Économie intérieure

Sous un soleil de plomb, entourées de pierres, Kyou et moi avancions d'un bon pas sur le sol craquelant du reg, elle sur le dos de son cheval, moi un grand rouleau de stockage au dos. Le coin était connu pour être un passage prisé car pas caniculaire du tout, une route idéale pour toute caravane, mais aussi un nid à voleurs et vermines as de la cambriole ainsi que de réelles tribus de pillards dont le sang séchait sur le lame de ton tanto que j'essuyai sur la cape qui me protégeait de l'astre d'en haut. Une goutte de sueur vint perler sur mon front et glisser entre mes yeux, puis à côté de mon nez jusqu'à parvenir à mes lèvres, où elle fut happée par ma langue, comme si c'était un réflexe. Mais hormis cela, aussi hydratées que nous étions, munies de gourdes, moi vêtue d'un chapeau et ayant prêté mon parapluie à la cavalière, nous ne transpirions que peu. Je connaissais les grands axes et la jeune genin était issue du désert, habituée à y vivre et parfois à y chasser, il y avait chez elle une familiarité avec le terrain obtenue par une habitude qui faisait d'elle une bonne pisteuse. Ce talent, c'était celui pour lequel je lui avais demandé de m'accompagner.

Nous marchions encore et encore sur ces gravats qui ne nous intéressaient nullement. Au contraire, nous apercevions là-bas ce qui nous intéressait : une étendue sablonneuse qui reflétait bien plus le soleil que la terne caillasse que nous piétinions. En voyant cela, nous nous arrêtâmes et ma main gauche vint caresser la croupe de la belle monture de la genin, qui secoua son arrière-train comme pour protester, à ma surprise. Mes yeux restèrent fixés sur le poil de l'animal avant que je ne me détourne de lui pour me concentrer sur notre destination. Mon visage devait afficher une petite mine satisfaite, car une impression de stupidité me vint alors.

Faisant mine d'ignorer les faibles courants d'air qui parcouraient mon manteau capé, j'avançai, les bras balançant légèrement sur mes côtes, sentant la chaleur du bout de mes doigts : un soleil doux. Climat clément aussi pour les lapins, dont quelques spécimens adaptés au désert filaient en nous voyant. Notre duo passa devant une caravane blanche  couchée sur le sol, les roues brisées mais surtout les planches ayant craqué sous le poids d'une énorme quantité de sable ayant envahi le véhicule.








Autour de nous, un sol calcaire, du solide, rien à voir avec ce sable à l'intérieur de la caravane et nous n'étions pas encore au niveau des étendue poudreuses. Sur le bois, trois carrés superposés entourant un lézard.







Là-bas, là où la pierre était recouverte par le sable, en pleine étendue poussiéreuse, se trouvait notre objectif, ou du moins celui que nous espérions : les restes de la tribu Hyogoro, ensevelie par une tempête il y avait de cela deux jours. Nous étions là pour précéder les pillards.

La caravane était irrécupérable, les propriétaires allaient devoir dépenser. Mais ce devait être le cadet de leur souci en ce moment. Je ne voyais aucune trace de chevaux ou dromadaires pouvant indiquer qu'une bande de pillards était venue dérober ce qui était transporté, cela pouvait être l'oeuvre de Kaigan, comme suggéré par la jeune cavalière, mais je ne comprenais pas pourquoi elle parlait de piste criminelle. J'avais eu vent d'affaire de ce clan maquillant des scènes de crime, mais hormis les Serika, qui pouvait imiter une tempête de sable ? En tout cas, en regardant de près, nulle trace d'attaque, pas de coups de lames, aucun signe de lutte. Je regardai mon adjointe à l'enquête, ou plutôt à la recherche, dubitative.

Lorsqu'elle continua et parla des pièces, j'écarquillai les yeux, les posai sur les restes de la roulotte et compris alors d'où venait mon incompréhension.





Comment disait Kinawa-sensei, déjà ? Ah oui, « Si tu sais transformer la nature de ton chakra, tu as les bases du ninjutsu futon. Le changement de nature est la première étape. Lui donner une forme s'acquiert avec les années. » La base, hein ? J'étais reconnaissante envers Honoka de m'avoir enseigné la technique du chakra nagashi et permis de connaitre mon affinité primaire, celle du vent, mais l'encouragement de mon maitre était on-ne-pouvait plus vrai. Après deux ans, j'avais compris pourquoi les techniques de ninjutsu les plus puissantes étaient maitrisées par des experts : changer la forme de son chakra était difficile, changer la nature de son chakra était difficile, mais coupler les deux exercices tenait de la véritable discipline. Son enseignement était intervenu alors que je tentais d'apprendre les techniques les plus basiques de genjutsu et me voilà à me livrer à l'étude d'un nouveau domaine de compétence. Genjutsu et ninjutsu différaient tellement ! Je joignis mes mains pour former mes mudras nécessaires, mon rouleau de stockage toujours sur le dos.

