Le sabre au clair

Tac. Tac. Le bruit de la pierre contre le panneau de bois résonnait dans la nuit noire. Tac. Tac. Wei continuait, inlassablement, à lancer des cailloux. Juste assez fort et juste assez régulièrement pour attirer l’attention de la personne de l’autre côté du panneau, sans pour autant alerter les autres habitants. Il fallait dire qu’elle prenait un risque, en venant jusqu’ici. Un risque dont Yu n’était pas au courant, d’ailleurs, ce qui rendait la chose d’autant plus périlleuse. Mais, pour une fois, elle n’avait pas pu se confier à lui. Car elle ne pouvait pas prendre le risque qu’il refuse.

Elle s’arrêta finalement. On pouvait voir, à travers le papier washi, une ombre se mouvoir, au second étage du pavillon Shungyō. Elle lança de nouveau une petite pierre, qui rebondit contre le cadre de la fenêtre. Alors, cette dernière s’ouvrit et un homme d’un certain âge offrit son visage à la Lune. Wei eut un sourire. Kazuo, l’aîné des héritiers Jin, n’avait pas changé. Insomniaque, il passait ses nuits à gérer l’empire familial, tout en sachant pertinemment qu’il n’en prendrait jamais la tête. De plus de vingt ans son aîné, il vivait sa vie paisiblement avec sa femme. Wei ne comprenait pas toujours ses choix, mais elle avait du respect pour sa loyauté sans faille. Il fallait plus d’hommes de son espèce dans le monde, croyait-elle.

« Psst ! Je suis là ! » Elle eut un geste de la main, sortant du buisson dans lequel elle était fourrée. « J’arrive ! » souffla-t-elle, avant de bondir jusqu’au balcon. Passant la rambarde avec souplesse, elle atterrit face à son frère et lui offrit son plus beau sourire. « Ça faisait longtemps. » ajouta-t-elle alors avec un gloussement, avant de se glisser dans l’embrasure de la porte-fenêtre, sans même lui demander son avis. Comme elle pouvait s’y attendre, il s’agissait du bureau de son grand frère. Curieuse, elle commença à fureter.

« Comment vont papa et maman ? Ce n’est pas comme s’ils donnaient des nouvelles dernièrement… » Il y avait çà et là des papiers divers, tantôt parsemés de nombres, tantôt paraphés des initiales J.K. Prenant ses aises, la jeune femme se trouva un fauteuil. Elle avait parlé sur le ton de la conversation, mais son frère n’était visiblement pas dans le même état d’esprit. Alors, devant son air sévère, elle n’eut d’autre choix que de soupirer. « Je sais, je ne devrais pas être là. Mais tu es peut-être le seul à ne pas vouloir ma peau, actuellement. » Elle eut un rire qui trahissait sa nervosité, malgré elle. Plongeant alors la main dans son vêtement, elle en ressortit une petite enveloppe cachetée qu’elle tendit à son frère. Le sceau des Jin ne laissait guère de doute quant à sa provenance.

Attendant qu’il découvre son contenu, elle hocha la tête, l’air soudainement triste. Heng n’était plus dans la course. « Sachi a bien failli m’avoir. Yu l’a massacrée. » Elle serra la mâchoire, plongeant son regard dans les yeux de Kazuo. « Ce n’était qu’un avant-goût de ce qui nous attend… Je ne veux pas lui infliger ça, encore et encore. J’ai besoin de m’améliorer. Aide-moi, s’il-te-plait. » Et, pour la première fois de sa vie, elle s’inclina humblement devant son frère aîné.

Kazuo Jin était inquiet. Très inquiet. Sa petite sœur venait de lui rendre une visite impromptue en s'infiltrant dans son pavillon. Cela lui faisait certes plaisir de voir une membre de sa famille mais le danger qu'elle courait en venant chez lui était énorme. La présence de Wei avait été détectée dès qu'elle avait passé le mur d'enceinte du pavillon, la preuve que ses talents n'étaient pas trop rouillés.
Kazuo était un homme était d'âge mûr, grand et élancé, dont le port dénotait une éducation stricte et martiale. Pendant de nombreuses années, il avait été le prétendant numéro un à la succession. Ses frères et sœurs le craignaient et avaient même tenté de l'assassiner à de multiples reprises. Et ce jusqu'à ce qu'il se retire officieusement de la succession. Son âge avancé ainsi que l'estime qu'il portait à la vie en général faisaient qu'il avait en horreur cette succession débile et désuète.

« Tu n'aurais pas dû venir. Tu sais que tu risques ta vie Wei... »

Voir que Wei était encore dans la course le chagrinait. C'était une des plus jeunes membres de la famille et, bien qu'il connaisse les prouesses martiales de son kagemusha Yu, il savait que d'autres éléments du cercle familial étaient bien plus dangereux, sans parler de certains de leurs kagemusha. Par chance, Guo, son propre gardien, était en mission dans le désert et ne devait pas revenir avant plusieurs jours. S'il avait eu vent de la présence de Wei, il l'aurait sans doute exécutée lui-même ou aurait donné l'information à d'autres prétendants. La benjamine de la famille avait donc eu de la chance.

