[MISSION C] Perdue dans le désert

Le désert, c'était grand. Alors quand on dépassait pas les un mètre vingt, j'imaginais facilement que cela devait paraître sans fin, surtout quand le soleil vous frappait le crâne de manière implacable et que vos sens allaient forcément dérailler à un moment ou un autre parce que vous avez pas pensé à prendre assez de flotte dans votre besace. Si un adulte pouvait merder de la sorte, imaginer donc une gosse. C'était sur ce principe là qu'on m'envoya chercher une gamine qui cherchait à atteindre Suna mais dont on avait perdu la trace après qu'elle eut fugué de chez elle. Mon parchemin de mission m'avait donné une brève description de ma cible et il était noté qu'elle n'avait que douze ans. Ce petit génie avait pris la poudre d'escampette au nez et à la barbe de ses vieux et c'était vraisemblablement paumée dans le désert.

Manque de bol, comme je le disais, le désert, c'était grand et c'était comme rechercher une aiguille dans une botte de foin. Parce que si on partait du principe qu'elle était miraculeusement encore en vie, que le sable ne l'avait pas englouti on-ne-sait-où, elle aurait pu tomber sur n'importe qui de mal intentionné. Genre... des Kaigan? Ou bien des caravaniers avides. Ou bien des pilleurs des sables. Ou bien n'importe quelle créature du désert qui pourrait se repaitre de sa future carcasse. Je pouvais m'amuser à vous faire une liste longue comme mon bras, sauf que le temps jouait un peu contre moi et je n'avais pas la moindre idée du point de départ à prendre.

J'avais un sacré terrain de jeu pour moi toute seule et je devais y retrouver une fille perdue.Si je jouais franc jeu, je dirais clairement que c'était mal barré pour moi. Seulement, dans mes grands jours, je me révélais optimiste. Ne me demandait pas pourquoi, mais cela arrivait de temps en temps. Lors de mon départ, j'avais enfilé ma grande tenue de voyage, de quoi enturbanner ma tête pour éviter une insolation, un keffieh pour me couvrir le nez en cas de tempête de sable, ma marionnette bien entendu et pour le luxe, un chameau. Comme je n'avais strictement aucune idée de combien de temps cela allait me prendre, j'avais sorti l'artillerie : la tente, des litrons de flotte, de la bouffe, et tout cela porté par mon camarade quadrupède. Je m'étais prise d'affection pour ces bêtes depuis l'une de mes dernières missions où on avait fait une course de roulotte. Enfin, bref.

D'après mes informations, la petiote venait de la région des plaines désertiques de Nanakita. Bien que j'étais difficilement capable de me mettre dans sa tête et que je ne la supposais pas totalement stupide pour qu'on daigna lui porter un tel intérêt, j'imaginais qu'elle avait cherché à regagner Suna le plus rapidement possible par la route la plus courte, soit directement vers le sud. En partant de ce principe, il me restait plus qu'à remonter la piste en ce sens, en espérant ne pas trop me planter ou bien espérer trouver des indices. Mais je savais mieux que personne que le désert ne faisait aucun cadeau et pour personne. Quelque part dans son antre, il devait y avoir le cadavre de ma mère. J'espérais aujourd'hui que celui de la gamine ne l'eut pas rejoint. Douze ans, c'était trop jeune pour claquer.... bien que dans notre monde, c'était d'une consternante banalité.

En compagnie de mon fidèle destrier que j'avais décidé d'appeler Babel - ce qui n'avait pas grand intérêt sachant que je pourrais pas vociférer son nom - on s'était mis en route pour une longue traversée du désert. En chemin, nous n'avions pas croisé un seul péquenot, même pas de caravanier. Par contre, du sable, on en avait bouffé. A deux reprises, on eut droit à des petites tempêtes qui avaient soulevé le paysage, de quoi étourdir n'importe quel voyageur inexpérimenté. Ce qui était traître, c'était que ces vents transformaient continuellement le paysage, il n'y avait aucun point de repère visuel auquel se fier. La seule manière de savoir si on allait dans la bonne direction, c'était de guetter la nuit et de se diriger avec les étoiles. Le lendemain, on pouvait repartir dans le bon sens.

Du coup, je me demandais si la gamine avait quelques notions d'astronomie, cela aurait pu lui sauver la vie. Pour le reste, il n'y avait pas cinquante oasis vers laquelle elle aurait pu se diriger, c'était aussi rare que précieux dans le désert et certaines étaient aux mains de sacrés enfoirés. Cela valait quand même la peine que j'y tentasse ma chance. Si j'avais une bonne étoile, peut-être que je pourrais y croiser un voyageur avec des informations utiles... ou tout simplement tomber sur elle mais j'y croyais pas trop.