Serpent.
Je commençai à doucement malaxer mon chakra, un exercice basique auquel j'étais habituée maintenant. Même quelqu'un qui se battait en utilisant le taijutsu savait malaxer son énergie.

Bélier.
Ou chèvre, selon les folklores, mais j'entendais plus parler de chèvre. J'accélérai le malaxage du chakra afin de produire une quantité d'énergie utilisable suffisante et préparai déjà mon corps à la partie suivante qui allait me chatouiller, je le savais.

Sanglier.
Ou cochon, je préférais sanglier. Cette quantité de chakra malaxé, je commençai à transformer sa nature en puisant dans mes ressources profondes. Relâchant mes muscles, mon corps fut comme traversé par un courant rapide qui fluctuait dans mes bras, dans mes jambes et dans mon ventre, mais tout se précisa. L'énergie qui me traversait devenait comme plus légère et plus rapide, mais cela n'affectait aucunement mon corps, non, mais uniquement mon système chakratique. L'exercice devenait déjà plus difficile, me forçant à me concentrer sur deux choses : le malaxage et le changement de nature simultanés. Cela n'avait rien à voir avec la technique flux de chakra, car je ne rassemblais pas mon énergie en un endroit précis, je la modifiais à l'intérieur de mon corps au préalable dans le but de l'utiliser ensuite.

Cheval.
Du chakra futon parcourait mon corps, prêt à être employé. Du moins, je l'espérais. Lorsque Kinawa-sensei avait appris la nouvelle de ma maitrise du flux de chakra, il n'avait pas caché sa joie, lui qui depuis qu'il me connaissait souhaitait que je me concentrasse sur le ninpo. On eût pu rétorquer que je connaissais déjà le shunshin et qu'en l'an 12, Busujima Takeshi m'avait enseigné le kage bunshin ainsi que sa technique personnelle de création de clone déchainé, mais c'était bien en l'an 15 que j'avais souhaité en toute conscience élargir mon éventail de techniques et compétences, surtout à la suite du siège de Baransu qui nous avait donné bien du fil à retordre. Cette fois, l'énergie du vent flottait en moi avec vivacité par les canaux qui me composaient pendant que je continuais à malaxer ma vitalité en un carburant. Lorsqu'il m'avait entrainé pour la première fois, Kinawa-sensei avait remarqué que j'injectais trop de chakra malaxé dans mon corps et ne réussissais pas à effectuer les deux étapes de malaxage et changement de nature dans un même temps. Rien de bien surprenant, c'était il y avait un an et à ce moment, je me concentrais bien plus sur la création de techniques plus personnelles et sur la maitrise des illusions. « Tu as raison, il ne faut pas négliger ces matières. Même ta maitrise du taijutsu doit être entretenue, mais… tu essaies de jouer sur trop de fronts à la fois. Je t'ai vue, tu t'entraines aussi au nintaijutsu. Même si tu en restes aux bases, tu te disperses trop et toi qui as besoin d'intellectualiser le ninpo, je ne te conseille pas d'autant diversifier tes compétences en si peu de temps. » À ce souvenir, je fis la même erreur que lors de mes premiers entrainements et surdosai la quantité de chakra nécessaire à cette technique, mais me calmai vite en la stabilisant et profitai de mon élan pour déjà me concentrer sur le changement de forme de la technique. En comparaison à la technique du flux de chakra ou à celle du tourbillon de chakra, chakra no senpû, deux techniques de ninpo, la technique de la bourrasque que je voulais exécuter ne demandait pas de réunir son chakra élémentaire en un endroit, mais de le relâcher en un seul coup. Pas de déferlement de puissance mais juste un vent, un éclatant coup porté fait d'air et de vitesse. Mon couvre-chef était quelque peu secoué.

Oiseau
Ou coq. Alors comme ça, Kinawa-sensei, je ne pouvais pas me diversifier en si peu de temps ? Que devais-je comprendre, que cette technique ne convenait pas à ma méthode d'apprentissage ? C'était vrai. Comment appeler ma réussite d'il y avait une semaine, alors ? Un hasard ? Non. Durant des mois, je m'étais entrainée sur les terrains du village après mes exercices de taijutsu. Durant des mois, j'avais enchainé le sport intensif et la pratique des techniques plus ésotériques. Ceci couplé avec les tâches de conseillère et d'intendance, je frappais l'air et des morceaux de bois ou des cactus avant de continuer avec du ninjutsu. Durant des jours, j'avais malaxé mon chakra et travaillé à le transformer ; rien à faire, quelque chose m'échappait alors. J'étais parvenue à toutes les étapes, jusque là, mais lorsqu'il avait s'agit de tout relâcher, cela avait été comme un pet dans l'air. Rien. Pas de bourrasque. Durant des semaines, je m'étais fatiguée à rentrer très tard, trop tard pour une kunoichi qui devait être opérationnelle à chaque heure du jour et de la nuit. Enchainant les fins de journée à lire des bouquins sur les illusions pour poursuivre par de la pratique d'une discipline que je n'avais pas maitrisée du tout et ce pour ne presque pas progresser. Durant ma carrière de conseillère au service de l'intendant Nozomo Hayato, j'avais même demandé la permission de me retirer de mes fonctions durant deux mois et après avoir commencé par récupérer de ma fatigue pendant trois jour, j'avais commencé à passer plus de temps sur la pratique du futon au point que certains autres ninjas se demandaient mon emploi du temps. Pas de missions, que de l'entrainement et lorsque le kazekage m'avait confié des tâches, je m'étais dépêchée de tout finir pour retourner sur les terrains afin de joindre mes mains. Des jours, des soirs, des nuits à tenter de faire s'envoler un instructeur au point de rentrer souvent exténuée à la maison. Lorsque j'eus repris mon poste d'intendante, je n'eus pas changé de rythme et finis souvent par m'endormir chez moi avant d'avoir mangé. Les boissons énergisantes de chez Narutonic m'avaient bien aidée à tenir le coup et à prolonger mes séances même si je savais que c'était déconseillé, mais à ce moment, j'avais estimé le sacrifice de sommeil utile. Semaine après semaine, j'avais senti le sable légèrement se déplacer autour de moi mais jamais il n'avait formé une tornade et tourbillonné autour de moi. Je m'étais entrainée d'arrache-pied jusqu'au soir où mon corps n'avait pas tenu et que je m'étais réveillée au baraquement de soin. L'épuisement avait été tel qu'avaient suivi l'évanouissement, puis deux jours de repos. Mais l'entrainement était là pour s'améliorer et même si j'étais de ceux qui intellectualisaient les techniques, l'habitude et l'instinct restaient des phénomènes humains et sans forcément toujours comprendre au point de pouvoir théoriquement expliquer le concept du ninjutsu futon, j'avais soulevé le sable, puis des brindilles, puis plus de sable et plus de sable encore, soufflant autour de moi un vent rapide, jusqu'à y parvenir. À la bourrasque.

Je frappai dans mes mains en visant le sol.








Entre mes mains, le vent fut compressé et d'un coup frappa un grand coup. C'était une bourrasque : la bourrasque du vent qui m'avait couté tant de fatigue. Mais les efforts avaient fini par payer et voilà que maintenant, j'étais capable de la créer. Mon chapeau de paille s'envola Le sable ainsi se déplaça devant moi, s'écartant, creusant de son épaisseur. Mais cela ne fut pas de longue durée. Levant l'index droit pour signifier à Kyou d'être attentive, j'avançai de quelques mètres et tapai du talon gauche sur le sol  Non. Un mètre à gauche ? Non. Un saut plus loin ? Ah si ! Je dégainai alors mon tanto et y infusai le chakra de mon affinité primaire.








Je décrivis un grand arc de cercle dans le sable, qui s'envola sans peine. Non, deux centimètres plus bas. Un nouveau coup par terre et cette fois-ci, un craquement se fit entendre sous ma lame alors qu'une résistance se faisait ressentir. de quelques gestes des pieds, j'écartai la poussière pour qu'apparût un sol rocailleux. Tout en pointant la fente que j'avais créée, j'allai récupérer mon chapeau dans le sable.







Je regardai maintenant la caravane détruite, suspicieuse.






Soudain, après avoir revêtu mon couvre-chef de paille, je regardai la cavalière avec des yeux désolés.