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Natural Mystic - Entraînement Feat Mifuyu

Masamune Sanada
Masamune Sanada
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Masamune Sanada
Quelques jours à peine après la fin de l'examen qui avait confirmé la montée en grade du soldat des Cinq, il avait décidé de sauter sur sa liberté retrouvée pour retourner passer quelques jours sur son île natale, la bienaimée Shima-Biizo.

Bien entendu, la raison officielle de son voyage était un entraînement avec son mentor, la Sorcière du pays du Tourbillon, Omura Mifuyu. Il avait bien l'intention de pratiquer légèrement son art martial, mais il tenait avant tout à retrouver sa famille et l'atmosphère si particulière de sa petite île perdue dans l'océan au large de l'île sacrée des Trois Soeurs.

En effet, Shima-Biizo était une île isolationniste de par sa position d'abord, les forts courants marins se rencontrant dans ses eaux rendaient la navigation extrêmement difficile pour les étrangers qui ne connaissaient pas l'emplacement des récifs. La présence d'une multitude de tourbillons, qui donnaient son nom au pays, accentuait les dangers de la mer dans cette partie du Sekai.
De ce fait, les habitants de l'île avaient développé une culture qui tranchait avec les îles environnantes. À Shim-Biizo, on priait les Cinq au travers de la consommation d'herbes sacrées et on profitait surtout de la vie en chantant et dansant. La culture de la perle dont l'île était la productrice le plus réputée, garantissait une richesse constante aux habitants qui n'avaient pas à se soucier de la nourriture non plus, la mer étant une source inépuisable de repas.

L'amour pour l'oisiveté de Sanada ne venait pas de nulle part, comparé aux rythmes d'Uzushiogakure ou du continent, les habitants de Shima-Biizo semblaient vivre au ralenti. Profitant des journées pour honorer le monde dans lequel ils vivaient plutôt que de penser à une conquête ou un développement du commerce de perles. Du moment qu'ils avaient de l'herbe pour se rapprocher des Cinq et un bon plat de poisson, ils considéraient leurs journées comme accomplies. Seule la Perle de l'Empereur, une chasse au trésor que Sanada avait remporté avec Nara Shika, cassait la tranquillité du village une fois par an.

Après des jours en mers, Sanada commençait à reconnaître les bancs de coraux et l'eau turquoise caractéristique de son chez-lui. Bientôt, ils longèrent des centaines de poteaux en bois enfoncés dans l'eau.

- C'est comme cela que nous développons la culture perlière, il n'y a qu'une perle sur des centaines d'huîtres, c'est pourquoi elles sont si chères, et vous ne trouverez jamais de plus belles perles qu'ici. La température de l'eau et la flore endémique permettent un développement de couleurs selon l'emplacement de la culture autour de l'île. Quand on aura débarqué, je vous montrerai la ferme maritime de ma famille ! Dit-il à Mifuyu sans pouvoir cacher son enthousiasme.

Enfin, quand ils passèrent le cap de Mino au nord-est de Shiima-Biizo, le principal lagon se dévoila.

Natty Dread:

Le village semblait construit autant sur l'eau que sur la terre, les petites rues se continuaient sur l'élément aqueux sous la forme de ponton ou d'une dizaine de barques permettant de rejoindre la partie du village dans l'eau.
Certaines maisons étaient sur pilotis, d'autres reposaient sur des grandes ruines immergés, d'autres encore étaient construites sur la côte. De plusieurs étages, elles débordaient de plantes et de l'herbe sacrée de l'île ce qui, avec les peintures turquoise, ocre, ou jaune qui entouraient les fenêtres et composaient les tissus donnaient un village incroyablement coloré et atypique.

Sanada laissa le bateau naviguer à faible vitesse, saluant des connaissances avec un accent qui pouvait paraître étrange à la Sorcière.

- Eh ma man ! Sa ou fè ?

- Mwen bien ! Répondu Sanada en saluant le groupe de perliculteurs qui était assis au bord d'un ponton, les pieds dans l'eau.

- Ça fait un moment qu'on ne t'avait pas vu, fils de la Pythie.

- Je suis venu voir la Pythie et ma ferme, je repars dans quelques jours.

- Faudra venir au conseil du village, on a un problème et on aura besoin de toi !

- Pani pwoblem !

Le catamaran des uzujins continua sa route en s'arrêtant très souvent. Pour saluer les habitants, se voir offrir de l'herbe en guise de bienvenue, ou manger et boire sur le pouce.
Il était de coutume de s'arrêter pour saluer les gens et partager un moment.
Quand enfin, ils arrivèrent devant la maison de Sanada après plusieurs heures, une longue file de barques longeait la magnifique bâtisse.

- Ce sont tous des croyants qui viennent demander conseil à la Pythie, certains viennent de très loin pour écouter ce qu'elle a à dire. Quand nous arriverons, si elle est en transe, elle nous ignorera, ce n'est pas du mépris, c'est juste qu'elle n'est pas vraiment parmi nous durant ces moments. Dit le soldat des Cinq avec un sourire nerveux.

Il connaissait la nature étrange de sa génitrice autant que le tempérament tempétueux de la Sorcière. Cependant, il était sûr que ce voyage allait renforcer encore leur lien, tout en offrant un répit à l'Omura.

Ici, personne n'allait la juger pour ce qu'elle paraissait ou avoir peur. Le pacifisme était viscéral chez les habitants de l'île. Ils ne manquaient de rien et étaient protégés par les tumultes de l'océan des raids des pirates. Pourquoi donc auraient-ils voulu une quelconque guerre avec qui que ce soit ?

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Sanada amarra le bateau puis salua respectueusement les personnes qui attendaient en descendant la file d'attente. Quand il arriva au bout, il se mit en rangs et attendit patiemment son tour.

La Pythie avait de l'amour et de l'attention pour tous, sans hiérarchie.

Son propre fils ne faisait pas exception.
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Omura Mifuyu
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Omura Mifuyu

Natural Mystic

Mifuyu était débout sur le pont du bateau, sentant l'air marin troubler ses cheveux courts. Dans quelques jours, quand elle aura fini de voguer sur ces mers turquoises et attrayantes, elle débarquera avec Sanada sur son île natale, Shima-Biizo. Pour la première fois depuis bien des années, elle faisait ce voyage sans idée particulièrement déloyale en tête. Elle était là pour prendre des vacances loin du tumulte, de la tension que poussaient sur ses épaules les intrigues d'Uzushio et, en particulier, sa rivalité naissante avec Omura Gendo, dont la tête finira bientôt sur une pique. Mais pas cette semaine. Non, cette semaine elle avait conclu un pacte avec elle-même : sous prétexte d'un entraînement avec Sanada, elle visitera son île natale, profitera du vent frais et fêtera avec lui l'acquisition de son nouveau grade de Chunin. Bien sûr, l'entraînement aura bien lieu, mais au moins il se fera dans un cadre plus agréable que le village des tourbillons, où ils pouvaient être observés à chaque instant.

Un matin, la vieillarde aperçut de somptueux bancs de coraux, protégés des bateaux par de larges poteaux en bois enfoncés dans le sable. L'adolescent lui apprit qu'il s'agissait du décor de son île et aussitôt la Sorcière en fut émerveillée. Il fallait dire que si elle avait beaucoup voyagé dans sa vie, plus d'ailleurs que de nombreux shinobi, cela avait toujours été dicté par la nécessité des guerres ou des alliances claniques. Il y avait bien eu ces dernières années ses visites régulières dans l'archipel où se trouvait l'île de feu Fusuke, elle n'avait hélas jamais pris le temps d'en admirer réellement la beauté. A cette pensée, elle se promit que bientôt elle irait y passer quelques temps, probablement après sa transformation tant planifiée, et en profiterait pour s'unir pleinement à ce lieu sauvage, aux animaux qui l'habitaient et aux décors qui la composaient.

Sanada était d'une humeur rayonnante. Avant qu'ils n'accostent, il lui racontait tout de la culture de la perle, de la ferme familiale et de son enfance passée à jouer sur ces rochers. Mifuyu oubliait parfois qu'il avait, en effet, été enfant un jour. Depuis qu'elle l'avait pris sous son aile, ils avaient passé tant de temps ensemble, leur fusion avait été parfaite et, rapidement, il avait quitté ses habitudes de gamin pour prendre un virage bien plus sombre vers la voie que lui ouvrait l'infâme chirurgienne. Elle en oubliait alors qu'il n'avait pas toujours vécu à Uzushio, que, contrairement à elle, il avait encore de la famille bien qu'il ne la mentionnât pas souvent, et qu'il était encore un petit garçon prêt à s'émerveiller devant tout, bien loin d'avoir pris conscience de la réalité de la vie, de la cruauté de ce monde, de la mort qui l'inonde et qui suffoque. Ah, qu'il est bon d'être jeune.

Bientôt, leur embarcation passa lentement devant le village, autant bâti sur l'eau que sur la terre ou la roche, dont le cadre idyllique semblait l'enfermer dans une bulle, dans un microcosme totalement hermétique aux tracas quotidiens et, enfin, en voyant la tranquillité de chacun des passants que Sanada saluait, Mifuyu comprit comment il avait pu être si innocent, comment il faisait pour apprécier la vie avec tant de philosophie. Elle n'avait pas eu la chance de grandir dans un cadre aussi apaisant, mais soit, il en était ainsi : l'humanité avait besoin des âmes brisées au même titre que des cœurs tranquillisés.

