Mais si, il est mineur [Ft : Shirogane Ningyô]

Au beau milieu de l’immensité vierge et intransigeante du désert, deux silhouettes avançaient, côte à côte. La marche du duo leur dessinait une trajectoire éphémère, en laissant leurs empreintes dans le sable chaud, jusqu’à ce que le vent ne finisse par les dissiper. Celui-ci aurait pu être un allié de poids, s’il ne leur envoyait pas de grosses bouffées de chaleur, dès qu’il se levait. L’un des deux voyageurs n’était autre que Shirokuma, vêtu de vêtements amples, qui laissaient tout de même circuler l’air, en le maintenant relativement frais, malgré la fournaise qu’il devait affronter. L’habitude jouait beaucoup également, mais même pour leur désert bien aimé, la saison semblait particulièrement rude. L’Ours Blanc se dirigeait vers un point de rencontre, établi à la frontière du périmètre, où il devait se rendre pour escorter le daimyo Hitotsubashi, sain et sauf, jusqu’aux portes de Suna. Beaucoup de choses s’étaient passées, entre le moment où Kuma avait accepté cette mission et celui où le seigneur avait enfin confirmé son départ. L’équipe qu’il avait prévue s’était disloquée, car ils avaient dû en renvoyer les éléments sur les bancs de l’académie et elle était désormais en pleine restructuration.

Pour l’instant, il avait déniché un sacré colosse, jeune mais plus que prometteur. L’Akayuki avait beau avoir deux fois l’âge du grand gaillard, leur potentiel restait relativement équivalent. Après tout, le but n’était plus de servir de professeur, mais bien d’avoir des alliés de poids, avec lesquels il pouvait partager des idéaux, sur un pied d’égalité. Son dossier et ses supérieurs faisaient mention de son caractère particulier, aiguisant encore davantage la curiosité du martialiste, à son sujet. Généralement, là d’où il venait, quelqu’un avec un avis en marge des autres était une bonne chose et, même s’il n’avait rien appris de réellement spécifique au sujet de sa nouvelle recrue, il avait hâte de mieux la connaître. Lui qui s’intéressait particulièrement à la psychologie de son entourage, son âme d’enfant voyait cela comme un charmant puzzle, qu’il fallait résoudre, avant de comprendre l’image qu’il était censé représenter.

Il avait failli reléguer l’escorte du daimyo à un autre groupe, avant d’estimer que c’était un bon moyen de jauger son potentiel nouveau camarade, en plus de remplir les critères pour impressionner le bon sire. Kuma lui-même avait été surpris, lorsqu’il l’avait vu en personne. Il avait eu beau s’y attendre, grâce aux informations qu’il avait pu glaner, voir le mastodonte en face était une toute autre paire de manches. Difficile de croire qu’on se trouvait en face d’un adolescent, ni même d’un chuunin. Il ne savait pas vraiment ce qu’il pouvait apporter au Shirogane, mais l’idée d’un duo avec un marionnettiste l’enchantait, en lui rappelant d’agréables souvenirs. D’autres qui l’étaient nettement moins, malheureusement, même s’ils restaient minoritaires, éclipsés par les possibilités qu’apportaient cette nouvelle rencontre.

Le marchand était resté relativement silencieux, après avoir échangé les formalités et présentations de base, avec le jeune homme. Plutôt que de l’assaillir d’un barrage de questions et parlote inutiles, pour le laisser s’exprimer comme il le souhaitait, durant les deux premiers tiers de leur traversée. Ainsi, il pourrait se contenter de le jauger et le laisser s’habituer à leur dynamique, sur son propre rythme.

Sur la fin de leur périple, il discuta tout de même une nouvelle fois  de leur plan de mission, assez simpliste. Se présenter et impressionner le daimyo, sans pour autant chercher à en faire trop. S’assurer que personne ne puisse lui poser le moindre danger ou lui porter atteinte. Concrètement, il s’agissait surtout de faire bonne impression, même s’ils ne risquaient pas de rencontrer énormément d’opposition. Senshi l’avait également mis en garde par rapport à sa femme et la relation acerbe qu’elle entretenait avec son souverain de frère. Pour ça, Kuma avait déjà assigné une jeune recrue de son propre clan, qui admirait la première dame de Suna. Il ne leur restait plus qu’à faire bonne figure et il y aurait potentiellement de nouveaux contrats juteux à la clef, pour le village.

