À demi-assi dans le lit d’hospice, Nikkou demeurait stoïque, fixant le mur vierge qui faisait face, sans autre mouvement que le flux et reflux de sa respiration. Contemplatif, il observait son environnement sans le voir, son attention perdue dans un passé encore trop présent, prise par les explosions de lumière et de tonnerre couvrant les dernières paroles de ses coéquipières, derniers souvenirs des évènements qui l’avaient mené entre les quatre murs de cet hôpital.
Quelques jours plus tôt, son corps brûlé et contusionné avait été ramené à Konoha après qu’un envoi de Konoha près des lieux ait mené enquête. Le corps brûlé et en loque du Shinobi avait été sauvé de peine et de misère par les Eisei-Nin du Village caché dans les Feuilles. Les ordres du Clan Uchiha avaient été catégoriques, ordonnant au personnel médical de sauver le jeune Genin ayant tout juste éveillé le Kekkei Genkai du Clan.
Oeuvrant alors de tout leur savoir mystique pour rafistoler le jeune Shinobi, les Eisei-Nin avaient opéré sur plusieurs jours, se relayant pour maintenir la quantité de Chakra nécessaire pour opérer le Irou no Jutsu. Après deux jours de travail acharné, l’état du Ténébreux avait enfin été stabilisé grâce à l’équipe médicale, le laissant dans un état sédatif pendant plusieurs jours. Seul le temps pouvait désormais le guérir.
Réveillé depuis deux jours, Nikkou était désormais en état de convalescence, encore épuisé mentalement et physiquement des derniers évènements. Vivant et mort à la fois, il se contentait de manger et de dormir, sans exprimer le moindre intérêt pour ses visiteurs ou le personnel médical.
Pour une énième fois aujourd’hui, des membres du Clan Uchiha étaient venu le presser pour qu’il joigne leur rang afin de parfaire son entraînement. Insistant pour qu’il sorte de sa létargie et reprenne une fois pour toute le travail non seulement de Shinobi, mais de membre du Clan Uchiha. Et Nikkou de demeurer de marbre, ne leur offrant aucune réaction et refusant même de leur exprimer la moindre parole et se contentant de fixer le mur qui lui faisait face.
Encore sous le choc des derniers évènements, Nikkou ne parvenait pas à porter son attention sur les propos de ses visiteurs. Dans une lointaine distance, il entendait la verbe acerbe de l’un des Conseillers du Clan Uchiha le sommant de sortir de sa léthargie. Et pour une première fois, son esprit encore dans les vapes s’ancra un peu plus dans la réalité pour formuler une pensée construite.
Devant l’impatience du Clan Uchiha, le personnel médical avait dû à plusieurs reprises intervenir et Nikkou avait su distinguer la voix tranchante d’une femme en particulier, qui avait toujours refusé de céder aux menaces du Clan Uchiha. Et à cet instant, alors qu’il entendait le ton monter et la colère gronder, pour la première fois, Nikkou supplia en silence l’arrivée de la gardienne de son salut.
Le monde des shinobis était particulièrement fantasmé par ceux qui ne connaissaient pas leur quotidien, qui imaginaient des guerriers sans peur, prêt à mourir la tête droite, ayant une bonne solde ou une vie décente loin des tracas des vies des petites gens... Que tout se résumait à combattre et ne rien éprouver, qu'ils ne se souciaient pas des conséquences de leurs gestes, qu'ils n'étaient que les chiens de leurs maîtres. De l'image, uniquement de l'image. Le shinobi devait être capable de se salir les mains et faire des tâches ingrates, le shinobi devait être capable de faire face à l'horreur et se relever pour le bien de tous. La vie d'un shinobi n'était qu'un pion sur l'échiquier des puissants, que ce soit des politiciens ou des conquérants de tous horizons. La charge était d'autant plus lourde quand on était un ninja dont on attendait plus encore, car bien plus qu'un guerrier, il incarnait un espoir pour un avenir que les autres avaient dessiné pour soi. C'était le cas du dernier patient en date de Yuriko.