Tandis qu'ils s'approchaient peu à peu de la demeure de Sanada, une seule ombre demeurait sur le tableau. La pythie. Les croyances du soldat des cinq. Bientôt, l'Omura sera plongée dans cet univers inconnu et pourtant si structurant à la carapace de son élève. Ce secret, elle n'en doutait pas, était la clef pour comprendre comment un enfant en apparence si pur avait pu quitter cette île charmante pour venir à la rencontre d'une femme aussi glaçante, aussi cruelle que la chirurgienne. Car c'était bien pour elle qu'il était venu à Uzushio, elle en avait la certitude. Enfin, ils arrivèrent devant l'incroyable maison de la famille Masamune. Disposée sur l'eau, elle se dressait sur de nombreux étages qui, en dépit d'un rez-de-chaussée en bois mouillé par la marée, lui donnait l'allure d'une tour, presque d'un château, tout en haut duquel devait se trouver la pythie, reine de son île, seigneur de son fief. Au pied de l'édifice, une immense file de barques et leurs marins attendaient qu'on les laisse entrer à l'intérieur. Sanada expliqua à sa mentor qu'il s'agissait de croyants souhaitant bénéficier des prédictions de la pythie et que nombre d'entre eux n'étaient pas mêmes originaires de l'île. La renommée de la femme avait su dépasser ces rochers et s'étendre à l'ensemble de l'archipel.

Ainsi, elle se trouvait dans le laboratoire d'une seconde sorcière. Sa rencontre avec Sanada n'avait-elle pas été une simple répétition d'un schéma auquel il avait été habitué dès l'enfance, à la recherche de femmes puissantes, autoritaires, mystiques ?

**

Les deux Uzujin durent faire la queue pendant des heures, le temps que chaque marin ait eu la réponse à ses interrogations. Qui était donc cette pythie, qui se permettait de la faire attendre de la sorte, en plus de son fils ? Mifuyu était visiblement agacée, elle qui était habituée à ce que les portes s'ouvrent sur son passage, à ce que les hommes s'écartent en la voyant pour se plier à ses moindres désirs. Ici, elle était une inconnue qui ressemblait à une fillette. Elle n'avait rien du cachet dont elle jouissait dans le monde shinobi. Si cela pourrait s'avérer apaisant sur le long terme, elle éprouvait des difficultés à se défaire des honneurs qui devraient lui être dus et qui rendait son attente plus pénible encore.

Trois heures plus tard, ils étaient devant la porte de bois qui s'ouvrait périodiquement pour faire entrer un étranger. Le sol grinçait sous leur pied malgré l'humidité de l'eau qui devait le recouvrir régulièrement, au gré de la marée qui ici semblait aussi importante que n'importe quel habitant de l'île. La nature était maîtresse du monde, au même titre que les dieux étaient maîtres de l'esprit. Quelques minutes encore s'écoulèrent avant que, enfin, la porte ne daigne s'ouvrir à nouveau dans un crissement qui fit frissonner Mifuyu.

Pour la première fois, elle ressentait ce que devaient vivre tous ceux qui pénétraient dans son laboratoire. La sensation de pénétrer dans l'antre d'une Sorcière, quand bien même celle-ci agissait pour le bien. Plus que la finalité, c'était l'atmosphère magique qui comptait, c'était la certitude de rentrer chez une femme pas tout à fait humaine, une femme vers qui les dieux avaient ouvert un passage. La porte sembla s'être ouverte toute seule, c'est pourquoi la doyenne fut si surprise lorsqu'elle vit un grand homme, habillé d'une tenue de toile marron, un trousseau de clefs à la main, la refermer derrière eux.

"Suivez-moi" leur ordonna-t-il simplement.
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Masamune Sanada
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Masamune Sanada
Suteku n'eut pas de réaction à la vue de Sanada et de son accompagnatrice, comme s'il était au courant de leur visite. Le soldat des Cinq était empli des souvenirs de sa vie avant son départ. Cette période lui paraissait si lointaine qu'il avait l'impression de rêver une existence antérieure. Une vie sans douleur, sans meurtre. Une vie sans chakra aussi, dans l'attente d'un départ qu'il savait inexorable depuis sa plus tendre enfance.

Chaque marche de l'escalier portait la mémoire d'une anecdote, d'une blague, d'une course-poursuite avec son grand frère, ou encore d'une discussion avec un inconnu venu rencontrer la Pythie.
L'uzujin suivit le croyant à la toge grossière jusque dans un patio richement décoré des offrandes qu'on offrait à l'Oracle de Shima-Biizo. Les parois de la pièce étaient faites de bois précieux sculptés avec virtuosité pour refléter des mythes et légendes de la cosmogonie Osmiétienne. Au centre, un arbre seul, majestueux, filtrait la lumière du soleil qui commençait à se teinter des couleurs du coucher.
Cette pièce, l'antichambre du "Jardin des vérités" comme l'appelait les gens du coin, portait le mystique dans chacune de ses lattes, chacune des sculptures de bois, de marbre ou de bronze. Une forte odeur d'encens imprégnait l'atmosphère malgré l'absence de toit comme si l'énergie divine était retenue par autre chose qu'une construction architecturale.

Au pied de l'arbre gigantesque, un banc de pierre avait été happé par les racines. Sanada invita sa sensei à s'asseoir avec lui.

Ainsi, ils attendirent le retour de Suteku, un plateau laqué dans les mains. Ce dernier s'avança silencieusement, déposa le bel ouvrage qu'il portait, et repartit en silence.

- C'est une cérémonie de purification. Il nous faut boire cette mixture pour rencontrer la Pythie. Vous pouvez boire sans crainte, la seule chose qui peut vous arriver, c'est un horrible goût terreux au fond de la gorge pendant cinq minutes. Dit-il avec un sourire.

Enfin, au bout de longues minutes avec pour seule compagnie une assemblée d'oiseaux qui se servaient dans les bols pleins de fruits et autres graines destinés aux dieux en piaillant gaiement, les deux grandes portes qui menaient au jardin intérieur s'ouvrirent.

Le petit chemin qui menait à la voix des dieux était envahi par les fleurs et les plantes tropicales, si bien qu'à cette distance, on ne distinguait que la silhouette fine de celle qui avait mis au monde le fils de l'orage. Le sol était composé d'une mosaïque complexe entre l'ocre et le vert émeraude, œuvre colonisée par les fleurs et la nature. Écartant les oiseaux du paradis, les hibiscus, les fleurs de tiare et les passiflores, Sanada se fraya un chemin jusqu'au cercle d'or. Au centre, dans un tissu de soie fin jaune pâle, la Pythie leur faisait face, les yeux fixant une chose dans leur direction, mais sans les regarder véritablement, comme si elle ne les voyait pas.

Sanada s'inclina longuement. Un sentiment de bonheur envahissant son cœur et son corps à la vue de celle qui avait fait de lui un digne serviteur des dieux.

Se détournant enfin de la cruche qu'elle tenait dans une main, elle releva le voile qui lui couvrait entièrement le visage, laissant ses traits presque disparaître sous l'étoffe pourtant légère lorsqu'elle consultait les astres. Son visage fin se dévoila, une peau si lisse qu'on aurait pu croire qu'elle était faite de porcelaine caressa l'air. Elle était jeune, ayant eu ses enfants à l'adolescence. Aussi frêle que gracieuse, la Pythie se leva lentement, s'approcha de son enfant et le serra dans ses bras en silence, le regard toujours dans le vide.

- Sanada mon enfant. Ton frère est à la ferme, tu devrais aller le voir. Nous mangerons tous ensemble ce soir. Pour le moment, je vais m'entretenir avec ta sensei. Dit-elle d'un ton si doux qu'il paraissait presque joué.

Avec une pointe de crainte, Sanada embrassa sa mère sur la joue puis quitta la pièce précipitamment avec un dernier sourire pour Mifuyu. Il était heureux de retrouver son grand frère, peut-être même allait-il croiser son père, ivre-mort sans doute, en chemin, mais il craignait que l'entretien ne se passe pas si bien que cela. La Pythie ne savait sans doute pas à qui elle avait à faire et pourtant, elle avait su que cette petite fille était Omura Mifuyu. Connaissait-elle la légende des Omura ? Ou bien avait-elle déduit tout cela des lettres que lui envoyait parfois son fils ? Sanada ne se questionna pas plus que cela, vite distrait par la rencontre avec ses amis et sa famille. Et puis, l'Oracle des îles l'avait sûrement appris dans les cartes, c'est ce qu'elle faisait après tout.


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La Pythie, toujours debout, posa son châle sur les épaules, et, d'un air tout à fait naturel, jeta ses doigts fins et délicats en direction de la porte. De deux grandes jarres placées de par et d'autres de l'entrée, une eau animée comme un serpent se mit à s'élever doucement. Les fines colonnes d'eau s'enroulèrent autour des poignets accrochées aux battants. D'un autre geste du doigt, la jeune femme ordonna à cette création aqueuse de refermer les lieux. Ainsi, plus rien ne pouvait transpercer ces murs. La Pythie ne parlait pas en public, et ce qu'elle disait à la personne avec qui elle conversait ne concernait qu'elles-mêmes et les dieux.

- Je vous souhaite la bienvenue à Shima-Biizo Omura-sama. Votre légende est encore contée de nos jours dans les tavernes de toutes les îles. Une telle longévité est admirable, les dieux ne vous ont pas tourné le dos, votre dessein n'est donc pas encore terminé. Elle lui jeta un regard, cette fois-ci sans l'absence qu'il portait avec lui d'habitude. Un grand sourire vint illuminer son visage solaire et elle continua son chemin en sautillant comme une petite fille vers une fontaine en corail. Masamune Shakyamuni, mère de votre élève et oracle des Cinq et de leurs £egoks. Cela fait des années que j'attends le retour de mon fils. Encore plus longtemps que j'attends votre arrivée.

