Des années s’étaient écoulées depuis la création du village de Suna. Les premiers pas d’Hayato dans son nouvel univers furent ceux d’un enfant, qui espérait vainement y trouver un nouveau sens à son existence si misérable. Les atermoiements de l’adolescence n’avaient pas été tendres avec sa jeune âme émoussée. Il n’y avait guère qu’en présence de son frère qu’il se laissait aller en quelques sourires de façade, mais ses pensées, elles, étaient obscures.
Il en avait voulu à la terre entière. D’abord à ses parents, qui l’avaient abandonné. Puis à son clan, qui l’avait recueilli… Plus pernicieuse encore, fut la montée chez le jeune torturé de cette rancœur tenace contre un individu qui n’avait pourtant jamais eu de rapport direct avec lui mais à sa manière avait définitivement changé sa vie. Serika Senshi… Une montagne de muscles et de puissances, véritable gardien du village il en était la tête pensante, le cœur et les bras, le tout simultanément. Quasi divinité, personne n’osait de trop près contester son autorité et pourtant… Aux jeunes yeux d’un adolescent trop sûr de lui et trop aveuglé par sa haine. Il n’était rien de plus qu’un poltron misérable qui s’éteindrait seul dans une poignée d’années.
Il n’avait jamais partagé avec quiconque cette haine qu’il vouait pourtant à son seigneur et maitre. Peut-être savait-il en réalité que rien ne venait rationaliser son instinct ? Il n’exprimait que quelques piques, éparses et indolores. Contestant çà et là les décisions de son Kaze, sans jamais réellement porter plus loin que de quelques mots, ses aspirations. Le temps avait passé, coulant inexorablement et le jeune adolescent s’était mué en un jeune adulte accomplit. Il était alors parti vers de contrées lointaines et en revint junin. Ce fut très probablement à cet instant que son impulsion première avait vacillé pour la première fois. Lorsqu’encore épuisé par le voyage retour, il avait dû se tenir face à son souverain pour lui soumettre son rapport. Engoncé dans son siège, les striures d’un sourire avaient habillé le vieux maître et sans se départir de sa fermeté, il avait reconnu le talent de son instrument.
Il l’avait bien servi et avait fait rayonner son essence. Chacune des actions qu’il avait accomplies à Baransu, était pour le vieil homme, un fait de plus dont il se savait le maître. Car sans lui, jamais le Nozomo n’aurait été un Nozomo. Alors que tout semblait désigner que le grade donné n’était nul autre chose qu’une récompense honorifique. Bien vite le jeune homme s’aperçut que les desseins de son maître étaient bien différents. Il avait placé en lui sa confiance et bien vite, un certain lien de compréhension s’était installé. Il n’était guère proche non, mais il l’était suffisamment pour que l’archer s’en soit senti important.
Le temps sembla alors s’accélérer, les missions s’enchaînaient, les nuits rétrécirent et le jeune homme se retrouvait la tête pleine de rêves impossible. Conquérir le monde, devenir le chef du village, faire de son frère son égal et à tous deux assurer un avenir radieux… Il critiqua fort toutes les décisions de son maître. Bien que toujours en prenant soin de draper ses mots d’une cape de secret et de discrétion. Le vieil homme lui, ne lui semblait pas le moindre instant dupe et à chaque fois que leurs prunelles s’entremêlaient, Hayato avait l’assurance qu’il savait tout. Aussi avait-il frissonné lorsqu’une missive de la plus haute importance lui était parvenue. Convoqué dans le bureau privé du seigneur, il avait attendu la tête basse, une punition sanglante. Il était alors à mille lieues d’imaginer la suite…
Un seul mois le séparait de cet instant lorsqu’à nouveau il se trouva dans ce même bureau privé. Un changement tout de fois, sa tête basse avait été troquée par une mine malicieuse, qu’arborent les amis lorsqu’enfin ils se retrouvent après une séparation. Le vieil homme était las et avait étendu ses jambes de tous leurs longs, le regard tourné vers sa fenêtre. Un mois seulement qu’il était devenu intendant et déjà le jeune homme pensait avoir saisi toute l’essence de son maître. Alors qu’il l’observait, il l’imaginait donc contrit de frustration, cherchant frénétiquement dans sa contemplation, ses exploits passés et sentant sur son corps toutes les cicatrices de sa longue vie de guerrier. Comme pour confirmer ses soupçons, celui-ci s’était adressé à l’infinité du monde qui était visible depuis le haut de sa tour.
"Je me fais vieux…"
La mine moqueuse, Hayato vint se placer à ses côtés et parlait d’une voix assurée, comme s’il avait déjà répété ses mots une centaine de fois. "Pourtant vous pourriez faire plier ce monde en un souffle…" Il n’y avait point là que les mots admiratifs d’un élève à son maître, car bien que son corps soit endolori, aussi bien que son âme. Senshi demeurait un guerrier redoutable à la puissance remarquable.
Inégalable ? Peut-être plus désormais…
Sans plus en dire les deux hommes finirent par quitter le bureau et se rendirent vers le toit de la tour. Là-haut, Senshi s’empara d’une bouteille d’un alcool suriné, alors qu’Hayato le regardait enivrer ses sens, tout en enfumant ses propres poumons. Depuis combien de temps cet homme était-il plongé dans une telle nostalgie de ses jours passés ? Était-ce le propre des adultes accompli que de s’accrocher à leur passer au point d’en oublier l’avenir ? Il n’était pourtant pas si proche de la tombe ! Sans doute pourrait-il encore vivre de longues années… Si du moins, il le souhaitait encore… C’était bien là le cœur du problème. Souhaitait-il encore persister dans cette voie ? Il avait déjà tant accompli ! Bâtit le village, unifié les clans, apposé la marque de son emblème partout où il était passé… Il avait en l’espace d’un simple bout de sa vie, égalé et dépassé celle de millier d’autres…
Lorsque le vieux sage avait écarté Denya, fervente adepte de ses enseignements et à la loyauté sans failles pour le bien moins patriotique Hayato. Avait-il déjà en tête le projet fou qu’il avait énoncé à son nouvel intendant ? Avait-il prémédité chacun de ses mots des mois auparavant ? Avait-il agité son monde afin que tout fasse converger les deux âmes à se rencontrer sur le toit de la tour ?
"Il me faut un successeur…"
Il n’en avait pas dit plus, c’était inutile. Cette simple phrase de quelques mots à peine, contenait bien plus d’informations qu’un ouvrage complet relatant l’histoire du Sekai ! Le grand Senshi, le divin, l’invincible ! Celui qui ne reculait devant rien et pouvait de sa main recréer les montagnes, se voyait vieux et fatigué et ne souhaitait plus rien d’autre que trouver un homme digne de son héritage ! Faisant mine de ne pas réaliser la portée de cette déclaration, le jeune homme s’était exprimé avec empressement…
"Vous avez Shirokuma... qui été votre second…"
Le grognement de son maître lui interdisait toutes autres paroles. Comme un enfant, il avait baissé la tête et attendit, impuissant, que l’ancien reprenne la parole.
"Qui l’accepterait ? Personne. Il ne vaut pas plus aux yeux des autres que n’importe quel autre guerrier. Peut-être on t’il raison d’ailleurs…"
Hayato n’émit pas le moindre son, mais intérieurement il lui semblait entendre les échos d’un… "Oof". Shirokuma était un triumvir, un homme puissant et sage, malgré son jeune âge. La proximité qui l’unissait au Kaze était en sus, un facteur connut de tous et toutes. Mais le vieil homme avait raison. Suna était un village de force et de violence et seul un être suffisamment puissant pour écarter tous ses adversaires de sa route pourrait le conduire. En était-il capable ?
"Il n’est pas le seul guerrier digne tu sais… Je peux m’enorgueillir d’avoir dans mon village des guerriers d’un niveau époustouflant. Rah ça ! Ce n’est pas à Konoha qu’on croiserait pareils combattants." Une pique assassine ou les relans d’une xénophobie tellement ancienne qu’elle demeurerait pour l’éternité ancrée dans ses pensées d’un autre temps ? Un instant, Hayato revit la honte qu’il avait subie durant les premiers temps de rencontre entre les deux pays… Avant d’écarter cette pensée, quand le visage poupon de la Nidaime finissait presque de prendre l’entièreté de son esprit.
Je m’étais promis de lui écrire…
Mais l’heure n’était pas aux amourettes et aux lettres transits, en bon soldat il se devait d’appuyer son maître du mieux qu’il le put. Sans doute l’ancien avait-il déjà une idée derrière la tête, mais à l’instant, il n’en disait rien.
"Peut-être devriez-vous rencontrer ses dits hommes… Puis lorsque votre choix sera porté, vous pourrez le préparer à prendre votre suite…" Des mots sages ? La réaction de Senshi en prouvait toute l’idiotie.
"Et pourquoi pas lui mettre directement un katana au travers du cœur ?" Tournant son regard vers le jeune homme, il présentait une mine dure et son ton était cassant. "À la minute où je désignerais un successeur, tous voudront le tuer. J’en ai la certitude."
"Mais alors comment faire ?"
"Eh bien justement… Je n’en sais rien."
Un silence pesant s’installa, seulement entrecoupé par les sifflements d’une brise d’été.
"Tu as la tête bien faite. C’est à toi de trouver des solutions aux problèmes indissolubles !"
Un compliment qui sonnait pourtant comme une charge supplémentaire sur ses jeunes épaules… Senshi en était finalement venu au fait. Il attendait de son intendant une solution toute faite qui permettrait d’assurer sa succession… Les idées ne lui manquèrent pas et il prit quelques secondes pour les envisager toutes. Observant la mine impatiente de l’ancien, il porta à voix haute ses réflexions, pensant non souhaitable de le voir devenir irascible.
"Un vote reviendrait à plonger le village dans une profonde guerre civile. Ils penseront tous que vous êtes devenu trop faible et beaucoup risqueraient de tenter leur chance… Vous pourriez désigner une poignée de successeur et les faire progresser à votre suite. Mais c’est prendre le risque de voir leurs intimités se retourner contre vous, ou encore que chacun s’entre-déchire. Vous pourriez simplement partir et laisser le village se réguler seul… Mais je crains sincèrement qu’il n’éclate et que ce qui faisait Suna redevienne une multitude de clans éparses dans le désert…"
De concentré, Senshi était désormais plus que contrarié. Ses sourcils froncés laisser apparaitre le noir de son regard qui aurait suffi à foudroyer sur place le pauvre intendant, mais celui-ci trouva dans sa peur une réponse qui apaisa les traits de l’ancien.
"Je ne vois qu’une seule solution !" Reprenant son souffle qui avait coupé sans le vouloir, Hayato continua. "Je ne connais personne qui oserait affronter ce que vous n’avez su vaincre…" Une étincelle d’intérêt avait point dans le regard du Kaze, il avait ferré son poisson, gage maintenant que de remonter la ligne. "Si un combattant, qui qu’il soit venait à vous vaincre. Ou au moins à ne pas échouer contre vous… Je pense que le respect qu’il obtiendra lui permettrait de prendre votre succession… Mais…"
À nouveau le regard de l’ancien se voilait de colère, il était tendu. Plus qu’il ne l’aurait dû. Sans doute tout ceci lui pesait depuis bien longtemps. "Personne ne voudrait vous affronter et pousser chaque combattant à vous faire face… Je ne suis pas sûr que la solution soit juste envisageable…"
"Par pitié cesse ! Je ne t’ai pas demandé de me noyer dans tes paroles ! Je veux une solution ! Pas encore plus de questions !"
Tout en proférant ses paroles, le vieil homme s’était approché de son intendant, pourtant celui-ci continuait à lui faire face. Loin d’être inconscient, il était simplement trop absorbé par ses pensées. Car oui, il avait trouvé la solution. Ou du moins l’espérait-il… Du haut de la tour, les yeux rivés sur son maître, un simple mot qui annonçait des jours de travails… Avec un léger sourire, Senshi se montra immédiatement apaisé. Ce détournant de son protégé, il lui intima son ordre, porteur de ses espérances.
"Occupe-toi de ça. Dans les plus brefs délais."
En bon instrument obéissant, Hayato s’était éclipsé d’un bond et après quelques pas remarquait l’évidence…
"Tu le savais depuis le début l’ancien… Tu voulais juste me faire cogiter… Bon." Regardant le ciel, il comprit pleinement la lourdeur de la tâche qui serait sienne.
"Un tournoi donc…"
À sa manière, Senshi préparait d'ores et déjà les générations futures à une existence sans son impressionnante présence… et cette entrevue n'était que l'occasion de pousser le jeune intendant vers le rôle qui serait le siens : Réfléchir et agir, au nom de son maître…