Deux ans sur les routes. Un apprentissage long et rude mais cela avait été la meilleure période de sa vie. Seul dans sa chambre, les yeux rivés sur le plafond, Wataru se rappela les souvenirs qu’il avait de son grand-père. Le voyage était celui qui lui revenait le plus souvent.
Dis Ojii-san, ? Ojii-san, tu m’entends? Réponds-moi Ojii-san !
Toyotomi Kaji. Né il y a près de soixante ans dans la famille Toyotomi et Shirogane depuis l’apparition officielle du nom. C’était le 1er membre de la célèbre famille de fabricants de jouets à rejoindre les rangs ninjas. Il avait voulu s’en séparer pour se dissocier du nom de famille qui lui faisait de l’ombre et créer sa légende. Pourquoi avait-il eu un si grand besoin de reconnaissance? Wataru ne le saurait sans doute jamais. De toute façon, il n’avait jamais abordé ces sujets-là avec son grand-père. Ils étaient partis pendant une tempête de sable, pour forger le caractère d’après ce que lui avait dit son ancêtre. Jamais autant de particules fines ne s’étaient incrustées dans son corps que ce jour-là. Pourtant nul mot ne s’était échappé de sa bouche. Il n’avait rien dit, bien trop heureux d’être accepté par son grand-père, ce personnage illustre dont ses parents lui parlaient parfois durant son enfance. Au début l’allure de Tengu lui faisait peur, il avait même crié lors de leur arrivée à Suna et s’était réfugié dans les jambes de sa mère, ce qui avait arraché un grand rire derrière le masque de bois au nez pointu. Cinq ans passés sur les routes et le jeune enfant de dix ans avait eu peur. Normal, il n’avait pas compris de quoi il retournait à l’époque, la vilaine figure ne pouvant être qu’un monstre tout droit sorti d’un cauchemar.
Au fur et à mesure de leurs relations, Wataru était tombé d’adoration pour son grand-père. C’était réciproque et leur lien était bien plus fort que celui qu’ils partageaient avec les deux petits frères. Ils avaient passé de longues après-midi à travailler le bois au ciseau cet été-là. Puis ils avaient pris la route.
Même pour ses parents, cela avait semblé naturel de laisser leur fils aîné de douze ans courir les routes avec son grand-père, ninja réputé au sein de la Guilde des Marionnettistes. Ses frères avaient été un peu plus réticents. Ginji était venu le voir en colère parce que le petit Mizuki était en pleurs à cause du départ. Ils s’étaient disputés sans vraiment le vouloir mais au fond, Ginji lui souhaitait bonne chance pour son départ.
P-p-p… Poison… La fleur…
La tempête, les entraînements à quatre heures du matin avec réveil ponctués d’une attaque surprise. Les misisons de grand-père Kaji entre temps. Plus de souvenirs qu’ils n’en fallait pour lui laisser une image impérissable de son grand-père. Pourtant une seule lui revenait dans ses rêves. Une seule qu’il connaissait par coeur et dont il aurait voulu débarrasser sa mémoire à tout jamais.
C’était une grande et belle journée d’été, chaude à souhait et source de bien de malheurs. Tous les anciens fabricants de jouets travaillaient de concert dans l’atelier qui leur était dédié dans la joie et la bonne humeur ambiante. Dernièrement, la réputation de leur unique ninja commençait à atteindre des niveaux jamais vus. Leur orgueil était gonflé à bloc et ils s’activaient à réfléchir à de nouvelles fonctionnalités pour la future marionnette de Kaji. Les ciseaux taillaient dans le bois des prototypes de lance-projectiles, de masques différents. Les plus artistes s’occupaient même à des étapes de peinture et de vernissage. Wataru était seul à son établi en train de peaufiner un mécanisme de cache pour objets de moyenne taille au niveau des bras de marionnettes humanoïdes. Il avait eu une bonne intuition de se servir de la complexité des articulations pour cacher le bouton d’ouverture. La grande tente de l’atelier de l’ex-famille Toyotomi s’était alors ouverte dans un grand froissement, laissant pénétrer le Tengu, titubant. Personne n’ouvrait la tente ainsi car cela faisait rentrer trop de poussière et l’intégralité de la salle regarda l’origine du trouble. Le ninja dont ils étaient si fiers se tenait difficilement à un des pans du rideau, laissant le jour inonder de sa lumière l’atelier. Tout le monde était en état de choc à la vue du fier ninja si grièvement blessé. Des pans entiers de sa marionnette étaient arrachés comme s’ils avaient été tranchés nets. D’autres parties présentaient des traces d’explosion.Personne ne comprenait réellement ce qui s’était passé et, même aujourd’hui, Wataru se demandait si son grand-père ne serait pas déjà sorti du coma s’ils avaient réagi plus vite. Le vieil homme avait parcouru la salle jusqu’à trouver Wataru du regard et avait souri. Ce même sourire rassurant qu’il lui faisait toujours. Pourtant, quelque chose avait changé. Le jeune Shirogane n’était plus un enfant, il avait désormais une vingtaine d’années et un esprit d’analyse plus fin qu’à l’époque. D’un bond, il s’était précipité vers son grand-père qui avança difficilement de quelques pas vers le centre de la pièce. Son visage était amoché et une longue estafilade lui courait le long du visage, laissant couler un sang de couleur noire. Du poison? Oui, c’est ce que son grand-père venait de dire. Il avait essayé de parler d’une fleur également en rassemblant ses forces pour se tenir aux avants-bras de Wataru.
En cinq minutes, il venait de s’écrouler dans ses bras, sans même pouvoir retirer son masque, à moitié arraché lui aussi. Quelques spécialistes des jutsus médicaux étaient arrivés par la suite mais c’était trop tard.
Un Tengu venait de rejoindre les Limbes.