Dessine moi un Tonton [Flashback : An -2]

Détalant au travers des crevasses et quelques timides fourrés, une proie tentait, tant bien que mal, d’échapper à son bien étrange prédateur. La guerre faisait encore rage, plus que jamais, à cette époque du monde shinobi, qui n’en était encore qu’à des balbutiements colériques. Si c’était un problème foncièrement humain, les ravages des conflits avaient également amené des changements radicaux, pour la faune du Sekai, qui devait, elle aussi, se battre pour survivre. Qu’il s’agisse de guerriers pendant leurs campagnes, de dommages collatéraux d’affrontements militaires ou simplement de zones entièrement rasées et inhabitables par endroits, les animaux devaient eux aussi s’adapter, autant pour éviter la famine que le risque de devenir un encas. La plupart des carnivores étant, parfois, obligés de se détourner de leur régime habituel, pour trouver de quoi se nourrir, les humains s’étaient détruits eux-mêmes et comme à leur habitude, ne s’inquiétait guère de ce qu’ils pouvaient faire subir à leur environnement.



Ainsi, deux ans avant ce qui deviendrait plus tard “l’an 0” et le début du calendrier moderne, un beau et juteux lapin bondissait, sur les plaines du plateau d’Awa. Tout ce qu’il voulait, c’était vivre ! Pour se faire, le léporidé redoublait d’efforts, poussé par un instinct de survie aiguisé à son paroxysme, une concentration imperturbable et poussant ses muscles au maximum de leurs capacités. Il allait vivre ! Après tout, il avait survécu à nombre de ceux qui avaient tenté de le pourchasser et qui avaient dévoré les siens, un à un. Son endurance n’avait pas à rougir, même face au plus coriace des lièvres et la peur était un véritable moteur, pour l’appétissant animal, pour lui permettre de distancer celui qui lui courait sur les talons. Sa famille avait bien essayé de le prévenir, sa mère ayant passé énormément de temps et d’énergie à le garder en sûreté, lorsqu’il n’était encore qu’un minuscule lapereau. Il savait parfaitement bien par quoi il était suivi car il avait approché, curieux, de pouvoir observer le représentant isolé, d’une espèce qu’il n’avait vu, en dehors du chaos indescriptible des guerres et autres charniers, qui mettaient ses pauvres sens à mal.

Cette fois-ci, il n’avait ressenti aucun danger, avant que la bestiole affamée ne le repère, pour se précipiter immédiatement sur lui, soudainement emplie d’une immonde malice. Cela commençait à faire un moment, qu’il fuyait désespérément, à une vitesse bien plus importante que celle qu’il atteignait généralement, même en pointe. Pourtant, il n’avait même pas besoin de se retourner, pour savoir que le danger ne s’éloignait pas d’un pouce. La sensation néfaste qui accompagnait la poursuite s’accrochait à sa peau et refusait de le lâcher. Pire, elle ne faisait qu’empirer, à chacun de ses bonds. Son poursuivant ne se fatiguait pas ?! Il était bien plus gros que le lapin, qui exploitait l’avantage du terrain à merveille, pour optimiser sa distance au cours de ses déplacements. Et pourtant… Pourtant, il sentait l’écart se faire de plus en plus mince. Son intuition lui faisait comprendre que ses efforts étaient vains, malgré tout ce qu’il pouvait entreprendre. Cependant, il refusait d’y croire ! Il allait vivre ! Vivre !

Une vacuité sereine commençait à s’immiscer insidieusement tout au long de sa chair, qu’il prit momentanément pour un espoir naïf, que sa première estimation était erronée et que le prédateur avait fini par se lasser. Toutefois, une partie de lui, plus pragmatique, avait rapidement compris de quoi il s’agissait. Devant la contemplation d’une impossibilité totale de s’échapper, des chances de survie totalement nulles, il avait déjà vu de pauvres victimes se relâcher, abandonner le combat pour se laisser emporter par la mort, dans la quiétude. Soudain, la patte avant du prédateur se jeta droit sur lui, venant de l’arrière. Il était déjà là ? Il était bien derrière le pauvre lapin, mais plutôt que d’arriver par son côté droit, il s’apprêtait à le saisir par la droite. A quel moment avait-il changé sa trajectoire ? Avait-il réussi à prendre un autre chemin, plus rapide, qu’ignorait la pauvre victime ?

Bah, tant pis, pensa-t-il. La sélection naturelle venait de faire son choix et il n’y avait plus d’échappatoire. Bien joué, humain.

« Viens par là, toi ! »

C’est un jeune Kuma, âgé d’une petite dizaine d'années, qui mit le grappin sur l’offrande astucieuse, qu’il avait repéré plus tôt. Sans hésitation, après avoir saisi l’animal par la nuque, il lui brisa le cou d’un coup sec et net, afin de lui épargner toute souffrance ou chance de fuite. Véloce et dynamique, l’enfant fit immédiatement volte-face, sa chasse enfin terminée, avant de retourner vers le campement que son clan avait établi, non loin de là. Cela faisait bien longtemps, qu’il attendait une occasion pareille, sa patience avait depuis bien longtemps atteint ses limites et il ne résista pas à la tentation de courir directement auprès de son oncle, avec son butin à la main.

« Papa est parti et j’ai attrapé un lapin que je préparerais, rien que pour toi. » Lâcha-t-il, en tenant son trophée bien haut. Il avait un air malicieux, de celui qui avait quelque chose en tête. « Je veux bien te le vendre, et même te le préparer, SI tu m’apprends ton super blocage ! »

Malgré les affres de la guerre, le jeune garçon ne voyait la réalité des conflits qu’assez rarement, mais refusait de ne pouvoir apporter de réelle assistance aux siens. Bien sûr, il se battait lorsque cela était nécessaire, mais il se savait trop faible pour devenir un réel atout pour les siens. En dehors de Soren, pour qui il avait sans doute autant d’amour que de respect, Shirokuma ne connaissait personne d’aussi fort qu’Ogawa. Il essayait toujours de profiter de son enseignement, quand il en avait les moyens, en plus de mettre en pratique ses propres talents de marchand. De plus, en dehors de l’aspect purement pratique de la chose, il voyait pertinemment l’impact, bien trop important, que les tensions et les guerres laissaient sur les membres de sa famille.

Il s’agissait également de sa façon de faire d’une pierre deux coups. Non seulement, il pouvait se parfaire jusqu’à devenir un Akayuki incontournable, pour épauler son clan, mais en plus il pouvait permettre à ceux qu’il aimait de se vider la tête et de penser à des choses plus légères, ne serait-ce que le temps d’un entraînement, d’une dégustation de thé ou encore de la simple bonhomie enfantine que savait déployer le petit aux pupilles d’or.

« C’est une offre très spéciale, limitée dans le temps ! Une proie de choix, chassée localement ! » Annonça-t-il en hochant la tête, paraissant soudainement bien plus vieux que son âge. L’espace d’un bref instant, au moins. « S'il te plaiiiiiit, mon p’tit tonton ! »