Vaste monde, vaste vide [PV Minato]

Le Delta d'Ofusecho avait de la gueule. Il n'y avait rien à dire sur le sujet. Cela n'avait pas la tronche du désert où j'étais née, c'était des couleurs nouvelles, loin du ocre et de l'or du soleil. Ici, tout me semblait... vert et bleu. Enfin vert. Plutôt orange maintenant que l'automne avait gagné du terrain. Les arbres paraissaient en feu mais j'arrivais bizarrement à me projeter pour imaginer tout ça en fleur. Fallait que je revins au printemps manière de voir si mon imagination était proche de la réalité, ne serait-ce que pour savoir si c'était ça ou bien un souvenir. Pour le moment, je ne faisais pas trop la différence ou plutôt je ne cherchais pas à le faire. Regardez en arrière ne m'aiderait pas à avancer et les gens étaient trop prompt à me le réinventer de leur propre chef en fonction de leur propre impression. Aucun des gugus que j'avais croisé ne cherchait réellement à m'aider à la tâche, pas pour mes beaux yeux en tout cas. Ils voulaient simplement savoir si j'étais une agente dormante des Kaigan. Il me le disait pas clairement car il pensait peut-être que j'avais perdu quelques neurones dans mon accident et que je ne le comprendrais pas. Ou bien que je le prendrais mal. Que des cons. Ils n'avaient toujours pas pigé que j'en avais rien à faire de leurs politiques. Je m'en foutais de tout ça. Je voulais...

...Je ne savais pas ce que je voulais. J'avais oublié. J'avais oublié ce que la Honoka d'hier avait souhaité faire de sa vie. Sans doute qu'il lui avait fallu des années pour le savoir. Mais la Honoka d'aujourd'hui? J'avais tout à reprendre à zéro. C'était aussi chiant que cela en avait l'air.

J'avais donc quitté nos frontières pour me "balader". J'avais prétexté un motif du genre "j'essaie de me souvenir" pour faire passer la pilule, mais en réalité, je supportais moins que ce que je le pensais les regards de mes voisins. Même si j'avais toujours le regard qui fixait droit devant, je n'avais pas des œillères. Il n'y avait que mon père qui faisait comme si de rien était, bien qu'il me paraissait quand même soucieux. Le vieux avait oublié que j'avais la trentaine dit donc. Il restait quand même un père.

Aussi bizarre que cela pouvait paraître, je n'avais pas choisi de prendre les routes traditionnelles mais de longer les côtes. J'avais traversé de cette manière tout Omui pour arriver dans les environs du Delta. Je n'avais pas l'intention d'aller plus loin parce que la frontière d'à côté, c'était Konoha. Les blancs-becs de la forêt. Et aux dernières nouvelles, c'était toujours aussi tendu et je n'avais pas l'intention d'aller les provoquer.

Je finis par me trouver un petit coin pénard, près des rives, un bout de plage qui ne devait pas souvent voir le monde parce que plutôt mal situé. Pas assez mal situé pour moi parce que c'était le symbole de la tranquillité. Cela n'avait pas de prix de pouvoir penser à sa tronche en toute sérénité. J'irais pas dire que j'y allais méditer mais c'était ce qui s'en approchait le plus. Posant mes affaires loin du remous des vagues pour ne pas qu'elles soient trempées, j'avais aussi ôté mes chaussures pour me mouiller un peu les pieds, et je m'étais assise directement sur le sable.

L'aller-et-vient des vagues me chatouillaient les orteils agréablement, et j'en profitais pour allumer une cigarette. Mais en cherchant ma poche à tabac, je tâtais à ma ceinture mon gris-gris, mon porte-bonheur. Là, je me saisis de ma babiole et je me mis à la contempler. C'était un travail assez grossier mais simple et on reconnaissait tout à fait la représentation classique d'Ichibi. Je le tripotais dans mes mains et je n'arrêtais pas de me dire une seule chose : " pourquoi t'es pas venu me bouffer dans le désert? "

La vie était drôlement faite. Je venais de parcourir des kilomètres sans avoir vu personne - ou très peu - et trouver un petit coin de paradis pour me remuer les méninges face à un jouet de gosse. C'était d'ailleurs la seule chose qui me liait encore avec mes origines et les Kaigan, ma fascination pour le grand monstre du sable. Dès l'enfance, on poussait les gamins à prier cette chose sans que l'on puisse réellement prétendre l'avoir déjà vu. Oh, certains diraient que oui pour se rendre intéressant. Mais à Suna, sa croyance était proscrite et je ne savais pas trop où me situer.

Mon père m'avait raconté qu'au début, après m'avoir recueilli et que j'étais sortie de mon mutisme - ironie encore - il avait vu de la lumière dans ma chambre. Je me tenais à genoux devant mon mini-ichibi et je psalmodiais des prières. Cela l'avait mis en colère sur le moment et il l'aurait renversé ma statuette. Apparemment, j'avais accouru vers elle pour l'attraper et la serrer contre moi alors qu'il vociférait que ce n'était une bonne chose et que l'on en avait déjà parlé. Il m'avait dit qu'à ce moment précis, quand il avait vu mon regard effrayé, qu'il venait de faire une connerie royale. Apparemment, je tremblais de peur et j'avais l'air perdu. Ce jour là, il m'aurait dit que je pouvais garder mon jouet à la seule condition que j'arrêtais les prières. Il ne m'indiqua pas de ne pas croire, seulement de ne pas le montrer pour ma sécurité mais aussi parce que c'était quelque chose de trop personnel. Visiblement, j'avais tenu ma promesse puisque je l'avais encore avec moi. Mais ce souvenir là.... il ne m'était pas revenu. Pas encore en tout cas.

Puis ce fut la fin de la musique des vagues. Une voix m'interpella derrière moi. J'étais tellement absorbée que je ne l'avais même pas entendu s'approcher. Quelle foutue shinobi je faisais. Il se tenait devant moi un jeune homme qui devait pas être sorti de la puberté depuis longtemps. De la chair fraîche avec une bonne tête et un sourire tout poli. Il sentait l’innocence à des kilomètres, tout à fait le genre de parfum qui donnait envie de salir un peu toute cette propreté trop immaculé. Ne me demandez pas pourquoi, mais j'avais un soucis avec les gens qui avaient des airs de sainteté.

Mademoiselle? Excusez-moi? Qu'il était mignon le bonhomme. Ma première réponse fut un grand sourire et une invitation à s'assoir à côté de moi. De toutes manières, la plage m'appartenait pas, il pouvait se poser où il voulait, ça me faisait une belle jambe. Tant qu'il convoitait pas de me voler mes affaires, il pouvait me tenir compagnie autant qu'il le voulait. Je n'avais actuellement aucune obligation. Par contre, avant qu'il s'emballa dans les questions, je m'assis en croisant les jambes et commença à écrire dans le sable.

" Je suis muette. "

Je lui montrais rapidement ma gorge sur laquelle j'avais un bandage puis j'effaçais d'un coup rapide de la main mon premier message.

" Mais on peux causer quand même. "

Écrire sur le sable, ça risquait d'être chiant et long. Mais ça m'embêtait aussi de gâcher des feuilles de papiers sur mon carnet. J'avais que ça pour me faire comprendre puisque personne parlait le langage des signes. Je ferais donc un mixe entre du mime et de l'écriture sur le sable.

" Honoka. "

Je lui fis comprendre que c'était moi, avant de pointer mon index dans sa direction pour lui demander son prénom. On allait pas jouer les coincer avec des "mademoiselle" et autres appellations. Je rangeais mon Ichibi à ma ceinture puis enfin me saisit de mon tabac pour rouler une cigarette. Je me tournais vers lui et avec ma tête, j'essayais de lui demander si ça le dérangeait. J'attendais pas sa réponse - parce qu'en vrai, c'était uniquement pour être polie - et je l'allumais.

" Tout seul, don juan? "

Je ne pouvais écrire que des phrases courtes. Alors, pas de broderie, juste l'essentiel. Je lui fis cependant un petit sourire. Je trouvais ça bizarre qu'un jeune comme lui traîna tout seul. A quoi? Dix-sept ans? Dix-neuf? On devait courir après des nanas avec ces potes, non?

Quel drôle de garçon que voilà. Je posais mes yeux mauves sur lui, un peu perplexe. Plutôt que de me répondre normalement, voilà qui se mettait à m'imiter en gribouillant le sable. Je supposais que je devais considérer cela comme mignon, une attention délicate. Mais il n'était pas nécessaire pour lui de se faire autant chier, si vous me permettez l'expression. J'avais juste pas le choix. Lui oui. Et croyez moi que dans le cas contraire, je ne m'emmerderais pas.

Minato, donc. Je saisis ma cigarette entre les doigts tout en le regardant, avant de cracher ma fumée sur le côté pour ne pas l'agresser avec ma nicotine. Apparemment, même s'il me disait vouloir prendre l'air, j'avais bien remarqué que le coquin me reluquait. Oh, je savais que ce n'était pas pour mon physique de rêve et à voir la bouille de sa frimousse avec son air de chien battu, j'avais affaire à un empathique.

Rapportant ma cigarette à ma bouche, j'approchais mes mains de son visage et lui étira délicatement les commissures des lèvres pour imiter un sourire. Il n'y avait pas de quoi fouetter un chat, pas besoin qu'il se rendit malheureux pour moi. Suite à ça, je repris mon jeu d'écriture sur le sable.

" Fais pas la tronche pour ça. "

Je me mis à sourire comme pour signifier que j'allais bien. J'avais galéré pour en arriver au stade où je pouvais remarcher, courir, grimper...  mais je ne me morfondais pas pour autant. Et puis, s'il se mettait à plaindre une inconnue, il en finira pas. Par contre, il percutait pas vite mais ça me fit rire. J'avais pas pu m'en empêcher en voyant la tête qu'il faisait. J'espère pas le vexer par contre.

Quand je repris mon souffle, je tentais le mime. Une silhouette de femme. Un air minaudant puis je le désignais lui. C'était peut-être pas hyper clair. On reprenait le texte.

" Tu fuis les filles? "

Après tout, il avait dit qu'il avait besoin de prendre l'air. Cela devait être les seuls vrais soucis à avoir à dix-sept ans. Bien que.... j'étais peut-être très mal placée pour parler des miens puisque je ne m'en rappelais pas vraiment. Mais apprenant à me connaître moi-même, je devais déjà passer du temps à travailler sur mes marionnettes, à faire hurler mon père, faire le mur aussi. Une insolente. C'était comme ça que je m'imaginais. Mais avant qu'il me répondit, je lui bloquais les mains délicatement - parce que j'étais pas une brute dans mes manières, seulement dans mon langage - et désigna sa bouche. Puis je me remis à écrire sur le sable.

" Perds pas ton temps. Parle. "

En réalité, c'était forcément plus emmerdant pour lui que moi, de devoir taper la conversation. Il n'y avait pas grand monde qui prenait cette peine. De discuter. De pas juger non plus. Cela me changeait un peu.

Quand il mentionna qu'il ne pouvait pas s'empêcher de se sentir peiner, ça me fit sourire encore une fois. Il y avait une forme de naïveté chez ce jeune assez touchante. Mais c'était le genre de truc qu'on tolérait pas dans ma patrie. Mais j'avouais que je préférais les mecs qui faisaient pas la tronche... bien que je n'étais pas forcément la plus joviale du monde. Comme à Suna, on avait un peu le culte de la réussite et qu'on crachait à la figure des faibles ou des ratés - comme moi aujourd'hui - on était pas les gens les plus fendards. C'était notre plus grand défaut d'ailleurs.

Par contre, qu'est-ce qu'il était drôle ce Minato! Je n'avais jamais vu un type devenir aussi rouge face à une question aussi... simple? En tout cas, sa réaction me donna la réponse et me fit pouffer de rire une nouvelle fois. Je faillis même m'étouffer avec la fumée de ma cigarette. Cela faisait tellement longtemps que je n'avais pas ri comme ça. Longtemps... depuis mon réveil, ne mentons-pas. Pas dit que je me tapais pas des barres de rire avant. A moins que je ne n'étais qu'une énième sunajin coincée par le devoir.

Une fois que je réussis à nouveau à retrouver mon calme, j'arquais quand même un sourcil de surprise.

" Tu croies pas? "

Je haussais les épaules pour lui montrer que cette réponse n'avait pas de logique. On savait ou on ne savait pas. Il n'y avait pas d'entre deux. Qui avait-il de si difficile à dire dans le fait que l'on fuit les donzelles qui vous courent après?

" Ça fait du chemin pour cogiter. "

Ouais. C'était pas comme si je ne faisais pas un peu la même chose aussi. Par contre, quand il mentionna qu'il jouait les philosophe pour prendre la grande décision de sa vie et qu'il souligna que ça n'inquièterait personne, je lui donnai une pichenette sur le front. Il n'allait pas me la jouer mélodrame. Pas avec moi, ça prenait pas. Un grand naïf dans son genre avait forcément quelqu'un dans son entourage.

" Quelqu'un s'inquiètera forcément. "

Bon. Je pouvais aussi me tromper mais mon pif me disait le contraire. A cet instant là, j'avais déjà consumé ma première cigarette mais je ne me précipita pas pour en allumer une seconde. Non, je le regardais avec un air étonné quand il m'avoua que s'il fuyait vraiment, il n'aurait pas osé me parler. Petit malin. Il avait de la gueule finalement. Et puisqu'il voulait jouer à ça, un grand sourire taquin s'afficha sur mon visage, le genre qui annonçait une connerie à venir généralement.

" Pas besoin, t'es venu à moi tout seul. "

Je me mis à rire parce qu'à tous les coups, cela allait le gêner. Faut pas jouer avec un poisson plus gros que soit, tu risquerais de te faire gober. Mais finalement, je reprenais un semblant de sérieux pour répondre à sa question bien qu'il n'y avait en soit, pas réellement de réponse. Je tapota alors de mon index ma tête, je tenta de mimer que quelque chose m'avait frappé et je fis comme une sorte de geste d'explosion avec mes mains. C'était pour représenter ma mémoire qui volait en éclat mais encore une fois, j'étais pas certaine de m'être faite comprendre.

" J'ai perdu la mémoire. "

Puis avec des gestes nouveaux, je symbolisais un bonhomme qui marchait pour montrer que je me baladais par-ci et par-là. Mais avant de continuer, je lui tirais un peu la joue pour l'obliger à sourire avant qu'il ne tira une nouvelle fois une tête de déterré.

" Je ne suis pas triste. Ne le soit pas non plus. "

Puis juste après ça, je désignais ces cheveux et levais les deux pouces en l'air pour dire qu'ils étaient très bien comme ça. Comme si ce genre de connerie pouvait empêcher une fille de lui tomber sur le poil. Encore un qui avait une confiance en-dessous du niveau de la mer.

Quel intérêt? J'hallucinais. Entendre cela de la bouche d'un jeune homme dans son genre me sciait les jambes. C'était pas comme si la plupart des gugus du monde avait toujours eu le feu aux fesses et balançait des insanités aux femmes un peu trop bien faites de leur personne. Minato était l'innocence incarnée. Par contre, je tiquai sur le fait qu'il me parlait des bijuus. En toute honnêteté, ça devait même se voir sur ma tête. Il n'y avait pas que les Kaigan qui avaient cette lubie?  Apparemment non.

J'étais sur le point de lui agiter sous le nez mon gris-gris mais je me ravisa. Peut-être plus tard dans la conversation. Par contre, j'ai eu droit au beau discours du shinobi. En voilà un qui avait parfaitement appris sa leçon. J'eus un petit sourire en coin avant de commencer à écrire à nouveau.

" Connerie. Pas une question de clan. Juste de liens. "

Le clan ne faisait pas tout. J'en étais l'exemple même puisque j'avais été abandonné par ma famille biologique pour finir adoptée après de longues années par les Shirogane. Je supposais aussi que j'aurais dû mourir dans ma mission, mais je m'étais accrochée. Pour mon clan? Non. Parce que je devais sans doute avoir des choses qui me tenaient à cœur dans ce monde, même si je ne m'en souvenais pas. Et pourquoi ce n'était pas le clan? Parce que je n'étais proche que de mon père donc... je devais forcément avoir des liens ailleurs. On le dirait pas, mais j'avais encore des cellules grises qui fonctionnaient.

Et puis, dans le reste de la discussion bien entendu, qui disait garçon coincé... disait tout le monologue qui allait avec avec les belles petites joues rouges en prime. Par contre, quand il me parla de mon charisme, j'explosai de rire. Je ne m'y attendais pas du tout à celle-là. Moi? Charismatique? J'avais autant d'expression qu'un poisson mort. Et je ne disais pas ça parce que j'avais un problème avec mon image. J'étais juste assez consciente pour savoir que généralement, on pensait que je tirais la tronche à longueur de journée. Mes sourires étaient généralement rares parce que je n'étais jamais amenée à me payer une tranche de rigolade. J'étais de Suna faut dire.

Je pouffais tellement que j'en avais mal au ventre. Il fallait vraiment que je m'arrête, sinon j'allais finir par le vexer. Je devais même m'essuyer les larmes au coin de mes yeux.

" T'es pas flippant. T'es mignon. "

Mon écriture était un peu tremblante parce que j'en riais encore un peu et j'essayais de me retenir du mieux que je pouvais. Même quand il grimaça, ça ne le rendait pas effrayant. C'était peut-être un comble pour un shinobi. Je lui ébouriffai les cheveux amicalement avant de porter mes yeux sur les vagues. Le soleil était pas encore couché, ça tarderait pas et ça aurait de la gueule. Même si je ne le regardais pas, j'écoutais ses paroles et là....

Je tournais la tête vers lui avec une mimique surprise et encore une fois, je respirais sans doute la sournoiserie. Je ne savais pas si je n'étais pas un peu sadique finalement, parce que je trouvais drôle de le titiller. Stimulis? Toucher? Sensation? Il se foutait de moi ou bien.... C'était assez provocateur, bien que je me doutais clairement qu'il n'y avait aucune arrière-pensée.

" Tu veux m'aider à me souvenir avec des stimulis? "

Un grand sourire s'étira sur mon visage. Gamin... faut pas jouer avec plus grand que soi. A ces paroles, je joignais les actes et comment dire... je mis la main au panier. Directement. Et j'arquai un sourcil pour lui demander si c'était de "ce" genre de chose dont il parlait? Oh? Belle surprise pour un minot. Puis je me mis à rire à nouveau en retirant ma main.

" Méfie-toi du sens des mots. "

Ce fut les derniers mots que j'écrivis dans le sable avant de me relever. Je comptais pas rester éternellement assise. A la place, je commençais à me déshabiller mais ne vous emballez pas, c'était pour me baigner. Puisqu'on était à la mer, ça serait bien con de pas en profiter. Du coup, en deux trois mouvements, je finis nue comme un ver - je n'étais pas pudique. Mon corps était couvert de marques diverses, de blessures, la plus importante était à l'une de mes jambes et celle de ma gorge qui conserva son bandage.

Je me retournais vers Minato et lui fit un signe de la main pour savoir s'il voulait venir. Comme à mon habitude, je n'attendis pas de réponse et plongea directement dans l'eau glacée.

Ce jeune Minato me semblait assez sensible pour un shinobi, et je serais bien incapable de dire si c'était une bonne ou mauvaise chose. S'il avait été un sunajin, il se serait fait littéralement démonter. On lui aurait ôter toute sa candeur et sa fraîcheur à coup sûr. La politique militaire de mon pays ne pardonnait pas au cœur tendre. D'un autre côté, je trouvais que c'était assez rassurant de ce dire que tous les ninjas n'étaient pas des machines. Et de le voir rougir pour si peu... Je me contentais de lui faire un signe de tête comme pour lui signifier "pas de problème".

Mais l'instant le plus grisant de notre conversation fut la manière dont il se raidit au moment même où j'avais osé lui toucher le service trois pièces. Et je parlais bien de son corps entier. Pas de ce que je tenais entre mes mains. C'était comme s'il avait reçu une décharge électrique et si cela n'avait été que moi, j'aurais encore été en train d'éclater de rire.... mais je réussis à faire bonne figure afin de lui donner une petite leçon. Rien de prétentieux cependant. Nous étions deux inconnus et il m'en dévoilait énormément, ce qui, je devais dire, n'était pas d'une grande prudence. Heureusement que je n'avais pas un si mauvais esprit.

Ne désirant pas demeurer sur le sable, je m'appliquais donc à finir en tenue d'Eve en moins de temps qu'il n'en fallut pour le soupirer mais je fus presque battue à ce jeu par Minato lui-même! Il était bien moins gringalet qu'on ne l'imaginait sous ses couches de tissus mais... plus jeune que moi. Son corps le trahissait à ce niveau là. Plus jeune en tant que shinobi bien entendu, en âge, à mon grand dam c'était évident. Toutefois, quand je sentis sa main prendre la mienne, je fus surprise. Voilà qu'il devenait confiant d'un seul coup. S'il suffisait de jouer au docteur pour donner autant d'élan à quelqu'un, il faudrait que je gardais la recette dans un coin de mon esprit. Après tout, cela pourrait peut-être me servir.

