Retour aux Bases [Entraînement Solo]

« Tout va bien, Jeune Maître ? »

La voix claire de la domestique tira Serika Shiran de ses pensées. Immobile, les yeux perdus dans le vague, le jeune ninja des sables avait passé près d’une heure à braver la chaleur étouffante de Suna, tourné vers le terrain d’entraînement de la grande résidence qui lui servait de maison. Lentement, il se tourna vers celle qui l’avait appelé, lui adressant un léger sourire.

« Nul besoin de t’en faire pour moi, Tsubaki. Je… Réfléchissais, c’est tout. »

Les dernières semaines de la vie du jeune homme avaient été chargées en combats et en effusions de sang. De toute évidence, ses efforts prolongés pour rester loin du champ d’honneur voyaient leur efficacité fondre comme neige au soleil. Entre son combat prétendument amical contre Sasori et son affrontement mortel contre la belliqueuse pèlerine dans le désert, il avait vu l’ombre de la faucheuse de beaucoup trop près à son goût à plusieurs reprises désormais. Pire encore, le balafré qui avait pris le contrôle du clan Shirogane avait été choisi pour être son nouveau chef d’équipe. La situation n’irait pas en s’arrangeant ; pendant quelques jours, Shiran s’était pleinement autorisé à geindre intérieurement de la situation, sortant à peine de sa chambre tel un enfant gâté qui serait déterminé à bouder.

Cette période de plainte était passée, cependant. Il avait toujours été évident que bouder ne changerait rien à la situation ; il ne s’était accordé un tel répit que pour évacuer sa frustration. Il était donc sorti sur le terrain pour commettre l’acte impensable, presque horrifique : pour la première fois depuis la mort de son père, Serika Shiran était prêt à s’entraîner. Le voir ainsi dans une tenue adaptée à l’exercice, plutôt que les riches étoffes blanches et les ornements dorés qu’il affectionnait habituellement, n’avait pas manqué de prendre de court les domestiques qui l’observaient. Tsubaki était simplement la seule assez brave pour lui poser directement la question.

Shiran repensait à ses combats contre Sasori et la bretteuse belliqueuse. Il avait été tout simplement incapable de blesser de manière significative la bretteuse, dont la peau lui semblait faite d’acier. La seule raison pour laquelle il l’avait emporté contre elle, c’est qu’il était parvenu à l’épuiser avant que ses forces à lui ne le quittent complètement. C’était un résultat hautement insuffisant, bien trop hasardeux ; il ne pouvait pas se permettre de se reposer à ce point sur une bonne défense. À l’inverse, sa cadette semblait incapable de penser à quoi que ce soit d’autre que l’offensive, le bombardant sans cesse de techniques destructrices pour réduire son corps en charpie. Si elle avait été à sa place contre la bretteuse, le combat aurait sans doute été beaucoup plus court… Il n’avait pris presque aucun risque dans ces affrontements, et par deux fois il avait triomphé, mais c’était bien trop serré à son goût.
S’il voulait appréhender les combats à venir de façon plus saine, il lui fallait d’une façon ou d’une autre émuler le style de Sasori. Devrait-il apprendre à maîtriser l’élément du Vent, comme elle, pour le coupler à son sable ? Il avait une affinité particulière avec, après tout, même s’il n’avait jamais cherché à véritablement la cultiver.

« Non, ce serait bien trop chronophage, » se répondit-il à voix haute, se parlant seul sous le regard interloqué de Tsubaki. « Si je repars de zéro sur quelque chose de nouveau, j’en aurai pour des semaines avant d’avoir de véritables résultats. Je dois pouvoir donner une forme offensive au sable. »

Ses yeux s’écarquillèrent légèrement, tandis que les rouages de son cerveau se mettaient en marche.

