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La mer m'a tuer [avec Sanada]

Kaguya Kuzai
Kaguya Kuzai
Indépendant
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Kaguya Kuzai

J’ai comme qui dirait soif d’aventure. Je vois pas de meilleur mot pour décrire ce que je ressens : l’impression d’avoir été privé trop longtemps de quelque chose de vital, quelque chose de sain, de bon, de frais, quelque chose sans quoi mon corps peut pas fonctionner correctement.
Comme j’ai fait du bon travail ces derniers temps, le clan m’a autorisé à vadrouiller un peu, aller découvrir le monde, sans partir ni trop loin ni trop longtemps parce que de toute façon ils le sauraient si j’essayais de me tirer. Je leur ai présenté les choses ainsi : dehors, je pourrai développer ma danse, apporter de nouvelles connaissances au clan. Ils ont dit c’est une bonne idée Kuzai. La plupart du temps, chez les Kaguya, une idée est bonne du moment qu’elle est militaire. Ca, on l’apprend très jeune.
Pour autant, j’ai pas dit ça seulement pour les convaincre. J’y crois sincèrement : je pars car je pense qu’il est important d’ouvrir ma danse à l’extérieur. D’une certaine manière c’est un stage d’observation que je vais faire à l’étranger, pour ramener avec moi tout un tas d’enseignements. Quant à savoir auprès de qui, de quoi, et où je vais le faire ce stage, j’en sais foutrement rien. Mais c’est justement cette liberté que je recherche.

Je suis parti hier matin, pour vous donner une idée ça correspond à peu près à onze heures, je le sais parce qu’avant j’étais pas levé.
J’ai réuni quelques affaires dans un sac, quelques armes, un ou deux vêtements pas plus, et j’ai dit au revoir à tout le monde. On m’a conseillé de partir vers le nord, vers le cœur du Sekai, le centre de la terre, alors évidemment je suis parti vers le sud. La terre je l’ai assez vue moi c’est la mer qui m’intéresse. Remonter le delta, aller tout en bas et voir les vagues. Je ne connais pas bien encore mais on m’a dit que c’était paisible les vagues, parce que toujours en mouvement. L’idée du mouvement qui apaise forcément ça m’a beaucoup touché, en tant que danseur, vous comprenez.
J’ai couru de longues heures, marché aussi, puis j’ai passé la nuit abrité dans une grotte. C’est le lendemain vers quatorze heures que je l’ai vue, la mer, l’immensité bleue, et j’ai cru que j’avais la berlue. C’était immense ! Magnifique ! J’avais jamais imaginé un truc comme ça même avec toutes les descriptions qu’on m’avait faites. La seule ombre au tableau c’était l’odeur bizarre sur le marché - du poisson, à ce que m’ont dit les marchands.
« Il pue votre poisson », j’ai répondu en toute bonne foi, sans me douter que je déclenchais là le pire incident diplomatique qu’avait vécu ce petit marché depuis des années. Une dame qui portait un tablier luisant de graisse s’est mise à faire des grands gestes et à me menacer avec un de ses poissons. Elle le tenait par la nageoire et l’agitait dans ma direction en m’invectivant « t’as un problème avec mon poisson ? tu veux que je te jette dans l’océan ? » et j’ai eu beau lui dire que mon intention n’avait jamais été de l’offenser, que c’était un quiproquo créé par ma seule ignorance parce que je n’avais jamais senti de poisson de ma vie, qu'il fallait m'excuser, elle n'a rien voulu entendre. Alors j'ai ajouté, pensant la faire sourire, « Même s'il est sûrement très bon votre poisson vous devez tout de même avouer que ça sent comme quelque chose de pas nette.  » Ca a été la goutte de trop, je me suis fait chasser à grand coup de palourdes et autres crustacés.