« Vu ta carrure, on ne devrait pas avoir de problème, je pense ! » S’amusa-t-il, ayant insisté sur le tutoiement dès les balbutiements de leur relation.

Après de longues heures de marche, ils finirent par rencontrer leur client du jour, à l’endroit convenu. C’était un coin connu du désert, dont un énorme pic rocheux permettait un repérage facile, en plus d’offrir de nombreuses crevasses et un terrain propice au camouflage. Un endroit relativement aéré et à l’abri du soleil, avant de se jeter dans les plaines désertiques. Kuma se dirigea vers Hitotsubashi, qui n’essayait aucunement de se cacher, juché fièrement sur sa monture, auprès de deux autres cavaliers à l’air bourrus. Ils faisaient boire leurs chevaux, lorsque le jonin les héla respectueusement, avant de les rejoindre.

« Je suis honoré de vous rencontrer, ainsi que de vous servir de guide et d’escorte, Hitotsubashi-dono. » Annonça poliement l’Ours blanc, après les saluts protocolaires.

Le seigneur les salua à son tour, sans réussir à détacher son oeil de Ningyô. Même s’ils n’étaient pas liés par le sang, le daimyo dégageait quelque chose de similaire à Senshi. Il s’agissait d’un vieil homme, habillé d’un manteau assombri par tout le sable qu’il avait accumulé, mais de très bonne facture et recouvert d’ornements discrets. Malgré tout, c’était bien différent de ce à quoi on pouvait s’attendre de quelqu’un dans sa position. Au vu de son âge, il devait avoir vécu son lot de guerres, comme en témoignait son oeil gauche, bandé d’un tissu soyeux, qui ne cachait sans doute qu’une orbite creuse. Ses cheveux blancs comme de l’émail étaient rêches, tout comme sa petite barbichette soigneusement taillée, mais rudement malmenée par leur chevauchée.

Il passa ses doigts dans sa barbe, pensivement, avant de pointer le Shirogane du doigt, avec un rictus amusé et la paupière entrouverte et plissée.

« J’ai été averti de ta présence, mais tu ne devais pas être affublé d’une troupe de gamins ? » Railla l’ancêtre, en haussant négligemment les épaules. « Est-ce bien raisonnable, d’envoyer deux ninjas supérieurs, pour quelque chose d’aussi trivial ? »

Kuma s’esclaffa, comme s’il venait d’entendre une blague qu’il jugeait particulièrement cocasse, avant de reprendre son sérieux, en pointant le marionnettiste par-dessus son épaule, avec son pouce.

« Vous vous méprenez, mon seigneur... » Commença le marchand, avec une assurance certaine. « Il n’est pas encore majeur, mais il n’en reste pas moins redoutable, à l’image de Suna. »

Le cavalier arqua son sourcil, avec une certaine tension, avant de se mettre à rire, à son tour.

« Enchanté jeune homme, enchanté ! Senshi a toujours eu la main verte, avec les jeunes pousses. » Dit-il en opinant du chef, avant de flatter son destrier, bon joueur. « De quoi ai-je l’air maintenant, sur mon cheval ? »

Quête de rang D:

Ningyô était quelqu’un de très, voire peut-être trop calme et silencieux. Bien plus que ce qu’avait pu attendre Kuma, même s’il n’avait pas forcément facilité son intégration, à essayer de tout faire trop vite. Malgré sa stature, le Shirogane n’en restait pas moins discret, voire peut-être même timide. Un bon moyen pour se rappeler de ne pas juger un livre à sa couverture. L’Ours appréciait cette dissonance, entre l’estimation et le réel, même s’il avait encore du chemin à faire, pour connaître le nouveau membre de son équipe. Le silence qui régna entre eux, pour la majorité du trajet, était loin de gêner le jonin, qui n’avait pas eu à se forcer, pour enchaîner des banalités et maintenir une conversation inintéressantes ou trop invasives. Le silence, ou plutôt la volonté de le maintenir, présentait en soi des données non-négligeables, même s’il s’agissait sans doute davantage d’un symptôme que d’un véritable trait profond de caractère.