« La forme… Tout est dans la forme ! Tsubaki, rends-toi en cuisine avec deux autres servants, je vais avoir besoin des plus gros fruits que vous pouvez trouver.
- Euh… Je veux dire, bien entendu, Jeune Maître ! »

*Elle doit sans doute penser que j’ai perdu les pédales*, se dit Shiran en la regardant obéir d’un pas hésitant, *et je serais bien incapable de lui donner complètement tort.*

Après quelques dizaines de minutes et plusieurs ordres insensés plus tard, Shiran avait enfin une installation convenable pour son entraînement. Tsubaki avait recruté, à sa demande, une autre femme de chambre et un de leurs cuisiniers pour venir l’assister, portant avec eux un bol de fruits variés - des gourdes, des noix de coco, même des mets importés valant individuellement plus que le revenu annuel moyen d’un habitant de Suna - et plusieurs accessoires de literie, matelas comme coussins. Pour commencer, il avait accroché les matelas et coussins autour de croix de bois plantées sur le sol d’entraînement en guise de mannequin à prendre pour cible.

« Je vais commencer avec des cibles statiques, jusqu’à trouver la forme que je recherche. Allez donc vous installer à l’ombre avec les fruits, votre aide ne sera requise qu’une fois que je tiendrai un bon filon. »

Les domestiques échangèrent un regard surpris, avant d’aller s’installer, se sentant finalement plutôt chanceux d’avoir reçu l’ordre de cesser de travailler jusqu’à nouvel ordre. Tout excentrique qu’il soit, le jeune maître était parfois un employeur bien arrangeant, l’air de rien.

Levant une main devant lui, paume face au sol, Shiran ferma les yeux un instant pour mieux projeter son chakra dans le sable qui l’entourait. D’une impulsion mentale, il en fit jaillir un flux serpentin, le faisant s’immobiliser en forme de S devant lui. Face aux mannequins, il prit une longue inspiration, puis effleura la colonne de sable du bout des doigts.
De retour dans un terrain familier, entouré de sable manipulé par son chakra, il commença de façon presque cérémonieuse un kata que son père l’avait forcé à apprendre, des années plus tôt. Déplaçant les bras lentement, traçant plusieurs gestes plus symboliques que nécessaires, il approfondit petit à petit son contrôle du sable. Cela faisait bien longtemps qu’il n’avait pas besoin de “partir de zéro” de la sorte pour réaliser les techniques Serika, mais ralentir le rythme pouvait parfois avoir du bon. Plaquant sa paume contre le flux, il imprima une poussée plus mentale que physique sur celui-ci et un segment de sable se fragmenta en une nuée de projectiles, pilonnant l’un des innocents mannequins inanimés.

Son utilisation de la technique des Billes de Sable n’était même pas achevée que déjà, l’image de la bretteuse ignorant sans peine la grêle du désert s’imposait à son esprit. Elle pouvait courir au travers de ses projectiles comme si de rien n’était, ne payant aucune attention aux dégâts marginaux qu’ils lui infligaient. Shiran pesta face au souvenir. Les Billes de Sable avaient leurs limites ; il ne pouvait pas augmenter beaucoup plus leur vitesse de projection, ou leur densité, et ils couvraient déjà une zone cible plutôt vaste. Il fallait augmenter le volume.
Dans un large geste qui porta ses deux points sur l’avant de son corps, Shiran projeta le flux entier de sable qu’il avait soulevé sur un des mannequins, l’écrasant sur le bois comme une trombe unie. Le bois se brisa sans peine sous l’impact, mais le garçon réalisa avec agacement qu’il était essoufflé par l’effort qu’un tel transport avait impliqué. L’usage d’un volume aussi large dans une attaque à grande vitesse… Cela manquait d’efficience, il s’épuiserait en quelques attaques.

*Plus fin, plus précis… Plus… Plus aiguisé..!*

Levant haut le pied droit, Shiran l’abattit avec force sur le sable, utilisant sa jambe comme médium pour projeter à nouveau son chakra à travers le terrain. Répondant à sa volonté, le sable jaillit dans les airs : un flux unique, plat et aiguisé comme une épée, surgissant du sol à quelques centimètres du second mannequin, le tranchant net en deux morceaux séparés.

Essuyant du poignet la sueur accumulée sur son front, Shiran affichait bien malgré lui un visage triomphant.