Un membre du clan Uchiha. Des individus froids, autoritaires et martiaux. Avec de telles qualités, on aurait pu croire qu'elle pouvait les apprécier, mais à vrai dire ils étaient incroyablement hautains – ou tout du moins, ceux qu'elle avait rencontrés. Cela faisait plusieurs jours qu'elle traitait un dénommé Nikkou, un jeune konohajin qui avait été retrouvé dans un état particulièrement grave suite à une mission. Il eut fallu que plusieurs médecins se relient jusqu'à l'épuisement afin de le maintenir en vie, et ce fut sans compter tous les soins qu'il fallut apporter à côté : les brûlures, les contusions, etc... Et la jeune femme n'avait pas démérité car elle avait donné beaucoup de son temps et de son chakra, en allant même au-delà de ce que tous ses autres confrères avaient offert.
Cela faisait déjà plusieurs mois que cette dernière avait accédé au grade de jonin, mais à ses yeux, elle avait encore tout à prouver. Si elle était arrivée si haut, ce n'était pas pour faire preuve de relâchement. Ainsi, une fois que le plus pénible fut derrière l'équipe médicale, elle refusa de quitter le chevet de son patient, ou très peu en tout cas, afin de surveiller de près ses constantes tant qu'il n'était pas sorti de son coma. On aurait pu croire que cette attention soutenue provenait de l'exigence du clan Uchiha, mais elle n'en avait cure. Yuriko ne faisait pas de distinction entre les claniques ou tout autres shinobis. Une vie était une vie, et elle se donnait toujours entière à sa tâche. Mais si elle avait confiance en ses compétences et celles de tous les Eisei-Nin présents, son angoisse se portait plutôt sur l'état d'esprit dans lequel il serait à son réveil. En effet, on lui avait expliqué que ce dernier avait été retrouvé dans cet état alors qu'il effectuait une enquête qui aurait dû être banale mais que toute son équipe s'était faite surprendre. Il était le seul qui avait survécu... et on négligeait beaucoup l'impact sur le psychique d'un ninja. On avait beau vous préparer à l'horreur, lorsque l'on y était confronté de manière frontale, cela était à mille lieues de se rapprocher de la dureté de la réalité. Combien de fois avait-elle assisté des patients qui s'agitaient violemment quand ils reprirent conscience, ouvrant à nouveau leurs plaies? Combien de shinobis avait-elle dû sédater parce qu'ils revivaient chaque seconde du drame qui les avait conduit à l'hôpital? La kunoichi avait craint que cela ne frappa le jeune Nikkou, et pour avoir elle-même perdu un camarade en mission des années avant, elle savait qu'il ne s'en remettrait pas si aisément.
Tous les efforts de l'équipe médicale ne furent pas vains, car le jeune Nikkou se réveilla quelques jours après. Mais aussitôt la nouvelle annoncée, le clan Uchiha débarqua pour faire pression auprès du jeune homme dont l'esprit n'était pas revenu de ses tourments. Chaque visite était cinglante, sans compensation envers leur membre qui revenait pourtant de loin. Aucune parole n'atteignait le patient, qui, au contraire, devait sans doute fuir les cris et les ordres. À plusieurs reprises, la jeune femme était intervenue, jusqu'à la goutte de trop.
" Vous êtes dans un hôpital! Quand allez-vous donc cesser d'importuner les malades! Cet homme est MON patient. Il est en convalescence et tant que JE ne l'aurais pas décidé, il ne sortira pas de cette chambre. "
Du haut de ses vingt-deux ans, Yuriko n'avait pas froid aux yeux. Même si elle savait qu'elle tenait tête à des hommes éminents, son regard noir qu'elle plantait comme des poignards dans le leur prouvait qu'elle était capable de leur tenir tête.
" Je vous sommerais de ne plus lui rendre visite car vous freinez sa guérison. Nous vous préviendrons quand il sera en état de vous répondre, mais pas avant. Je vous prie donc de partir sur-le-champ, j'ai des examens à lui faire passer. "
La voix de la jeune femme était tranchante et elle ne daigna pas écouter la moindre réponse de leur part. Elle entra dans la chambre de son patient et leur ferma la porte au nez. Elle resta derrière quelques instants, s'assurant que ces derniers partaient. Bien entendu, elle put les entendre s'offusquer, se demander pour qui elle se prenait, qu'il voulait voir des responsables, etc... mais ils finirent par s'en aller, accompagnés par quelques membres du personnel. Quand la tempête passa, elle soupira et porta son regard sur Nikkou. Ce dernier se tenait assis et amorphe sur son lit. Il y avait un plateau-repas vide sur sa table de nuit. Il mangeait, cela la rassurait.