Même lorsqu’il essaya de détendre l’atmosphère, pour le dérider, avant leur rencontre protocolaire, il ne rencontra qu’un mur de stoïcisme, qui le laissa interrogateur. Avait-il dit quelque chose de blessant, ou de déplacé ? Après tout, ce ne devait pas être la première fois, que le pauvre adolescent entendait des remarques sur sa corpulence, ce qui pouvait devenir désobligeant, à la longue. En essayant d’apaiser la situation, Shirokuma n’avait réussi qu’à mettre les pieds dans le plat… Une erreur qu’il essaierait de ne pas répéter, même si, vu la tâche qui était la leur, il risquait d’avoir à faire sa pub, que cela lui plaise ou non. Peut-être que ce serait un bon moyen, de lui montrer qu’il ne pensait pas à mal.

Une fois en présence d’Hitotsubashi, qui semblait porter un intérêt tout particulier au cadet des deux shinobis, Kuma laissa un ange passer, le temps de voir si sa recrue aurait quelque chose à dire, mais remarqua rapidement son air hésitant, qu’il posait sur son chef d’équipe. Reprenant la balle au vol, l’Ours Blanc reprit la parole, en saluant brièvement le reste de la compagnie, avant que la situation ne devienne embarassante.

« Peu importe comment il se déplace, un seigneur reste un seigneur ! » Répondit-il, avec un rire prononcé. « Ne tardons pas trop, si on souhaite arriver au village avant la nuit. »

Tendant la main dans la direction à prendre, il fit un pas de côté, pour laisser le daimyo arriver à sa hauteur, avant de reprendre la marche. Celui-ci acquiesça avec un sourire, avant d’ordonner à sa monture de se mettre en train, d’un claquement sec de la langue. Le quintet repartit donc vers Suna, pour une seconde traversée du désert, qui risquait d’être assez pauvre, en matière de rebondissement. Les sous-fifres du souverain ne disaient rien, créant une certaine harmonie avec le mutisme du marionnettiste, ce qui permettait au jonin de poser ses pions, en tapant la causette à une grosse huile de leur royaume.  

« Il ne devrait pas y avoir de problème, sur la route. Plus l’emprise de Suna se répand, plus les criminels se font rares. Ils savent ce qu’ils risquent, sur nos terres. » Assura le marchand, les mains jointes, derrière le dos. « Ils ne font pas le poids, même face à nos aspirants. »

Le monarque s’esclaffa généreusement, en se tapant sur la cuisse, avant de fourrer à nouveau ses doigts dans les tréfonds de sa barbiche sèche, alors qu’à nouveau, son œil se posait sur le géant de Suna. Son iris brillait d’un mélange d’amusement, de convoitise et de malice, qu’il n’essayait même pas de camoufler. En ce qui concernait Kuma, c’était un point Suna. Tout comme Senshi, le daimyo semblait tenir la force en très haute estime, mais aussi la prestance et le charisme, qui permettait bien souvent de faire plier les plus résistants des hommes, sans avoir à lever le petit doigt. Ningyô, même s’il n’en avait peut-être pas conscience, était un parfait représentant de ces atouts, ce qui faisait de lui le candidat parfait, pour s’assurer les bonnes grâces du vieil homme.

« Je veux bien te croire… » Répondit finalement ce dernier, en ramenant son regard vers l’Akayuki. « Fufufu, ça fait bouillir mon sang de vieillard, de voir la fougue de la jeunesse. Mais je doute que je sortirais indemne, d’un combat contre un ninja. »

Ses traits s’étaient faits plus sérieux, alors qu’il insistait sur la fin de sa phrase. Le jonin avait du mal à voir où il voulait en venir, même si la plupart des suppositions restaient assez positives. Ce pouvait simplement être un moyen de témoigner de sa confiance en leurs capacités, ou de leur faire comprendre qu’il n’oserait jamais se retourner contre eux. La peur ou le respect, l’un comme l’autre, étaient des alliés de poids. Il fallait juste espérer qu’il ne lui vienne pas des pulsions de belligérant, en pensant avoir la mainmise sur les forces armées du village des sables. Le quinquagénaire n’avait d’ailleurs pas précisé l’origine des shinobis qu’il avait mentionnés plus tôt. L’armée Sunajin pouvait être un bon moyen d’étendre son territoire, mais le temps n’était pas vraiment à l’expansion. Pour le moment, il ne pouvait que faire des suppositions, mais une fois la visite terminée, il aurait sans doute quelques questions  pour son vieux maître.

« Ne vous inquiétez pas pour ça, il n’y a pas un shinobi vivant qui vous touchera, tant que notres seront là pour les en empêcher. » Avança le commerçant, en opinant du chef.