Les expressions faciales de la Pythie alternaient entre un air rêveur, accusatoire, doux, rassurant. Son attitude était tout aussi volatile, courant vers une fleur gaiement un instant pour adopter une posture lasse et désolée la seconde d'après. Elle commençait une phrase en observant une passiflore comme si un trésor allait jaillir des pétales, puis, au milieu de la phrase, elle plantait ses iris dorés dans les yeux de l'Omura, espérant en apparence retrouvée le trésor qui gisait maintenant dans l'âme de la Sorcière.

L'élégant oracle fit un léger geste de la main pour qu'un nouveau fin serpent d'eau s'élève de la fontaine. Elle but comme un enfant boit après une après-midi d'amusement. Enfin, elle reprit un air grave et cérémonieux.

- Si vous voulez bien m'accompagner. Nous allons interroger les dieux.

Sans un mot de plus, la Pythie remit son voile d'or qui lui couvrait le visage et s'assit au milieu de ses jars de bronze et d'argent et d'un grand bol qui semblait être en or massif.

- Je vous en prie. Dit-elle calmement à l'Omura en lui indiquant un coussin de velours juste en face d'elle.

Avec une dextérité qui ne faisait pas de doute, la Pythie alluma un feu, plongea des poudres dans des récipients, ajouta quelques herbes qui firent fumer certains mélanges, crépiter d'autres. Elle joua ainsi avec des mixtures pendant plusieurs longues minutes sous le regard attentif d'une des plus grandes spécialistes de l'alchimie du Sekai. La Pythie avala une mixture verte qui ressemblait à de la boue fumante. Elle tendit un autre verre à Mifuyu, qui, heureusement, ne semblait composé que de thé.

Quand elle reprit la parole, la voix de l'oracle était différente, plus rauque, son regard lui, se perdit sur la poitrine de Mifuyu, sondant le cœur qui n'était peut-être pas le sien.

- Je comprends que pour une shinobi, une Omura d'autant plus, tout ceci vous paraîtra presque risible. Il existe pourtant des pouvoirs qui me dépassent, qui nous dépassent, qui vous dépassent. Si Sanada est parti à Uzushiogakure, c'est pour devenir plus qu'un homme, plus qu'un mortel. Je sens que les dieux l'ont poussé sous votre ombre. Et quand je vous vois, on pourrait effectivement croire que vous avez vaincu la mort. Oh, vous pourriez être une simple enfant accompagnant mon fils. Mais votre âme pèse bien plus lourd que votre corps, votre chakra aussi. Je n'ai rien fait d'autre que d'envoyer mon fils dans le village militaire le plus proche. Le reste appartenait aux dieux. Et vous voilà. Vous savez, je ne lis pas l'avenir comme la plupart des gens peuvent croire Mifuyu-sama. Je regarde les nœuds que Jashin à fait entre deux fils du destin, puis, je tente de comprendre la suite du tissage, rien de plus. Sanada est devenu un homme, un homme fort et puissant. Je l'ai ressenti dès qu'il a posé le pied sur le ponton. Je vous en remercie. Mais vous le savez comme moi, il n'est pas encore prêt. "L'homme est un funambule sur une corde. Une corde tendue entre la Bête et le Surhomme." Voilà la dernière phrase que les dieux m'ont confiés dans un songe juste avant qu'il ne parte. Je ne pensais pas, en entendant cette maxime pour la première fois, que les dieux allaient se servir d'une Bête pour qu'il atteigne le Surhomme.

Son monologue s'arrêta, comme pour mieux marquer ces dernières paroles. Le vent semblait s'être arrêté, et même les oiseaux ne piaillait plus.
Un silence pesant s'installa avant que la Pythie ne reprenne.

- Sanada ne doit pas tomber du mauvais côté de la corde. Il en va de la volonté des dieux. Uzushiogakure n'est qu'une étape, ne vous y trompez pas. J'ai éduqué mon fils pour la mission que les dieux m'ont confié en me le donnant. Sanada doit retrouver le prophète, le nouveau Sages des Six Chemins. Imaginez ce que cela peut peser sur les épaules d'un jeune garçon qui part seul, loin de son île natale. Et pourtant, vous en avez fait un combattant aguerri, un homme déterminé qui ne faillit pas devant la morale des mortels. Sanada est un garçon pur, trop pur pour la mission que les cieux lui ont imposée, mais je ne décide pas, je ne fais que transmettre.

Reprenant un ton beaucoup plus chaleureux, avec un sourire qu'on pouvait difficilement distinguer derrière le châle, elle continua.

- Sanada sait tout ce qu'il doit savoir. Rien de ce qui se passe ici ne le regarde. Nous sommes bien d'accord ?

Soudain, sous un nuage de fumée coloré, la Pythie eut un haut-le-cœur, son voile s'envola avec une bourrasque aussi brusque que le sursaut de l'oracle. Elle murmura la suite d'une voix qui semblait provenir du fond d'une grotte.

- Votre venue n'est pas anodine. Pas en cette période. Plus tôt que vous ne le pensez, vous allez devoir pousser le soldat des Cinq de la corde pour qu'il devienne bien plus qu'un homme. Qu'il embrasse la nature des dieux pour mieux s'en rapprocher. C'est la mer qui l'a fait, la mer le fera renaître. Mifuyu, prisonnière de sa propre chair, il vous faudra le pousser....

La pythie reprit sa respiration comme si elle avait été en apnée durant cette dernière tirade.

- Mais où est mon voile ? Demanda-t-elle d'un air innocent. Qu'est-ce que je disais. Oui, je disais que Sanada sait tout ce qu'il doit savoir. Maintenant que c'est clair, avez-vous des questions à poser aux dieux ? Des interrogations sur un proche ou un ami de longue date ? Je vous tirerai les cartes et on regardera ensemble votre tasse quand elle sera vide. Encore une fois, vous n'êtes pas obligée d'y croire. Et si vous n'y croyez pas, quel risque vous prenez ?

Cette fois, le sourire de Shakyamuni ressemblait trait pour trait à celui de son fils, l'œil espiègle et une dentition parfaite qui s'affichait en grand.

Le soleil se couchait sur l'île, mais la séance pouvait bien encore durer des heures. Personne n'allait oser déranger les deux femmes les plus puissantes à des kilomètres à la ronde, qui plus est dans le jardin des vérités.

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Après avoir observé en coin le comportement de son élève pour le reproduire, la Sorcière se saisit du bol d'argile avec un rictus de dégoût. C'était un processus de purification, lui avait dit l'adolescent, mais en tant que spécialiste du poison, il fallait avouer que l'idée de boire religieusement un mélange préparé par une inconnue, et ce avant même d'avoir l'opportunité de la rencontrer, ne l'enchantait guère, mais au contraire provoquait en son corps un frisson qui parcourut toute sa colonne vertébral pour remonter dans la gorge, pour la nouer, comme si son organisme dans son ensemble refusait de céder à cette pression. C'était un mécanisme de défense naturel qu'elle avait acquis de son expérience de la guerre pendant laquelle chaque rencontre diplomatique était une potentielle embuscade, pendant laquelle elle s'était elle-même illustrée pour sa toxicité légendaire.

Cependant, devant l'obligation, elle parvint à prendre sur elle, rassurée par un Sanada qui n'hésitait pas à boire le contenu du bol. Elle pencha son nez vers la mixture, un peu trop, et l'odeur de vase qui s'en dégageait s'engouffra immédiatement dans ses narines et lui provoqua un second choc. Si elle avait été plus faible d'esprit, sans doute aurait elle vomi. La Sorcière qui était en elle, en revanche, but la boisson d'une traite sans révéler le goût infecte qui la prenait avec une grimace salvatrice. Non, elle avait trop fait souffrir les gens pour ne pas accepter qu'on la fasse souffrir de temps en temps. Finalement, ce n'était pas si mal. C'était comme Sanada l'avait dit, un goût terreux qui semblait vous prendre aux tripes, qui faisait travailler votre intestin – elle comprenait alors le sens du mot purification – mais qui, dans les faits, demeurait parfaitement inoffensif.

Par une coïncidence troublante, ce fut à l'instant exact où le goût disparut du corps de la vieillarde que les deux lourdes portes qui menaient vers le jardin intérieur s'ouvrirent, dévoilant un petit chemin magnifique, dont Mifuyu ne put s'empêcher de noter la ressemblance avec le toit de l'appartement de Sanada, où il se servait de ses dons surnaturels pour faire pousser toutes sortes de plantes tropicales. Au loin, encore comme une ombre flottant à l'horizon, se tenait la pythie, cachée sous son long châle dont la couleur dorée arrivait lentement aux yeux de la vieillarde, parfaitement immobile. Ils arrivèrent bientôt devant elle, et Mifuyu sentit cette aura si particulière, si différente de la sienne également ; c'est-à-dire l'aura d'une femme qui appartient à moitié à un autre monde, qui n'est pas tout à fait humaine mais pas de la même façon que la chirurgienne, d'une femme habitée par quelque chose d'autre, par une sagesse certaine, par une douceur, par une élégance et par une grâce qui rendaient chacun de ses mouvements presque divin. En une phrase, et d'après un simple regard, la pythie était au mystique ce que la Sorcière était au scientifique.