Reposant la tasse de thé qu'il était en train de boire à côté de dossiers familiaux, il écouta la jeune femme lui décrire ce qui se passait. Il aurait préféré s'en passer mais écouta avec attention. Leur frère Heng n'était plus dans la course... Le pauvre. Sachi était morte également. Tant mieux, il ne l'avait jamais aimée. Perdu dans ses pensées, il entendit Wei lui demander de l'aide sur un ton qu'il ne lui connaissait pas. Se retournant vers elle, il la vit courbée vers lui, dans un salut respectueux que ses tuteurs avaient essayé de lui apprendre à leurs dépens. Un léger sourire apparût sur son visage. Il craignait pour sa jeune sœur car il avait en tête la jeune fille insouciante et naïve de leur enfance commune. A voir l'évolution de son sens de l'étiquette, sans doute avait-elle bien évolué.

D'un pas souple et silencieux, Kazuo marcha doucement vers un des murs de la pièce, portant la main sur le fourreau d'une arme qui y était accrochée depuis bien longtemps. Sabaku no Kishimi. La lame forgée pour l'aîné. Il décrocha le fourreau et déclara:

« J'espère que tu t'es améliorée depuis le temps. Je ne te ferai pas de cadeau. Strictement aucun. »

C'était la moindre des politesses pour un Jin. C'était également le plus grand signe d'amour dont il pouvait témoigner pour sa sœur. Son buste pivotant vers sa partenaire d'entraînement, il fit sortir quelques centimètres de la lame de son fourreau, dans un grincement caractéristique. Le grincement du désert. Son visage, auparavant poli et souriant, se durcit instantanément. L'heure n'était plus à la politesse. D'un signe de tête, il fit signe à Wei de démarrer.

Voir son aîné tenir de nouveau Sabaku no Kishimi ne laissa pas la rouquine indifférente. C’était un immense honneur qu’il lui faisait et elle fut parcourue d’un frisson indescriptible, partagée entre crainte et admiration. Cela faisait si longtemps que la lame pendait à ce mur, si longtemps qu’il avait renoncé à son pouvoir… Pourtant, la lame forgée pour le premier né de cette génération était d’une beauté sans nom, grinçante, étincelante et certainement tranchante comme au premier jour. Elle faisait partie de ces lames qui forçaient le respect et que Wei rêvait d’affronter un jour.
Chancelant légèrement lorsqu’elle se releva, cette dernière eut un petit rire. « Un jour… » Toute la nuance était là. Elle ne s’attendait pas à ce qu’il sorte d’emblée le grand jeu. Elle était venue s’entraîner, pas se faire massacrer. Pourtant, elle ne pouvait nier que c’était une belle preuve d’amour, de sa part. Et maintenant qu’il avait accepté de l’aider, elle ne pouvait pas lui manquer de respect en refusant de croiser le fer.

« Pas ici. » dit-elle alors, la gorge légèrement nouée par la tension. Se risquant à un trait d’humour, comme pour dissimuler sa nervosité, elle ajouta : « Je ne voudrais pas réduire les comptes de l’Empire en charpie. »

Sa demande semblait raisonnable, mais elle était aussi calculée. Le bureau de son frère était certes confortable pour son utilisation normale, il n’était pas adapté à un combat avec une arme comme Kūnwú. A l’inverse de Sabaku no Kishimi, la lame de Wei ne s’exprimait pleinement que dans les endroits spacieux où elle pouvait prendre n’importe quelle forme, n’importe quelle taille, au fil du combat et en fonction des situations. C’était ce qui faisait la force de la jeune combattante : sa capacité d’adaptation et son imprévisibilité.
Pesant le pour et le contre, jaugeant les affaires administratives éparpillées çà et là de son regard cristallin, Kazuo se décida finalement à accéder à la requête de sa plus jeune sœur. Il la conduisit alors jusqu’à son dojo personnel, à quelques pièces de là, non sans prendre le soin de s’assurer au préalable qu’ils étaient seuls dans les couloirs. Il serait bien malheureux qu’un serviteur ne reconnaisse la Jin et ne transmette l’information à Guo.

Comme elle s’y attendait, la salle était plus grande et dépourvue d’obstacles. Il lui fit signe de nouveau, l’air grave, et elle eut un sourire légèrement crispé en retour. C’était à elle de donner le départ ; il n’y avait plus d’échappatoire.

Il y eut une seconde de flottement, pendant laquelle la jeune femme posa doucement sa main sur la garde de son arme et inspira profondément, les yeux fermés. Alors, le tremblement presque imperceptible qui agitait son corps sembla subitement disparaitre. Au contact de sa lame fétiche, Wei se métamorphosait.
Mais elle ne laissa pas à son frère le loisir de contempler sa transformation. Sitôt ses doigts refermés sur la garde de Kūnwú, la jeune femme donna le départ du combat. « Go ! » lança-t-elle brusquement, et tout s’enchaîna alors. Elle ouvrit les yeux, tirant la lame de fourreau dans un mouvement circulaire. Kazuo n’était pas loin, mais évidemment hors de portée de lame. Il se rendrait bien vite compte néanmoins que le but de sa première manœuvre n’était pas de lui porter un coup direct : alors qu’elle dégainait son arme, la jeune femme avait libéré une vague de chakra tranchante. Profitant de cette première surprise, Wei bondit vers l’avant et porta un nouveau coup avec son épée.

