Run. • solo

« Boum. Boum. Boum. » Dans ses oreilles, le son d’un cœur qui bat follement, et dans sa bouche, le goût ferreux du sang. Les poumons en feu, elle peine à reprendre son souffle. Elle a mal, mais elle n’y pense pas. Son esprit s’est dissocié de son corps. Elle n’abandonnera pas. Coûte que coûte. Elle tend la jambe et sent le muscle de sa cuisse qui s’étire, qui se déchire presque. Elle a pris son envol, et l’espace d’un instant elle flotte dans les airs. Puis le sol se fait de nouveau sentir sous son pied, brutal. Et tout s’enchaine de nouveau ; elle plie le genou, bondit dans les airs. Encore, et encore. Les feuilles lui tranchent le visage, mais elle ne ferme pas les yeux. L’espace, le temps, plus rien ne compte.

Plus rien, sauf sa proie.

Comme une ombre, celle-ci se glisse entre les arbres. Si proche, et si lointaine en même temps. Elle court, sans relâche ; elle court et s’échappe. De temps à autres, la Lune éclaire son visage, tourné vers l’arrière, et la dame peut le voir… Ce sourire qui la nargue. « Tu ne m’attraperas pas. » lui dit-il. Puis l’ombre disparait de nouveau parmi ses semblables.

Les pas de Junko se font plus courts, ses foulées ralentissent. Elle finit par s’arrêter tout à fait. Elle a perdu cette manche. C’est terminé. Mais dans sa poitrine, son cœur ne s’arrête pas. Elle promène un instant son regard sur la forêt qui l’entoure. Il n’y a plus personne ; le chakra a disparu. Elle pousse alors un cri qui résonne longtemps dans la nuit. C’est un avertissement : elle l’attrapera, tôt ou tard. C’est sa mission.

Sensorialité contre Furtivité. Un combat surtout mental, pour ces deux êtres aux corps affutés comme leurs lames. Mais un combat que Junko remportera, forte d’une volonté inébranlable. Il lui faut seulement trouver la faille, l’erreur dans le parcours de son adversaire. Elle ferme les yeux, un instant, et retient son souffle. « Par là-bas. » Alors, elle se remet en route.

Qui de la proie et du prédateur chasse réellement l’autre ? Son adversaire est joueuse ; elle laisse des marques volontairement. Un piège ? Certainement, mais a-t-elle vraiment le choix… Elle s’est déjà faite avoir, incapable de distinguer le clone de l’original. C’est malheureux, mais cela ne l’inquiète pas. La proie s’épuise, tandis qu’elle ne fait véritablement que perdre un peu de temps, distancée un moment, pour mieux la retrouver plus loin.

Elle aimerait pousser l’autre à la faute, mais elle ne sait pas trop comment s’y prendre, à vrai dire. L’ennemie est agile, visiblement habituée à ce genre de situations. Elle a bien cru y parvenir, un peu plus tôt, lorsque deux de ses senbon se sont logés dans sa chair. Elle a vu la douleur sur le visage de sa proie, mais cela n’a pas fait disparaitre son sourire pour autant. Ignorant le sang qui gouttait alors, cette dernière a pris la fuite, disparaissant de nouveau peu de temps après. L’odeur ou la vue du sang auraient pu aiguiller Junko, si elle avait eu l’un de ces sens plus développé… Mais ça n’est pas le cas, et il fait nuit noire. Tout ce qu’elle possède, c’est un sixième sens capricieux, la faculté de percevoir le chakra avec bien plus de précision que le commun des mortels. Et son ennemie, elle, sait dissimuler le sien. Un contre presque parfait, et cela a le don de l’agacer. Si seulement elle trouvait une façon de… De la marquer, ou quelque chose du genre.

Peu à peu, l’idée germe dans son esprit. Pour celle qui maitrise le Fuinjutsu, cela ne parait pas si fou, à vrai dire. Il existe de nombreux sceaux qui s’appliquent directement sur l’ennemi, des techniques d’entrave notamment. C’est un peu de chakra de l’utilisateur qui se retrouve sur le corps d’un autre… Et quand bien même la fuyarde sait camoufler son propre chakra, elle ne pourra certainement rien faire contre celui de Junko.

La dame s’arrête, une nouvelle fois. Elle voit au loin sa cible qui s’échappe, jusqu’à disparaitre tout à fait. Ce n’est que partie remise ; pour l’heure, elle a d’autres choses en tête.

Créer un sceau de toute pièce, ce n’est pas comme l’apprendre à partir d’un ouvrage. Dans un cas, l’énigme est déjà résolue et il s’agit simplement de comprendre la solution ; dans l’autre, le mystère est entier. Quel symbole, quel mot, quelle représentation traduira le mieux la pensée humaine et l’essence des choses ? Bien sûr, l’expérience de la dame en la matière lui donne d’emblée quelques pistes. Ainsi, elle laissera de côté des systèmes d’écriture tels que les hexagrammes du Yi Jing, le livre des Mutations, réservés à la description des états du monde et leurs évolutions – et utilisés dans le sceau du Silence, notamment. Elle songe à quelque chose de bien plus simple, bien plus commun, à l’image de ce qu’elle essaie de produire : un sceau discret, sans fioritures, et qui ne fait rien, finalement, si ce n’est conserver un peu de son chakra. Quelques sinogrammes suffiront donc, juge-t-elle. Du reste, elle réfléchit aux diverses représentations des concepts tels que le chakra ou la sensorialité. Comment transcrire sa substance et la caractériser ?

Elle a repris sa course folle. L’air est chargé d’humidité et elle le sent coller peu à peu ses vêtements à sa peau. Elle ne peut pas s’arrêter très longtemps pour réfléchir et s’exercer, car l’autre finira par se douter de quelque chose… Il lui faut entretenir cette illusion de chasse, pour qu’elle continue de s’épuiser. De fait, créer un sceau pour la marquer est une option, mais ça n’est pas nécessairement la solution ; si sa proie commet une erreur avant, elle n’en aura pas besoin. Après tout, elle n’est pas là pour s’amuser.

L’air qu’elle expire forme un voile devant son visage, l’espace d’un instant. Il fait froid, à présent. Elle prend appui sur une branche, et se propulse vers l’avant, ignorant les volutes.
Elle a finalement choisi quatre symboles, en lien avec les notions de chakra, de détection et de discrétion. Ce n’est peut-être pas le choix le plus élégant, mais elle n’a pas cherché l’esthétisme sinon l’efficacité. A l’image d’une démonstration mathématique, plusieurs chemins peuvent mener au même résultat, et si elle est sensible à la beauté du Fuinjutsu, le temps joue contre elle malheureusement. Qui plus est, réfléchir au sens des mots n’est pas aussi aisé qu’il n’y parait, ainsi perché à quelques mètres au-dessus du sol. Elle n’a pas le luxe du promeneur égaré, qui laisse son esprit divaguer tandis qu’il suit un sentier. Au moins, elle est certaine de son choix ; la théorie n’est pas la partie la plus complexe, c’est la pratique qui sera déterminante.

Pour ne pas perdre plus de temps, elle s’exerce à la volée, tout en s’arrachant les poumons pour suivre cette ombre qui lui file entre les mains, encore et encore. Les premiers essais sont laborieux, mais cela tient plus de son manque de concentration que de ses capacités intrinsèques. Il lui faut maintenir une certaine sensibilité vis-à-vis de son environnement, pour arriver à percevoir le chakra de sa proie lorsque celle-ci ne le dissimule plus. Et dans le même temps, se concentrer sur la création d’un tout nouveau sceau, ce qui a tendance, chez elle, à provoquer une fermeture de son esprit, la rendant moins réceptive aux stimuli extérieurs.

Tentant tout d’abord de le former sur son propre corps, elle se rend rapidement compte de l’absurdité de cette idée. Sa sensorialité n’est pas aussi précise, alors que toute son attention est focalisée vers l’avant, vers cet être insaisissable, et elle ne peut pas faire la distinction entre elle-même – en tant que source de chakra – et le tout petit sceau qui ne contient finalement qu’une infime portion de son chakra par comparaison.

Alors, elle se met rapidement en quête d’autres cibles, et quoi de plus naturel que de marquer tout ce que touche sa paume ? En l’occurrence, il s’agit principalement des arbres qui l’entourent, alors qu’elle prend appui sur l’une ou l’autre branche, se balançant vers l’avant pour gagner un peu d’élan.
Elle n’était pas certaine que cela fonctionne, au départ, sûrement par habitude de créer des sceaux qui réagissent avec leur hôte. Mais puisqu’il ne s’agit que d’un stockage, il n’y a effectivement pas de raisons que cela ne puisse pas s’appliquer à toute sorte d’objets. Elle en aura d’ailleurs une nouvelle fois la confirmation, lorsque sortant un kunai, elle parvient à le marquer directement sur la lame.

Les battements de son cœur s’accélèrent. Ce n’est pas la course effrénée qui le fait s’emballer cette fois ; c’est l’excitation de la découverte, l’impression de toucher au but, de n’être plus qu’à un jet de kunai de sa cible !
Elle n’a plus besoin de s’arrêter à présent, et si elle s’est encore fait avoir par un clone par inadvertance, elle est au moins certaine ne plus se laisser distancer en faisant un peu plus attention.

Mais quelque chose cloche. Elle s’aperçoit, peu à peu, que les sceaux qu’elle a placés, et qui sont à présent derrière elle, disparaissent. Elle accuse tout d’abord ses capacités de senseur et redouble d’attention, mais rien n’y fait. Elle ne perçoit plus son propre chakra, alors qu’elle sent encore d’autres sources à proximité – plus ténues, certainement des animaux.

Elle ralentit finalement, jetant quelques regards mi curieux, mi inquiets vers l’arrière. S’ils sont toujours dans sa zone de détection, alors que se passe-t-il ? Elle songe à plusieurs possibilités, envisage un manque de robustesse ou d’étanchéité qui ferait que le chakra s’échappe au fil du temps – mais la durée est si courte !
Elle s’immobilise alors, les yeux rivés sur toutes ces lueurs mystiques qu’elle perçoit dans l’obscurité, et elle attend. Elle a l’impression qu’une éternité s’écoule, tandis qu’elle n’entend plus que son souffle court et son cœur battre follement, et pourtant rien ne se passe. Ils sont toujours là, aussi vifs qu’à leur création.
Elle fait timidement un pas pour s’éloigner, puis un autre, et peu à peu prend ses distances avec ses créations. Il lui faut repartir, elle ne peut pas se permettre de rester là… Elle sent une pointe d’amertume traverser son être ; quelle déception !

Ce n’est qu’en s’éloignant véritablement de l’endroit où elle avait placé ses sceaux, qu’ils finissent par disparaitre également et qu’elle comprend enfin. C’est une affaire de distance. Mentalement, elle essaie d’estimer l’espace qui les sépare. Une dizaine, ou une trentaine de mètres peut-être ? Elle tranche. Vingt mètres. Cela devint un objectif. Elle n’a pas besoin de moins, pas besoin de la toucher du doigt. Vingt mètres suffisent.

Et elle finit par y arriver. Elle arme alors son bras et jette sa lame. Le trait est précis et direct ; l’arme trouve l’omoplate de l’adversaire et celle-ci camoufle immédiatement son chakra. Mais dans la nuit, Junko sourit.

Elle lève deux doigts et, d’un Shunshin, se téléporte.