Nozomo Yukio, le fer de lance du Duo Yukayato

      Le crissement du gravier marquait mon pas irrégulier, je boitais. En pleine nuit sur le flanc d’une montagne, couvert de sang, la tenue de jounin en lambeau, je n’avais pas fière mine. À moitié replié sur moi même pour dissimuler le plus possible ma présence dans la pénombre, tenant mon bras endolori, me mouvoir était compliqué mais je devais mettre le plus de distance possible entre mes assaillants et moi.

Pourquoi je me retrouvais dans cette fâcheuse posture ? Le son du corps de Banhme tombant tristement par terre avait signé le début de l’attaque des bandits : La perte de mon dernier allié m’avait laissé seul face à une armée de deux cents guerriers, bien trop armés au beau milieu de montagnes offrant bien trop d’ouvertures à mon goût… Et ils le savaient. Un groupe me surpris derrière mon rocher où je me cachais, je fus forcé de combattre. À  un contre dix, j’avais réussi à résister malgré les coups et la perte de mon katana, mais une seconde vague m’avait poussé à prendre une retraite dite “stratégique”.
Mes deux chuunins morts, j'étais seul. La mission ? Un échec ; Mes chances de survie ? Bien faibles. J’avais fuis. De ma main libre, j’avais composé les mudrâ pour produire un nuage de cendre afin de désorienter mes adversaires et rejoindre rapidement une des ravines en aval de ma position. Mon entreprise fut ponctuée par une nuée de shuriken qui traversa le nuage. L’un des projectiles avait atteint ma jambe mais j’avais réussi à fuir. J’étais maintenant dans la peau de la biche poursuivis par la meute de loups.

Le Ninjutsu m’avait permis de m’échapper, n’en déplaise aux Nozomo qui ne jurent que par les armes tangibles. Sans cette diversion, je serais mort… “Comme les autres”.

La tentative de contournement de Saisho, que j’avais commandé, avait été un échec. Ils avaient prévu mon coup, ils avaient prévu mon second plan. La mort de Banhme n’était que le résultat de très mauvais calculs. Je me remémorais chaque moment au ralentis : Le cheminement de mes actions, mes paroles d’encouragement pour le chuunin que j’envoyais sur la crête pour prendre des informations et gagner l’avantage du terrain ainsi que mon regard dur quand j’envoyais le second tenter de se faufiler derrière l’ennemi. Tout avait dérapé. Je sentais une vague d’aigreur se diffuser dans mon estomac.

      La honte ? La culpabilité ?

Je chassais bien vite ces questions dans le fond de ma conscience : Me laisser submerger par mes réactions physiologiques ou même mes pensées ne mènerait qu’à ma perte, échapper à la menace de mort imminente était prioritaire. Une petite vallée se dégageait dans mon horizon, c’était le terrain parfait pour me réfugier et essayer de réparer un peu mon corps mis à mal. Clopinant une demi-heure encore, je pris la liberté de me reposer contre un rocher et la fatigue ainsi que le stress eurent raison de moi : Les jambes chancelantes, je fus obligé de m’asseoir contre la roche. La fraîcheur de mon radeau de sauvetage me fit du bien, je me détendis un peu mais la sensation d'être épié était encore vivace. L’adrénaline n’était pas complètement partie.

Je m’identifiais de plus en plus à la proie, persuadé d’avoir réussi à semer ses prédateurs, mais qui finissait prise par surprise. Quel animal pourrais-je être ? La fameuse biche qui fuit, laissant des traces partout sur son passage, ou bien le rongeur qui n’a pas conscience de sa fin avant de sentir les serres de l’aigle s’enfoncer dans sa chaire ? À cette pensée, je baissais les yeux pour observer l’étendu des dégâts, listant mentalement les coupures et les contusions, je m'arrêtai bien vite. Il serait peut-être plus simple de lister ce qui allait encore. J’étais couvert de sang, le mien, celui d’autres. “Peut être que je vais attraper une maladie à trop mélanger les fluides”.

La plus grosse blessure était cette plaie à ma jambe, vilaine,  handicapante. Il fallait la soigner ou en tous cas faire quelque chose pour ne plus me vider... Joignant mes mains, j'entrepris de former des mudrâ pour créer une petite flamme dans ma paume, tentant de cautériser sommairement les chairs. L'application sur ma peau tranchée fut l'occasion de refaire connaissance avec mes canaux lacrymaux, mais le cri de douleur resta entre mes dents desquelles s'échappaient néanmoins un grognement que je regrettai aussitôt : La proie ne doit pas crier avant de se faire attraper, cela serait aider le prédateur.
En reprenant mon souffle, je repris aussi le fil de mes pensées et de mon futur plan d'évasion : Une armée de deux cents bandits ne peut pas débouler dans les ravines pour une menace mineure comme moi, surtout après avoir éliminé deux des miens. Sur ma trace, il n’y avait sûrement qu'un petit groupe tandis que le gros des troupes continuait le mouvement pour traverser les montagnes. Enfin c'est ce que je pensais, peut-être que pour la troisième fois de la nuit j’étais totalement dans le faux.