C’est vraiment génial, je trouve, le monde extérieur. J’avais jamais vécu une expérience comme ça auparavant et ça m’a rendu content. A mon visage béat on aurait jamais dit que je venais de me faire jeter par un groupe de péquenauds avec menaces de mort en supplément si j’osais montrer ma trogne à nouveau dans le village.
J’ai tout de même compris le message et je suis parti ailleurs. J’ai longé un peu la côte, maintenant que j’avais trouvé la mer je voulais pas la laisser filer. Je me suis même habitué à l’odeur, c’est dire à quel point je progresse vite. En fait je suis tellement tombé sous le charme que j’ai eu envie d’aller dessus, la mer. Le village suivant était un port. C’était assez petit, mais il y avait tout de même pas mal d’animation. J’ai tout de suite reconnu les marchands de poisson à leurs tabliers tachés et aux cris qu’ils faisaient pour attirer les clients : d’eux, je ne me suis pas approché. Pas deux fois.
Un long ponton donnait sur la mer et était prolongé en plusieurs ramifications. J’y suis allé avec confiance, épaules relâchées comme si j’étais un habitué, et j’ai avancé. Ca tanguait un peu, ça m’a fait peur, mais ça m’a aussi beaucoup plu. Bientôt, j’ai repéré une petite barque avec une pagaie dedans. Elle était accrochée au ponton par un nœud, rien d’autre. Y avait juste un grand filet dedans et une paire de bottes de pluie. Je me suis dit que son propriétaire devait pas trop y tenir s’il prenait pas le soin de la protéger un peu mieux.
Et puis il y avait personne autour.
Évidemment, j’ai sauté dedans et j’ai coupé la corde avec un kunai. Je me rends compte maintenant que c’était pas bien, que je n’aurais pas dû, à moi j'aurais pas apprécié qu'on me subtilise ma barque, mais sur le moment j’étais trop extasié par la nouveauté, ça a voilé ma vision. Je crois pas qu’on m’ait vu, ou alors ils n’ont pas crié assez fort.

C’est seulement mon deuxième jour seul et me voilà déjà à faire quelque chose que je croyais impossible : je suis debout sur mon navire, oh c’est une barque de pas grand-chose mais pour moi c’est déjà grand, je pagaie mais je sais pas dans quelle direction, et je me laisse porter par les vagues. Les vagues, toujours en mouvement mais qui apaisent.
Bordel, on m’avait pas menti.
Je suis bien.

Un peu trop bien, peut-être. Je pensais pas que j’allais m’endormir, mais le soleil sur mon visage c’était trop pour moi. Je me suis allongé tranquillement au fond de ma barque mouillée, c’était froid mais ça m’a pas dérangé, j’ai pas résisté longtemps à ce doux bercement.

Je me réveille avec l’envie de vomir. Woah, j’ai l’impression d’être un vrai marin ! Un forban, je crois qu’on dit.
Puis je prends le temps de réfléchir à la situation : ça bouge beaucoup autour de moi et j’ai froid ; il fait presque nuit et le vent gronde. Les vagues sont plus hautes que tout à l’heure, quand je suis parti. Je commence à me dire que je suis pas si bon à ces trucs de marin ; il s’agirait de retrouver le rivage. Virage à gauche, virage à droite, je regarde dans toutes les directions, mais je vois rien. Rien que l’eau qui me semblait si belle ce midi et qui maintenant m’inquiète un peu.
Merde, Kuzai, qu’est-ce que t’as foutu ?
Comment je fais pour rentr-... WOOOAH

Plouf.

Je crois que ma barque s’est renversée. Je suis pas certain, j’ai reçu un choc sur la tête qui embrouille mes idées et mes muscles. Je me débats, je fais la nage du petit-chien, j’essaie de rester à la surface, mais j’ai trop mal. Les vagues sont trop grandes, trop violentes, je crois que c'est la fin. J’ai aimé follement la mer mais je crois qu’elle ne m’aime pas. Blbleblelblfr. Même mes pensées se remplissent d’eau salée.
Tout ce dont je me souviens ensuite, c’est d’avoir coulé.
J’ai pas de parents à implorer pour ma vie, alors si quelqu’un entend ma détresse, qu’il aille voir mon clan et qu’il lui dise : la mer m’a tuer.


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