Je vous épargnerais les longues heures de traversée sans intérêt mais avec patience, Babel et moi avions atteint une oasis qui se trouvait au Nord de Suna, un petit point d'eau qui payait pas de mine mais que tout promeneur du désert connaissait. Ce fut là-bas que je rencontrasse enfin mon premier être vivant depuis que j'avais quitté le village : trois hommes, visiblement des marchands qui venaient de l'Enclave et qui descendaient vers le pays venteux pour commercer. Profitant d'une petite pause, je pus laisser mon pote le chameau se désaltérer un peu alors que de mon côté, j'allais tenter d'effectuer un brin de causette avec mes nouveaux camarades. Ma chance avec les commerciaux, c'était que généralement ils parlaient plusieurs langues, dont la mienne.

" Bonjour messieurs. Puis-je vous déranger quelques secondes? "

Ouais, il m'arrivait d'être polie. Ils se regardèrent quelques instants, et ce fut celui qui me parut le plus vieux qui me répondit. Il signa de ses mains, tout en prononçant en voix haute ce qu'il me disait. Par la même occasion, il traduisait à ses congénères mes paroles aussi. Sympas.

" En quoi, on peut vous aider? "
" Je cherche une petite fugueuse. Une gamine pas très haute, clairement pas du coin, d'à peu près une douzaine d'année. Ces parents m'ont missionné pour tenter de la retrouver et autant vous dire qu'ils sont plutôt terrifiés. Vous me direz, ça se comprend. Une gosse dans le désert... vous auriez pas croisé la gamine? "

Ils se regardèrent quelques instants, se grattant la tête pour réfléchir. Ni le vieux, ni un autre de ses camarades semblèrent pouvoir m'aider, mais le troisième, il affichait une drôle de gueule. Lui, il paraissait un peu plus embarrassé.

" Euh... j'sais pas si ça peut vous aider ou pas. Mais la nuit dernière, avant d'arriver ici, on a croisé des nomades. "
" Ha oui, c'est vrai. Mais y avait pas de gamine avec eux. "

J'arquais un sourcil d'incompréhension. L'infos me paraissait pas dingue mais je pouvais toujours voyager dans la direction de ces types et leurs poser des questions en retour.

" Bah, justement, je crois qu'il y en avait une mais je suis pas du tout certains. Pendant que t'étais en train de négocier avec eux, je suis allé piss.... euh... me balader. J'ai cru entendre des cris de fille dans une des tentes qu'ils avaient installés, c'était un peu étouffé mais je suis quasi sûr que c'était une fille. "

Visiblement, le type avait honte de sa déclaration parce que ça signifiait qu'il avait pas eu les "corones" de tenter de l'aider. Je le jugerais pas. S'il avait joué les héros, peut-être que lui et ses potes se seraient fait tuer. C'était qu'un marchand, pas un combattant.

" Ok. Je peux tenter ma chance par là. Vous savez dans quel direction ils se rendaient? "

Le plus lâche me fit les gros yeux.

" Vous allez pas les poursuivre, si? Ces nomades étaient armés, vous savez. Ils n'avaient pas l'air commode. On a même eu de la chance qu'ils ne nous aient pas dépouillé. "

En guise de réponse, j'eus un haussement d'épaule nonchalant. J'en avais rien à cirer pour le coup, je verrais comment réagir sur place. Ma mission, c'était ramener la morveuse, alors j'allais la ramener. J'aurais bien le temps de cogiter sur le procédé le temps du voyage pour les atteindre.

" La direction? "

Je ne pouvais pas faire plus clair.

" Vers l'Est. Enfin, le sud-est si on veut être plus précis. Mais nous ne sommes pas restés assez longtemps pour en savoir plus. "
" Je vous remercie. Et bonne route. "

Aussitôt je leur tournais le dos pour m'en retourner vers mon chameau. Une fois assurée que la bête avait repris des forces, je repris le chemin du désert. Je ne nierais pas que j'aurais pu rester là à paresser et sans doute boire du thé à la menthe avec ces types, mais contrairement aux apparences et à mon allure qui vous signifiait clairement "j'en ai rien à cirer", j'en demeurais pas moins professionnelle. J'avais du respect pour le nom que je portais et en matière de boulot, je ne le salirais pas en faisant n'importe quoi.

Les deux heures qui suivirent furent assez monotones en tout point de vue. Je n'avais que des dunes à perte de vue, un ciel sans nuage, un vent calme. Ma seule mélodie fut les râles de Babel et autant vous dire que ce n'était pas très gracieux. Il fallut attendre une heure de plus pour que je rattrapasse ce qui me paraissait être le fameux groupe de nomades - et encore, je n'avais aucune garantie que c'était les mêmes individus. Il fallait donc que je la jouasse fine, que je ne parusse pas trop suspecte et bien évidemment que je ne mentionnasse pas le fait que j'étais une shinobi et les raisons de ma présence dans le désert.

Quand j'arrivai enfin à la hauteur du groupe du désert, l'accueil ne fut pas des plus chaleureux. Personnellement, je me présentais sans aucune agressivité, les mains levées pour montrer que je n'avais pas d'armes. Eux, au contraire, me montrèrent qu'ils l'étaient. J'avais planqué mon katana sous la couverture de la scelle du chameau, espérant qu'ils ne fouilleraient pas jusque là, quant à ma marionnette, je lui avais bricoler des fils, des vrais, pour faire croire que j'étais une artiste itinérante. Rapidement, un des hommes vint à mon niveau et me farfouilla par précaution et d'un signe du doigt, je lui désignais mon carnet de note qui pendait à ma ceinture. J'y avais par avance noter un mot : " Je suis muette mais je parle le langage des signes. Je suis une voyageuse et je vais de village en village. J'organise des spectacles de marionnettes. " Là, le type le lut et laissa échapper un petit rire.

" Hey les gars! Je crois que ce soir, on aura droit à un dîner spectacle! "

Ouais... du spectacle, t'y auras droit mon vieux.

Je fus escortée comme une vraie princesse à mon arrivée, entourée de gars armés avec en prime des petits regards en biais plutôt méfiants, une bonne façon de vous mettre en confiance alors que moi je tâchais de sourire à chacun de ces messieurs. Bon, je ne cacherais pas qu'en réalité, il y avait une petite pointe de provocation face à leur tête de déterré mais je ne pouvais m'en empêcher, ce qui me valut des regards plus sombres encore. J'en avais, en soit, pas grands choses à faire puisque je jouais la carte de l'artiste et un artiste qui faisait la gueule, c'était pas vendeur.

Tout autour de moi se dessinait un petit camp de voyageurs du désert, pas de ceux qui devaient faire commerce dans le légal si vous voyez ce que je voulais dire. Il y avait une dizaine de tentes, dont la plus grande se trouvait au centre, sans doute celle du "chef". Toutes les autres étaient disposées aux alentours comme pour le protéger. Je pouvais voir que certaines étaient déjà "habitées" à cause des ombres qui se mouvaient sous l'effet des lanternes mais le tintamarre venait du centre du campement, devant la grande tente avec un beau feu de joie qui s'élevait. Il y avait trois types les fesses par terre avec un bol dans les mains. Apparemment, ils avaient pas menti, c'était l'heure du repas. Je descendis lentement de Babel en me montrant faussement maladroite et hésitante pour paraître être une faible petite chose, tout en portant avec moi ma marionnette sur le dos.

" Reste-là. Si tu bouges sans qu'on te le dise, tu regretteras de pas pouvoir gueuler. "

Il était si charmant. Je m'appliquais donc à patienter pendant qu'il allait voir celui qui dirigeait cette bande de pleutres pendant que mes yeux se baladèrent de-ci et de-là pour tenter de repérer la potentielle tente où ils maintenaient la gamine - ou supposée gamine. Rapidement, j'en repérais une devant laquelle un gars faisait le guet. Pourquoi mettre un type devant une tente pleine de provisions, hein? Coupée dans mon interrogation, un type fini par sortir avec l'autre imbécile qui me désignait du doigt, sans doute le grand manitou. Silencieux et les bras croisés, je le vis pointer son regard dans ma direction, d'un joli vert soit dit en passant. Il cachait sa minois, de sa bouche à son nez sous un foulard, je voyais quelques mèches blanches dépasser de son turban. Il portait une cape simplement posée sur les épaules et pour le reste, je dirais qu'il s'agissait simplement d'une tenue typique des hommes du désert et un teint plutôt mat. Son acolyte partit s'asseoir en maugréant puis cracha par terre en me regardant. Je crois que j'avais un ticket avec celui-là. Puis toujours dans le silence, le chef releva le tissu de sa tente comme pour m'inviter à entrer.

Ha. Je penchais légèrement la tête de côté montrant ma surprise et je finis par hausser simplement les épaules. Visiblement, il voulait peut-être un spectacle privé ou bien m'interroger. Les deux peut-être. Nonchalamment, je marchais dans sa direction et lui passa devant, acceptant - par obligation - l'invitation. Je me retrouvais dans une ambiance digne des mille et une nuit : des tapis persan sur le sol, d'énormes coussins disposés un peu partout, un plateau avec des dattes, un autre avec du thé fumant, un parfum de narguilé dans l'air... Si j'étais pas en mission, ça ne m'aurait pas déplu de profiter du coin. Le chef des nomades laissa retomber la toile derrière nous et se dirigea vers l'endroit où il devait être assis quelques minutes auparavant. Il me fit un signe de m'assoir en face de lui, avant de rester de longues minutes à m'observer silencieusement... et même moi, ça commençait à me mettre mal à l'aise.

" Muette et artiste. Ton nom? "

Il finit par retirer le foulard de devant son visage pour me montrer les traits d'un homme à peine plus âgé que moi mais plus proche de la quarantaine tout de même. Il était bel homme avec sa barbe de trois jours, je ne le nierais pas.

" Tomoyo. "

Je lui montrais un bout de papier où je l'avais écrit.

" Inutile. Je connais ton langage. Tu peux parler avec les mains. "

J'aurais bien souri en coin à cette remarque mais je m'abstins. Professionnelle, je vous avais dit. Mais maintenant, je devais trouver la façon d'aller vérifier s'il y avait la gamine dans la tente d'à côté et me carapater direct. Me battre? Étant donné les armes qu'ils affichaient à leur ceinture, je concluais que ce n'était pas des petits joueurs et pas uniquement là pour la décoration. Ils étaient en surnombre comparés à moi et quand bien même je pouvais me dire que je me démerdais pas mal, la jouer bourrin ne m'aiderait pas.

" Maintenant danse. "

Hein?

" Pose ton truc et danse. Sinon je te laisse à mes hommes et ils se montreront bien moins sympathiques que moi. "

Le regard qu'il me lança aurait pu effrayer n'importe qui, le genre d'expression qui vous disait "fait-le sinon je te bute". Bon, j'aurais très bien pu inverser les rôles mais je tenais vraiment à éviter la merde.

" Je ne sais faire que danser ma marionnette. Je suis très mauvaise pour le reste. "
" Danse. "

Bon. J'avais saisi le message. C'était pas le genre à vouloir négocier. Je me résolus à poser ma marionnette et en retirer ma veste, puis mon keffieh. Lorsqu'il vit mon visage, il afficha un petit sourire satisfait. Je me supposais à son goût parce que je ne me leurrais pas. Me faire danser? Sérieux? Une histoire qui allait forcément mal finir et j'avais beau me creuser la tête, je voyais pas comment les choses pourraient en être autrement. J'espérais en tout cas que si la gamine était bien là, elle n'avait pas eu droit au même traitement. Une fois débarrassée de ce qui me gênait, il était temps pour moi de montrer comment j'étais capable de me dandiner. Honnêtement, j'aurais largement préféré avoir un coup dans le nez pour ça mais ça n'allait pas m'empêcher de lui faire la danse des sept voiles puisqu'il y tenait. J'y allais donc de gestes langoureux, de regard appuyé, de mouvement que j'espérais assez sensuel pour lui faire baisser sa garde.

" Tu voies que tu sais danser. "

Il se leva de ses coussins pour marcher dans ma direction et se positionner à quelques centimètres de moi, plongeant ses yeux verts dans l'améthyste de mes iris. Brusquement, il me saisit le menton en le serrant et de son autre main mon poignet.

" Par contre, tu es autant une artiste que moi je suis un homme droit. "

Petit malin. J'eus un sourire en coin bien que j'étais un peu dégoûtée. Il fallait que je fasse vite. Spontanément je créais des fils de chakra pour aller choper sa carafe de thé et d'un geste brusque je le tirais vers nous pour que cela vint assommer en pleine tronche mon camarade. Merci papa de m'avoir appris ce tour. Tout aussi vite, un coup de balayette et hop! Au sol le grand! Mais les autres imbéciles allaient débarquer avec ce bordel. Je les entendais déjà gueuler que je pris la poudre d'escampette en me faufilant derrière. J'eus droit à un bon nom d'oiseau. Bien évidemment, j'avais repris ma marionnette, le reste... on s'en foutait. Je fonçais en direction de la tente surveillée dont le gardien semblait se réveiller suite au bazar. La dernière chose qu'il vit fut mon poing dans la tronche. Une fois que je me réfugiais sous les toiles, je vis une gamine les mains et les pieds attachées. Je me jetais sur elle pour filer un coup de kunai sur les cordes.

" Ran ? "

Je réussis à prononcer son nom. Elle avait les yeux bouffis de larmes, elle semblait fatiguée mais elle acquiesça de la tête pour me confirmer que oui.

" Vous êtes une ninja? "

Je fis un oui de la tête avant de lui faire un signe de se taire. Les nomades nous cherchaient dans tout le camp et ils allaient vite comprendre pourquoi j'étais là avec leur pote au sol devant la porte. Fais chier. Je saisis la gamine par le bras pour lui montrer qu'elle devait me suivre. Est-ce que j'espérais vraiment fuir sans dommage? Vous rigolez? Cela m'empêchait pas de tenter de les éviter au moins le temps de rejoindre mon satané chameau. On avait à peine fait quelques mètres que je tombais déjà sur l'un des nomades. Le temps de lui mettre une pigne dans le nez qu'on courrait comme des dératées avec la petite. Ce qui m'emmerdait le plus, c'était qu'elle était pas très rapide et j'étais obligée de me plier à sa vitesse. Super les gosses. On en croisa deux autres. Je pus assommer le premier, l'autre sonna l'alerte. Je lui balançais un kunai dans le pied. Vous vous demandez pourquoi je les tuais pas? Parce que ces gars étaient des civils, ils faisaient pas partie de la mission et j'avais une gamine à ramener qu'il fallait pas trop dégoûter de la fonction. Pas tout de suite en tout cas. Du coup, j'employais la méthode "douce". On se remit à courir jusqu'à ce que je vis mon vieux Babel, et je vis signe à l'enfant de se grouiller à monter dessus. Une dizaine de gugus débarquèrent en même temps, fallait la grosse artillerie. Je soupirais et je sortis brusquement ma marionnette. Les faux fils se firent arracher alors qu'elle leur arriva en plein dans la gueule. Je l'avais pourvu d'armes de tir et elles fit pleuvoir des senbons un peu partout pour les repousser dans leur retranchement et avant de leur donner la moindre opportunité de répliquer, j'utilisais la technique de "destruction à l'aveugle", explosifs puis pluie de senbons. Le temps qu'ils comprirent, j'avais sauté sur le dos de Babel et lui donna un si violent coup de rêne qu'il se mit à galoper comme un dingo. En moins de deux, on se barra direct.

Je jetais un coup d’œil rapide en arrière et je reconnus le grand manitou aux yeux verts qui se frictionnaient la tête. Il fit un signe de main à ses hommes de ne pas nous poursuivre parce que ça valait sans doute pas le coup pour eux. Il faisait nuit, j'avais rien volé à part la gamine. Elle était pas la priorité, juste un bonus. En tout cas, je ne ralentis pas. Direction Suna.

Mugetsu Ran, douze ans, fille de samouraï. Voilà le curriculum vitae de la marchandise que je trimbalais et que j'étais à deux doigts d'assassiner moi-même. Il n'y avait pas à dire, les gosses, c'était un enfer. Cela faisait même pas une journée que je l'avais extirpé de ses kidnappeurs qu'elle n'arrêtait pas de parler, parler et encore parler. Ou plutôt questionner, encore et encore sans s'arrêter ne serait-ce qu'une minute. J'étais pourtant une femme patiente, calme et tout ce que vous voulez mais là, elle, elle était en train de m'achever. Je ne faisais pas un pas qu'elle me suivait comme un caneton au moindre arrêt parce que oui, la demoiselle réclamait souvent que l'on s'arrêta pour une chose ou une autre.

" Comment on connaît notre affinité primaire? Comment c'est Suna? Il y a beaucoup de jeune comme moi? J'aurais une chambre pour moi toute seule à l'académie? Je pourrais à prendre à lancer des shurikens? J'aimerais pouvoir lancer des rafales de vent, tu crois que je pourrais? J'apprendrais aussi à donner des coups de poings comme toi? ... "

Je m'étais rendue à nouveau dans l'oasis dans laquelle je m'étais arrêtée la première fois, notamment pour récupérer un peu d'eau pour le retour et que Babel puisse se reposer dignement. Je souhaitais allumer du feu et je ramassais tout qui était assez sec pour prendre feu et me permettre de démarrer un foyer. Sauf que j'avais la fillette qui se trouvait derrière moi à chaque fois, je lui refiler ce que je trouvais mais elle continuait de jacasser. Encore et toujours.

" Le moine a dit que les shinobis, cela pouvait de très particulièrement fort, qu'on était respecté. Mon père ne les aime pas beaucoup mais lui il ne s'est agité d'un sabre, c'est pas intéressant. Du coup, le moine a dit aussi qu'on pouvait lancer des boules de feu! Je veux lancer des boules de feu! Tu sais le faire toi? Parce que... "

Le pire était que je n'avais pas répondu à une seule de ces questions. Elle les enchainait. Point barre.  Je voyais clairement que dans son regard, elle était exaltée et toute excitée à l'idée de devenir un super ninja lanceur de boule de feu et je me questionnais sur ce qu'avait pu raconter le prêtre à cette gamine. On pouvait pas dire qu'il avait pas fait son boulot pour l'embrigader, elle était à fond. Mais si je commençais à ouvrir ma gueule, je savais pertinemment que j'allais dire des saloperies qui la dégoûterait. Or, Blondinet-sama avait bien fait comprendre que le but était d'avoir une nouvelle recrue prometteuse. Comme il allait le regretter!

On finit par réellement monter le camp, un feu et de quoi grignoter.... et enfin le silence. Je l'avais en face de moi, assise, les jambes repliées sur elle, jetant un regard perdu dans les flammes du foyer. Oh? La folie de l'excitation était passée? Les adolescents, c'était creuvant...

" Tu crois que je pourrais faire un bon shinobi? "

J'arquais un sourcil de surprise.

" Quand... quand ils m'ont fait prisonnière, j'ai... j'ai eu tellement peur que je me suis tétanisée. Je n'ai même pas chercher à fuir quand ils m'ont attaché. Je ne voulais pas qu'il me tue. "

Je me mis à soupirer. Mon grand cœur finirait par me perdre. Je réussis à péniblement relever ma carcasse et j'allais m'assoir à côté d'elle. Je commençais à gribouiller un message sur mon calepin.

" La peur, c'est normal. Faut être con pour pas avoir peur de mourir. "

Message à moi-même.

" Si t'es flippée, c'est que tu tiens à la vie. Si tu tiens à la vie, c'est que tu es résolue à trouver les moyens d'accomplir quelque chose. Être shinobi, c'est ça. Être résolu et accomplir des choses. Parfois pour soi, parfois pour les autres. Pourquoi tu veux être shinobi? "

Ran releva la tête et me regarda avec ces grands yeux de petites filles. Elle était casse-bonbon mais attachante.

" Je.. je veux devenir plus forte et je... je veux sauver des gens, je veux aider... je veux servir à quelque chose. "

Je me roulais une cigarette au moment où elle me disait cela, un petit sourire au coin de la bouche. Ha... la jeunesse et sa volonté de noblesse. Cela faisait plutôt chier qu'on leur vendrait le boulot comme quelque chose de si exaltant, ils allaient tellement déchanter.... ou bien c'était moi qui avait fini par devenir complètement amère. J'allumais ma clope, me la fourra dans le bec et tapota la tête de la gamine comme pour lui dire que c'était bien. Je finis par lui dire de dormir, que la journée serait longue pour le retour et que je veillerais au grain. Cette nuit-là, j'avais cogité sur mes propres paroles... Être résolue. J'étais résolue à quoi, moi?

Le lendemain, on reprit nos affaires et on traça notre route. Cette fois-ci, elle avait pas jacassé comme la première fois. Finalement, son délire était redescendu d'un cran. Quand la silhouette du village caché se dessina sur l'horizon, je lui donnais un coup de coude et le lui montra du doigt. Un gigantesque sourire s'afficha sur son visage et curieusement, ça me fit plaisir. Comme promis, je ramenais la fille prodigue au conseil, une nouvelle brebis à endoctriner. Deux femmes avaient été missionnées pour l'escorter à notre arrivée, mais au moment de s'en aller et de nous séparer, elle se tourna vers moi avec une dernière question.

" Tu crois que je pourrais devenir marionnettiste? "

Je souris et je haussais les épaules en même temps. Elle se mit à rire et s'en alla avec ces nouvelles tutrices. Je finis par lâcher un petit rire en secouant négativement de la tête alors que je caressais l'encolure de Babel que je devais ramener. Mouais... J'essaierais d'éviter les missions avec des gosses la prochaine fois.