« Eh bien, là, on va quelque part..! Une petite pause bien méritée, puis on passe aux cibles mouvantes ! »

« Nous sommes prêts, Jeune Maître !
- À mon signal… Maintenant ! »

Sur l’ordre du capricieux héritier, une innocente gourde, verte et belle et ne portant nul péché, fut jetée par le cuisinier de toutes ses forces au-dessus du terrain d’entraînement. Les yeux dorés se posèrent sur le fruit comme ceux d’un prédateur sur une proie et, d’une exclamation concentrée, il manifesta une nouvelle lame de sable qui éventra le fruit victime de son ambition, répandant son précieux jus sur le sol battu. Shiran était maintenant couvert de sueur, le souffle court à force de multiplier les usages de cette nouvelle technique pour en parfaire l’exécution. Autour de lui, les restes des quatre mannequins et plusieurs fruits tranchés au vol formaient les témoins inanimés et détruits de ses efforts. L’enfant doré des Serika observa la gourde avec attention.

« Je l’ai eue au sommet de sa trajectoire, la coupure est nette… Je tiens le bon bout, c’est définitif. » Content de lui-même, sa réticence à l’idée de s’entraîner n’étant maintenant plus qu’un muet souvenir, il se tourna vers les trois domestiques qui l’avaient aidé. « Je dois encore l’affiner pour pouvoir m’en servir en situation de combat réel. Votre aide sera à nouveau requise demain. Vous êtes dispensés de vos tâches pour la soirée, j’ai besoin que vous restiez en forme. Si quiconque vous pose une question, dites-leur simplement que je vous ai réquisitionnés comme partenaires d’entraînement, pas plus de détail.
- Entendu, Jeune Maître ! »

Au terme du second jour, Shiran était parvenu à réduire sa marge d’erreur jusqu’à ce qu’elle en soit presque insignifiante, même sur une cible en mouvement, à force d’occire les pauvres fruits que le cuisinier mettait de côté pour lui. Au troisième jour, il avait rendu ses lames suffisamment tranchantes pour laisser une entaille profonde dans la pierre - de quoi percer même la peau de la bretteuse. Contre toute attente, le jeune homme trouvait dans ce sentiment de progression une extase ambitieuse qu’il avait oubliée. Il avait, pendant si longtemps, associé ses talents aux plans que sa famille avait pour lui ; c’était devenu un fardeau à porter. Les luttes intestines le prenant pour centre étaient indissociables de sa force : il était dans cette situation infernale parce qu’il était le plus fort, et il était le plus fort en raison de cette situation. Pourtant, à développer ainsi une nouvelle technique loin des yeux des anciens, avec l’aide de trois servants qui s’étaient volontiers changés en complices et se réjouissaient sincèrement de le voir progresser… Cela réveillait en lui une sensation qu’il avait perdue depuis l’enfance.

Au quatrième jour, c’était le sourire aux lèvres qu’il commença sa dernière journée d’entraînement. Il passa la journée à s’assurer qu’il était capable de combiner la lame de sable avec d’autres techniques - il s’entraîna à trancher une cible tout en utilisant le Bouclier de Sable pour arrêter des projectiles, puis à utiliser la lame tout en maintenant sa concentration sur un Sarcophage de Sable.

Alors que le soleil approchait l’horizon, il ne lui restait plus qu’une étape à surpasser.

« Ne me prévenez pas… Lancez-vous quand vous êtes prêts ! »

Quelques longues secondes après cette instruction, deux nouveaux fruits fendirent l’air, légèrement décalés l’un par rapport à l’autre, et chacun d’un côté différent de Shiran. Les doigts du ninja se crispèrent sur ses bras - il s’était interdit à les desserrer, afin de confirmer qu’il était bien capable d’utiliser cette lame avec autant d’aisance que ses autres techniques. Les yeux rivés droit devant lui, ne voyant les fruits qu’à travers sa vision périphérique, Shiran fit appel à toute sa concentration pour manifester deux lames à la suite, appelant le nom de sa toute nouvelle technique d’une voix grave.

« Sunaarashi Yaiba !»

Au terme du quatrième jour, alors que les deux fruits tranchés atterrissaient sans grâce sur le sol autour de Shiran, la Lame de la Tempête de Sable était prête.