" Bonjour, Nikkou-san. "
De temps à temps, la jeune femme lui parlait. Peu car il ne répondait jamais, mais elle espérait à chaque fois qu'il sort de sa torpeur.
" Je viens changer vos bandages. Je n'en aurais pas pour très longtemps. "
La kunoichi s'approcha de lui, prit un tabouret pour s'asseoir à ses côtés et lui saisit le bras afin de lui enlever les vieux bandages. Délicatement, elle s'employa à la tâche comme une infirmière.
Uchiha Nikkou
Konoha no Chunin
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Une nouvelle fois, la voix féminine s’était prononcée, ultime sentence intimant aux malvenus de déguerpir au plus tôt. La voix salvatrice réclamait la paix pour son patient, rabrouant d’un ton autoritaire ceux qui osaient s’interposer avec les fruits de son travail. Pendant des jours, la Eisei-nin avait usé de la moindre once de son Chakra et avait veillé au chevet de son patient. Et personne ne gâcherait ainsi ses efforts.
Incapable de s’émouvoir, Nikkou demeurait de marbre, mais saluait en son fort intérieur l’intervention de la Eisei-Nin. Toujours au pris avec ses propres démons, il demeurait silencieux et son regard demeurait fixé sur le vide. Entrain de se ressasser le moment de sa déchéance, l’agonie de ses jours heureux, il ne suivait pas du regard la jeune femme qui entrait dans son intimité pleine de bonne volonté.
Pourtant, peu à peu, les vapeurs névrotiques de ses souvenirs s’étiolaient, lui redonnant quelque conscience. Le voile obscur de son ineptie se soulevant peu à peu, pour laisser paraître la lumière du monde réel. Et la ouate qui étouffait ses perceptions se désagrégeait enfin pour lui redonner quelques sensations. Il sentait la main de la Kunoichi sur son bras. Le professionnalisme de son touché. La délicatesse de son attention.
« Merci »
La voix était faible, presque impercetible, rouée par son inutilisation prolongée. Mais enfin, une parole après des jours de silence suite à son inconscience. Et alors, Nikkou put enfin se ré-ancrer dans la réalité, comme si ce seul mot avait suffit pour le ramener de son état cathodique. Preuve qu’il était toujours de ce monde, que son esprit ne s’était pas complètement évanoui ne laissant qu’une coquille vide et sans humeur.
Peu à peu, Nikkou reprit conscience de ses sensations. La gorge enflammée par ce mot écorché qu’il avait marmonné. La douleur de son corps encore élancé des dernières opérations. La tête lourde de ses nuits de sommeil sans repos. Mais au travers toutes ses sensations, il réalisait le bienfait de ce simple mot libérateur, ouvrant le passage aux flots de ses émotions.
Et enfin, Nikkou put détourner son regard de l’inexistant pour la reporter sur son existence. Le regard marron se tourna tranquillement en direction de la doctoresse. Le regard vide avait laissé place à un regard confus, plein d’une tristesse millénaire et d’une amertume sans fond. Peut-être aurait-il mieux fait de rester dans les limbes.
« Je ne comprends pas ce qu’ils me veulent. Pendant des années, ils m’ont ignoré et laissé tranquille. Et ils viennent aujourd’hui…comme s’ils pouvaient les remplacer maintenant qu’ils… »
Et la voix du jeune Uchiha de se casser, incapable de donner foi à cette nouvelle réalité.
Yuriko avait fini par s'habituer au mutisme de son patient et avait fait le choix de ne pas brusquer les choses. Chacun se remettait de ses blessures selon un rythme bien précis, celui du cœur et de sa volonté. Ici, elle n'avait pas le moindre doute sur le fait que Nikkou allait pouvoir retrouver toutes ces capacités physiques, d'une part parce que les meilleurs soins lui avaient été prodigués, et d'autre part parce qu'il était une homme robuste. C'était sur un tout autre plan qu'il aurait besoin d'être soutenu ou accompagné et la preuve en était que ceux de son propre clan ne lui accorderaient ni le deuil, ni le salut. Ce fut l'une de ses raisons qui la poussa à faire preuve de rudesse envers les éminents Uchiha. Il fallait accepter de donner du temps au temps car son malade devait faire face à la violence de la réalité. Il devait apprendre à l'accepter, apprendre à aller de l'avant, apprendre à ne pas être en colère contre lui-même. Il y avait tout un processus à mettre en place et l'impatience de sa "famille" ne lui serait d'aucun secours, bien au contraire.