Le combat avait bel et bien débuté.

Le dojo était un endroit parfaitement adapté pour qu'ils s'affrontent. En effet, ils auraient pu altérer les documents dans son bureau et cela n'aurait pas été convenable. Agréablement surpris pas la maturité dont faisait preuve sa jeune soeur, Kazuo avait remarqué qu'elle était heureuse et honorée de pouvoir croiser le fer avec lui. Il allait lui en donner pour son argent. Pendant des années, les shinobis qui l'avaient affronté et surtout ceux les rares qui avaient pu revenir en entier d'un affrontement contre lui l'avaient surnommé le Lotus Pourpre du Désert. Sa fratrie avait longtemps essayé de passer la barrière impénétrable autour de lui. Rares étaient ceux qui avaient franchi son maai sans en payer le prix.

Aussi, il lui laissa l'initiative. Le premier échange du moins. Profitant de l'instant, il regarda l'objet que portait Wei. Il connaissait déjà la lame qu'elle portait. Capable de se transformer, elle était l'objet le plus versatile qui avait été forgé pour la génération actuelle des Jin. Et sans doute un des plus dangereux du fait de cette même capacité. Le changement de version permettait de toujours tromper l'adversaire sur la distance d'attaque possible. Pour des artistes martiaux peu entraînés, cela garantissait des blessures sévères la plupart du temps. Et quand sa sœur passa à l'action, il ne fut pas surpris. L'attaque de Wei était intéressante. Un croissant de chakra fendait l'air rapidement entre eux, obligeant l'aîné des Jin à réagir.

Ses pieds glissèrent sur l'avant du tatami tandis qu'il avançait là où nombre de shinobis auraient choisi une esquive latérale ou une déviation. Dans un bruissement léger, il se fendit vers son adversaire. Le souffle de chakra le frôla tandis qu'il se préparait pour l'attaqué bondissante qui suivait. Plantant son regard dans les yeux de Wei, il sourit :

« Pas mal. Mais il va falloir faire un petit peu mieux. »

La lame adverse se rapprochant, la sienne se chargea en chakra. Il valait mieux pour sa sœur que cette frappe soit évitée. Son petit coup d'épée ne tiendrait pas la comparaison. Cette attaque était un de ces grands classiques de l'art du sabre. Une frappe noble et puissante qu'il valait mieux éviter. Surtout quand le lanceur était le Lotus Pourpre. Ne vérifiant même pas si sa cadette était blessée, il enchaîna sur un assaut rapide et technique. Une véritable tempête de lames destinée à jauger les capacités défensives de Wei. Selon sa réaction, il se permettrait d'aller plus loin. Sinon, l'exercice s'arrêterait là. Pour motiver la jeune Jin, il la tança.

« Déjà fatiguée ? »

Il avait très bien vu qu'elle en avait sous la pédale. Son physique n'était plus celui de la jeune enfant qu'il avait connue. Elle était devenue une kunoïchi accomplie ou du moins il le supposait. Jusqu'où? Il voulait le découvrir. Ou du moins il voulait en savoir plus que ce que ses informateurs lui avaient rapporté il y a quelques années.

Récapitulatif:

En dépit des années passées derrière un bureau à gérer la comptabilité de la famille Jin, l’agilité et la rapidité de Kazuo n’avaient pas été altérées. Prenant Wei par surprise, l’homme de vingt ans son aîné ne chercha pas à fuir ou à encaisser la vague de chakra, mais bien à avancer tout en l’esquivant. La jeune femme vit le corps de son adversaire se plier devant elle et passer sous le croissant de chakra, alors qu’elle venait de bondir. D’un coup sec de sa lame, il lui envoya une vague de chakra qu’elle prit de plein fouet sans pouvoir l’éviter, emportée dans son mouvement. La technique était peut-être légèrement différente de l’Issen, mais elle était tout aussi efficace.

Forcée de reculer sous l’effet de l’onde, elle sentit un vent de panique la caresser tandis qu’il armait de nouveau son bras, prêt à enchaîner sur un nouvel assaut. La façon dont il avait tourné une simple ouverture en véritable avantage était impressionnante. Cela témoignait bien de toute l’expérience de son aîné et lui faisait pleinement ressentir le poids des années qui les séparaient. Elle avait beau avoir grandi, de son côté il avait atteint l’âge où plus rien ne pouvait le surprendre. Mais la peur qui lui avait saisi le ventre, un bref instant, n’était pas tellement lié à cette différence d’expérience. Elle redoutait surtout le moment où il utiliserait le plein potentiel de son arme. Lui offrir le moindre avantage, même aussi infime qu’en cet instant, c’était lui permettre de faire hurler Sabaku no Kishimi.

Elle ne prit pas de risque, ne sachant à quoi s’attendre sur ce nouvel assaut. Et alors que Kazuo abattait son arme en une tempête de lames, la jeune femme disparut subitement, cédant la place à un vulgaire pantin d’entraînement. Fatiguée ? Visiblement très à l’aise dans le combat, le frère se permettait de provoquer sa plus jeune sœur. Elle serra les dents, le chargeant brutalement avec son sabre, comme en réponse à l’attaque verbale. « Jamais. Et toi, pas trop mal aux articulations ? » Sous l’effet de la surprise, elle aurait peut-être une chance de le toucher avec sa technique de décapitation. Du moins, elle ne pensait pas avoir une autre occasion d’y parvenir.

Quoi qu’il en soit, elle ne souhaitait plus lui laisser de répit, ayant repris un semblant de dessus dans le combat. Elle abattit de nouveau sa lame, faisant pleuvoir les coups comme pour le forcer à parer. Focalisé là-dessus, il n’aurait peut-être pas l’occasion de voir une nouvelle ouverture. Cela dit, Wei ne croyait pas réellement en ce plan, sachant pertinemment que son frère était un adepte du multitâche et un cerveau brillant. Elle s’attendait donc, d’une seconde à l’autre à se faire de nouveau agresser à la suite d’un retournement de situation imprévisible. Après ça, il allait être difficile pour elle de tenir le rythme au sabre, n’ayant plus beaucoup d’autres tours dans son sac. Il était évidemment hors de question de réutiliser la même ruse plusieurs fois : Kazuo était bien trop intelligent pour se laisser avoir deux fois de suite.

La souplesse de Kazuo était surprenante pour un homme de son âge. Même pour un sabreur. La grâce dont il faisait montre lors de combats était en grande partie liée à cela. Peu savaient qu’il s’exerçait encore quotidiennement pour se maintenir ainsi en forme. Et là résidait une bonne partie de son talent. Wei venait d’être surprise par l’onde qu’il venait d’envoyer, ne pouvant que le voir armer le bras et enchainer dans cette tempête de lames. C’est le moment que celle-ci choisit pour effectuer une substitution. Un choix judicieux. Kazuo sourit tandis qu’elle le chargeait une nouvelle fois. Il n’y avait rien à redire jusqu’ici pour les choix stratégiques de sa jeune sœur. Elle maitrisait les arcanes ninjas et l’art du sabre avec un brio qu’il avait rarement vu même chez ses meilleurs rivaux. Cela le rassurait au fond. Elle pouvait se défendre seule. Sa petite provocation verbale lui tira un grand sourire tandis qu’elle fondait sur lui dans un élan de bravoure.

Elle avait réussi à le forcer à agir de manière sérieuse. Son sourire s’évanouit en un instant tandis qu’une aura meurtrière émanait de lui, effrayante et silencieuse. On le surnommait le Lotus Pourpre du Désert. Elle allait comprendre pourquoi. En quelques pas, il s’avança une nouvelle fois sur la lame adverse, faisant chanter Sabaku no Kishima dans un cri strident. De l’extérieur, on aurait l’impression qu’il croisait simplement la route de Wei. Un son strident résonna dans la pièce, comme un cri aigu d’une âme en souffrance dont la douleur était telle qu’elle ne pouvait s’empêcher de rompre ses cordes vocales. Et cela cessa en une fraction de seconde. On aurait pu croire que cela n’avait jamais existé. Pourtant, Wei avait clairement pu sentir une résistance à son coup puis une sensation moelleuse, comme si sa lame s’enfonçait dans de la guimauve. Au ralenti, elle avait vu son frère lui passer à côté, un air sérieux sur son visage. Il aurait pu l’achever ici. Il aurait pu reprendre la course à la succession. Pourtant, il rangeait désormais son sabre avec le calme d’un artiste martial vétéran.

« Je crois qu’on va s’arrêter là. Je crois que j’ai failli m’emballer, déclara-t-il calmement. »

Son arme bien rangée au fond de son fourreau, il se tourna et Wei put lire une once de gêne au fond de son regard. Il n’était pas homme de mystères. Il s’en voulait après ce qu’il venait de se passer. A vrai dire, si Wei regardait son habit du jour, elle pourrait sans doute y voir un long trait fin qui avait endommagé la partie extérieure du tissu. A portée de bras, personne n’y verrait sans doute rien mais une fois plus proche, ce serait comme le nez au milieu de la figure. Il avait failli fendre en deux sa soeur chérie. Aussi jugeait-il plus propice à l’exercice de la guider oralement sur la marche à suivre.

« Tu as beaucoup progressé mais je pense que tu as encore énormément de chemin à faire. Tu veux que je te montre certains des mouvements que j’ai exécuté lors de notre duel ? »

Le cri de Sabaku no Kishimi… Wei sentit les poils de sa nuque se hérisser et elle eut une sueur froide. Subitement, elle prit conscience de la folie de son acte. Quelle idée avait-elle eu d’aller voir son frère, seule, dans la nuit, sans même prévenir Yu, sans même savoir si Guo serait là ? A l’évidence, Kazuo ne voulait pas lui faire de mal. Mais, tout de même, il tenait sa vie entre ses mains. Et Sabaku no Kishimi réclamait son dû. Un accident était si vite arrivé.
« Tu as raison. » souffla-t-elle alors que l’aîné des Jin proposait de mettre fin au combat. Elle ne dit rien de plus pour ne pas rajouter à l’embarras de son grand-frère, mais elle avait bien vu l’estafilade sur sa tenue ; il avait failli la tuer. Elle abaissa son arme, reprenant un peu de distance également.