« Tu engages ta vie cette fois, fais attention ». Sauver ma propre peau était déjà toute une entreprise pour moi, comment ai-je pu mettre en jeu aussi stupidement celle de mes hommes ? La honte se concentrait dans mon ventre, accompagnant la douleur lancinante de ma jambe par une nausée. J’avais beau plaisanter en m’imaginant proie, ce qui n’était pas bien dure en fin de compte, je ne pouvais ignorer les causes de ma situation. Mon inconscient travaillait bien assez en arrière plan, cette sensation dans mon estomac en était la preuve. Le contact froid de la pierre sous ma main accentuait mon bouillonnement intérieur.
J'étais jounin depuis seulement un an, les missions m'avaient conduites durant mes années de chuunin à être commandé par un shinobi plus gradé et expérimenté ou alors épaulé par mon frère qui restait en arrière alors que je combattais. Hayato menait toujours la mission à bien en me donnant les bonnes informations : Il réfléchissait alors que je me battais. Ensemble, on perdait peu de compagnons... Étais-je à moitié aussi intelligent que mon frère ? Cette nuit, la réponse sautait aux yeux.

« Non ».

J’étais un exécutant, j’obéissais aux ordres et je me battais. Je laissais les exercices de l’esprit aux autres, notamment mon frère, cela m’avait réussi jusqu'ici. "Jusqu'ici, oui". Me retrouver en situation de responsabilité était tout autre. J’étais un outil, utilisé par le kazekage et mon chef d’équipe pour les missions. Pour la première fois je devenais celui qui utilisait les autres comme outils, mais un homme était bien plus compliqué à manier qu’un kunaï. J’étais bien plus à l’aise avec mon katana. “Pourtant j’ai laissé mon katana avec mes hommes, là-bas”.
J'étais gonflé par mes succès, prenant cette mission comme une ballade puisque j'avais accompli bien plus en association avec mon frère. J’étais plus sûr de moi depuis que j’avais survécu à l’offensive éclair de l’empire de Tetsu sur Baransu. Le succès et l’excitation de la vie de shinobi avait créé des certitudes chez moi : Le shuriken, comme la réalité, m'avait rattrapée. D’une certaine manière j’étais faible.

“Celui qui manque de force perd tout”. Cette formule était mon mantra depuis la perte de Ishi, il y a presque dix ans. Le manque de force, le manque de volonté et la trop grande hésitation d'un trop jeune shinobi avait mené à sa mort. Je m’étais promis, mangé par mes remords, de ne plus laisser la place au doute dans mon esprit et de renforcer mon corps dans le but de faire face à la menace. Être un bouclier comme une lame qui ne recule pas face aux dangers.
J’étais devenu un Jounin trop confiant, trop stupide, trop précipité. Inadapté à la responsabilité. J'avais mené à la mort deux chuunin. Je n’étais pas un chef, la force dont je m’étais gargarisé de posséder, n’était rien, et j’étais amené à fuir après mon cuisant échec. J’avais honte, j’avais mal. « C’est Hayato le cerveau,  je suis juste le fer de lance… Une tête de pioche, oui !  »

Comment aurait-il appréhendé la situation ? Bien souvent Hayato privilégiait l’ingéniosité, alliant techniques et malice pour retourner un théâtre d’opération à son avantage. Si mon frère était présent, tout serait bien plus simple. Tout serait déjà réglé. Il me  manquait, il aurait compris mes tourments même s' il n’aurait rien pu faire. Je ne pouvais pas me reposer tout le temps sur les autres, si je voulais protéger les miens. La force devait être l’outil de la responsabilité, comme l’intelligence.

Le fil de mes pensées fut coupé par le bruit de semelles contre la pierre : Mon grognement avait peut-être, en fin de compte, alerté l’un des brigands qui venait vérifier si c’était un ninja blessé ou un bouquetin derrière ce rocher. Les sens en éveil, le souffle court, j’empoignais mon Tantō en me collant toujours plus à la roche. Ma main non-armée composa instinctivement les mudrâ pour former une lame invisible de vent. Il fallait assassiner silencieusement et rapidement l’imprudent sinon la menace au singulier deviendrait bientôt plurielle. Sortant subitement de ma cachette je pris l’information sur ma cible : Dix pieds de distance entre nous, c’était court. Je me propulsais de ma jambe valide pour atteindre la gorge du bandit. L'artère de cette zone, la carotide, alimente le cerveau en sang et en oxygène. C’était ma seule chance de le mettre à terre sans bruit. La lame traversa la zone sous mandibulaire mais la propulsion, non calculée et très mal préparée, m’amena à le percuter, tombant sur le malheureux. Je me relevai péniblement sous ses déglutitions, il cherchait en vain à dégager sa gorge de son sang avant de céder.

Aucun bruit à part le faible choc et la chute. Ce n’était pas mal pour un entrainement à l’assassinat mais mauvais pour moi. “Je suis peut-être un porc-épic en fin de compte”. Je tirai le corps derrière le rocher, cherchant la suite du plan pour fuir. La seule solution était de me déguiser : Faire attention à ne pas trop boiter et feindre d’être un bandit, de chercher le sunajin. Déshabiller un poids mort n’était pas aisé, et en enfilant les nouveaux vêtements le contact du tissu sur la chair cautérisée me lança. Pas besoin de me préoccuper des taches de sang, l’obscurité réglerait ce détail pour moi. Une fois habillé, je devais paraître en chasse. Descendant la pente, une vague de soulagement se diffusa quand même depuis mon échine : tout allait s’arranger. « Pas pour tout le monde… »

Mon ultime pensée avant de partir fut tournée vers mes compagnons morts dans la montagne, menés par un déraisonnable. Dans mon cœur, une nouvelle promesse : Plus jamais.

« Dès mon retour, je présenterai mon échec au Kazekage et j’accepterai les conséquences. Je voudrais prévenir les familles moi-même. Je ne suis pas un chef, reste que je dois être un homme qui assume ses actes ».