Assise à ses côtés, Yuriko s'appliquait à sa tâche jusqu'à ce qu'elle soit surprise d'entendre pour la première fois un mot audible sortir de la bouche de son malade. Elle releva la tête et eut un petit sourire sur le visage.
" Je ne fais que mon travail. "
La voix de la jeune femme n'avait rien de tranchée comme lorsqu'elle avait levé le ton, bien au contraire. Il y avait quelque chose de doux et tout simplement honnête dans sa réponse. Elle était satisfaite de voir qu'enfin, son esprit avait réussi à s'échapper de l'obscurité de ses noires pensées. Cela ne signifiait pas pour autant qu'il était sorti d'affaire mais il s'agissait déjà d'un grand pas. Continuant à vaquer à son pansement, elle fit le choix de ne pas poser d'autres questions et attendait avec patience que cela vienne de lui.
Le miracle se produisit une nouvelle fois, mais ils se regardèrent enfin droit dans les yeux. Les prunelles d'ébène de l'eisen-nin étaient empruntes d'une peine sincère quand elle vit la détresse dans celui de son patient.
" Vous portez sur vos épaules un lourd héritage clanique mais... nous allons ignorer leur impatience tant que vous ne serez pas remis sur pied. "
La konohajin finit par nouer le bandage avant de se saisir d'un verre d'eau sur la table de chevet. Là, elle le porta aux lèvres de Nikkou pour l'aider à s'hydrater un peu.
" Buvez un peu. Vous devez avoir la gorge asséchée. "
Lorsque le jeune homme put se rafraîchir et qu'elle finit par reposer le gobelet, Yuriko se leva pour passer de l'autre côté du lit et s'occuper de son autre membre. De la manière manière, elle s'assit et ôta les vieux bandages, inspectant la cicatrisation de son bras avec un air satisfait, puis s'attela a à nouveau le panser.
" Je me rend compte que je ne me suis pas présentée. Je suis Yuriko Tadake et je vais m'occuper personnellement de vous, Nikkou-san. Et comme vous êtes placée maintenant sous ma responsabilité, je rabrouerais tout ceux qui se mettront au travers de votre guérison. Y compris les Uchiha, peu m'importe leur influence. "
La jeune femme sourit.
" Je suis une femme plutôt bornée. "
Ce fut alors que sa belle esquisse s'atténua mais elle ne le quitta pas des yeux.
" Vous venez de traverser une très lourde épreuve... cela prendra du temps. Mais je suis confiante. Vous avez une grande force en vous, n'en doutez pas. Et si tel est le cas, mon devoir sera de vous le prouver, et j'y mettrais mon honneur de shinobi. "
Pourquoi autant de confiance? Parce que malgré l'accident auquel il venait de survivre, malgré ce qu'il avait pu voir, il était toujours là. Ceux qui se refusaient de lutter, qu'importe l'application d'un médecin, sans la volonté la guérison n'était pas possible. Qu'il en était conscient ou non, il avait eu la volonté de vivre.
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Le patient aux cheveux d’ébène empoigna d’une main faible le verre d’eau, poids infime devenu insoutenable dans sa condition. Utilisant toute ses forces pour le ramener à lui, Nikkou le porta enfin à ses lèvres et laissa l’eau fraiche couler dans son gossier. La coulée timide à la première gorgée, lorsque les premières gouttes rafraichirent sa gorge asséchée et ses lèvres gercées, il pencha la tête vers l’arrière et laissa les flots couler pour le sustenter. Il en avait presqu’oublié le satiété d’avoir sa soif étanchée.
S’étouffant dans une quinte de toux causée par son avidité, il écarta le verre de ses lèvres avec une force renouvelée, si ce n’est toujours amoindri. Il porta même, dans un ultime geste, sa seconde main à ses lèvres pour essuyer l’eau qui avait échappé à sa soif et perlait au coin de sa bouche. Et enfin, il put répondre à son ange gardien.