Entrant directement dans l'eau froide de la mer, j'en frissonnais toute entière. Encore une fois, depuis quand n'avais-je pas pu prendre un bain de cette façon? L'avais-je seulement déjà fait auparavant? C'était étrange pour moi de me dire que peut-être, il s'agissait là d'une première fois. Ou pas. Ma mémoire me parlait souvent de désert de sable, sans eau, brûlant, étouffant et aussi hypotonique que l'on pourrait l'imaginer. Mais des visions de vagues et d'océans? A cet instant, rien ne me revenait. Et puis cette sensation sous l'eau. Étrangement agréable. Je n'entendais presque aucun son, je voyais l'éclat du soleil sur le reflet des flots d'un blanc presque aveuglant. Je me laissais remonter lentement à la surface comme si des mains invisibles m'y ramenaient. Les ondulations de la houle contre ma peau me massaient agréablement. Il n'y avait pas à dire, c'était plaisant.

Une fois la tête dehors, je cherchais Minato du regard. D'après ce qu'il m'avait dit, il avait des souvenirs agréables dans ce coin. Par contre, je n'étais pas tellement disposée à tellement l'aider dans sa grande recherche sur lui-même, pas là, de suite. Pas maintenant. Rabattant les cheveux mouillés en arrière, je lui souris à nouveau avant de nager vers lui. A sa hauteur, je me rendis compte qu'il serait bien plus compliqué de se comprendre. Un détail puisqu'il me vint une idée.

Je me saisis alors de sa main et ouvrit sa paume. Je lui inscrivais de façon invisible mes mots dans le creux de celle-ci.

" L'eau est bonne? "

Si je devais être honnête, je dirais fraîche. Moi qui venait d'un pays chaud, c'était un peu le jour et la nuit. Et en parlant de nuit, le soleil ne tarderait pas non plus. Cela ne nous empêcherait pas de profiter de l'éclairage de la lune et de ses étoiles. Sans gêne, comme à mon habitude, je glissais sur l'eau et me positionna derrière l'uzujin. Là, je me plaquais contre lui, l'entourant de mes bras comme si je voulais qu'il me porta. Dans l'eau, il ne pouvait pas sentir mon poids donc je n'étais pas un fardeau.

Dans ma grande paresse, je posais mon menton sur son épaule et me saisit de sa main pour pointer son doigt vers le soleil. C'était ma manière de l'inviter à regarder le grand astre se coucher. Il allait embraser le ciel quelques instants d'une manière si magique et particulière. Quand je l'observais sur les remparts de Suna, ça me faisait toujours son petit effet. J'espérais qu'ici sur la mer, ce serait pareil.

" Joli. "

J'avais réussi à prononcer ce mot en forçant un peu sur ma voix. Le son était un peu enraillé et vibrant pour dénoter l'effort que cela me demandait. On sentait parfaitement que ce n'était pas très naturel mais parfois, des petits mots sortaient. Si j'avais été une femme sérieuse, je n'appliquerais à m'entrainer mais je n'avais pas envie. Je me contentais... de peu. Cependant, je n'avais pas choisi le mot au hasard. Quand on était en face de belle chose, il était toujours plus plaisant de les partager pour pouvoir les apprécier. Alors je restais appuyée sur Minato, un petit sourire aux lèvres, espérant qu'il apprécia autant que moi.

Dans mon "autre" vie, je devais déjà observer le soleil. Je le savais. C'était comme une impression chaleureuse sans pour autant avoir les souvenirs en image. C'était plus... la mémoire du cœur que ma tête. Je me demandais simplement combien de fois j'avais pu me brûler les rétines à observer le phénomène. Je ne saurais pas expliquer pourquoi, mais cela animait en moi une forme de mélancolie. A la fois triste, à la fois rassurante. Si je devais me définir, je me qualifierais proche de mes marionnettes dans le fond comme la forme. J'étais une sorte de grande coquille vide, une structure avec plein de petits gadgets. Je présentais bien de l'extérieur et dans mes bons jours, je pouvais même dire que j'avais une bonne tête. Mais dedans... tout était vide. Un incroyable vide. Pour mes poupées, tout était noir. Pour moi, tout était blanc. Une page blanche qui aspirait à ce que l'on écrive quelque chose dessus, à défaut de pouvoir faire réapparaître les mots précédemment notés. Peut-être même dessiner quelque chose. Des images.

Tout ça pour dire que j'avais l'impression que je devais me reforger tous mes souvenirs, refaire l'expérience de tout, sans savoir où elle s'était arrêtée par le passé. Sans savoir ce qui aurait pu me manquer. Repartir en zéro. C'était sacrément chiant. Sauf que regarder le soleil paraissait alléger ce que je voyais comme un fardeau.

Mes yeux mauves se perdaient donc sur l'horizon alors que je m'accrochais au petit Minato comme une bouée de sauvetage. Si l'eau pouvait être glacée, lui c'était tout le contraire. Je finis par me coller à lui comme une sangsue parce qu'il y avait pas à dire, la chaleur humaine, c'était toujours la plus agréable. Mais ce ciel bon sang! Je ne voyais pas ma tronche, mais j'étais certaine que je devais avoir un air de grande gamine avec des étoiles plein les yeux. Toutes ces couleurs, ce feu qui brûlait devant moi et s'éteignit lentement sur la ligne de fond de l'océan avant une ultime explosion d'orange et de rose pour ne laisser qu'un sombre bleu nuit. C'était beau. J'aurais pu crevé là, j'aurais le sourire aux lèvres.

Mais ce ne serait pas ça, la fin du spectacle. Ce n'était pas moi qui choisissait. Tout juste avant la fin du dernier rayon, Minato se retira de mes bras pour se retourner et me fixa avec un air qui me surprit. Jusque là, le jeune homme ne s'était rien permis et avait toujours été dans la retenue. J'avais fini par croire qu'il était totalement coincé et c'était ce qui m'amusait à vrai dire. Pourtant, il avait dû se sentir pousser des ailes parce qu'il me surprit en m'embrassant. Là. Comme ça. Le pouvoir du soleil couchant. Visiblement, il ne m'avait pas fait du bien qu'à moi.

Donc là, j'avais deux possibilités. Je pouvais jouer les femmes outrées, m'exciter comme une dingue, crier à l'abus et à la honte comme une vierge effarouchée en finissant par lui donner la gifle de sa vie. L'autre idée était que je pouvais me la faire en version romantique, être touchée et sensibles, rougir comme une jouvencelle et lui donner l'autorisation de recommencer avec un air coincé. Vous savez quoi? J'étais aucune de ces options à la con. Je n'étais pas une princesse, j'étais pas une femme du monde, je n'étais pas une nunuche timorée. J'étais une femme du présent. J'étais une femme qui prenait ce qu'elle avait envie et quand elle avait envie. Comme elle avait envie. Hors cadre du boulot bien sûr... bien que...

Je laissais donc Minato faire. Je lui accordais ce baiser de pied tendre, qui, soit dit en pensant, n'en demeurait pas moins agréable. Qui n'apprécierait pas d'être embrassé par une belle gueule? J'avais trente-deux ans, le visage abîmée par la vie, un corps de poupée tout frêle. J'aurais bien dit que je ne pouvais pas faire ma difficile. Et pardon mais... si j'étais capable d'émouvoir un jeune homme dans son genre, c'était sacrément flatteur pour mon égo et je balancerais bien ça à la gueule des petites jeunes qui roulaient du postérieur pour se rendre intéressantes en disant : "regardez comment on fait quand on est une grande personne, les gamines".

La nuit était alors tombée au moment où son visage quitta le mien et moi j'eus un sourire. Un sourire malicieux cependant. Je saisis sa main et commença à écrire quelque chose dans sa paume.

" Coquin. "

Sans rien rajouter d'autre, je saisis ses mains et je le tirais à bout de bras alors que je reculais en direction du rivage. Je m'arrêtai cependant avant de l'atteindre, je cherchais juste l'endroit qui me permettrait de me poser sur les genoux tout en restant dans et hors l'eau. La flemme de pagayer des jambes pour me maintenir à la surface. Avec le mouvement du courant, j'attirais naturellement ce dernier vers moi, je pris une dernière fois sa main.

" Un vrai baiser, gamin. "

Je posais mes mains sur ses joues et attirais son visage vers moi. Je ne lui laissais pas tellement le temps de décider ou de diriger quoique se soit. Il voulait un baiser de grande personne? C'était ce que lui offrit. Un vrai échange. Un vrai baiser, pas un truc d'adolescent. Un de ses trucs où on pouvait sentir un peu de passion, le feu de Suna. Là, il aurait une vrai raison de rougir. Il ne pourra plus dire qu'il était innocent. Moi, je ne l'étais clairement pas.