Les retrouvailles entre la mère et l'enfant furent de bien courte durée, et rapidement la Jonin se retrouva seule avec celle qui avait donné naissance à son élève, qui l'avait poussé à rejoindre Uzushio et donc, indirectement, qui l'avait fait rejoindre les rangs de la révolte de la vieillarde. Fait très rare, elle sentait un respect certes méfiant mais bien présent à l'égard de la femme au voile jaune. Quand elle s'adressait à elle, elle avait l'impression de parler à son égale, ou tout du moins à une femme dont la valeur était similaire à la sienne. Leurs qualités avaient beau se décliner sur des domaines bien différents, ces choses-là se sentaient, et elle se doutait que Sanada devait lui aussi l'avoir senti, et c'était pourquoi sa quête l'avait menée si naturellement jusqu'à l'Omura, elle dont l'aura était à la fois identique et complètement différente à celle de sa génitrice.

***

Une fois seules, les deux femmes prirent un peu de temps pour s'observer, muettes. Bientôt, la pythie invoqua deux serpents aquatiques depuis des jarres qui se tenaient devant la porte, dévoilant à la scientifique ce qu'elle n'avait pas imaginée une seule seconde : elle était une shinobi, elle était la source des pouvoirs de Sanada, de son affinité avec l'eau. Était-elle également une faiseuse d'orage ? Mifuyu ne pouvait le savoir, et elle ne se sentait guère de le lui demander si frontalement.  Une fois les portes fermées, la femme mystérieuse sembla se concentrer sur la conversation, et s'adressa à elle avec une infinie douceur, chose à laquelle elle n'était pas habituée, surtout lorsque c'était pour lui dire que l'on connaissait sa réputation qui, en général, avait souvent pour effet de terrifier ou au moins de crisper ses interlocuteurs. Ce n'était visiblement pas le cas ici. Elle savait qui elle était, elle l'avait accepté ; après tout, puisque cela était, c'était forcément parce que les dieux l'avaient voulu ainsi, et elle n'était dès lors pas dérangée par le fait que ce soit cette femme entre toutes qui entraîne son fils.

Une parole la troubla d'abord. "Cela fait des années que j'attends le retour de mon fils. Encore plus longtemps que j'attends votre arrivée." Comme toute bonne scientifique, l'Omura était sceptique : elle avait la folie de ne croire en aucun dieu ni en aucune spiritualité, si ce n'était le pouvoir de ses mains lorsqu'elles maniaient des scalpels. A ses yeux, sa vie même était la preuve que les dieux n'existaient pas ; ou alors, s'ils existaient, qu'une mortelle était parfaitement en mesure de les surpasser, et donc qu'ils étaient nécessairement faibles. Or, jamais elle ne voudrait de dieux plus faibles qu'elle, aussi elle avait préféré en conclure que les Hommes étaient seuls en ce monde. La phrase de la pythie sonnait alors comme un certain charlatanisme à ses yeux, une phrase vaguement convaincante, fabriquée de toute part, pour justifier d'un rapport avec le divin, pour préparer le croyant à l'idée que la femme qu'il était venu voir était douée de clairvoyance, à tel point qu'elle était en mesure de déterminer le futur d'une personne avant même de la rencontrer.

Malgré sa méfiance à l'égard de la discipline pratiquée par la pythie, Mifuyu n'émit aucune résistance. "Je suis moi-même ravie de vous rencontrer. Je vous remercie pour votre accueil" se contenta-t-elle de dire poliment. Elle avait l'intelligence de savoir se comporter lorsqu'elle était en territoire inconnu, aussi elle ne voulait pas paraître importune, sachant d'expérience à quel point le scepticisme pouvait être désagréable quand il vous était adressé.

Elle s'assit alors calmement sur le beau coussin de velours rouge que lui avait indiqué l'oracle, prête à l'écouter. Alors, et toujours en maintenant un silence religieux, la doyenne l'observa préparer son office, allumer un feu, mélanger différentes poudres, ce qui lui permit de se rendre compte que son occupation, finalement, n'était pas si différente de la sienne, elle qui était réputée pour être l'une des meilleures chimistes du Sekai et qui avait d'ailleurs écrit plusieurs ouvrages au sujet de l'art des poisons.

La femme-enfant comprima un mouvement de dégoût lorsque la pythie lui tendit une nouvelle coupe. Fallait-il donc encore qu'elle se purifiât ? Heureusement, il ne s'agissait que d'un mélange de thé vert qui, quand elle l'eût gouté, l'enchanta tout à fait par sa saveur douce et mielleuse.  

La boisson fut un refuge bienvenu pendant le monologue de la mère de Sanada. Mifuyu l'écouta sans mot dire, captivée par ses paroles qui lui rappelaient tant celles de son élève, toutefois agrémentées d'une petite chose en plus : à savoir l'ambition, la certitude de savoir où aller. Ce savoir demeurait métaphorique, bien entendu, mais elle avait confiance en l'avenir et savait quelle était la mission qui attendait son fils. Peut-être en connaissait-elle-même le dénouement, bien qu'elle n'en laissa paraître aucun indice. Il y avait là une maturité que Sanada n'avait pas, mais il y avait surtout là les clefs de compréhension qu'elle avait recherché, il y avait le secret de l'esprit de l'adolescent, il y avait la motivation ancrée derrière toutes ses actions.

Une variation dans la voix de l'oracle, qui semblait désormais provenir de partout à la fois, mais surtout d'elle, de son cœur, accompagnée d'une violente bourrasque, donna pendant une seconde l'impression à la doyenne que cette femme était réellement en communication avec les esprits. Elle ne pouvait bien sûr pas l'accepter, mais il fallait avouer qu'il y avait derrière cela quelque chose de mystique. Elle refusait que ce puisse être la voix des dieux, toutefois elle ne doutait plus vraiment de la sincérité de la Masamune ; après tout, dans un monde où le chakra régnait en maître, était-il si incohérent d'imaginer qu'une femme puisse être possédée de la sorte ? L'explication se trouvait probablement dans la mixture qu'elle avait préparée il y a quelques minutes, qui la faisait désormais sombrer dans une transe où les hallucinations guidaient ses paroles, lui donnant l'air d'une prophète.

"C'est la mer qui l'a fait, la mer le fera renaître". Mifuyu avait beau encore tout ignorer de la signification de cette phrase, elle sentait qu'elle détenait un secret primordial, que son importance capitale se révèlerait bientôt à elle. Et, en effet, cette phrase changerait tout, autant pour elle que pour son élève. Elle serait le déclenchement d'une pente glissante, soit vers la mort, soit vers la rédemption. Personne ne pouvait le savoir à ce stade, à l'exception peut-être de Shakyamuni. "Vous allez devoir pousser le soldat des Cinq de la corde pour qu'il devienne bien plus qu'un homme." Ces mots avaient une signification particulière aux oreilles de la chirurgienne de talent qu'elle était, aussi se demandait-elle si elle l'entendait sous le même sens. La mère de Sanada venait-elle de lui dire qu'elle acceptait que la Sorcière fasse de son garçon une arme, une créature ô combien supérieure à l'humanité, mais dans le sens dans lequel elle l'entendait ? Et non par des phrases détournées et des arguments énigmatiques ?

Cette scène troublante par son mystère enfin terminée, la doyenne put réfléchir plus clairement. Le silence s'installa alors quelques minutes, lourdes de sens, chacune pesant chacun des mots qui seraient prononcés par la suite.

"Je ferai de votre fils un surhomme, oui. Vous pouvez en être certaine, il en a déjà les capacités. En réalité, je n'ai qu'une seule question à vous poser. Vous dites qu'Uzushiogakure n'est qu'une étape dans sa vie, tout comme, je l'imagine, je le suis. Mais puisque vous semblez si bien me connaître, ne craignez-vous pas que sous mon influence, il ne s'éloigne du chemin que vous avez tracé pour lui ? Vous n'avez pas l'air certaine que votre fils tombera du bon côté de la corde, moi-même je ne le suis pas ; et déjà, qui peut affirmer savoir quel est le bon côté ? Puisque vous dites que pour qu'il puisse devenir un Surhomme, il doit s'entraîner avec une Bête, qu'est-ce qui vous dit que la Bête ne va pas corrompre le Surhomme et lui ôter son jugement pour servir un intérêt autre que celui que vous portez ?" D'une gorgée, elle finit le thé qui tenait encore dans sa tasse, sentit le doux liquide couler le long de ses tuyaux, puis tendit la tasse à l'oracle. "Rien de ce qui se passe ici ne le regarde, nous sommes bien d'accord. Pouvez-vous me dire, alors, si la Bête parviendra à bâtir le Surhomme, et si le Surhomme n'en profitera pas pour éliminer la Bête ?"

Si les sentiments de la doyenne envers son élève avaient beaucoup évolués depuis les dernières années, qu'elle ne le voyait plus comme un simple outil, mais qu'ils formaient désormais un réel duo ; il était son disciple, elle lui transmettait son savoir et en échange comptait sur lui pour prolonger son œuvre. Elle avait toujours douté, toujours senti qu'une certaine partie de lui lui échappait cependant, et cette pensée l'obsédait. Elle était tiraillée entre une envie maternelle de lui fournir ce qui serait le mieux pour lui, et la possessivité qui lui était venue de son âge avancé qui exigeait qu'il demeure près d'elle et ne s'éloigne jamais de sa voie. La pythie, cependant, en ayant fait de Mifuyu une simple étape sur le chemin du surhomme, l'avait diminuée, avait frappé son ego et, pire encore, avait mis en doute la loyauté de son fils.  