« Enchanté, Yuriko-san. Je vous remercie pour tout ce que vous avez fait pour moi dans les derniers jours. Et encore aujourd’hui. »
Laissa-t-il échapper d’une voix reconnaissante, mais morne, pratiquement sans vie. On ne pouvait que remercier un médecin des soins prodigués, mais il demeurait qu’à certains égards, on ne pouvait toujours y consentir. Il était enfin sorti de sa torpeur, de cette nuit sans rêve ni cauchemar, mais dans quel monde se réveillait-il? Il s’était évanoui le cœur meurtri et endeuillé, mais au moins avait-il eu pendant quelques jours la paix. Il reprenait cependant vie dans une vie dont il ne voulait pas.
« Mais à quoi bon continuer? »
Murmura-t-il, alors que lui revenait en souvenir le visage des trois femmes de sa vie. Kurohime-senseï. Daiya et Saika. Les trois mortes. À jamais perdues. Et lui qui avait survécu, traître à leur pacte de vivre ou de mourir ensemble, peu importe ce qu’il leur en coûtait. Il était le seul à avoir pu se réveiller. Et il ne pourrait jamais se le pardonner.
« À quoi sert-il d’être fort maintenant? Quand il n’y a plus rien pour quoi il vaut la peine d’être fort. »
Ajouta-t-il avant de reporter son regard sur le vide qui l’appelait, qui l’aspirait.
Le visage de la jeune femme n'avait pas sourcillé, ni même tressaillit d'un moindre sursaut d'étonnement lorsque les mots démunis de toute volonté s'échappèrent de la bouche de son patient. Ce n'était pas la première fois qu'elle avait à faire à ce genre de discours. Lorsque l'on venait de perdre ce que l'on estimait être le plus important dans son existence, le reste du monde devenait invisible. Il n'y avait que le vide devant nos pieds. Cela semblait même vous aspirer irrémédiablement vers le fond. Et combien d'hommes blessés furent tentés? Il était tellement plus simple de se laisser happer, de lâcher toute emprise, de cesser de lutter.
La kunoichi continua ses soins sans prononcer le moindre mot. Elle s'évertuait en mettre en place les nouveaux bandages dans un geste assez mécanique qui prouvait son habitude dans la tâche. Elle ne s'arrêta que lorsqu'elle eut fini, presque quasiment au même instant où Nikkou semblait s'abandonner une nouvelle fois dans son monde si noir.
" Pensez-vous vraiment ce que vous dites? Qu'il n'y a plus rien qui ne vaut la peine de se raccrocher à votre vie? "
Le ton qu'employa Yuriko était plus tranchant, comme si elle en voulait à son patient. Il n'y avait pas là un manque d'empathie, bien au contraire mais... elle avait trop de respect pour la vie, et ceux qui l'avaient perdu trop tôt, pour accepter que l'on vint à tenir avec autant de légèreté et du dédain ce que l'on avait de la chance à encore posséder, même si on était en train de vivre un moment bien sombre.
Là, avec une certaine fermeté, la main de la jeune femme empoigna le menton de l'Uchiha afin de lui tourner la tête et de le forcer à la regarder droit dans les yeux. Ses sombres prunelles fixèrent avec intensité celle du jeune homme, lui imposant son attention.
" Regardez-moi dans les yeux. "
Il était hors de question pour lui de détourner le regard. S'il s'y tentait, elle le forcerait à nouveau.
" Pensez-vous VRAIMENT qu'il n'y a plus RIEN qui vaut la peine de devenir plus fort? "
La kunoichi insista à nouveau pour lui faire comprendre le poids et la mesure des mots qu'il avait laissé échapper.
" N'y-t-il rien en ce monde qui mérite que vous vous battiez pour lui? Avez-vous oublié les raisons de vos combats avant cet incident? Votre détermination serait si faible que cela? N'aviez-vous pas vos propres rêves? "
La konohajin finit par relâcher sa main et secoua la tête avec une pointe de déception. Elle ne put d'ailleurs contenir un léger soupir. Toutefois, elle continua son discours avec une voix un peu plus chaleureuse.
" Il m'est impossible d'imaginer ne serait-ce qu'une seconde la douleur qui est la vôtre maintenant. Personne ne le peut, ni ne le pourra. Cependant, ne vous laissez pas détruire par la culpabilité du survivant. Rendez-vous bien compte que votre vie est précieuse. N'insultez pas ceux qui l'ont perdu en ayant du dédain ou du dégoût pour vous même, et le fait que votre cœur a trouvé la force de battre encore. Si vous ne vous pensez pas capable de vivre pour vous-même, alors faites-le pour ceux que vous avez perdu. Je ne suis pas certaine qu'elles apprécieraient de vous voir dans cet état. Réfléchissez-y. "
La jeune femme se leva de son tabouret et s'apprêta alors à quitter la pièce. Mais avant cela, elle se tourna une nouvelle fois vers le jeune Uchiha.
" Il y a de la force en vous Nikkou-san. Ne me faite pas croire que mes camarades et moi nous vous avons sauvé pour rien. Je peux concevoir que vous ne le voyez pas encore, cela prendra du temps. Mais ne laissez pas tomber. Vous n'avez peut-être pas sauvé ces vies là, mais vous pouvez employer votre force pour en sauver tant d'autres à l'avenir. "
Yurikô salua son patient.
" Reposez-vous maintenant. Je reviendrais demain. "
Elle lui adressa un sourire bienveillant, puis ferma la porte derrière elle. Une longue route, une longue reconstruction les attendrait. Mais la jeune femme ne lâcherait pas son patient, ce n'était pas dans son tempérament.
Uchiha Nikkou
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Les paroles sont des évocations tendancieuses, expressions de ses sentiments à vif, mais également pierre pour les aiguiser. Et Nikkou de sentir tout leur poids, enclumes attachées à sa conscience pour le faire peu à peu sombrer dans les brumes de cette mélancolie.
Alors qu’il reprend peu à peu contact avec la réalité, le néant se remplit de cette culpabilité imposée, mais qui lui apparaît d’autant plus justifiée. Les remords l’ensevelissent alors que la scène lui revient en mémoire maintenant qu’il s’est échappé de cette torpeur post-traumatique.
Les filaments de sa lucidité s’étiolent alors qu’il oublie peu à peu la présence de sa bienfaitrice. Et elle, de le ramener de son autorité raisonnée, alliage improbable de fer et de soie. La nurse guerrière ayant côtoyée mort et désespoir sur tous les fronts, elle le confronte sur ses propres inepties. Et son patient de se taire, figé par cette force tranquille qui fracasse les mûrs qu’il tente en vain d’ériger entre lui et cette vie désormais inconnue. Les yeux écarquillés mais toujours fatigués, le Uchiha la laisse quitter sans mot dire.
Les mots claquent et résonnent, échos sans fin qui le hantent la nuit durant. Empreintes indélébiles imposées à sa prise de conscience. Le goût amer de ces paroles le laisse de marbre. Figé. L’Esprit dans les vapes et l’âme perdue dans les brumes de sa propre mélancolie, ce discours le hante, lui rappelant que cette torpeur apaisante n’est qu’une illusion. Quelques notes auxquelles s’accrochées, pour lui rappeler qu’il existe autre chose que ce vide obscène.
Inconscient de ses propres actions, le jeune Shinobi se calle dans le lit d’hôpital et ferme les yeux, les mots imprimés derrière ses paupières. Trop fatigué pour penser, mais trop secoué pour oublier. Alors, peu à peu, il se laisse aller à la fatigue pour éviter de penser et sombrer dans un sommeil. Les soins encore frais, mais la réparation entâmée. Un rappel de la force nécessaire pour survivre, et, peut-être un jour, enfin pour vivre.
***
Le réveil est pénible, l’Écorché sortant de son sommeil pour retrouver les questionnements de la veille. De peine et de misère, il se relève sur sa couche pour s’assoir. Dans piteux état, son corps pansé de bord en bord, il reste immobile, sans rien d’autre à faire qu’attendre. L’heure de ses soins approchent et pour une première fois, il retrouve l’envie de participer à la vie et d’interragir avec autre chose que ses démons.
Alors, il attend que la porte s’ouvre, le tract s’installant alors qu’il peine à regarder la femme qui entre dans son monde. Il la laisse s’installer, l’accueillant d’un regard timoré avec un timide hochement de tête pour lui signaler qu’il est présent, pas encore entièrement, mais au moins présent.
« Yuriko-san…hier, vous avez parlé de la force pour continuer à survivre et pour se battre. D’où puis-je tirer cette force? »
La voix est rouée, un peu timide, mais elle retrouve à chaque mot plus d’assurance. Et enfin, Nikkou lève les yeux pour regarder la Eisein-Nin, devenue non plus une figurante dans son malheur, mais une interlocutrice à qui les confier.
« Est-ce pour cette raison que vous êtes devenue une Ninja médecin ? Pour employer votre force à en sauver d’autres ? »
Dit-il en l’examinant lui prodiguer les soins avec un professionnalisme emprunt de tendresse, mais également d’une assurance débordant de force.
Il y avait des médecins qui aimaient les méthodes douces, patientes, longues et parfois trop prompt à céder aux caprices de leurs patients. D'autres bien au contraire se rendaient sourd à la détresse de ces derniers et étaient incapables d'empathie. Ils soignaient les plaies et s'arrêtaient là. Yuriko n'était ni de l'un, ni de l'autre. Elle comprenait tout à fait le vague à l'âme d'un blessé et si dans l'empressement elle soignait le corps, elle n'abandonnait pas une fois la tâche accomplie. Elle faisait partie de ceux qui voulaient avoir un suivi de ses patients et s'investissaient avec eux. Pour cela, elle était aussi capable de leur dire des mots durs à entendre et de ne pas faire uniquement preuve d'une complaisance pratique. On pouvait la détester pour sa sévérité et sa froideur, on pouvait contester cette façon maternelle qu'elle avait de s'occuper de ses patients. Mais jusque là, cela avait toujours payé.
Comme elle avait promis au jeune Uchiha, la konohajin revint le lendemain dans cette blouse blanche qui lui donnait un air si différent de sa vie de tous les jours, que se soit la kunoichi ou bien la citoyenne.
" Bonjour Nikkou-san. "
Elle lui offrit un petit sourire et s'attela rapidement aux soins quotidiens qu'elle lui prodiguait depuis le début de sa convalescence. Elle vit rapidement qu'il y avait quelque chose dans son regard, un début d'envie de vivre ou de faire face. Cela n'avait rien à voir avec les yeux éteints qu'ils avaient un jour plus tôt. Peut-être que ces paroles avaient réussi à le toucher.
" Yuriko-san…hier, vous avez parlé de la force pour continuer à survivre et pour se battre. D’où puis-je tirer cette force? "
Un sourire s'afficha sur son visage. Elle était ravie de pouvoir l'entendre parler ainsi, ouvertement et sans y aller par quatre chemins. C'était le signe qu'un nouveau travail pourrait avoir lieu, celui du regain de la confiance en soit.
" Mais en vous, voyons. Vous l'avez toujours eu... mais vous étiez trop aveugle pour la voir. Moi je la vois distinctement, et je l'ai vu bien plus forte que jamais lorsque moi et mes camarades tentions de vous sauver. Vous n'en avez pas conscience, mais tout est déjà là. "
La jeune femme avait retiré les bandages afin d'apposer des onguents pour aider les cicatrisations.
" Si toutefois vous ne la percevez pas encore, je dirais qu'il serait idéal de vous fixer un objectif. Avoir un but bien précis, petit ou grand, est une aide précieuse afin de se développer. Vous vous étonnerez vous-même de voir l'énergie que vous déploierez pour l'atteindre et vous vous rendez compte de la force qui est en vous. "
Toujours dans le questionnement, Nikkou interrogea la jeune femme à nouveau sur les réseaux de son choix de "carrière".
" Est-ce pour cette raison que vous êtes devenue une Ninja médecin ? Pour employer votre force à en sauver d’autres ? "
Yuriko leva la tête et enfonça ses yeux noirs dans les siens.
" Au départ, je ne voulais sauver que mon propre frère. Lui, il voulait aider le monde. Son ambition a déteint sur moi et dans mes quêtes de perfectionnement, je me suis rendue compte que je pouvais faire plus que de n'aider que lui. J'ai commencé à me dire que mes actes pouvaient compter, et que je pouvais toucher plus de gens. Mon frère a été ma force avant de me permettre de développer celle qui m'est propre. Son courage m'a inspiré. "
La jeune femme sourit.
" Je suis certaine que vous aussi vous trouverez la petite chose qui agira comme un catalyseur pour vous permettre de voir plus grand. Et si vous pensez que cela vous semble impossible, je tâcherais de vous prouver chaque jour le contraire. Et sachez que je suis plus tenace que ceux de votre clan. "
Uchiha Nikkou
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L’esprit toujours embrumé, il demeurait avec cette terrible impression de n’être rien, de n’avoir qu’une quelconque présence, sans réelle attache à ce monde. La réalité était lointaine, toujours remplacée par ce vide qui l’avait emporté plusieurs jours auparavant. Aujourd’hui pourtant, le vide se remplissait. Des échos d’une voix douce qui éclaircissait son monde peu à peu.
Poupée sans force, le jeune Uchiha se laissait manipuler par la Kunoichi, fixant sans réel entrain les mouvements délicats et précis de cette dernière alors qu’elle changeait ses bandages. Il ne sentait que la lourdeur de ses membres, sans réellement comprendre que cette chaire et ces os étaient siens. Il commençait tout juste à saisir l’image qui était devant à lui, à reconnaître ces mains salvatrices et à apprécier ce sourire apaisant qui se dessinait sur le visage de la Eisei-Nin.
Au bord du précipice, Nikkou s’abreuvait des paroles de son interlocutrice, seule corde qui le retenait. Qui l’empêchait de sombrer. La force de continuer…de ne pas se laisser tout bonnement emporter par le flot du désespoir. Peut-être n’était-elle pas perdue à jamais. Peut-être pouvait-elle être regagnée. Il lui suffisait de trouver un objectif…
« Peut-être avez-vous raison Yuriko-san…je sens le vide m’envahir. Je ne vois plus de raison de continuer…mais peut-être bien que la force de survivre peut seulement exister au travers d’un but. »
La voix encore faible de Nikkou semblait perdue, venue des allées reculées d’un labyrinthe de pensées incohérentes. Alors qu’il revenait peu à peu à lui, les images de ses coéquipières mortes au combat s’imposaient à lui, lui refusant le moindre répit. La seule raison pour laquelle il était demeuré un Shinobi était pour elles. Afin de seulement d’apprécier leur compagnie et rester avec cette famille qui l’avait choisi. Mais elles n’étaient plus.
Il n’était pas de ces hommes au cœur bon, ces saints désirant aider le monde et sauver leur prochain. Il avait toujours préféré sa personne et n’avait ainsi jamais adhéré aux préceptes de Konoha, à une cause plus grande que son simple et petit bonheur. Pas une mauvaise personne, mais pas une grande âme, comme, le croyait-il, cette Kunoichi à son chevet.
Du moins le croyait-il. Silencieux, captant chaque parole avec un intérêt mi-égaré, mi-passionné, Nikkou écoutait le noble récit de la tournure qu’avait pris la profession qu’elle avait choisie. Alors sa Sauveuse avait-elle été aussi à son époque seulement guidée par ses propres intérêts et ceux de ses proches. N’était-elle donc pas née sainte?
Pour la première fois, ce jeune Uchiha moins-que-rien entrevoyait-il un autre futur que celui qu’il s’était imaginé. Une vie simple, loin des projecteurs, à l’abri des grandes réalisations et de son lot de conséquences. Peut-être bien qu’il pouvait lui aussi élargir ses horizons et vivre de plus grandes ambitions. Peut-être y avait-il autre chose dont il pouvait subsister maintenant que cette vie qu’il s’était imaginée avait été décimée…
« Peut-être avez-vous raison Yuriko-san. Peut-être qu’il existe quelque chose de plus grand auquel je peux moi aussi me rattacher… »
Avait-il prononcé de cette petite voix ténue propre aux malades qui se laissent sombrer à leur épuisement. Naturellement, sans qu’il ne soit nécessaire de l’exprimer, on l’aida à se coucher. Après tout, c’est ce qu’on attendait des blessés.
Les paupières lourdes, il ne fallut que quelques secondes pour que le Genin s’endorme, le vide qui emplissait son esprit remplacé par l’image d’explosions et de corps empilés au-dessus desquels trônaient deux cercles rouge rang où tournoyaient deux virgules d’un noir d’encre…
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Never-Utopia