L’homme voyait juste : Wei savait se battre à l’épée, mais elle était loin de pouvoir prendre en duel un bretteur averti. Elle avait seulement mentionné Sachi, mais elle n’avait pas gagné un seul duel depuis un bon moment en réalité. Fumetsu, Hitagi, et même ce samouraï qui protégeait une mine du Pic des Géants… Dès qu’elle faisait face à un adversaire sérieux, c’était toujours la même chose. Tous avaient su passer ses défenses et tous avaient su résister à ses attaques. L’imprévisibilité avait ses limites, finalement.

« Tu vas m’apprendre la technique qui a failli me tuer ? » lança-t-elle malicieusement, dans une tentative de détendre l’atmosphère. Il était évident qu’elle ne disait pas cela sérieusement. Elle eut un haussement d’épaules suivi d’un petit rire. « Ton coup oblique était intéressant. L’onde me fait penser à Issen, en plus violent. Ça m’a quand même fait reculer… Ta tempête de lame était sympa aussi. Je pense en connaître une assez semblable, à la lance. On peut commencer par ça, regarde… »
Reprenant position face à son frère, elle joignit le geste à la parole. Kūnwú se métamorphosa alors, sous le regard de Kazuo, pour devenir une belle lance à la lame acérée. Elle pointa l’arme dans sa direction, tout en veillant à maintenir une certaine distance entre eux. L’objectif n’était pas de l’attaquer réellement. Elle annonça : « Les milles éclats d’acier ! » Elle enchaina alors plusieurs coups dans le vide, comme si elle combattait un ennemi invisible, variant les angles d’attaques, avec vitesse et précision.

L’aîné de la fratrie hocha plusieurs fois la tête, contemplant la jeune fille avec sérieux. Effectivement, il s’agissait de la même technique, exécutée non pas avec une lance mais avec un sabre. Cela facilitait grandement l’exercice, dans le sens où la demoiselle avait déjà connaissance de l’approche globale et savait quel résultat obtenir.
En réalité, la difficulté viendrait de l’arme en elle-même. Et, de fait, Wei s’en rendit très vite compte lorsque, en redonnant à Kūnwú sa forme originelle, elle tenta de reproduire les mêmes gestes.

« Ce n’est pas pareil. » constata-t-elle dans un froncement de sourcils, alors qu’elle essayait de donner du bras dans le vide. « Fait chier, j’ai l’impression d’être une empotée. » Et pour le coup, ça n’était pas complètement faux. Ses gestes étaient plus lents, plus maladroits que ce qu’elle avait montré à Kazuo avec sa lance.
Il fallait dire que lorsqu’elle exécutait cette technique à la lance, ses deux mains tenaient la hampe, et ses jambes étaient légèrement écartées, l’une vers l’avant, l’autre vers l’arrière. Avec une lame à une main, la configuration était tout à fait différente. Ce n’était pas un problème de vitesse et d’agilité, mais bel et bien de positionnement. Tentant de porter des coups d’estocs du bras droit, elle perdait facilement l’équilibre, ne sachant quoi faire du bras gauche.

« Tu peux me remontrer ? » demanda-t-elle finalement à son aîné, légèrement essoufflée par l’effort.

Entraîner sa sœur de vive voix était une meilleure idée que de faire joujou avec elle et deux lames acérées, dont une traînant une sale réputation de lame avide de sang et de pleurs. Aussi avait-elle convenu qu’il lui apprendrait tout d’abord la tempête de lames. Une technique intéressante et très utile en combat. Elle n’était pas si meurtrière que cela mais c’était une technique qui permettait de prendre un avantage certain dans un combat au corps à corps. Avant même qu’il ne puisse lui donner quelques conseils, la jeune Jin passa à l’acte, transformant une nouvelle fois son arme si spéciale en une lance longue de plus d’un mètre-vingt. Annonçant le nom de la technique, elle lança de nombreux coups dans l’air, alternant positions et angles d’attaque.
Main pincée sur le menton, Kazuo opinait du chef. L’intention était bonne mais un peu… junior ? En effet, bien que sa soeur ait une arme métamorphe, son expertise avec différentes armes était encore perfectible. Non pas qu’il doute de sa technique mais de son expérience contre des adversaires armés différemment. La voyant se heurter aux limites de son petit essai, il sourit quand il l’entendit s’agacer après avoir repassé son arme en épée. Elle avait perçu la nuance en termes de positionnement et lui demandait de s’exécuter devant elle.

« Avec plaisir, dit-il avec nonchalance, s’en allant décrocher un shinaï d’exercice sur un râtelier d'armes. »

Fouettant l’air de quelques mouvements du bras pour s’assurer de la bonne tenue et surtout de l’inertie de l’arme, il s’avança face à un mannequin et entreprit d’exécuter la technique. Le morceau de bambou fouetta avec vigueur le pantin de bois en de multiples endroits tandis que Kazuo se fendait, repliait son coude, frappait une nouvelle fois, le tout avec une vitesse surprenante pour un homme de son âge. On aurait dît qu’il était plein d’énergie et très souple. La réalité était toute autre mais il se garda de le dire. Il prolongea un peu la technique pour que Wei puisse percevoir toutes les nuances de la technique et, pour finir, il ajouta un peu plus de force dans chacun de ses coups, exerçant une pression telle sur la pointe de la lame que celle-ci émettait un bruit de bois mat très sec quand elle venait frapper la cible. Une fois les muscles de son bras réchauffés par l’exercice, il s’arrêta pour essuyer de son autre main une goutte de sueur qui venait d’apparaître sur son front.