"Et si le dominant, de la Bête et du Surhomme, n'était pas celui que nous pensions ?"

La pythie sourit. Malgré la question qui prenait la tournure d'une menace, elle se laissait une nouvelle fois aller à l'apaisement, partit ramasser son voile qui avait été propulsé à l'autre bout de la salle et, quand elle revint enfin, plongea son regard attendri dans la tasse qu'avait vidée l'Omura.

"Je ne peux pas savoir de quel côté de la corde tombera mon fils, non. Je respecterai la volonté des dieux à son sujet, quoi qu'il arrive. Cependant, si sa mission est de retrouver le prophète, c'est qu'il jouit déjà d'un certain crédit à leur regard et qu'il dispose donc de tous les éléments pour se maintenir dans leur bonne grâce. Mon fils aura la sagesse nécessaire pour savoir quand il convient de se détourner de la Bête afin de retrouver le bon chemin. La Bête le rend plus fort physiquement, le prépare au monde, mais sa force mentale est déjà en lui, elle l'attend déjà de l'autre côté de la corde. Quiconque tenterait de le pousser du mauvais côté subirait les foudres des dieux et de leurs £egoks."

Elle releva enfin les yeux, plongea son regard perçant dans celui de la chirurgienne et, comme un juge prononcerait une condamnation, prononça les mots terribles qui sonnèrent comme une sentence.

"Encore faut-il que la Bête survive."

Ce à quoi la doyenne répondit, après s'être levée de son oreiller de velours :

"La Bête survivra, car elle n'a peur ni des dieux, ni du Surhomme."

Furieuse, elle prit la direction de la porte, que l'oracle ouvrit à nouveau devant elle sans faire de manière. Mifuyu sortit du jardin et prit la direction du ponton. Elle ne savait que penser de cette entrevue. Elle n'avait pu supporter d'être traitée comme une inférieure par cette femme, quand bien même cela avait été avec le plus grand respect. Et si celle que l'on prenait pour la Bête était en réalité la plus proche du Surhomme ? A qui revenait de décider que sa voie était plus mauvaise qu'une autre ? Sanada semblait bien l'avoir épousée, après tout.

Malgré sa colère passagère, la Sorcière ne pouvait s'empêcher d'attendre le repas du soir avec une certaine hâte, quand elle serait de nouveau confrontée à cette femme remarquable, qu'elle venait d'élever inconsciemment dans le panthéon de celles qui étaient en mesure de rivaliser avec elle, de celles dont l'esprit singulier était aussi puissant que le sien.

A ce jour, elles n'étaient que deux : Dame Akeru, également appelée la Prêtresse de l'Orage de Baransu, et, désormais, Masamune Shakyamuni. L'une d'entre elles était déjà morte, l'autre allait voir son fils s'éloigner d'elle.
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Masamune Sanada
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Masamune Sanada
Quand Sanada revint de sa balade nostalgique au sein des eaux du village, il aperçut son mentor à l'extérieur.
Il craignait que l'entretien se soit mal passé, il ne connaissait que trop bien sa génitrice pour savoir qu'elle n'avait de véritable amour que pour les dieux.

Voyant l'ancêtre au corps de petite fille sur le ponton qui l'avait vu naître et grandir le toucha en plein cœur. Il se rappela de sa première rencontre avec celle qu'on appelait la Sorcière. Une personne crainte, une kunoichi effroyable, une scientifique admirée, qui lui avait pourtant presque tout appris. Sa froideur, son ton et son dédain pouvaient paraître tranchants, mais pourtant, elle portait bien plus d'humanité en elle que la Pythie. Mifuyu l'avait sauvé à maintes reprises. Elle avait toujours montré la plus grande exigence mais aussi un certain respect envers le soldat des Cinq. Au-delà des mots doux et des faibles signes de considérations que sa mère pouvait porter aux hommes, elle n'avait aucunement ce pan protecteur, maternelle.
Si Mifuyu avait tué la chair de sa chair pour survivre, la Pythie, elle ne s'était jamais considérée comme plus qu'une génitrice au service de son seul et véritable amour : la foi.

Les yeux posés sur le dos faussement frêle du cadavre rafistolé qui l'avait mené sur les sentiers du surhomme, il sut à ce moment qu'il aimait plus profondément L'Omura que sa propre mère.

Il alluma son calumet et salua silencieusement la Sorcière en l'invitant à le suivre pour le repas du soir.
Situé à un autre étage de la splendide demeure des perliculteurs, un patio végétalisé au sol de mosaïque accueillait un festin digne des repas politiques entre seigneurs.
Shima-Biizo ne manquait de rien et n'avait aucune honte à en faire l'étalage. Dans une île aussi perdue et dont le seul contact avec l'extérieur consistait en un pèlerinage au Temple du Bois bleu, la décence n'était pas une valeur au firmament.
Sanada lui-même avait découvert la pauvreté avec son départ. Jamais, au sein des îles bénis par les Cinq il n'avait manqué d'une chose. Maintenant qu'il avait grandi, il comprenait l'importance des fermes de perles familiales pour le train de vie du village.

La Pythie entra quelques minutes plus tard avec le frère de Sanada, un beau jeune homme à la carrure forgée par la nage et la plongée quotidienne à la recherche de ces boules de nacre. L'aîné s'inclina longuement en direction de l'Omura avant de frapper son petit frère à l'arrière du crâne avec un sourire bienveillant.

La prière à Shinsei, divinité de la nature, des animaux et de la vie sauvage pour le remercier des mets dura de longues minutes. Sanada en avait bien entendu l'habitude, bien qu'il usait le plus souvent de la version raccourcie de cette prière avant de manger, mais il ne pouvait s'empêcher de compatir pour Mifuyu qui ne demandait pas autant de cérémonial avant de manger un repas amplement mérité.

Quand enfin, sous le dernier éclat de voix de la Pythie le jeune put se servir des fruits de mer et du riz en abondance, il reprit son calme.
Comme à son habitude, Suteku avait fait des merveilles.

Sans qu'il ne sache trop pourquoi la Pythie lui ordonna plusieurs fois de manger plus rapidement. Enfin, alors que le thé venait à peine d'arriver, Shakyamuni se leva, jeta un regard vers l'extérieur et, sans regarder son fils, s'adressa à Mifuyu.

- Un bateau vient d'arriver, ces gens-là ont besoin de votre aide.

Le regard de la Pythie était à nouveau dans le vide, entre joie et tristesse. Le visage si pur, presque figé, si bien que plus rien ne semblait passer au travers.

Sans réfléchir, Sanada se leva et partit à la rencontre des étrangers.
Sur un deux-mâts imposant, une dizaine de personnes paraissaient choqués, meurtris.
Une seule chose pouvait laisser une marque aussi prégnante sur les mines des malheureux, la violence de la mer.

- Aidez-nous ! Le deuxième bateau s'est écrasé contre un récif. Les vagues sont trop puissantes ! Il va mourir, mon petit va mourir noyé. Ô, par Mino, j'aurai dû insister pour qu'il reste avec moi...

La femme qui parlait était prise de sanglot de panique. Un homme plus calme continua les explications alors que derrière lui, les nuages noirs de la tempête amorçaient leur assaut sur les côtes.

- On nous a dit de venir vous voir. S'il vous plaît, je vous en prie. Aidez-nous.

Sanada ignorait comment les dieux avaient mené ces hommes jusqu'à lui. La tempête, l'orage, faisait maintenant entièrement partie de lui et il n'eut aucune crainte lorsqu'il monta sur le navire.

Shakyamuni, elle, regardait du haut par sa fenêtre son fils partir vers le voyage de sa vie. Elle n'était sûre de rien, pourtant, elle avait l'intime conviction que tout était écrit.

Sanada prit s'empara du gouvernail, et, sous les indications de la femme, mit le cap sur le bateau naufragé.
Avec la dextérité et sa connaissance des mers, mais surtout de la sienne, le chunnin parvint à vue du navire échoué en quelques minutes. Malgré cela, le problème était loin d'être réglé.
Prisonnière des coraux, la coque du bateau marchand avait été sérieusement endommagée. Pour ne rien arranger, des vagues venaient de toutes parts, ballottant l'immense construction de bois pour l'envoyer s'écraser contre les récifs aussi coupants que les scalpels de la Sorcière.

Le soldat des Cinq ordonna de jeter l'ancre en grimpant à toute vitesse sur le plus grand mât du bateau. Les pieds stables sur le nid-de-pie, il composa des mudras en laissant exploser son chakra ranton en l'air. Les nuages au-dessus des deux navires se dissipèrent partiellement. S'il avait autorité sur les nuages, la puissance de la nature était parfois telle qu'elle dépassait allègrement son pouvoir.
La mer se calma légèrement alors que le ciel maintenant bleu-nuit perçait la couverture nuageuse qui séparait le monde des mortels des cieux.

À la lueur de la lune. Sanada aperçut une longue silhouette filiforme au fond de l'eau.
Non. Cela ne pouvait être lui.

Les serpents de mer pullulaient dans la région, mais un seul dépassait allègrement la taille d'un homme adulte. Le prince des vagues, la terreur de Shima-Biizo. L'animal légendaire que tous les bons pêcheurs de la région prétendaient avoir vu au moins une fois. Le serpent bleu et or. Papa Legba.

Pris d'un mouvement de panique, Sanada retourna sur le pont, le cœur sur le point d'exploser.
Depuis petit, on lui racontait comment Papa Legba capturait les enfants qui s'éloignaient trop loin du bord de l'eau et les noyait avant de les manger lentement, un enfant pouvant le nourrir deux saisons entières.

Il était devenu un homme fort, un ninja aguerri, mais malgré cela, les légendes de son enfance étaient plus fortes.
Les cris des naufragés se firent entendre.

Sanada mit un pied sur le bord du ponton. Il fallait qu'il saute. Il n'avait pas besoin d'avoir peur tant qu'elle était avec lui.

Devant les vagues toujours imposantes, le corps de Sanada luttait contre son esprit. Il devait aider ces gens, combattre un vulgaire serpent de mer, fut-il le plus vieux de la région n'avait rien d'exceptionnel. Avec la marche sur l'eau, il allait pouvoir échapper à celui qui avait hanté ses cauchemars d'enfant.

En équilibre sur le bord du bateau aussi fin qu'une corde, il attendait un signe des dieux désespérément. Un signe pour surmonter la peur, un signe pour enfin devenir maître de son destin.

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Omura Mifuyu

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Le dîner se déroula sans nouvelle effusion de rage de la part de la doyenne. Au contraire, ce fut même un moment apaisant durant lequel elle put en apprendre plus sur son élève, pas nécessairement par son comportement, mais ne serait-ce qu’en observant les individus qui l’avaient entouré durant son enfance et jusqu’à son intégration dans le village.

Elle avait déjà rencontré la mère, bien sûr, dont elle gardait le souvenir le plus vif, mêlé toutefois à une certaine admiration qui, comme bien souvent chez les femmes de l’expérience de Mifuyu, se muait en rivalité. Pour la première fois, elle était témoin de la complicité qui unissait son élève à son frère, complicité qu’elle analysait plus qu’elle n’observait, en restant silencieuse de peur de rompre la tranquillité des lieux. Car il faut préciser que l’atmosphère dans ce patio végétal était particulièrement apaisante, ce qui lui rappela d’ailleurs la manière dont Sanada avait aménagé le toit de son appartement. Décidemment, quand bien même le garçon s’était éloigné des siens en s’engageant au côté de la Sorcière, il était évident qu’il était toujours imprégné de la culture de son île et plus encore de la demeure de la pythie. La pomme n’était donc pas tombée loin de l’arbre.

Le repas, lui aussi, était enchanteur. Du fait qu’elle avait toujours vécu, sinon à Uzushio, au moins près des mers de l’Est, la chirurgienne était habituée aux différentes denrées alimentaires que recelaient les océans. Les nombreux plats de fruits de mer sur la table, pourtant, étaient parmi les plus délicieux – sans aucun doute parmi les plus précieux – qu’elle eût l’occasion de goûter. Les saveurs de ces crevettes, escargots de mers, bulots et autres coquillages se mariaient parfaitement avec les assiettes de fruits qui les accompagnaient. Bientôt, comme envoûtée par les parfums des différents aliments, la tempêtueuse Jonin en vint à oublier temporairement jusqu’à l’affrontement verbal qu’elle avait eu avec la pythie. Elle se dit que ce devait être cela que venaient chercher les voyageurs qui arpentaient cette île : la sensation d’être chez soi, mais également d’être partout à la fois, de n’appartenir à personne d’autre que la nature.

La bulle privilégiée dans laquelle se laissait aller la doyenne ne tarda pourtant pas à éclater. La Pythie attendit que le thé fût servi pour sortir la doyenne de sa torpeur délicieuse. Elle s’adressa directement à l’Omura, accompagnant ses paroles d’un regard complexe qui mêlait l’imploration, puisque son aide était requise, tout en prenant des airs de mise à l’épreuve. Mifuyu n’hésita pas, bien qu’il lui fallût quelques secondes pour revenir pleinement à ses instincts guerriers. Il était l’heure pour elle de prouver à cette prétendue oracle qu’elle n’était pas celle qu’elle s’imaginait : la Bête. Non, bien au contraire, elle était celle sur cette terre qui se rapprochait le plus du Surhomme dont elles avaient parlé.

Elle ne se doutait pas, toutefois, qu’elle s’apprêtait à réaliser la prophétie de Shakyamuni, prouvant une nouvelle fois que les instincts de la Pythie ne se trompaient jamais. Loin d’être le Surhomme, elle était le serviteur du Destin, peut-être même n’avait-elle bravé la mort si longtemps que pour l’instant qu’elle s’apprêtait à vivre. Elle allait créer son plus grand chef d’œuvre, un chef d’œuvre qui marquerait le monde à venir.

*

Le duo grimpa à bord du navire. Mifuyu n’était pas particulièrement à l’aise à l’idée de se battre contre les éléments, l’orage et l’océan faisant partie de l’arsenal de l’adolescent plutôt que du sien. Peut-être devrait-elle laisser la main à son élève, et au fond ce n’était pas plus mal de le confronter à la difficulté. Quant aux compétences personnelles de la doyenne, elles serviraient en cas de drame, si elle était amenée à soigner d’éventuels blessés.

Pour l’heure, la Sorcière demeurait assise contre le rebord du bateau, la mine sombre et fermée. Sanada était aux commandes, lui qui avait bien plus d’expérience qu’elle avec ces engins nautiques. Elle n’avait toujours pas dit un mot depuis le repas, si ce n’était quelques réponses en monosyllabes, par-ci, par-là. Elle était visiblement préoccupée, mais elle-même ne savait pas par quoi. Sans doute était-ce la tempête qui la mettait dans cet état-là, qui lui donnait la conviction que, bientôt, plus rien ne serait comme avant. Ce voyage sur l’île de Sanada, la rencontre avec sa mère, la Pythie, tout cela était une étape importante dans leur relation. Sans que personne ne s’en doute, ce voyage en mer, quant à lui, allait achever de les unir pour la vie.

Ils arrivèrent bientôt en vue du navire piégé entre la mer et les coraux. Une fois le bateau stabilisé, ancré dans le sable de Shima-Biizo, l’élève de l’Omura usa de ses talents pour calmer la tempête. Bien que la nuit fût toute proche, cela permit au moins de dégager la Lune qui apporta un éclairage supplémentaire, rendant moins terrifiante la sombre mer qui s’agitait sous leurs pieds.

Là-bas, sur les flots, les sons prenaient forme vivante. Au loin, on entendait les cris des naufragés qui imploraient l’aide de leurs sauveurs, poussés par le désespoir. Sur le bateau, néanmoins, c’était le silence complet, rien d’autre que le balancement des vagues et, bientôt, quelques frottements contre la coque du bateau. Mifuyu ignorait tout de ce qu’il se passait, personne ne semblait enclin à lui expliquer l'origine de ces étranges bruits. Tous les marins étaient terrifiés. Les jambes fléchies, ils reculaient malgré eux de quelques pas et tentaient de s’accrocher à quelque chose qui pourrait les stabiliser : le mât, une corde ou bien une caisse de ravitaillement. Mais quel était donc le danger qui rôdait ?

Enfin, après quelques instants, les langues se délièrent. « Pa-.. Papa LEGBA !! » entendit-elle geindre derrière elle, avant que les murmures ne se répandent parmi tous les membres d’équipage. « Qui donc ? » demanda la doyenne, s’efforçant de maintenir un ton calme, bien que le mystère pesât également sur ses épaules. Elle n’était pas effrayée à proprement parler, d’ailleurs elle n’était pas superstitieuse et ne croyait pas aux monstres, toutefois il était difficile de rester de marbre lorsque tout le monde autour de vous commençait à paniquer. Personne ne lui répondit. « EXPLIQUEZ-MOI, BON SANG ! » hurla-t-elle, car sans connaissance du terrain elle ne pourrait jamais établir un plan. C’était une scientifique, elle avait besoin de millimétrer ses actions, elle avait besoin de prévoir la stratégie parfaite.

Après un bref silence, un marin, proche d’elle, prit son courage à deux mains et lui expliqua la légende de Papa Legba, le serpent des mers, le monstre terrifiant, l’hydre qui hantait les mers de Shima-Biizo, la terreur des pêcheurs et des touristes. Le serpent bleu et or.

*

Mifuyu, silencieuse, suivait des yeux l’ombre de la bête qui se dessinait à la surface de l’eau. Bien vite, le serpent semblait s’être désintéressé du navire naufragé, comme si les récifs qui abîmaient sa coque le protégeaient de l’attaque du monstre. C’était autour d’eux, désormais, qu’elle rôdait.

La Sorcière aperçut son élève qui se tenait prêt à sauter, luttant visiblement lui aussi contre l’émotion. Elle se demanda brièvement s’il était au courant, comme les autres matelots, des légendes qui entouraient cette créature mythique. A en croire son regard perdu, il devait en être aussi effrayé qu’eux. Alors, en quelques secondes à peine, la doyenne effectua quelques mudra – ils l’aideraient à s’aventurer sur les flots sans chuter – attrapa Sanada, puis sauta avec lui hors du bateau. Il était évident que la situation ne s’arrangerait pas tant que la créature se trouvait dans les parages, aussi fallait-il la tuer ou au moins la faire fuir.

Soudain, un bruit immense. Les deux shinobi eurent à peine le temps de se retourner pour voir l’enfer s’ouvrir sous les pieds des pauvres marins, la coque du bateau se briser en un terrifiant fracas et, juste en dessous l’immonde gueule du serpent géant, prête à accueillir sa nouvelle victime.

Tout s’était passé très vite : un puissant jet d’eau était sorti de la mer et s’était écrasé sur le navire. La pression était telle qu’il l’avait brisé sans le moindre effort. Le projectile n’avait touché personne directement, mais la dizaine de membres d’équipage se trouvait désormais accroché sur les différentes planches de bois flottant au gré de l’océan, hurlant de peur d’être dévorés par la créature. Il ne fallait pas laisser faire cela.

Le duo avait à peine eu le temps de reprendre son calme que l’affreuse bestiole sortit à nouveau des mers dans un bond dont la trajectoire laissait deviner la terrible issue : elle allait dévorer la femme qui les avait guidés jusqu’ici. Mifuyu s’élança aussitôt à toute vitesse vers le serpent légendaire, scalpels en mains, et s’écrasa contre sa peau écailleuse pour dévier sa trajectoire. Elle parvint à le toucher, toutefois ses lames glissèrent contre les écailles dures et visqueuses de la bête. Au moins, elle était parvenue à déplacer légèrement l’animal grâce à la vitesse qui avait propulsé son coup, ce qui permit à la femme terrorisée de voir la gueule de Papa Legba claquer la surface de l’eau à un petit mètre d’elle-même. Elle hurla.

Mifuyu eut à peine le temps de se redresser que le serpent, dans un nouveau bond, la prit pour cible. Visiblement, il était suffisamment intelligent pour comprendre qu’il ne parviendrait à déguster aucun festin s’il ne se débarrassait pas de la femme enfant auparavant. Celle-ci esquiva l’assaut de justesse et, alors qu’elle allait à nouveau planter ses scalpels dans sa chair, un puissant éclair parcourut la peau du serpent, ce qui la propulsa à quelques mètres et lui infligea une douleur aiguë, tout comme aux quelques personnes qui étaient désespérément accrochées aux planches environnantes. Ceux-ci crièrent d’une seule voix tant la douleur était atroce – heureusement, pas suffisante pour les faire lâcher leurs bouées de fortune.

« Sanada ! cria la doyenne. Je ne parviens pas à le toucher, on va avoir besoin de ta foudre ! »

Etant consciente des dangers de la manipulation du raiton dans un tel environnement, elle entreprit d’éloigner les rescapés uns à uns pour les mener vers le second bateau, les portant sans mal sur ses épaules malgré sa frêle carrure, tandis que son élève avait la charge d’affaiblir cette créature de malheur.

A moins d’utiliser ses plus puissantes techniques sur le serpent, elle ne disposait que de peu de moyens pour le blesser. Dans le doute, elle préférait s’économiser pour l’instant dans l’hypothèse où elle aurait besoin de recourir à ses dons de médecin.

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Masamune Sanada
Shakyamuni était au milieu de son jardin mystique. Invoquant les dieux pour ce qu'elle pressentait comme une grande épreuve dans la vie de son fils bien-aimé. Les tourments du passé rejaillissaient dans son esprit. Elle se revoyait à l'aube de sa vie de femme, vagabonde du continent, survivant grâce à son don pour le suiton et sa capacité à charmer les nobles.

Elle, encore jeune fille. Puis, cette rencontre avec "ce musicien". "Tu sentiras la foi des gens, tu percevras les nœuds que Jashin fait entre les innombrables fils du destin qu'il tient entre ses griffes, tu seras celle qui porte le message des dieux, celle qui porte celui qui trouvera le prophète." Les mots chantés du saltimbanque résonnaient encore dans sa tête. Et, depuis, elle était devenue quelque chose d'autre. Sans doute, avait-il révélé son chakra et la prescience qui l'envahissait par vague. Par tsunami, plutôt, des informations si abstraites et dénuées de schème humain qu'elles la noyait pour des jours, incapable de retourner dans le monde des mortels et de la conscience.

Son pouvoir était aussi sa malédiction.

Alors qu'une bouffée délirante l'assaillait, la jeune femme se mit à chanter la légende de Papa Legba, encouragement des cieux pour qu'enfin, Sanada transcende sa condition d'homme, pour qu'enfin, il rejoigne son mentor et son guide sur la voie de l'animalité retrouvée, de la véritable fusion avec la grande Nature. Comment ? Elle n'avait pas toutes les réponses, mais Jashin susurrait tout de même à son oreille une seule et même chose : rien ne serait jamais plus comme avant.

******

Ninja mi Ninja:

La voix de Mifuyu le sortit de sa torpeur juste à temps pour que le jeune homme esquive un coup de nageoire. Par réflexe, il répliqua avec un flux de foudre, technique efficace pour ralentir un adversaire au corps-à-corps.

Quelques saltos arrière plus tard, Sanada avait repris de la distance et composait des mudras pour invoquer le tonnerre, modeler les nuages pour en faire un château orageux qui allait le soutenir dans ses attaques.

Le serpent bougeait à une vitesse telle qu'il ne pouvait que suivre partiellement ses mouvements. Au moment même où il levait la main au ciel, Papa Legba attaqua rapidement le visage du jeune homme. Le masque rituel qu'il portait lorsqu'il combattait depuis son arrivée au village d'Uzushiogakure se brisa sous les crocs du serpent marin. Heureusement, la dent perça l'os, mais ne parvint qu'à érafler le visage de l'androgyne, traçant une ligne presque parfaite sur sa joue gauche.
Sous l'effet du poids et de l'attaque, Sanada fut emporté sous la surface, coulant un instant avec les parties de son masque brisé, avant de remonter tandis que son artefact fétiche continuait sa course vers les abîmes, les perles de la pythie brillant une dernière fois de cette couleur bleutée avant de disparaître dans le noir des profondeurs.

Usant de la vague du chaos sous l'eau pour nager plus vite, il parvint rapidement à remettre les pieds sur les vagues que créait le monstre.

Au loin, il aperçut Mifuyu qui avait mis les civils à l'abri. Elle attendait, comme si elle aussi savait qu'il se devait de l'affronter seul, que son destin appelait à la destruction de cet animal légendaire du folklore local. Dans l'esprit de Sanada, il allait gagner, car le destin l'exigeait. Parfois, cependant, les dieux avaient un plan qui dépassait l'entendement des hommes, et cette fois-ci comme souvent avec le soldat des Cinq, c'était le cas.

Brillant de sa confiance et de l'orage qui tonnait, Sanada sculpta une panthère de foudre aux crocs électriques aussi acérés que son adversaire et l'envoya bondir sur lui.
Le serpent se leva, et attaqua la panthère au moment où celle-ci sautait sur sa proie.
Papa Legba fut sans doute surpris de découvrir que l'animal n'avait pas de substance autre que la douleur et l'engourdissement. Il frappa la mer de sa queue et créa de ce mouvement des projectiles d'eau qui foncèrent vers Sanada.
Trop rapide pour être esquivé, le tout juste promu chuunin dut user du corps de l'orage pour se rendre intangible et laissé les gouttes d'eau pressurisées le traverser comme si sa chair était, pendant une seconde, cachée derrière la matière de son âme.
Le serpent sembla surpris de ne pas avoir touché le jeune homme. Furieux, il cracha un cône du déluge qui percuta Sanada de plein fouet, le renversant sans que cette fois, la marche sur l'eau ne soit interrompue.
Reprenant vite son équilibre dans une glissade de plusieurs dizaines de mètres, le jeune homme convoqua un double d'orage pour l'assister, le raiton semblait ne pas plaire à la bête légendaire, il fallait donc qu'il continue. S'élançant avec sa copie nuageuse, Sanada créa des senbons de foudre entre ses doigts avant de les lancer vers le serpent. Celui-ci bien trop massif et en colère pour tenter une esquive tressaillit quelques secondes. C'était le temps nécessaire pour que le clone s'approche assez près, prenne appui sur une vague, et s'élance pied devant vers le monstre en criant.

Trop content de se voir offrir un mets aussi facilement, Papa Legba croqua le corps impalpable du clone, il en résulta un nouveau cri de fureur, et une créature incontrôlable. D'un coup de queue puissant, le serpent détruisit définitivement le clone avant de plonger sous l'eau.

D'un coup, le vacarme et le tumulte du combat disparurent, remplacés par les quelques remous provoqués par l'affrontement. Le calme de la mer, le silence à peine brisé par des cris apeurés. Il semblait qu'à défaut de l'avoir vaincu, il avait réussi à faire fuir le prince de Shimma-bizo, l'esprit des profondeurs, le gardien des perles, le serpent bleu et or, Papa Legba.

Alors que sa technique ranton qui avait convoqué un voile orageux au-dessus de leur tête s'estompait, la lumière se fit plus douce, plus chaleureuse.

- Vous avez vu Mifuyu-sama, il a fui, comme les sbires de Gendo prochainement ! Dit-il en rigolant. À moitié plié, il se tenait le flanc droit, touché par une technique ou un choc qu'il n'avait même pas remarqué dans le feu de l'action.

À peine avait-il fait quelques pas qu'un vrombissement issu des profondeurs éclata.

Alors que l'adversaire du soldat des Cinq revenait, il semblait avoir invoqué une immense vague avec lui.
Celle-ci déferla à une telle vitesse que Sanada qui n'avait jamais vu une technique suiton aussi avancée fut complètement happé. Ballotté dans les remous des vagues, il sentit les crocs du serpent lui percer le bas du dos. Dans le tumulte, la dent enfoncée dans la chair traça un sillon profond dans la peau et les muscles, cassa os et nerfs qui passaient sur son chemin.

Sanada comprit tout de suite qu'il n'allait plus pouvoir bouger. La douleur n'était pas si atroce, mais il sentait la force quitter le côté droit de son corps en même temps que son sang.