Le voyage resta relativement calme, jusqu’à ce que des silhouettes ne se dessinent, sur la ligne d’horizon. Celles-ci venaient droit sur la petite troupe, sans se détourner une seule seconde de leur trajectoire et doucement mais surement, les deux groupes s’approchaient l’un de l’autre, sans la moindre hésitation. Une fois plus prêt, Kuma remarqua qu’il s'agissait de trois hommes à l’allure et aux âges disparates, qui leur jetait des regards assassins.

*Allons bon, qu’est-ce que c’est encore que cette histoire... * Pensa le shinobi, en se grattant la tempe.

Le trio était composé d’un type impressionnant, qui dépassait Ningyô d’une bonne tête. Un grand blond balafré et épais comme une armoire à glace, une impressionnante triple balafre sur son visage rajoutant à l’air menaçant qu’il dégageait, avec ses sourcils froncés et sa mâchoire serrée. Il y avait également un vieil homme aux cheveux grisonnants, habillé sobrement et à l’air indéchiffrable, derrière son épaisse moustache. Sur leur gauche, une petite tête blonde, qui ne devait pas avoir plus de d’une quinzaine d'années, affichait une mine sombre.

« SUNAGAKURE INDÉPENDAAAAAAAAANT » Hurlèrent-ils en coeur, en pointant le daimyo du doigt, comme s’il s’agissait d’une chorégraphie répétée.

Le plus jeune arma son bras, pour jeter une pierre directement en direction d’Hitotsubashi, mais Kuma la rattrapa sans peine, en réalisant un léger bond. En atterrissant sur le sol, il pencha la tête sur le côté, en affichant un rictus satisfait. Il ne s’agissait là que de piétaille, qui allait leur servir de faire-valoir, malgré eux. En jetant un regard à son partenaire, le martialiste écrasa ostensiblement le projectile entre la paume de ses mains, pour faire étalage de sa puissance brute, tant à leurs invités indésirables qu’à leur prestigieux client.

« Tu veux bien t’en charger, s’il te plait, Ningyô ? Tranquillement, hein. » Proposa l’Akayuki, amusé par la nouvelle tournure de la situation. « Veuillez nous excuser pour ce léger désagrément, la chaleur du soleil fait parfois perdre le peu de jugeote que certains possèdent. Ce sera vite réglé. »

Quête de rang D:

Kuma avait présumé beaucoup de choses, au sujet de Ningyô. Il avait essayé de dresser un portrait psychologique, même sommaire, grâce aux informations qu’il avait pu regrouper et le peu de temps qu’ils avaient passé ensemble, lors de leur première rencontre et de leur petite escapade dans le désert. Somme toute, il estimait avoir affaire à un grand gamin réservé et mutique, avec une certaine prestance mais qui ne dégageait pas la moindre animosité. Il n’avait rien de dangereux. De fait, quand le Shirogane exécuta la demande de son senseï, sans la moindre réponse, ce dernier estima qu’il pouvait lui faire confiance et que tout roulerait sans accroc. Tranquillement, il lui avait dit. Ce n’était peut-être pas très précis, mais à quel point pouvait-on vraiment aller à l’encontre d’une consigne aussi simple ? Il fallait juste les secouer un petit peu, rien de plus. Malheureusement, l’erreur de calcul du jonin lui glaça rapidement le sang, alors qu’il observait, impuissant, le spectacle qui se déroulait sous ses yeux.

Le premier choc fut brutal, envoyant valdinguer le plus grand des gaillards en arrière, la tête la première, avec un élan monumental. Son crâne se planta violemment dans le sol, mais le reste de son corps refusa de s’arrêter, le faisant passer cul par-dessus tête. Solidement encastrée dans le sable, sa caboche refusa de suivre le mouvement, ce qui tordit le pauvre homme dans un angle improbable, accompagné d’un bruit atroce de craquement osseux. Il n’y avait aucun doute possible, quant à l’état de la victime, avec ou sans les connaissances médicales de l’Ours Blanc. Il resta momentanément figé sur place, en observant le chuunin. Mâchoire et poings serrés, ses iris ambrés étaient parcourus d’éclairs rageurs, alors qu’il maudissait la soudaine tournure des choses.

Il s’avança d’un pas, pour camoufler son expression au daimyô, mais celui-ci ne l’aurait de toute façon pas remarqué, trop obnubilé qu’il était par la prestation, qui semblait le ravir au plus haut point. Affichant un rictus ravi et malsain, qui dévoilait sa dentition carnassière, il en aurait sans doute salivé d’excitation, si le climat n’avait pas aussi sec. Son seul œil valide restait avidement fixé sur les prouesses du garçon, alors que celui-ci éclatait un membre, avec la même simplicité (et la même absence de réaction) que s’il s’agissait d’une bête carcasse de poulet.

« Tu ne m’as pas menti, Shirokuma. » Enonça-t-il simplement, en se retenant tant que possible de jubiler.

Ne pas agir. Ne pas réagir. Ne rien dire. L’Akayuki déployait chacune des parcelles de son corps pour résister à ses pulsions d’arrêter le massacre, avant qu’il ne soit trop tard pour récupérer quoi que ce soit. Pour le meilleur ou pour le pire, Hitotsubashi appréciait grandement la démonstration, qui semblait totalement convenir à ses attentes, comme l’avait craint le martialiste. Si jamais Kuma décidait de mettre un terme à la boucherie, il n’en aurait sans doute pas fini, d’entendre les remontrances que lui ferait son vieux maître, d’avoir ainsi fâché l’un de leur plus importants commanditaires. Ses ongles commençaient à lui rentrer dans la peau, alors qu’il s’échinait tant bien que mal à prendre de lentes inspirations rythmées, pour tenter de retrouver sa contenance avant que quelqu’un ne le remarque. Combien de temps encore, devrait-il supporter ce genre de scène grotesque, obligé de tordre et travestir ses convictions, ses valeurs ? Combien de temps encore, à devoir détourner le regard, face à la brutalité gratuite, qui réjouissait les monstres du monde humain ?

Attentif, le chef d’équipe observait les mouvements de sa recrue, avec une attention presque religieuse, afin de ne pas en perdre une seule miette. C’était un réflexe reptilien, automatique, qui avait commencé à s’orchestrer en lui, dès que le marionnettiste s’était mis en branle. L’instinct du marchand l’identifia immédiatement comme quelqu’un qui pourrait un jour présenter une menace pour lui et les siens. En conséquence, il grappillait le maximum d’expérience possible de cette exécution sommaire, au cas où il ait, un jour, à s’occuper du cas Ningyô.

L’adolescent revint, une fois sa tâche accomplie, avec un air sur lequel on ne lisait presque aucun changement, en dépit de l’acte barbare auquel il venait de s’adonner. Il y avait peut-être une pointe de gêne, mais pas la moindre trace de remords ou de compréhension de la gravité de ses actes. Ce visage placide, totalement opposé à ce qui venait de se passer, avait un aspect réellement terrifiant. Imprévisible, incompréhensible. Un caractère qui semblait dépourvu de la moindre malice, mais également de la moindre empathie. Le garçon devait sans doute être assez influençable, la politique de Suna était donc loin d’être une doctrine saine à lui inculquer, pour un développement convenable. Ce n’était étonnant ni de la part du village, ni de celle des Shirogane, qui était loin d’être connu pour la stabilité de ses membres.

Applaudissant gaiement au retour du jeunot,le seigneur trépignait sur place, en félicitant chaleureusement l’artiste martial.

« Fufufu, félicitation, jeune homme ! Quelle prestation ! » Affirma le vieil homme, hilare. « Pardonnez-moi, j’ai été quelque peu malhonnête, pour vous tester.. Ce petit trio est -ou était, pour certains-, un groupe de… criminels de chez moi. Je leur ai proposé de participer à ce petit jeu, pour une réduction de peine.  Je ne m’étais pas attendu à un tel déchaînement, cependant ! Bwahahahaha ! »

Répugnant. l’Akayuki jeta un regard désemparé aux pauvres hommes brisés, terrifiés et en larmes, qui venaient de perdre un être cher et qui détalèrent, piteusement, comme ils le pouvaient, en trébuchant plusieurs fois sur leur course, au cours de leur fuite. Ce n’était sans doute pas le premier et il valait peut-être mieux ne pas savoir quelles conditions horribles les avaient fait atterrir dans une telle situation. Détestable.

« Vous m’avez bien diverti, allez vous-en, maintenant. Avant que je ne change d’avis, hop hop hop ! » Rajouta le souverain, en secouant sa main gauche, pour leur intimer de disparaître en vitesse.  

Monstrueux. Le ninja commençait à peine à retrouver un peu de calme, mais ne s’était pas encore retourné, préférant attendre d’avoir totalement repris le contrôle de ses émotions, avant de se relancer dans son habituel rôle de bout en train Sunajin. Impardonnable.

« Et il a encore beaucoup de chemin à faire ! » Finit-il par répondre, en faisant volte-face. Plus aucune de ses émotions néfastes ne se lisait, sur son faciès. « Imaginez un peu ce que ça va être, dans quelques années ! Remettons-nous en marche, avant que le soleil ne se couche… »

Sans s’attarder davantage, le daimyô suivit cette judicieuse proposition, en repartant sur un sujet qu’il avait précédemment abordé avec le chef de clan, comme si de rien n’était. La fin de la traversée ne présenta aucune surprise supplémentaire, fort heureusement, mais elle parut interminable au Triumvir, qui se retrouva obligé de continuer ses faux-semblants et ses discussions légères avec l’invité de marque qu’il devait escorter. Ils finirent tout de même par arriver au village, les approchant ainsi de la fin de leur contrat. L’Ours avait prévu de faire la pub des siens, mais après les événements de la journée, avait juste envie de prendre une longue douche froide, pour se débarrasser de la désagréable impression de souillure qui lui prenait le cœur, depuis le massacre.

Une fois arrivé à la tour du Kazekage, qui arriva à leur rencontre pour les débarrasser de leur fardeau, l’équipe Norowareta s’éclipsa, une fois remerciés pour leurs services. Kuma avait beaucoup réfléchi à la façon d’aborder les choses avec son nouveau compagnon, jusqu’à leur retour à Suna. Il avait même envisagé de dissoudre, une nouvelle fois, l’équipe qu’il avait commencé à monter. Toutefois, il décida d’adopter une autre approche, n’étant pas encore tout à fait convaincu que le Shirogane ne soit, en réalité, qu’un vulgaire barbare sanguinolent et brutal. Il n’était encore qu’un enfant, malgré sa carrure. Une brebis, sans doute égarée, par les doctrines déroutantes du village.

Une fois suffisamment éloigné et loin des oreilles indiscrètes, il arrêta son compagnon de route, en lui posant une main ferme sur l’épaule. Il tentait, autant que possible, de ne pas le fusiller du regard, mais il avait tout de même du mal à camoufler son mécontentement. Comment le jeune homme allait-il prendre une telle remontée de bretelles ?

« Je t’avais dis “tranquillement”, Ningyô. Tranquillement. » Répéta le jonin, excédé. « Ça se voyait bien, qu’ils n’étaient pas une grande menace. Tu aurais pu régler ça sans même lever la main sur eux ! Je voulais juste que tu les impressionnes… »

Il retira sa main, pour éviter d’antagoniser davantage le fautif, avant de se prendre l’arête du nez entre son pouce et son index, fermant les yeux pour se contenir.

« Tu es puissant, Ningyô. C’est indéniable. Il y a plein de vie que tu pourrais souffler, d’un revers de main, bien sûr. Par contre, si tu veux être vraiment fort, il faut que tu apprennes à ménager les faibles. C’est parce que la différence est si importante, que tu dois savoir te contrôler.  » Enchaîna-t-il, dans un soupir las, avant de reprendre un air plus sévère et sérieux, captant le regard du chuunin dans ses pupilles embrasées. « Tuer quelqu’un, dans notre milieu, il y a des fois où c’est inévitable. Aujourd’hui, c’était bien loin d’être le cas et pourtant, ça n’a pas eu l’air de te déranger. Comme le bras de l’autre, là ! Tu avais vraiment besoin d’en arriver là ? »

Le professeur du dimanche laissa planer une petite pause, le temps de laisser assimiler ce qu’il essayait de faire rentrer dans le crâne du mastodonte, tout en réfléchissant à la façon dont il pouvait lui faire comprendre le fond du problème. En dehors des rencontres à “instant T” avec des inconnus, des cibles, des adversaires ou des proies, ceux-ci avaient, eux aussi, une vie qui leur était propre. Des proches qui leur tenait à cœur.

« Il nous a dit que c’était une famille. Ca ne te fait rien, de priver quelqu’un de son fils ? Son père ? Son frère ? » Questionna-t-il, en arquant un sourcil instigateur. « J’ai lu que tu avais une soeur, pas vrai ? Tu ne penses pas que ça la dérangerait, de te voir brutaliser des types sans défense ? Pire encore, comment réagirais-tu s'il lui arrivait le même sort que tu as réservé à ces pauvres hommes ? »

Décidément, ce n’était pas la journée de l’Ours, aujourd’hui. Peut-être était-ce le côté belliqueux et sauvage du daimyô, qui ressemblait à s’y méprendre à l’image que Kuma s’était faite de son Kage, dans sa jeunesse. Depuis, il s’était rendu compte de son erreur de jugement, même si son vieux maître était bien loin d’être parfait. Toutefois, le beau-frère de Senshi avait de quoi ulcérer le martialiste, qui avait peut-être plus de mal à rester objectif qu’il ne l’aurait cru, en sa présence. Peut-être cela lui avait-il fait rater certaines indices comportementaux, où avait-il simplement faussé son jugement, dont il n’avait pu empêcher la subjectivité ? Quoi qu’il en soit, il venait, encore une fois, de faire une terrible erreur de calcul. Lui qui s’était méfié de Ningyô, depuis qu’il avait exécuté ses ordres (et un pauvre homme, en prime), il ne s’était pas attendu à une telle réaction, surtout de la part du gigantesque adolescent tout en muscle et en stoïcisme.

Le senseï avait essayé de le remettre à sa place, de lui faire ouvrir les yeux sur l’acte qu’il avait commis et de lui faire comprendre la réalité de certaines choses, mais il n’aurait jamais cru le voir soudainement fondre en larmes, lorsque Kuma mentionna sa jeune sœur. Quatre jonin pour l’arrêter ? Il avait effectivement entendu parler de cet incident, mais en raison de l’âge du frère et de la soeur, l’affaire avait été passée sous silence et traitée dans les coulisses du village, à l’insu des villageois. Malheureusement, le martialiste avait mis les pieds dans le plat, une nouvelle fois, mais sans ménager son élan, ce coup-ci.

Dès que les larmes se mirent à couler sur les joues du colosse, le marchand réalisa l’erreur qu’il venait de commettre, autant dans son analyse du jeune homme que dans la façon avec laquelle il avait tenté de l’aborder, pour sa remontrance. En dépit de son apparence et de ses compétences, le Shirogane restait manifestement un grand (gigantesque) enfant, fragile. Contrairement à son corps, qui semblait imperméable à la moindre menace, son cœur, lui, semblait être une cible facile et dépourvue de la moindre défense... A qui avait-il réellement affaire, finalement ?

Au comble de la gêne, Shirokuma ne savait déjà pas où se mettre quand il entendit le résumé de l’histoire entre Ningyô et sa soeur, mais à son plus grand dam, les choses continuèrent à escalader en une montagne de gêne et de surenchère culpabilisatrices. L’adolescent, non content de laisser couler quelques larmes, commença à vriller dans un énorme sanglot chagriné, en se confondant d’excuses et d’explications en tout genre quant à son comportement. Alors que, plus tôt, il n’avait démontré aucune émotion lors du passage à l’acte, il s’épanchait désormais, comme un torrent inarrêtable, après la destruction d’un barrage éphémère.

Avant même que le jonin n’ait le temps de rétorquer quoi que ce soit, c’est finalement la cadette du marionnettiste, qui apparut soudainement, pour en rajouter une couche supplémentaire à l’ourson décontenancé, qui ne savait plus où se mettre. Quel fameux premier jour, pour la nouvelle team Norowareta… Il faudrait qu’il pense à remercier Hayato, de l’avoir aidé à trouver la nouvelle dénomination pour son équipe, car celle qu’il avait trouvé correspondait à merveille. “L’équipe maudite” ? Avec la malchance légendaire de Kuma, ce n’était vraiment pas si loin de la réalité.

