La furtivité d’un shinobi n’avait pas d’égal en ce sinistre lieu de souffrance. Une ombre parmi les ombres venait de crocheter un loquet de volet et de se glisser à l’intérieur du bâtiment, parcourant les dalles glacées du carrelage usé. Cet endroit aurait pu être un lieu heureux en somme. Sans doute l‘avait-il été un moment avant que les péchés du propriétaire ne le condamnent à un futur triste et sordide. Ses pas le guidèrent en silence au bureau du propriétaire, vide et ouvert. Un rapide coup d’oeil et de la cire au sol lui indiquèrent vers où aller. Il s'enfonça dans un couloir quand des bruits de pas, suivis du passage d’un homme mal peigné et gras, se firent entendre. Ce gros lard tirait par le bras une gamine sanglotante d’une dizaine d’années. C’en fût trop pour Yu. Sortant de sa cachette, il ne laissa pas le temps au porc de parler car une pièce métallique d’environ une quinzaine de centimètres s’enfonça dans sa gorge dans un bruit d’amortissement mou. Le Zhao était déjà sur le corps de sa victime, l’empêchant de tomber et il le posa au sol tandis que son index se posait sur ses lèvres, signalant un “chut” très léger à la jeune fille de dix-onze ans tout au plus. Sa mine grave et le fait qu’il vienne de tuer sans un son un homme qui allait lui faire du mal durent jouer dans le fait qu’elle ne cria pas.Il chuchota:
“Salut. Moi c’est Yu. Je suis ici pour punir les vilaines personnes. Tu peux me dire où ils sont partis tous?”
La gamine semblait sidérée mais elle lui indiqua du doigt l’endroit d’où elle était venue, tirée de force. Les dortoirs. Le Zhao s’y dirigea en silence et allait y rentrer quand il entendit des rires gras provenir d’une porte entrouverte au bout d’un autre couloir. Il avait mémoire qu’il s’agissait d’une réserve. Se postant sur le pas de la porte, il jeta un oeil. Deux types tout autant abrutis que le cadavre encore tiède s’amusaient à frapper un garçon d’une quinzaine d’années. L’un d’entre eux se tenait le poignet qui perlait du sang tandis qu’il envoyait de violents coups de botte au garçon roulé en position foetale.
“Chien. Ca t’apprendra à mordre tes maîtres. Mange-ça.”
Les coups pleuvaient sous le regard hilare d’un troisième type, assis sur une chaise à boire une bière.
“Le patron a dit qu’on devait ramener cinq petiotes et deux gosses pour faire des bras. Celui-là c’est du bonus. Gardez-le comme sac de frappe.”
Trois rires bien gras à l'unisson. Un léger frisson de colère montait en Yu et attisait des envies de meurtre déjà bien présentes. Ses mains tremblaient d’excitation à l’idée de les tuer. Il n’aimait pas cela mais, étrangement, ces personnes-là seraient moins dures à tuer qu’un animal quelconque. Pour lui, ils n’étaient plus à proprement parler des humains. Ouvrant la porte discrètement, il se glissa dans la pénombre. Quand l’oeil du type assis sur la chaise se porta sur lui, il reçut un senbon chirurgiquement envoyé dans son cristallin qui, forant sa rétine, alla se ficher dans son cerveau sans plus de demi-mesure. Pour pallier au hurlement qui aurait dû suivre, le Baton Rouge avait jugé malin de faire suivre quelques kunaïs dans la gorge. Cela eut l’effet escompté, un gargouillis rauque sortit des lèvres du bougre qui tenta de porter ses mains à sa gorge. Au même instant, les deux autres soudards mugissaient de surprise. Trop tard. Ils n'entendaient que le cliquetis d’une chaîne et s'écroulaient déjà sur leurs genoux dans une flaque de sang. L’enfant au sol semblait inconscient. Yu s’approcha, calme, pour prendre le pouls de celui-ci.
Quelle ne fut pas sa surprise de voir la petite boule de pulpe de chair se tendre soudainement, lui tordant le poignet à l’envers tandis qu’un bras, probablement brisé, prolongé d’une main empoignant un surin de fortune se dirigeait vers son cou dans un acte de désespoir. Une lueur de surprise et d’amusement passa dans les yeux du Zhao. Ainsi donc il restait du courage chez ce gosse. Impressionnant. C’était exactement le genre de personne qu’il cherchait. La main du ninja et son poignet contrèrent l’effort du gamin et la poigne de l’homme se serra autour de son cou tandis que son autre main bloquait le poignet tenant l’arme.
“Joli. Je peux savoir comment tu t’appelles? Rassure-toi, je promets de ne pas te faire de mal.”
Le regard dans les yeux du gosse semblait plein d’une colère. Après tout, il venait de se faire taper pendant un bon moment. Cela créait ce genre d’émotions. Quand il vit Yu les yeux dans les yeux puis les corps autour, quelque chose en lui se détendit.
“Je m’appelle Kuang monsieur.”
“Et bien Kuang, ne t’inquiète pas. Je vais te sortir de là. Mais je vais avoir besoin que tu lâches ton couteau et que tu me fasses confiance. On peut faire ça? Tu es d’accord?”
D’une simple pression du pouce, il réduit l’influx sanguin dans le cerveau du jeune enfant. Au vu de son état de fatigue, il ne fallut que quelques secondes pour qu’il perde conscience. Il se déplaça ensuite vers les dortoirs où il trouva Murami Shingo en train de “consoler” un jeune enfant. Il l’assomma.