Le Coyote du noble [Mission D - Nozomo K.]

Je sors en courant de la tour, parchemin de mission dans une poigne au bout d'un bras levé et victorieux.  Je me confonds rapidement dans les ombres qui entourent les rues désertes et je traverse le village jusqu'au point de rendez-vous avec mon partenaire du jour : Nozomo Kazuki.  Nous nous sommes rencontrés en affrontant Yukio, je ne suis pas certain encore de pouvoir le considérer comme un allié, mais il a accepté de participer à mes côtés sur une mission.  Selon nos grades, nous ne sommes pas encore autorisés à quitter le village, mais nous pouvons jouir d'une certaine autonomie au sein de ses remparts.  C'est déjà mieux que de devoir s'asseoir patiemment dans une classe, à nous perdre dans les cartes qui sont accrochées aux murs.

Nous nous sommes donnés rendez-vous à midi sous l'ombre de la statue du Roi pourpre, mais je suis d'avance.  Je prends le temps de dérouler le parchemin de mission, avec la même attention transmise par nos professeurs.  Je prends le temps de palper le papier, en apprécier la texture et sa décoration.  Si je force un peu contre la fibre, je sens que je peux l'émietter.  Un parchemin shinobi ne doit pas tomber entre les mauvaises mains, sa destruction doit pouvoir se faire facilement.  J'ai quelques idées qui me trottent en tête, mais celle où je le déchire pour le mouiller de maté et l'ingurgiter est ma préférée.  Non pas que j'ai particulièrement apprécié la décoction de senpai, plutôt que la vague pensée d'une échoppe de maté pourrait être une bonne couverture pour des missions à l'étranger.  Son katana caché entre les boîtes d'échantillons, senpai serait un bon faux-marchand...

Le soleil est haut désormais et je relève mon nez pour tenter de capter le premier parfum de l'artiste.  Dès qu'il se pointera, je lui laisserai le temps de se faire une tête sur notre mission.  Je compte garder notre relation strictement professionnelle, sans me jurer d'étriper son serpent s'il me siffle de travers.

Mission rang D:

Patient est le Bunbei, même s’il se dit qu’avec cette heure, il se fait prendre pour un con.

Le soleil est haut et l’ombre raccourcie de la statue du Roi Pourpre m’indique le retard du coéquipier.  Puis quand elle s’étire à nouveau devant mes bottes, je comprends que Kazuki ne viendra pas.

— Teme… insulte-je l’absent, une fois décidé à commencer la mission sans lui et je me jure secrètement que si je le revoie, je lui crierai ma haine.

Les raisons de son absence m’intéressent peu, ou plutôt j’évite de cogiter, car j’ai déjà la rage de mettre fait poser un lapin.  Je crache au sol et donne un coup de pied dans la poussière mouillée, comme on le fait chez moi lorsqu’on est en profond désaccord.  Je dois oublier la brève fierté d’accomplir une première mission avec un cousin et je quitte le domaine en grommelant.

La marche me fait du bien et estompe mes plans de revanche.  Après tout, je suis habitué à évoluer seul, dans la rivalité et la peur.  Pour tous les efforts que j’ai mis à survivre ma grand-mère et mes parents, et pour tous mes futurs exploits, ma chère amie Solitude en est l'unique témoin. Cette philosophie que j'ai construite, qu’une fois devant la plus terrible adversité, on ne peut compter que sur soi, je me la coince entre les dents.  C’est dommage pour Kazuki, il se prive d’une entrée d’argent, mais me permet de rapporter seul le toutou et d’en récolter tout le mérite…  puis j’étais sans doute le seul élément nécessaire à cette mission !

Gonflé de fausse modestie, je prends la direction du lieu où sont hébergés les nobles et relis les ordres.  Un coyote…  un coyote, c’est un animal peu ou pas habitué au désert, qui doit donc venir des terres de l’est…  Et ça résume plutôt bien mon expertise du sujet.  Peut-être que Pas-bon-maître Aka pourra m’instruire sur sa bête ?  Puis un objet appartenant au toutou me serait définitivement utile.

Le bandeau ninja dans une main, je me guide de commérages et discussions pour aboutir à l’auberge des Roku.  Si ma caste guerrière est respectée à l’intérieur des remparts, il n’est pas vrai que tous au sekai nous apprécient.  Le chef des gardes de ces petits nobles, un primate avec une jugeote de lézard, m’empêche le passage et me questionne pour la troisième fois.  J’ai miraculeusement gardé mon calme, mais je commence à piétiner.

— On reprend garçon, ton histoire n’est pas nette-nette…  Nom ?
— Bunbei.
— Ton partenaire ?
— Absent…
— Mmmh…  Mais ici ça dit que vous alliez être deux.
— J’sais, mais comme j’tai d'jà dit, hier il a mangé trop épicé et*
— Pas besoin de me faire une image, petit, j’ai passé l’âge…

Respire Bunbei.

— Et donc t’es ninja c’est ça ?
— Oui.
— Et ton partenaire aussi ?
— Oui.
— Et vous avez été engagés tous les deux pour la mission ?
— Oui.
— Et donc…  Pourquoi.  Respire. Il.  Non. N’est.  Sérieux ?  Pas là ?
— FOUTRE DE BIJUU!!  T’AS UN CHÂTEAU D’SABLE ENTRE LES DEUX OREILLES ?  J’T’AI DIT QU’IL ÉTAIT ABSENT-SHAAA!!!
— Oh, sois calme petit, moi j’suis calme.  Désolé, je veux juste bien comprendre, car avec vous les ninjas, on sait jamais…  Donc, on reprend garçon, ton histoire n’est pas nette-nette… Nom ?

Je pousse tout l'air que j'ai amassé à petites respirations, dans l'espoir de contenir ma colère.  Soudain, une tempête d'émotions m'assaille et je me revois poireauter sous le Roi pourpre.  A Shukaku la patience, je pique la crise inévitable que le gorille s’est attiré !  Mais tout juste la bagarre commencée, on nous somme de cesser la cohue.  Tous deux restons pantois et observons l’individu qui a pointé sa tête hors d’une fenêtre au premier étage : de ses grosses bajoues de labrador, je discerne le parfum que seul un riche peut se permettre de porter.  Avec son crâne d’œuf et le cheveu unique qui s’y dresse, comparé à cette luxuriante moustache, ah! je me serais bien moqué de sa tronche mais…

— Boss ! lance la victime de ma colère, une fois que son mono-neurone ait fini de cogiter. C’est ce petit, il dit qu’il est ninja !

Le faciès de celui que je devine comme le patriarche Roku, s’illumine à la mention de ma caste et sa moustache se tord et frissonne comme une chenille en danger, au souffle de son rire gras de satisfaction.

— Un ninja ?  Excelleeeent !  Moi qui pensais que ma demande serait refusée, pour cet imbécile de chien, me voilà fort content !  Ninja, descendez de là (je suis resté figé sur les épaules du primate, le poing armé prêt à lui marteler le crâne) et venez me rejoindre !  J’aimerais vous présenter mon fils et discuter de votre mission.  Baka, continuez votre bon travail !

Je m’exécute mais je ne peux m’empêcher de tirer la langue à ce bon vieux Baka, ce garde au nom éponyme… et c’est à peine s’il me remarque, un sourire niais sur les traits suite au compliment de son employeur.