DAKUWANDA Kirai

« Pourquoi... »

Enfermé dans son atelier, les volets et portes closent, le Tailleur est assit en face de son établit, les coudes posés sur ce dernier alors que ses mains retiennent sa tête enfouis sous de longues mèches de cheveux crasseuses.

« Pourquoi.. »

Sa voix se fait tremblante, alors que les spasmes musculaires de sa jambe droite font trembler son corps et la chaise qui émet de faibles grincements.

« Pourquoi. »

Dans la pièce, un simple trait lumineux arrive à percer, dans lequel virevolte poussières et grains de sables tournoyant au grès d'un air presque irrespirable.

« POURQUOI ! »

D'un mouvement ample et rapide, l'homme se relève, éjectant tout ce qui se trouve devant lui sur le sol. Il saisit fermement la table qui lui fait face et l'envoie valser en avant, marquant la fin de son geste par un coup de pied dans le bout de bois qui ne bronche qu'à peine. Le visage à moitié caché par les ombres et sa chevelure, sa respiration saccadée et rapide brise le silence qui déjà dans son esprit, n'avait plus sa place depuis des heures. Voyant ses douces mains trembler, il lui vient un coup de nerf, réalisant les quelques pas qui le sépare du mur, son poing vint heurter ce dernier.

« Pourquoi..... »

Ses mots se brisent, comme ses rêves et ses espoirs le sont par la triste nouvelle qu'il avait apprit. Sa femme, qui était sur le point d'enfanter, a rendu son dernier souffle. Et avec elle, son enfant qui était déjà mort depuis des mois déjà. Pourtant, de ses yeux, ne s'écoulent aucune larme. Il n'y a que la colère et la rage d'avoir échoué si près du but, et de se rendre compte que tout ceci n'a servit à rien. Ses lèvres s'étirent, laissant apercevoir une dentition jaunâtre qui émettent peu à peu un grincement. La rage recommence à le prendre alors qu'il décroche du mur une photo qui vient rejoindre le sol dans un fracas terrible, rappelant à sa mémoire, l’imbécillité dont il avait fait preuve à croire qu'un tel projet pouvait aboutir... Il se retourne face au chaos ambiant et se jette vers la table. Ses mouvements sont frénétiques, il remet l'établit et la chaise en place, récupérant un morceau de parchemin et les restes d'une mine de crayon pour écrire ses pensées, à haute voix.

« Tentative de fondée une...fa...mille... : non concluante. Bien que la pauvre civile dont j'ai déjà oublié le nom fut des plus faciles à manipuler, sa condition d'humaine et toutes les fragilités que cela impliquent ont fait que tout ceci n'a servit à rien. » Il souligne le dernier mot, appuyant sur le charbon qui se creuse de plus en plus, risquant à chaque va et vient de céder sous la force de l'homme qui semble être devenu fou. Dans un mouvement brusque, il plaque l'objet sur la table. Ses mains retrouvent le chemin de son visage, remontant jusqu'à sa chevelure, glissant entre les mèches pour les ramener en arrière, lui libérant son champs de vision avant de s'arrêter à l'arrière de son crâne. « Un an à attendre pour des résultats aussi merdiques... Tout ça parce que cette guenon n'a pas su garder l'enfant en vie... » Il s'empare à nouveau de la mine, continuant à inscrire sur le papier ses funestes pensées.

« Malgré sa faible intelligence et l'utilisation de quelques arcanes illusoires, le sujet n'a pas su réussir sa tâche, alors que j'avais fait mon choix selon des critères « normaux » de beauté, cette dernière n'a su que bafoué l'oeuvre d'art que j'étais entrain de planifier depuis des années ! Conséquence directe : L'Être Humain ne peut et ne doit être considéré comme un élément indispensable à mon projet. » Tapotant son crayon sur l'établit, l'esprit de l'homme se perd dans son propre monde, là où ses seules règles régissent tout un ensemble de loi dont il est l'unique maître. Peu à peu, il comprends. Doucement, il saisit l'importance que cette dernière année qui n'est peut-être pas si perdu que cela. D'abord silencieux, son corps se voit parsemé de spasme alors qu'un léger rire, prenant crescendo de la puissance se met à sortir de sa gorge déployé pendant qu'il révulse sa tête en arrière. « AHAHAHAHAH ! MAIS BIEN SUR ! Cette conne n'aura donc pas été totalement inutile ! Pauvre morceau de chair sans âme ! C'est... mais bien sûr ! Comment n'y ai-je pas pensé plus tôt ?! Les réponses sont forcément là, quelque part. » Il pose son doigt sur sa tempe, jetant un regard autour de lui sans vraiment chercher quelque chose. « Mon monde... Je dois retrouver mon monde... Des provisions, des parchemins, du tissus et du bois... Où sont mes outils ?! Hihihi ! Cette bévue n'aura pas été inutile non... Pas inutile... L'art ! La réponse est dans l'art et non dans l'humain ! Je dois me mettre au travail. Oublié, jeté, annihilé les sombres pensées. Tout est là, devant moi. » dit-il en levant ses bras devant lui comme s'il accueillait quelque chose. « Je n'ai plus qu'à le saisir ! » Ses mains se referment alors qu'un sourire de dément s'affiche sur son visage.

Les jours passent et les nuits offrent leurs lots d'insomnies. Ce soir, le Tailleur fait les cent pas dans son atelier, cherchant, scrutant ce monde qui est le sien. Il essai d'oublier les souvenirs qui malgré lui, se superposent à son champs de vision. Bien que tout cela ne fut que de la poudre aux yeux, son cœur faiblit lorsque revient les moments de tendresses, le parfum de l'amour et la caresse de ces baisers qui, malgré lui, l'envoûtait tout autant qu'il s'évertuait à plonger la pauvre femme dans d'avantages de faux semblants. Il savait, au fond de lui, qu'elle n'était qu'un moyen. Un médium par lequel il finirait par obtenir ce qu'il voulait. Une chose à lui. Une chose, qui n'aurait dieu que pour lui. Elle ? Il aurait peut-être attendu le sevrage de l'enfant pour en disposer. Car bien que sa beauté était convenable, elle n'avait rien de la perfection qu'il attendait tant. Lui par contre, il devait l'être. Bien entendu, il serait un garçon, cela ne se pouvait autrement.

Pourtant, lorsque son regard se pose sur cette couche où il s'était forcé à lui faire tant de fois l'amour, une pointe vint à lui pincer le cœur. Deviendrait-il sentimentale ? Envers une humaine ? Crachant sur le sol à cette idée, il continue ses cents pas, alors que les souvenirs de cette dernière année se mélangent aux étrangetés de son monde imaginaire, lorsque soudain, une question se met à toquer à son esprit. « Pourquoi un enfant ?... » D'un coup, il se retourne et recommence à faire le tour de l'atelier, cette fois-ci de manière frénétique, comme un animale que l'on aurait mit en cage. « Pourquoi...un enfant ?... Un enfant, c'est sale, on doit attendre qu'il grandisse, avec la possibilité qu'il soit moche ! Mon dieu... Et s'il était laid comme un porc ? Des mois...des années ! Perdus, envolés ! Je ne peux pas me permettre... » L'image des caresses sur son visage apparaissent dans un flash, manquant de lui faire perdre l'équilibre. « Que ?!... Pourquoi je pense à ça... » Une autre image d'un rire qui éclate sous la lumière de l'aurore. « RAH ! Va-t-en ! » Survint les râles de plaisir et la chair brûlante qui se mêle à la sienne. « Pour...POURQUOI ! » Et soudain le silence.

Le corps penchant vers l'arrière, les mains sur son visage, le Tailleur comprend enfin. « Tout ceci, n'a aucun sens... La vie elle-même n'en a pas. Alors que la mort et la non-vie, sont régit par des règles immuables... Comme l'art... La Mort. Bien sûr... Tout cela ne prend sens qu'à travers la mort ! Comment ai-je pu être aussi ignorant à son appel ? Toute ma vie, n'a été bercé que par la mort, car c'est elle le canevas qui guide l'existence de toute chose !... Je me dois de m'offrir à elle. Mais comment ? » Son œil se pose alors doucement sur un morceau de bois aussi long que lui qui pourtant tient dans sa main. Délicatement, il le récupère et ses doigts frôlent la matière. « Tout dans l'art n'est qu'une sublimation de la vie par la mort... J'entends ton appel... Je te ferais mien. » Tenant le bâton entre ses doigts, il l'avance jusqu'à son front qu'il touche délicatement, fermant les yeux un instant, alors que ses lèvres s'étendent, dévoilant une dentition jaunâtre qui peu à peu s'ouvre pour laisser s'exprimer un rire des plus sordides. « J'ai enfin toutes les réponses... » dit-il en s'avançant vers l'Urne où réside les reste de sa femme et de son enfant mort né. « Vous n'aurez pas été totalement inutile finalement. » La jarre se brise alors sur le sol, laissant échapper un nuage de fumée dans laquelle l'homme disparaît, laissant derrière lui que l'écho d'un rire machiavélique, qui n'annonce rien de bon...