« Tu as bien fait d’essayer avec une lance mais la réalité est toute autre avec une lame comme un sabre ou une épée. L’équilibre est bien différent. Une lance te force à joindre tes deux bras sur l’arme et à leur imprimer des mouvements quasi-synchrones. Tu as bien plus de force derrière tes mouvements mais cela sert surtout à compenser l’inertie de l’arme. Avec une lame comme la tienne sous forme d’épée, tout est question d’équilibre. Tu dois trouver une manière de compenser les assauts de ton bras droit. Dans une optique de simplicité, cela se fait avec ton bras gauche car c’est le plus facile même si cela rend l’assaut plus lisible pour un adversaire expérimenté. Sinon, tu peux compenser par tes déplacements, tes angles d’attaque et en jouant avec ton centre de gravité, comme j’ai fait sur les derniers assauts. C’est bien plus technique mais le résultat est plus impressionnant et efficace. Tu veux réessayer ? »

Il n’avait aucun doute que Wei soit capable de réussir cela. Avec le bras gauche pour contrebalancer, ce serait l’affaire de quelques minutes. Pour la seconde option, même une vie entière ne suffirait pas à parfaire les mouvements. Pourquoi ? Car cela faisait entrer les adeptes de ce second chemin sur une recherche de style. Chaque artiste martial était différent sur cet aspect-là. Chacun donnait à percevoir un style différent, tantôt représentatif de l’âge du combattant, de son état d’esprit. Malheureusement pour ce choix-là, Kazuo ne pouvait se substituer à sa sœur.

La technique de Kazuo était impeccable. Il suffisait d’un seul coup d’œil pour voir que l’homme avait fait du katana sa spécialité. Sa jeune sœur scrutait donc le moindre de ses mouvements, de la façon qu’il avait de balancer le haut de son corps lorsqu’il donnait des coups, jusqu’au placement de ses pieds au sol et la répartition de son poids entre ses deux jambes. En le contemplant ainsi, elle ne pouvait s’empêcher de songer qu’il était à des années-lumière d’elle en termes de maîtrise d’arme. Tout paraissait si facile, si fluide. C’était l’œuvre d’une vie. Cela dit, si elle voyait bien la différence dans l’exécution, la jeune femme ne savait trop quoi ni comment changer sa propre façon de faire pour parvenir au même résultat que son aîné. Fort heureusement, ce dernier finit par interrompre sa démonstration et lui apporter plusieurs éléments de réponse.

L’équilibre ; rapidement l’homme mit un nom sur ce qu’elle avait expérimenté, confirmant sa première analyse. Elle hocha la tête, comprenant là où il voulait en venir. Tandis qu’il lui dispensait ses conseils, Wei tenait son arme à bout de bras, évaluant sa capacité à conserver l’équilibre en usant d’un seul membre. Il lui fallait compenser avec son bras gauche, disait son frère, ou trouver un équilibre dans chacun de ses mouvements en harmonisant l’intégralité de son corps. Elle fit bouger légèrement la lame au bout de son bras, comme pour la soupeser et évaluer son inertie. Kūnwú était une belle arme, mais elle était naturellement lourde ; c’était ce qui faisait toute la brutalité des coups portés par la jeune femme. Pour cette technique, malheureusement, cela lui portait préjudice.

Suivant les bons conseils de son grand-frère, la rouquine concentra ses efforts sur son bras gauche. Une fois qu’elle saurait maitriser la technique de cette façon, peut-être qu’elle chercherait le perfectionnement en trouvant un nouvel équilibre avec l’ensemble de son corps. Pour l’heure néanmoins, elle savait faire preuve d’humilité.
Le début de l’entrainement fut assez rébarbatif ; elle faisait toute sorte de mouvements avec son arme, principalement des coups d’estoc, et tentait de trouver la bonne position pour son bras libre. Au début, Kazuo se plaça derrière elle et guida ses membres, les forçant à se replacer à chaque fois. Puis il la toucha de moins en moins, se contentant d’ajuster sa position légèrement, jusqu’à finalement reculer et se contenter de l’observer. Wei donna alors plus de force à ses coups, bougeant davantage le buste d’avant en arrière, puis se déplaçant, un pas après les autres. Trouver l’équilibre était une affaire de temps ; il fallait essayer, et essayer encore, sans s’énerver de ne pas réussir.

« C’est pas mal. » finit par dire son frère, tandis que les attaques de Wei avaient gagné en vitesse et en force. La jeune femme relâcha alors son bras, laissant Kūnwú tomber au sol. « Pas mal ? » s’étrangla-t-elle, essoufflée, se massant doucement l’épaule droite. Elle avait mal au bras, à force de porter autant de poids. « Une dernière fois ! » l’encouragea son ainé. Une dernière fois, et elle serait libre.
Alors, elle ramassa sa lame, et se remit en position, non sans râler. Trois, deux, un… Une véritable tempête de lames s’abattit sur le mannequin d’entrainement précédemment utilisé par l’homme pour ses démonstrations. Ce n’était pas parfait, c’était même encore très loin de ce que Kazuo avait montré, mais ça avait le mérité d’être efficace. L’homme hocha la tête ; sa jeune sœur pouvait s’arrêter là.

