé, il paraît. Mon père m'a dit qu'il m'a largué pendant mon coma. C'est chic. "

J'en rigolais de cette histoire. Il fallait quand même être un peu chien pour pas venir au chevet de sa meuf, non? Mais à vrai dire, j'étais quasiment certaine que le vieux me racontait pas tout. Quand j'avais tenté de lui en parler, il se mettait en colère en vociférant qu'il n'y aurait rien de bon à se rappeler d'un vaurien. Si j'étais une fille pourrie, je lui dirais bien que je devrais être la seule en être juge mais... le temps lui avait peut-être donné raison puisque ce "fiancé" n'était même pas venu me saluer à ma reprise de conscience. Mais je lui en voulais pas. Je me souvenais pas de lui donc on était quitte.

Minato était un garçon vraiment curieux, il n'y avait pas à dire. Il semblait s'emballer pour pas grand chose, notamment quand je fis mention de la manière dont je m'étais faite jeter. Même moi je n'étais pas furieuse pour la simple raison que je comprenais, en une façon. Si les rôles avaient été échangés, je m'étais posée la question de comment j'aurais réagi. Parce qu'il fallait être honnête : passeriez-vous à côté du reste de votre vie pour une personne que vous n'étiez même pas certain de voir se réveiller? Les romantiques diraient que oui. La réalité était beaucoup plus crue.

Cependant, il n'en était pas moins attachant, au point de me faire sourire. Son optimisme avait son petit quelque chose de rafraîchissant et ce n'était pas du tout le genre de bonhomme qu'on croisait dans le désert. Cela me changeait carrément de mes maigres fréquentations. Pour autant, il me donnait l'impression aussi de voir une femme que je n'étais pas, je ne me reconnaissais pas dans ses louanges bien que j'appréciais ses encouragements. Il me voyait entière alors que j'étais toujours morcelée. A croire que ses yeux rouges pouvaient reconstituer le puzzle d'une image idéalisée de ce que je pourrais être ou même devenir.

Puis il m'annonça que son réel objectif était de trouver un démon à queue. En voilà une sacré ambition. Notre rencontre en devenait d'autant plus ironique quand on savait que j'étais une Kaigan qui avait toujours une pensée pour Shukaku et pour projet de se donner à notre dieu du sable. Il semblait savoir exactement où il voulait aller, quel but à atteindre alors que moi je persistais à traîner dans le brouillard. Je l'enviais un peu sur le moment.

Je sentis sa main retombée sur la mienne et je crus que le geste était innocent. Je ne m'attendais clairement pas à la déclaration qu'il allait me faire.

" J'ai pas envie que ça s’arrête tout ça. Est-ce que tu veux bien de moi? "

Je crois que j'avais bugué. Est-ce que j'étais bien certaine d'avoir entendu ce qu'il venait de dire? Sa question résonna quelques instants dans mon esprit avant que j'eus le réflexe de tourner la tête dans sa direction. L'expression de mon visage était assez explicite et traduisait ma surprise que je pouvais résumer en un seul mot: Hein??? Mes yeux devaient être aussi rond que des billes et je me laissais gagner par un sentiment de gêne auquel je n'étais pas habituée. Je crois même que j'avais rougi.

Je me jetais rapidement sur mon carnet et commença à écrire à une vitesse qui m'épata moi-même. Fallait pas laisser trainer cette histoire, il fallait qu'il revint sur terre le jeunot. Je ne m'attendais pas à lui avoir fait une aussi forte impression - mais que je pouvais considérer comme un fait à mettre sur le compte de ma gloire personnelle.

" Tu ne penses pas que tu brûles un peu trop vite les étapes? "

Mouais. Je n'étais pas certaine d'être la mieux placée pour dire ça.

" Je veux dire, tu viens de me rencontrer. J'ai le double de ton âge, je viens d'un autre pays, et je peux devenir dès demain ton ennemi. Je ne suis pas certaine d'être le meilleur de tes plans d'avenir. "

Je fronçais un peu les sourcils pour réfléchir comment formuler la chose. Je m'attelais encore à m'acharner sur mon carnet.

" En plus, je suis ta première fois, non? Tu ne peux pas être certain que tu n'aimeras pas le miel si tu n'as trempé le petit biscuit que dans de la confiture. "

J'avais le sens de la formule, il n'y avait pas à dire. Je me tapais le front de la paume de ma main parce qu'au final, c'était assez maladroit de ma part. Je lui fis signe de ne rien dire cependant parce que je n'avais pas fini.

" Ce que je veux dire, c'est que tu es encore inexpérimenté, tu as la vie devant toi et encore tellement de chose à découvrir. De plus, tu as des ambitions qui te conduiront sur bien des chemins. "

Je lui souris, lui saisis la main quelques instants et reprit mes écrits.

" Rien ne va s'arrêtera parce qu'un nouveau jour va se lever. Nous reprendrons simplement notre route, et nous nous recroiserons à nouveau, enrichi de nouvelles expériences et beaucoup à se raconter. Tu es déjà là-dedans Minato. Si ma tête ne me joue pas de tour, tu y resteras. "

Je me tapotais la tête de mon index pour lui indiquer qu'il faisait partie de ma mémoire. Je conservais alors mon sourire, bien qu'il devint un peu plus taquin quand je lui présenta ma nouvelle feuille de papier.

" Pour le reste, je pense que je t'ai déjà montré que je voulais bien de toi. "

Je l'aimais bien ce Minato.

Petit malin. Sacré petit malin ce Minato parce qu'il avait bizarrement réponse  sur des tas de points face auxquels j'étais particulièrement mal placée pour contre-argumenter. Baiser avant de se connaître? Check. Différence d'âge non négligeable? Check. Faire mumuse avec un homme d'une nation différence? Check. En fait, tout ce qui aurait dû être une barrière, je les avais fait sauter à la dynamite. Bravo Honoka. Tu es une femme tellement respectable, tellement digne. Cela pourrait émouvoir un lama. Honte sur toi ma pauvre vieille.... ou pas. Cette blague. J'en avais rien à cirer des conventions. J'allais pas stresser maintenant parce que je m'étais faite plaisir, non? J'étais une sunajin. On prenait. Point.

La seule chose qui m'étonna de son discours était quand il révéla que ce n'était pas sa première fois. C'était vrai ce mensonge? Quel vilain coquin. Mais bon, je voyais clairement qu'il faisait la tronche. Mon discours l'avait pas du tout convaincu et que beaucoup de chose devait se bousculer dans sa tête. Je supposais qu'il redescendait tout simplement des étoiles ou bien que je le décevais. Fallait dire que je m'y attendais. Au bout d'un moment, il se serait rendu compte que je n'étais pas... une personne bien. Pas comme si j'en avais la moindre prétention de toute manière.

Pourtant, je savais pas pourquoi mais ça m'emmerdait. De le décevoir, j'entendais. Surtout en voyant sa bouille déconfite. Parce qu'après tout, c'était assez plaisant de voir dans les yeux de quelqu'un qu'il vous aimait bien, qu'il n'y avait pas de jugement ou de mauvaises intentions. C'était un peu moins lourd à porter, même si cela n'avait duré que l'espace de quelques minutes.

" Si tu penses que c'est mieux ainsi. "

Mouais. Il avait clairement les boules. Je voyais qu'il allait me tourner le dos et je supposais qu'il allait me bouder mais je le vis s'arrêter brusquement et se retourner vers moi et....

Gné?

Si je m'y attendais à celle-là. Je croyais qu'il seraient plutôt dans un état d'agacement profond ou en colère en pensant que je l'avais trompé dans mes intentions, pas qu'il voulait m'embrasser une nouvelle fois. Quelque chose venait clairement de m'échapper ou bien je me fourvoyais clairement sur le niveau de la ténacité de Minato. Il en avait dans le pantalon celui-là... ou il était un peu fou pour s'attacher à une femme dans mon genre. Dans tous les cas, je me trouvais une peu... embêtée. Je n'avais pas la moindre idée de comment réagir à part faire une énième connerie comme j'en avais l'habitude. Soit je creusais le malaise, soit je noyais le poisson. Un dilemme de dingue.

Quand sa bouche quitta la mienne, mes yeux mauves observaient les siens. Il avait une petite ridule au milieu des deux qui semblaient vouloir marquer son obstination et ses mains autour de moi me montraient qu'il ne voulait pas me lâcher comme ça. J'étais piégée comme un rat parce que je n'avais pas l'intention de l'envoyer boulet violemment. Je comptais pas le repousser comme une sauvage non plus. Il fallait juste que je trouvais la bonne façon d'agir comme une grande personne. Du coup, je me saisis à nouveau de mon carnet pour gribouiller un nouveau truc.

" Un vrai baiser, gamin. "

Ouais, bah... j'étais visiblement pas encore prêtre pour faire le grand saut en direction de la maturité.

Il y avait des gens qui disaient qu'on finissait toujours par payer ces mauvaises actions, que c'était une question de karma. A force de faire des embrouilles, on finissait par en avoir un sacré paquet aux fesses. Avec tout ce qui m'était arrivée sur le coin de la tronche, je me disais que je devais plus être à ça près. Mais est-ce que je pouvais ranger Minato dans la liste de mes choix qui craignaient? Du point de vue purement shinobi, c'était clairement la merde. Du point de vue humain, c'était clairement amoral. Et de mon point de vue à moi... c'était plutôt intéressant. Et comme j'étais joueuse, j'avais pas pu m'empêcher de le provoquer. Encore. J'aurais bien eu un petit sourire de satisfaction face à ma propre bêtise mais le garnement ne m'en laissa pas le temps.

A peine avais-je pu entrevoir son visage devenir rouge, il se saisit de mon carnet qu'il balança sur la plage. J'aurais bien pu crier un petit "Hey!" de mécontentement si j'avais pu, mais son regard semblait vouloir relever le défi que je lui avais lancé et cela me coupa clairement dans mon élan. Je m'en étonnais même parce que je n'avais plus trop le même garçon devant moi. C'était pas le regard gêné du timide Minato, mais celui d'une fureur qui jusque là devait être bien tapi au fond de lui. Il avait fallu que ce soit moi qui le réveilla. Le karma, je vous disais.

Drôle de nuit. Il n'y avait pas à dire. Alors que je tombais négligemment sur le sol, Minato eut quand même le réflexe de mettre sa main derrière ma tête pour éviter que je me fis mal. Quelle prévenance pour un garçon si jeune, mais j'appréciais le geste délicat. Alors que mon envie de fumer commençait sérieusement à me titiller les poumons, je tournais la tête en arquant un sourcil quand je vis l'uzujin se mettre à rire. C'était quoi le nouveau délire? Mais je finis par comprendre qu'il relâchait la pression. Enfin.. je supputais que ça devait être ça. Je ne savais pas trop ce qui se passait dans sa petite tête et j'étais pas certaine de vraiment vouloir le savoir.

En un geste, il réussit à rattraper du bout des doigts mon carnet de communication, celui-là même qu'il avait balancé sans se soucier que cela m'appartenait. Heureusement que j'étais pas rancunière, et certainement pas pour si peu. Du coup, je m'en saisis et commença à tourner les pages déjà utilisées pour arriver sur une vierge. Ce qui était un peu chiant c'était que le papier s'était froissé. Mon côté maniaque me gagnait, mais tant que je pouvais causer avec...

Je commençais déjà à gribouiller une réponse pour faire face à ses futiles pensées. S'en vouloir pourquoi? Pour s'amuser? Une partie de jambe en l'air? Il y avait plus grave dans la vie.

" Pourquoi faudrait s'en vouloir? On est humain comme tout le monde. De temps en temps, faut savoir libérer la pression. Y a rien de mal à ça. "

Enfin moi personnellement, j'allais pas me rendre malade parce que j'avais dépuceler un type. J'étais pas une sainte et je faisais pas semblant de l'être non plus. Pas le genre de la maison. Par contre en matière de pureté et sainteté, Minato avait sans doute la palme quand il me posa sa question. J'avais littéralement bugué. Mes yeux s'ouvriront rond comme des billes avant que je fus prise d'un fou rire si violent que je me pliais en deux. Par tous les dieux du désert! Cette naïveté adorable! Que c'était drôle!

Je serais incapable de dire combien de temps il me fallut pour reprendre mon souffle, deux bonnes minutes? Trois? Cinq peut-être? J'en essuyais mes yeux de larmes tellement j'avais ri. Cela devait faire une éternité que je ne mettais pas esclaffé de cette manière, j'en avais mal aux côtes. Prise encore de petits soubresauts nerveux et rieurs, j'écrivis maladroitement sur mon carnet.

" T'es sérieux? On met pas de polichinelle dans le tiroir aussi facilement! Quelle blague! "

Je tournais mon visage encore amusé vers lui, et passa une main dans ses cheveux pour les ébouriffer. Assise sur la serviette, je finis cependant par me relever pour me diriger vers mes affaires. Je retirais d'un coup de main les grains de sable et commençaient à me rhabiller. Maintenant que le gros de l'action était passé, on allait se les geler. Mon premier réflexe fut quand même de bien vérifier que mon gris-gris se trouvait à ma ceinture avant d'enfiler tout le reste. Une fois prête, je pris dans les mains ma blague à tabac et me rassis sur la couverture, prenant le soin de me rouler une cigarette.

Je secouais encore un peu la tête avec un petit sourire en coin, imaginant à nouveau la question de Minato. Il était mignon l'uzujin de s'inquiéter de ces choses-là. Ma cigarette prête, elle alla directement dans mon bec. Je l'allumais et pris une bonne bouffée avant de soupirer la fumée. Le bonheur dans une simple taffe. Puis finalement, je me retournais vers lui.

" Tout à l'heure, t'as parlé de démon ou j'ai rêvé? "

Ne me demandez pas d'où vient mon illumination. Sans doute du tabac.

C'était à cet instant là que la différence de maturité entre moi et Minato nous trahissait. Par contre, je serais incapable de dire dans quel sens allait les choses. Je pouvais clairement me conduire comme une gamine inconséquente comme le lendemain je pouvais prendre les pires décisions d'adulte. Assise, les genoux pliés vers moi, je posais mes bras dessus tout en tenant du bout des doigts ma cigarette et dans l'autre main mon carnet. Je tournais la tête dans sa direction ainsi que mes yeux en prenant une expression plus sérieuse puisque c'était ce qu'il désirait. Jouer les crétines, c'était toujours facile. Être raisonnable, c'était une autre histoire.

Je finis par coincer ma clope dans ma bouche tout en griffonnant une page vierge de mon petit cahier de communication. J'allais pas lui faire un cours de biologie mais je pouvais au moins le rassurer sur la chose.

" T'inquiète. Tu seras pas papa pour cette fois. Pas de pension alimentaire à ta charge non plus. Pas le bon moment pour ça. Et puis, si ça arrivait, je saurais quoi faire. "

Bah ouais. Si je jouais les cynique à fond, j'aurais pu lui dire que j'en avais déjà perdu un. Un gosse potentiel, d'un fiancé dont je me souvenais pas. Avec le recul, il fallait se dire que c'était le mieux qui ait pu arrivé. Imaginer ma tronche si on me ramenait un marmot de deux piges en me disant "hey! c'est ton gosse!". Et moi avec ma gueule "hey! d'où qu'il sort lui? Je le connais pas". Non merci. Des complications, j'en avais déjà à la pelle. Je ferais appel à de jolies plantes qui feraient tristement leur office. Mais heureusement pour moi, ça serai inutile parce que.... comment dire.... y avait un cycle à respecter.

Par contre, sa seconde question me parut faussement candide. Qu'est-ce qu'il me faisait là le coquin? Est-ce que j'aimais quelqu'un? Il me jouait du violon mon petit diamant d'innocence? Je ne lui répondis pas immédiatement, prenant le temps de tirer une taffe avant de souffler ma fumée sur le côté pour ne pas l'agresser avec ma nicotine. Dans un élan nonchalant, je repris mes écrits.

" Je pourrais pas répondre à ta question parce que je suis scindée en deux. La femme qui se tient devant toi te dira non. Je me suis réveillée il y a trois ans et je les ai passées en rééducation. "

Je tournais la page et je continuais à écrire.

" Si c'est celle que j'étais avant mon réveil, je sais que j'ai été fiancée. Est-ce que j'aimais cet homme? J'en ai aucune idée. Est-ce que je retrouverais ces sentiments si je me rappelais? J'en ai aucune idée. "

Une nouvelle page qui se tournait.

" Du coup, est-ce que Honoka aime quelqu'un? Honoka te dira qu'elle en sait foutrement rien du tout. "

J'étais un puzzle en construction ou plutôt reconstruction. Difficile de dire la voie que je désirais véritablement prendre. Celle qui était prédestinée à l'ancienne moi? Celle qu'on espérait qu'elle prendrait? Ou celle que je me sentais capable de prendre aujourd'hui? Encore fallait-il être certaine que je savais ce que je voulais. Je haussais les épaules pour lui montrer que sa question me paumait un peu, avant de sourire légèrement pour parler du démon.

" Je trouve ça ironique que tu es parlé de poursuivre des démons. A l'origine, j'étais issue du clan des Kaigan. Personne ne les aime à Suna, notamment parce qu'ils ont un culte autour d'un démon. "

Je pris ma cigarette entre mes doigts et cracha un rond de fumée.