Il posa son bras ankylosé sur les écailles douces de l'animal, levant son autre main pour invoquer la foudre. Dans l'eau, la douleur et la puissance décuplée des éclairs allaient probablement le tuer. Mais il allait mourir de toute façon, autant emporter son adversaire avec lui.

Lorsque le tonnerre s'abattit, la force fut telle que des centaines de poissons remontèrent immédiatement à la surface.
Quelques secondes plus tard, le jeune remonta avec le serpent, le jeune homme posé sur le cadavre de l'imposante bête. Les deux semblaient morts, mais l'un respirait encore, faiblement.

Un trou sur le flanc droit révélait l'ampleur des blessures de Sanada. Il avait encore son buste et ses deux jambes, mais la jonction ressemblait plus à l'arrière-boutique d'une boucherie qu'à un véritable corps humain.

Celui-ci ne sentait rien. Il entendait son cœur battre, chaque fois un peu plus lentement, chaque fois, avec plus de difficulté mais il n'avait pas mal, juste sommeil, terriblement sommeil...

Quand il sentit la petite main de sa mentor sur lui, il sut qu'il avait réussi à toucher la bête et sombra dans le néant du coma.



“Soyez donc des hommes, ou mieux : des surhommes ! Soyez fidèles aux buts tracés.”

Mary Shelley, Frankenstein ou le Prométhée moderne

Résumé:
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Omura Mifuyu
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Fiche du Ninja
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Omura Mifuyu

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« Je n’avais pas le choix, c’était le seul moyen de le sauver. »

Était-ce vrai, ou avait-elle obéi à un instinct plus primaire, à un instinct de conquête, quand elle avait enfermé le corps étranger dans celui de son élève ? Elle-même n’en était plus certaine. De plus en plus, ces mots sonnaient comme une excuse. Pourtant, quand elle avait vu la vague s’abattre si violemment sur lui, emportant avec elle son avenir prophétique, elle n’avait pu songer à aucune autre solution. Il était hors de question de le laisser crever.

Que ceux qui les considèrent comme des monstres se demandent ce qu’ils auraient fait à sa place ! Ah, qu'auraient-ils fait avec un tel pouvoir ? Et un enfant mort dans les bras !

Eux aussi, peut-être, auraient dérobé son humanité. Eux aussi, sans doute, auraient choisi la voie de la Bête.

*

« Vous avez vu Mifuyu-sama, il a fui, comme les sbires de Gendo prochainement ! »

Longtemps, cette phrase résonna dans l’esprit de la Sorcière. Elle se souvint de son insouciance, de sa voix entre adolescence et maturité, du rire qui l’avait pris en pensant avoir vaincu le serpent des mers, malgré la douleur qui aurait dû le paralyser. Mais il avait beau se donner de grands airs, il était toujours un enfant, qui plus est né pendant la paix ; c’est pourquoi il lui manquait ce qui aurait pu le sauver, à savoir la peur constante d’un danger invisible – cette peur qui avait marqué les shinobis des générations précédentes, ces bourgeons écarlates nés parmi les décombres d’un monde révolu. En un mot, il s’était montré présomptueux. Il s’était réjoui trop tôt et en avait payé le prix.

La vague projetée par Papa Legba avait été spécialement dirigée vers Sanada, sur un angle d’environ 180 degrés. Ainsi Mifuyu, qui avait aidé les marins à se réfugier sur des bateaux plus éloignés, ne fut pas engloutie par les flots. C’était un hasard heureux car, quand bien même elle aurait survécu sans trop de séquelles, elle n’aurait pas été en mesure de se relever pour sauver son élève, qui était lentement remonté à la surface, immobile, dangereusement immobile, accroché au corps sans vie de la créature marine.

De ce moment elle se rappelle surtout du bruit des vagues géantes se brisant contre la surface et du craquement du bois. Rien d’autre n’existait et elle ne s’était même pas entendu hurler, comme si elle fût sourde. Elle avait pourtant crié, s’était époumonée comme rarement auparavant, c’était à croire que la mort jaillissait des tréfonds de sa gorge – en fait, elle ne s’était mis dans cet état là que quatre autres fois : à la mort de son mari, puis de ses trois enfants. Elle avait alors couru, vite très vite à s’en décrocher les jambes, elle avait couru sur la surface de cette mer meurtrie jusqu’à atteindre le corps sans vie de son protégé.

En le touchant, elle perçut une respiration faible. Il est en vie ! Il est en vie ! Voilà la seule consolation qui lui venait, alors même qu’elle voyait ses mains tâchées de sang et constatait le trou béant qui s’ouvrait à la base de ses jambes. A peu de choses près, elle le retrouvait en pièces détachées. Mais peu importait. Il est en vie ! Il est en vie ! Là où tout médecin aurait vu la mort et la destruction, elle se réjouissait : il est en vie ! et je peux le sauver !

Personne n’aurait été assez fou pour penser qu’elle y arriverait : pourtant, elle n'en doutait pas. Indirectement, Fusuke lui avait montré comment faire. Tout son entraînement, en réalité, l'avait menée à cet instant. Elle s’était toujours fourvoyée, pensant que son existence était uniquement la sienne, et que sa finalité était d’atteindre la vie éternelle ; en réalité, elle avait été un pion dans un plan plus grand, celui qui devait mener à l’ascension ultime du Prophète. Car ce Prophète, elle en tenait le cadavre ensanglanté dans ses mains. Et elle devait le sauver. Pas pour les dieux, mais pour elle-même.

*

Le Narrateur hésite à restituer la scène suivante tant son évocation suffit à l’emplir d’horreur. Pour l’Histoire – car assurément c’est un moment unique dans l’Histoire du Sekai – il fera cependant une exception.

L’opération eut lieu sur un bateau de sauvetage. Le temps était trop précieux et la côté trop éloignée. Il fallait agir maintenant et utiliser les éléments à disposition pour le sauver. Il fallait greffer et espérer qu’il fût compatible.

La blessure de Sanada était d’une violence inouïe. Un gouffre s’était ouvert à la place de ses hanches et le sang coulait en abondance sur les planches mouillées du pont du modeste chalutier. En fait, si la Sorcière n’avait pas arrêté l’hémorragie avec l’un de ses sorts, il serait mort en quelques secondes et son corps exsangue aurait été perdu à jamais dans l’océan. Ce qui lui restait de tripes pendait désormais mollement dans le vide, sans doute dans l’espoir de se rattacher à la partie inférieure de son corps. La colonne vertébrale était sévèrement fracturée, la moelle épinière touchée et, à moins d’un miracle, il était évident que le garçon resterait paralysé à vie.

A l’aide d’un couteau servant à vider les poisons qu'elle avait stérélisé en urgence, Mifuyu entailla la peau écailleuse de Papa Legba, en prenant bien soin de préserver sa structure osseuse. Il n’y avait pas d’autre choix : le soldat des cinq hériterait en partie du corps de celui qui l'avait tué, le serpent légendaire, qui ainsi continuerait de régner sur les mers à travers lui.

Mais la bête était grosse, bien trop grosse pour le corps adolescent. Il n’y avait donc pas d’autre choix que de raccorder sa base au niveau de l’abdomen du garçon, tout en laissant la queue de poisson se balancer en rythme dans le bas de son dos, couvrant ses fesses et s’étendant jusqu’au bas de ses genoux. La doyenne dut faire les choses rapidement : elle plaça la bête à greffer dans son réceptacle d’un geste brusque, comme si elle eût souhaité l’accrocher définitivement par la seule force de ses bras. Ses mains s’illuminèrent ensuite de chakra médical. Cette énergie spirituelle était tant providentielle qu’elle était néfaste, on la sentait d’ailleurs alimentée du désespoir de la perte d’un enfant.

La chirurgienne attacha les nerfs, connecta l’ossature, souda les vaisseaux sanguins et, au bout d’une heure d’effort – sans doute plus, mais qui aurait pu estimer convenablement le temps dans ces conditions désastreuses –, bien que son élève fût toujours endormi, elle sentit son rythme cardiaque se stabiliser. Il était désormais hors de danger, à moins que son corps ne rejette la présence de Papa Legba. Néanmoins elle en doutait, tant cet événement semblait nécessaire, tant cette épreuve paraissait essentielle à l’évolution de Sanada. Elle était comme emplie d’une confiance inébranlable : les dieux n’auraient jamais joué de la sorte avec la vie de leur prophète s’ils n’avaient pas eu quelque dessein secret pour les motiver. De même, ils n’auraient pas offert leur magie à la Sorcière si ce n’était pour qu’elle l’utilise en cet instant unique – et qu’elle réussisse.

*

Mifuyu avait rejoint les appartements de la Pythie, où elle avait transporté le corps de Sanada. Contrairement à ce qu’elle attendait, celle-ci n’exprima nulle colère. Elle accepta la nécessité des événements et, si elle n’était pas ravie de la nouvelle apparence de son fils, elle n’y voyait rien de monstrueux, mais plutôt la fusion entre l’homme et la nature – un est tout, tout est un, ainsi naquit le Surhomme.

Les heures s'écoulèrent lentement et dans le silence. Les deux femmes qui se tenaient à son chevet ne faisaient rien d'autre qu'attendre. Elles n'étaient ni inquiètes, ni sereines. A quoi bon, maintenant que l'avenir n'était plus entre leurs mains ? Et, enfin, les yeux de Sanada s'ouvrirent et se posèrent avec tendresse sur les murs de la chambre où il avait passé son enfance. Son sourire, cependant, était dénué de son insouciance habituelle.

Mifuyu comprit pour la première fois qu'elle venait d'être dépassée. Alors, elle sourit à son tour.

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Acte II -  Infestation