S’accordant quelques instants de pause pour s’étirer, elle s’exclama alors : « Technique suivante ! » Elle avait mal partout, mais elle était enthousiaste. Son frère était un bon professeur ; elle avait envie d’en apprendre davantage et de progresser. Elle allait impressionner Yu.

Le brio avec lequel Wei venait d'exécuter la technique laissa l'aîné de la génération Jin actuelle pantois. Il hocha la tête sans rien montrer de l'admiration qu'il avait pour sa jeune sœur mais un œil averti aurait pu voir son regard pétiller. Réussir à maîtriser un style d'arme tel que celui-ci avec une arme comme la sienne relevait de la prouesse martiale. Il avait passé des années à s'entraîner avec son arme avant que son port du sabre devienne si efficace. Au fond de lui, Kazuo ne pût s'empêcher de ressentir une pointe de jalousie pour la jeune génération. Peut-être aurait-il pu se donner à fond lui aussi ? Remporter cette succession avec facilité et abolir ces règles stupides ? Il aurait sans doute dû le faire oui. Mais cela aurait-il permis à Wei de devenir aussi brillante ? Il en doutait malheureusement.

D'une oreille, il écouta distraitement Wei réclamer une nouvelle technique. Elle ne perdait pas de temps. Ah ça non. Il lui sourit et lui dit alors :

« Soit. Continuons. On va rester sur quelque chose que tu as déjà vu alors. Essaies de t'en imprégner et d'y incorporer ton style. »

Prenant son arme à deux mains, il se posta à une distance assez éloignée de sa soeur, en position du cavalier, jambes écartées et légèrement fléchie. Le temps sembla passer un moment tandis qu'il restait dans cette position. On aurait pu croire qu'il était relaxé mais les muscles de son corps étaient tendus comme un arc, prêts à agir. Ses mains sur le manche de la lame augmentèrent soudain leur pression sur celui-ci tandis que les muscles de son bras soulevaient la masse d'acier avec une aisance peu commune. Le Lotus Pourpre du Désert venait de passer à l'action. De l'extérieur, on aurait dit qu'il bouger au ralenti. Dans l'élan de la lame, une gerbe de chakra bleutée vint colorer celle-ci, dense et chaotique. Quand la lame passa au-dessus de l'épaule de Kazuo, celui-ci, visage fermé et concentré, ouvrit la bouche et, d'un ton sec, cria:

« HA. DAN. »

Dans un mouvement soudain, l'épée balaya l'espace entre les deux Jin dans un crissement strident. La lame venait de balayer une grande diagonale dans un mouvement presque lent mais brutal. C'était une des signatures de Kazuo, une des techniques qu'il avait le plus employé dans son existence. Pas peu fier de son effet, il regarda Wei avec un air satisfait et rengaina sa lame dans son fourreau dans un crissement caractéristique. Il n’avait encore une fois aucun doute que Wei soit capable de réussir cela.
Mais le réussir avec panache ? D'un air de défi, il releva le menton vers la jeune femme dans un aller-retour. Et toi, tu sauras le faire ?

Récapitulatif:

Après la tempête de lames, place au coup oblique qui n’était pas sans rappeler la technique Issen. A l’instar de la technique précédente, la jeune femme tâchait de faire le parallèle avec ce qu’elle connaissait déjà. Mais si la différence entre les Milles Eclats d’Acier et la Tempête de Lames était assez flagrante, ne tenant finalement qu’à l’arme employée, elle devait admettre que cette fois la distinction était plus subtile. A priori, dans les deux cas – du moins, de ce qu’elle avait vu au cours de leur bref duel –, il s’agissait de libérer une vague de chakra dans le mouvement de l’arme. Mais alors pourquoi le Hadan l’avait-elle fait reculer, là où l’Issen ne faisait que trancher ? Ses premières suppositions s’orientaient naturellement vers plus de vitesse ou une vague plus prononcée, davantage chargée en chakra. Kasuo lui démontra l’exact opposé.

Dans un style proche de celui de l’école Shōtōkan-ryū, l’aîné prit son temps, travaillant sa respiration, maîtrisant la tension de ses muscles, retenant ses mouvements jusqu’au dernier moment. Alors qu’elle l’observait, les yeux grands ouverts, la rouquine se surprit à retenir sa propre respiration. Après lui avoir démontré toute la rapidité et la précision dont il était capable, voilà qu’il lui prouvait que maîtrise rimait également avec retenue et concentration. Il avait pris son temps, mais la vague qui en était sortie avait été tout aussi puissante que lors de leur combat. Elle ne sut quoi répondre lorsqu’il fit lui un signe de tête, comme pour la mettre au défi de réaliser la même performance. Quel bâtard ! Il faisait genre, avec son air détaché, mais il jouait avec l’ego de sa plus jeune sœur. Elle eut une moue faussement boudeuse.

Prenant place au milieu du dojo, elle se mit en position, jambes écartées pour plus de stabilité. La difficulté ne venait pas de la reproduction des mouvements de son frère, sinon de la lenteur avec laquelle il les avait exécutés. Il fallait bander ses muscles et les maintenir dans cette position sans faillir. Contrairement à Kasuo, elle ne commença pas arme au fourreau, mais au-dessus de sa tête. Les deux mains sur la garde, bras légèrement inclinés, elle resta ainsi un long moment. Les secondes s’écoulèrent sans qu’elle ne frémisse. Peu à peu, son cœur ralentit. Sa respiration se fit plus lente, jusqu’à n’être plus qu’un fin filet d’air. L’air tout à fait sérieux, elle fixait un point invisible dans l’espace.

« HA. » Elle fit un pas vers l’avant, basculant tout le poids de son corps sur le côté droit, contorsionnant son buste pour suivre le mouvement. « DAN. » Ses bras s’abattirent en un trait oblique, en direction de sa jambe gauche restée en arrière. L’air siffla sur la trajectoire de Kūnwú. Mais la jeune femme ne comptait pas en rester là. « HA. » Cette fois, elle avança sa jambe gauche vers l’avant, effectuant une rotation de ses mains sur la garde pour basculer la lame vers l’arrière, comme si cette dernière était à sa ceinture. « DAN. » Kūnwú trancha l’espace de bas en haut, comme Kazuo l’avait fait quelques minutes auparavant.

L’exercice la faisait souffrir, ses muscles chauffaient, mais elle n’en avait pas terminé. Comme pour la Tempête de Lames, la Jin était attentive à son équilibre. Elle répéta l’enchainement, lentement, puis un peu plus vite à chaque nouveau cycle. Jusqu’à ce qu’elle n’ait plus à penser au mouvement, jusqu’à ce qu’il devienne un réflexe.

Lorsqu’elle abaissa enfin son arme, elle eut l’impression de ne plus sentir ses bras. Tenir Kūnwú à bout de bras au-dessus de sa tête pendant aussi longtemps n’était pas chose aisée. Requérant une pause auprès de son frère, se secouant les membres comme pour y faire revenir le sang, elle en profita pour s’enquérir de la suite. « Je pense avoir le geste, qu’en est-il du chakra ? »

Wei avait une nouvelle fois décidé de le surprendre pour exécuter la technique qu'il venait de lui montrer. Cela laissa encore l'aîné de la génération Jin hébété devant le talent inné de sa soeur. Elle était certes une travailleuse acharnée mais son sens des arts martiaux était impeccable. Sa mine, précédemment goguenarde se métamorphosa en un air sérieux et appliqué. Commencer avec le sabre au-dessus de sa tête était une simplification du mouvement tout à fait nécessaire pour apprendre. Qu'elle le fasse par réflexe le conforta dans l'idée que Wei était brillante. Surtout, elle ne cessa d'augmenter son incrédulité quand elle enchaîna plusieurs fois le mouvement jusqu'à ce que le geste prenne sa forme "naturelle". Elle semblait physiquement drainée par l'effort mais cela ne l'empêcha pas de répéter le geste plusieurs fois, essayant de corriger son équilibre et sa position à chaque itération.

Son interrogation sur le chakra était bienvenue car il s'agissait par contre du point le plus ardu de la technique. Se stoppant quelques instants, elle lui confirma que le geste était acquis mais qu'elle voulait en savoir plus sur la gestion du chakra.

« C'est une bonne question. Je serais un mauvais enseignant d'art de l'épée et je dirais qu'il s'agit de transmettre ton intention à la lame. Cela dit, je n'en suis pas là. Il faut simplement alimenter l'arme de manière la plus régulière possible, indépendamment du geste que tu imprimes à celle-ci. Je peux te montrer. »

Empoignant un sabre en bambou fibré de métal conducteur, il y fit circuler son chakra jusqu'à ce que la lame devienne bleue. Pas juste le fil mais l'intégralité de la lame. Il reprit un peu de champ et se remit en position du cavalier. Cette fois-ci, il ne prit pas autant de temps et arma ses bras quasi-immédiatement après s'être confortablement installé.
Le Hadan s'effectua bien plus rapidement mais à aucun moment l'intensité de chakra transmise à la lame ne varia. Il s'agissait de dissocier le mouvement du flux de chakra. Cela paraissait plus simple que cela en avait l'air. Le shinaï fendit l'air dans un swoosh caractéristique, projetant la poussière au sol un peu plus loin.

« Pour essayer, diffuses ton chakra dans ton arme et essaies de la bouger dans tous les sens sans faire varier le flux que tu lui appliques. Cela devrait te venir rapidement car tu maîtrises d'autres techniques mais il ne faut pas se laisser surprendre. Après toi, dit-il en montrant de la paume l'espace au centre de la pièce. »

D'un air faussement distrait, il regarda par la fenêtre et il lui sembla voir une silhouette familière se diriger vers le bâtiment où ils se trouvaient. Elle montait un cheval noir carapaçonné et soulevait un nuage de poussière assez terrifiant. Seule, comme cela, au loin, on eût dit un Cavalier de l'Apocalypse.

Récapitulatif: