[Entrainement] Par devoir de mémoire

Cela faisait déjà quelques mois que Kyoshiro était tombé au combat, quelques mois qu’elle avait sombré dans la morosité du deuil. Après la perte de Jinpachi et avoir réussi tant bien que mal à y faire face, la mort de son jumeau avait été un coup de massue bien plus violent car plus inattendue encore que pour son fiancé. Même si elle se réconfortait avec l’idée qu’il avait fait preuve de courage, qu’il avait donné sa vie en restant lui-même et en accord avec ces idéaux, le trou béant qui demeurait dans sa poitrine ne se refermerait jamais. Mais quand était-il pour Sayuri ? Quant était-il pour leur fils, Seishiro ? Il deviendrait un orphelin de plus dans le monde impitoyable des shinobis. Et elle ? Au-delà d’un frère, elle avait perdu une partie d’elle-même, une moitié d’elle-même.

Chacun de ses réveils depuis l’annonce de sa disparition était de plomb. Oh, elle ne manquait pas de résolution, ni de force car elle savait que tout un pan du village reposait sur ses épaules. Elle était une Hokage et avait accepté avec cette responsabilité de nombreux sacrifices, comme celui du temps qu’elle possédait pour pleurer. Mais elle ne renoncerait pas à sa famille… et notamment à un petit garçon qui ne connaîtrait jamais vraiment son père.

Yuriko s’était naturellement accrochée à ce devoir de mémoire, bien qu’elle ne doutât pas un seul instant que Sayuri ferait l’éloge de son frère à son fils. Mais pour le moment, cette mère demeurait sous le choc et la colère de la perte de cet être tant aimé, et par esprit de compassion – puisqu’elle-même en était passée par là – la jumelle de Kyoshiro avait accepté d’accueillir son neveu pour quelques jours afin de permettre à son amie de se retrouver et de ne pas transmettre toute l’étendue de son chagrin à Seishiro. A Konoha, ce petit garçon était reconnu comme un Tadake, l’identité Yamanaka de sa mère était volontairement omise par la Nidaime pour des raisons… politiciennes, faute d’alliance par le mariage avec leurs voisins. Si la mort ne s’était pas invitée dans leur vie, cela aurait été chose faite.

Pour la première fois, des sons nouveaux s’échappaient des quatre murs des appartements de l’Hokage : des rires et des balbutiements d’enfant. Cette maison qui semblait si vide et si froide paraissait curieusement reprendre vie et s’illuminait de la seule présence de l’enfant à peine âgé d’une année et quelques mois. Assise nonchalamment sur un large tapis, Yuriko jouait avec son neveu de la plus simple de façon, un petit sourire aux lèvres.

" Tu ressembles beaucoup à ton père, Seishiro… un rayon de lumière dans l’obscurité... "

Kyoshiro avait réussi à transmettre la meilleure part de lui-même à son enfant, et de la même façon que lui, Seishiro brillait bien au-delà de sa candeur juvénile. Pourtant, Yuriko ne pouvait s’empêcher sa tristesse grandir à l’idée que son neveu ne se souviendrait peut-être jamais du visage de son père et qu’il n’avait pu lui faire ses adieux. En tant qu’eisen-nin, elle savait mieux que quiconque la douleur de ne pas pouvoir adresser correctement ces derniers mots. Ce fut alors que lui vint une idée.

Jumelle de Kyoshiro, elle était sans doute la seule à le connaître sous toutes les coutures, hormis Sayuri. Elle le connaissait par cœur, de son attitude désinvolte au grain de sa voix. Alors, ne pourrait-elle pas se faire la messagère de son frère, pour ce fils qu’il ne verrait jamais grandir. Si le concept pouvait paraître saugrenu, d’autant plus le jeune âge de Seishiro, Yuriko savait aussi que certaine chose pouvait aisément marquer de jeune esprit. Alors, après l’avoir couché pour sa sieste, la jeune tante retourna dans ses quartiers pour faire face à son miroir pour s’adonner à un curieux entraînement : apprendre le Dai Henge pour se revêtir de l’apparence de Kyoshiro.

Ce fut ainsi que la Nidaime fit face à son propre reflet et se mit à le modeler petit à petit. Si la technique pouvait sembler assez basique dans le panel à disposition d’un shinobi, Yuriko n’en avait jamais eu recours jusque-là. Les méthodes d’infiltrations traditionnelles avaient toujours suffi. Et bien qu’ici elle ne cherchât pas à maîtriser cette technique pour des raisons professionnelles, elle n’en demeurerait pas moins utile. Mais ici, la jeune femme avait un avantage si ce n’était deux : elle connaissait par cœur le visage qu’elle souhaitait emprunter et elle avait une maîtrise précise de son chakra. Ainsi, elle commença lentement à modifier son image. Ses longs cheveux noirs blanchirent et se raccourcirent, ses yeux prirent une couleur opaque pour marquer la cécité de son frère, son menton se marqua plus fier et plus viril alors qu’elle trompa son miroir en cherchant à gagner quelques centimètres. Toutefois, malgré l’épreuve que cela représentait, la méticulosité de la jeune femme n’était pas… assouvie.

" C’est imparfait. Trop féminin. Quel mauvais pastiche. "

Est-ce qu’elle était dure avec elle-même ? Sans nul doute et plus qu’avec quiconque. Reprenant son apparence normale pour quelques instants, elle réfléchissait à comment mieux s’y prendre. Naturellement, elle fit le parallèle avec un henge « classique » et se tenta à prendre l’apparence d’une femme lambda. Cette version était bien évidemment simpliste et les modifications corporelles superficielles : les cheveux, la couleur de peau, la forme du nez ou des yeux… mais pas la silhouette générale. Or, le Dai Henge permettait de modifier l’apparence globale et ce, qu’importait la taille. Elle se souvenait qu’elle pouvait tout aussi bien devenir un élément de décor.

L’ironie ? Elle trouvait cela beaucoup plus simple. Quand elle s’essaya à se transformer à un élégant paravent oriental, la difficulté lui avait paru moindre. Pourtant, la métamorphose était radicale alors pourquoi… Parce qu’il s’agissait de Kyoshiro. Qu’elle le voulait ou non, son subconscient lui faisait de l’ombre. Qu’importait la technique, lorsqu’un esprit faisait un blocage, le talent n’était rien.

" Pour Seishiro… je le fais pour lui... "

Chassant ses mauvaises pensées, la Nidaime se résolut à se concentrer sur son neveu et la raison de tout ceci. Elle se dressa finalement devant son miroir afin de lutter contre son blocage pour prendre l’apparence de son frère. Ce fut ainsi qu’elle fit le même cheminement que lors de sa première tentative : ses cheveux changèrent de couleur, ses yeux s’opacifièrent, son visage se masculinisa, sa taille s’étira…. jusqu’à voir son jumeau, trait pour trait. Elle ne nierait pas l’émotion qui la parcourut, pour autant elle demeura digne. Si cela l’ébranlait à ce point, alors elle était parvenue à son but, à un détail prêt.

Elle se dirigea mystérieusement vers une commode où elle ouvrit un tiroir. Là, elle en tira un bandeau rouge, du même genre que pouvait porter Kyoshiro avant de se diriger dans la chambre où elle avait installé le petit garçon. Ce dernier était d'ailleurs réveillé, mais Yuriko n'entra pas immédiatement dans la pièce. Elle se mit le bandeau et prit une grande inspiration... avant de trouver la force nécessaire. À sa vue, Seishiro parut curieux puis souriant, tendant les mains comme s'il désirait être pris dans les bras. D'un pas tranquille, la jumelle Tadake joua le jeu et mima toutes les attitudes de ce frère qu'elle avait tant observé. Elle n'avait pas oublié les larmes de bonheur qui furent les siennes lorsque ce petit être était né et la fierté qu'il éprouva. Fier, il l'aurait été encore et puisqu'il serait absent à jamais, la kunoichi se charga de transmettre tout cela à Seishiro.

" Papa... "

A ce mot, la jeune Nidaime ne put retenir une larme et un sourire. Cruauté que de l'entendre l'appeler et de savoir que les oreilles de Kyoshiro ne pouvaient plus l'écouter. Transvestissant sa voix du mieux qu'elle put, elle glissa une main dans les cheveux pâles du garçonnet.

" Oui... Et sache Seishiro que ton père t'aimera toujours... "

La jeune femme accorda ainsi quelques heures à son neveu en la compagnie de ce père disparu, offrant ainsi les adieux de ce frère parti trop tôt et quelques souvenirs de plus, un visage, une étreinte et la transmission de l'amour inconditionnel qui lui portait.

Technique à apprendre: