Les chiens brûlent les chats [PV un Nozobro]

Deux jours après la défaite.

Je guette avec amertume le passage de mon senpai.  Le goût de la défaite épaissit ma salive et une petite mare de salive entre mes pieds s'évapore lentement, alors que je crache pour marquer le temps.  Mon chaud foulard pend malheureux à mon cou, sale de sueur.  À un terrain d'entraînement d'ici, moi et un de mes cousins avons subis l'humiliation de n'être que des genins dans un monde de brutes, à tenter de toutes nos manigances infantiles de blesser un homme.  Je n'ai plus revu Kazuki depuis, aussi je ne pouvais que m'imaginer que comme moi, il rumine les leçons tirées de notre affrontement contre Yukio.  Pour ma part, j'ai très peu dormi et les derniers relents de rancoeur qu'il ne m'a pas grillé dans notre tête à tête, je les ai usé pour faire siffler ma chaîne sous la bienveillance de la lune.
Aux pieds de la statue du Roi Pourpre, je tire une mine de déterré.  J'ai récupéré de mes brûlures (elles ne sont rien comparées à celles de Baba), mais Yukio a définitivement marqué mon âme de ce désir de lui en coller une... un jour.

Je suis une teigne, mais je ne suis pas une teigne sans cervelle.  La différence de force, je la comprends et je me méprise pour cela.  Après le repas savoureux, j'ai quitté sans dire un mot de plus, mes pensées étourdies par le festival des suppositions.  Je ne suis revenu que plus tard sur ce-même terrain d'entrainement, où la suie des techniques katon de senpai marquaient encore la terre battue.  J'ai fait siffler mon kusarigama, à tenter de reproduire chacune de mes réactions dans l'affrontement, à m'imager de nouvelles réponses, de nouvelles contre-attaques.  Seul l'épuisement a su calmer mon esprit en ébullition et je me suis fait réveillé par les coups de pieds aux cotes de cousins Nozomo plus âgés, qui souhaitaient que mon corps mort disparaisse pour leur laisser le champ libre à maîtriser leurs banales armes.  Mais après avoir eu un repos agité par des cauchemars de ma rencontre avec Yukio, ils ont réveillé la bête et...  j'ai dû trouver un nouvel endroit où dormir.

À l'académie, on m'a souvent reproché de ne pas démordre des erreurs que je commettais.  Je ne me suis fait aucun ami, car trop téméraire, trop rancunier, trop égoïste, mais ces mêmes défauts me permettent aujourd'hui de patienter pour la venue de Yukio et demander des explications.  Son parfum, je l'ai enregistré, surtout depuis qu'il m'a fait goûter ce qui embaume tant ses habits : le maté.  Je peux tracer sa piste sans mal, si on me donne une chaussure à renifler ; je possède le nez fin de Jiji, celui que l'on a surnommé le limier fou du désert.

Truffe au vent, je capte toutes sortes d'odeur et avec la fatigue qui me guette, j'en ai la nausée.  Ma patience est cependant récompensée lorsqu'un courant d'air remontant des marches menant au domaine, m'avise que senpai approche.  Alors mon corps mollasson et mes cheveux roux s'agitent, alors qu'un grand rictus s'étire à en déplacer mon cache-oeil.  Le bruit du fer raclée contre la terre, j'avance vers la position que je renifle et avant-même que le petit frère d'Hayato n'apparaisse, je cris son nom :

— YUUKIIOOOOO-SHAAA!!

La personne de mes désirs est enfin là !  Je me moque de ce qu'il peut bien penser, je suis en position de combat désormais.  Mais avant qu'un nouveau combat n'éclate, mes genoux lâchent, car l'énergie qui m'a tenu éveillée s'évapore soudainement.  J'ai beau les frapper de mes poings épuisés, mes cuisses ne répondent plus.

— TEEEEMMMEEEEE !!  YUKIO !!  CUISSES !!  YUKIO.... AAAAARGH !

J'halète de rage.  Ma revanche ne sera pas aujourd'hui.  Alors je change le sujet et pointe d'un doigt accusateur l'épéiste.

— SENPAI !  T'ES PAS UN VRAI NOZOMO AVEC TES FLAMMES DE NINJA !!

Je garde la pose très peu intimidante, ainsi vautré, sapé de toute ma force.  J'en oublies ce sentiment d'envie qui m'a fait briller l'oeil lorsque les premières flammes ont été crachées par Yukio, il y a deux jours.  Mon senpai avait trop la classe.

J'en ai peut-être pas l'air mais j'ai une tête sur les épaules et j'ai passé avec brio les tests de l'académie, sans trop étudier.  Savoir que les flammes matérialisées d'un ninja relève du Katon, faut être le plus cancre des aspirants ninjas pour l'ignorer.  Yukio ne comprend pas la subtilité de mes insultes, voilà tout.  C'est un peu ma force, d'ailleurs, de balancer des inepties à double sens, que seul mon esprit de bagarreur comprend.  Faut pas me prendre pour un idiot, je suis capable de l'être tout seul.  Yukio me flatte bien l'égo dans le mauvais sens et la main me démange.  Pourtant, ses paroles me redonnent l'énergie nécessaire pour me redresser, car dans l'adversité, je grandis depuis toujours.
Les ailes du nez battante, je retiens une répartie acerbe et me laisse charrier.  Il fait son gaillard d'expérience, mais sans doute ignore-t-il que je me prépare à un jour lui voler son aspiration à devenir Roi Pourpre en le devenant avant lui.  C'est vrai, j'oublie souvent que son frère et lui sont des parias pour plusieurs Nozomo (dont Jiji, pour ne nommer que lui...), mais je me fiche bien qu'ils soient adoptés ou non.  Ils portent le nom Nozomo, aussi sont-ils, sans peut-être le désirer, mes meilleurs comme mes pires rivaux.  Pour devenir celui pour qui on dresse une statue, on doit devenir le meilleur guerrier du clan.  Puis après ?  Le meilleur guerrier du village ?  Puis du désert ?  Si je ne cible pas les étoiles, je n'atteindrai jamais la lune, a dit quelqu'un.  Mais moi, ce sont réellement les étoiles que je veux côtoyer.

— Tch.  T'étais trop occupé à écraser plus faible que toi que t'as même pas remarquer que je maîtrise déjà Chakra Nagashi ? Je suis visiblement agacé, car dans sa question je remarque que malgré tous mes efforts, j'ai encore un long chemin avant de me faire respecter.  Le combattre ?  J'aurai ma revanche, senpai...  C'est juste que... tss.

Je me renfrogne, car j'ai beau parfois me vanter d'être plus intelligent que la plupart des adultes, je suis encore qu'un gamin qui se retranche facilement dans une fierté mal placée.  Il est vrai que je n'ai aucune idée de la raison qui m'a poussé à le retrouver et je me trouve bien ridicule désormais d'être ainsi rabaissé.  Comment font les forts lorsqu'on les pique ?  Ils rient non ?  J'ai déjà vu les grosses brutes de Serika hilares face à mes insultes, mais avant que je ne leur fasse avaler leurs dents.  Dommage que le sourire de Yukio soit trop haut pour le moment.

— C't'un peu l'ABC du Nozomo, Chakra Nagashi, dis-je sur un ton narquois et j'ai presque envie de le défier dans ses apprentissages, mais je me retiens car je respecte l'expérience. C'quoi ta question ??  Que comme j'utilise le flux, je suis pas un vrai Nozomo p'têtre ?  Tch.  On apprend à l'académie que même les valeureux samuraïs utilisent cette technique.  Tsé, le chakra, c'est pas mal inné, faut juste apprendre à le maîtriser... Tranquillement, mon ton d'abord méfiant coule vers celui qui se questionne à voix haute.  Où tu veux en v'nir, senpai ?