Les traits rapidement détendus par sa propre honte, perdant son air sévère pour en adopter un totalement confus, le pauvre homme sentit des gouttes de transpiration glaciales lui couler le long de la tempe, alors qu’il peinait à trouver le moyen de se raccrocher aux branches, qui n’étaient pas si nombreuses, après sa bourde monumentale. C’était justement ce genre d’incident, qui lui avait fait dire qu’il n’était pas prêt, à mener une team de jeunots…

« Non mais… Calme-toi, enfin, Ningyô… » Balbutia-t-il, embarrassé, avant de marquer une légère pause, pour réfléchir. « C’est plus difficile, parfois, de ne pas tuer. Surtout quand l’écart est aussi important… Crois moi, je sais de quoi je parle, j’ai une sacrée droite, moi aussi… » Continua-t-il, en se grattant la nuque, faisant de son mieux pour ne pas détourner le regard. « Je pensais que tu t’en fichais, mais je vois bien que je me suis trompé. Désolé d’avoir amené ta sœur dans la conversation, sans savoir de quoi je parle… C’était déplacé de ma part. »

Ne sachant finalement ni quoi faire, ni quoi dire, Kuma brodait comme il le pouvait, en s’inspirant d’une certaine Kamiko à l’esprit et la verve, aussi retors l’un que l’autre. Il restait toutefois totalement sincère, tout en essayant de ne pas aggraver encore sa bêtise en accumulant d’autres idioties par-dessus. L’Akayuki se rapprocha de la fratrie, posant sa main droite, avec plus de douceur que précédemment, sur l’épaule du grand gaillard.

« Je vois bien que tu as un bon fond, Ningyô. Je me suis un peu emporté, mais si le daimyo n’était pas intervenu avec son “petit test”... » Maugréa-t-il, en serrant son poing gauche. Il prit une longue inspiration, pour se calmer et éviter de repartir au quart de tour, une nouvelle fois. « J’avais peur que tu te fiches totalement, de ce qu’il s’est passé. Si j’avais eu raison, je t’aurais renvoyé de mon équipe aussitôt, mais je vois bien j’étais totalement à côté de la plaque. »

Il s’éloigna ensuite d’un pas, avant de croiser les bras, en essayant de capter le regard de l’adolescent. Le jonin préférait ne pas parler spécifiquement à ou de la jeune fille, dont il ne connaissait pas grand-chose, de peur de déballer une nouvelle énormité, plus grosse qu’un doyen Akimichi. Détournant le regard, les joues légèrement rosies par ses regrets, il se gratta distraitement le menton, du bout de son index, avant de s’adresser à nouveau aux deux Shirogane.

« Sèche donc tes larmes, mon garçon. J’ai encore un rapport à rédiger et quelques choses à régler, mais on est dans le même bateau, maintenant et je ne compte pas te laisser tomber. Ni toi, ni ta sœur, d’ailleurs. » Affirma l’Ours Blanc, avec sincérité. « Remets-toi de tes émotions, profite du temps que tu as avec ta sœur. Dès demain, je vais te concocter un entraînement sur-mesure, rien que pour toi. Ne t’en fais pas, je ne suis pas aussi fragile que tes adversaires habituels. » Décida-t-il de le rassurer, avec un demi-sourire. « Je vais t’apprendre à la maîtriser, ta force ! Tu peux même emmener ta sœur pour y assister, si tu penses que ça ne risque pas de te distraire. »

Cela allait-il suffire à faire l’affaire ? Il était loin d’en être sûr, mais c’était le mieux qu’il pouvait proposer, après avoir autant fait fausse route. Il ne pourrait certes pas rattraper ses bêtises en quelques lignes toutes faites, mais malgré certains rebondissements qu’il aurait préféré éviter, la journée n’avait pas été perdue. Kuma était désormais sûr d’avoir fait le bon choix, en ajoutant Ningyô à ses rangs encore frais. Le gamin était redoutable mais encore malléable, sans doute capable de prendre le meilleur comme le pire des chemins, selon celui qui lui inculquerait ses propres valeurs. Tendant la main, en direction des deux jeunes gens, sans chercher à briser leur étreinte, il afficha une expression rassurante, mais sérieuse, pour montrer qu’il ne plaisantait guère, mais qu’il n’y avait aucune rancune, dans son esprit.

« Tu vas en baver, mais je ferais de mon mieux pour que ce genre d’incident ne se reproduise pas, outre cas de force majeur. » Résuma-t-il, en hochant légèrement la tête. « Alors, ça te semble acceptable, jeune homme ? »

Il attendait sa réponse et, plus précisément, son approbation, avant de retourner vaquer à ses occupations et de les laisser, au moins momentanément, se vider la tête et oublier ce traumatisme, avant de toute faire, pour que cela ne se reproduise pas. Ensemble, ils allaient faire de grandes choses. Ce premier accroc n'était là que pour leur garantir un meilleur départ, dans la confiance et le respect mutuel... Du moins, il fallait espérer.