Jamais deux sans douze [Entrainement: feat Yukio]

L’entrainement était, tout du moins pour Ogawa, le pilier du monde shinobi. C’était grâce à lui que l’actuel manchot était devenu un combattant puissant. Cela lui avait permis d’acquérir de la puissance, de la confiance en lui et était la raison pour laquelle il était toujours en vie après avoir participé à une guerre meurtrière. Le triumvir était un génie de l’effort, il n’était pas né avec un grand talent et avait été contraint de se modeler tel un bloc d’agrile pour devenir une sculpture grandiose. Aujourd’hui, il était fier de pouvoir faire partie de l’élite Sunajin. Bien sûr, il ne se reposait pas sur ses lauriers mais il savait qu’en dépit de ses efforts, sa limite était proche. D’ici peu de temps, il ne progresserait plus jamais et entamerait lentement mais sûrement sa descente vers les abysses à mesure que passeraient les années. Pour cette raison, le rouquin était convaincu que le plus important était de préparer au mieux la génération future.


Depuis qu’il connaissait le jeune Yukio, le chef de clan s’était rapproché de lui. Il avait certes plus de génie que lui dans le passé, mais il faisait malgré tout penser à Ogawa dans sa jeunesse. Même si le manchot connaissait également Hayato, il était plus proche de son nouvel ami qui faisait moins office de prodige. S’il enviait les génies, Ogawa pouvait dire avoir toujours bien plus apprécié les bourreaux de travail et les outsiders. Soucieux de voir le jônin progresser davantage, le quadragénaire lui avait proposé de le « prendre sous son aile ». Après tout, le triumvir avait de bons reste et connaissaient plusieurs techniques utiles dont pourrait Yukio pourrait avoir l’usage. Plutôt que les terrains d’entrainement publics du village, le manchot proposa à son compère de venir lui rendre visite chez lui. Vêtue plus confortablement qu’à l’accoutumée, le jônin gardait malgré tout son légendaire chapeau de paille. Sa petite chatte siamoise dans la main, il alla ouvrir en personne la porte à son ami, ayant décidé de donner leur congé à ses domestiques.


« Salut Yukio, entre donc, fais comme chez toi. »


Tandis que son compère pénétrait dans la villa, le manchot embrassa l’animal sur le crâne et le posa à terre. La féline répondit par un miaulement bruyant et alla sentir les pieds du Nozomo.


« Elle est juste curieuse, t’en fais pas. »


Posant une main chaleureuse sur l’épaule de son cadet, le triumvir l’enjoignit à avancer plus avant dans la demeure. Bien vite, le Nozomo verrait le luxe qui caractérisait l’endroit et le changerait assurément de son chez lui. Compensant comme il pouvait son malheur, Ogawa avait pour habitude de se draper dans le faste et se servait largement de sa richesse au quotidien. Cela devait évidemment aussi à voir avec son enfance pauvre et son adolescence pittoresque où il peinait comme un forçat dans les rizières à se briser le dos pour presque rien.


« Tu veux boire quelque chose avant qu’on ne commence ? » proposa gaiment le jônin


Comme à son habitude, le marchand mettait les formes. Qu’il s’agisse d’une négociation autour d’un contrat ou d’une simple visite amicale, il avait à cœur d’agir conformément aux principes de son clan. Bien recevoir et respecter l’usage était un devoir à ses yeux. Qui plus est, cela faisait quelques heures qu’il n’avait pas bu la moindre goutte d’alcool et le manque commençait déjà à se faire sentir. Aurait-il été judicieux pour le Nozomo d’accepter de boire avant un entrainement ? Probablement pas. Pouvait-il pour autant refuser l’offre généreuse de son ainé ? Difficilement, d’autant plus qu’Ogawa et son sourire ravageur étaient des maitres pour convaincre autrui de sombrer dans l‘ivresse.

Faisant suite aux réflexions du Nozomo, Ogawa regarda autour de lui. Sa villa était en effet pleine à craquer de richesses en tous genres. Statues, peintures de maître ou bien encore dorures et ornements fastueux. L’endroit ne passait pas inaperçu et tel était bien le but. L’Akayuki exposait ostensiblement sa richesse, tant pour lui que ses clients et sa réputation. Hier pauvre, aujourd’hui riche, telle était son évolution. Avec un sourire, il hocha la tête en signe d’approbation.


« Pour ne pas te mentir, certaines choses ont bien plus de valeur que de beauté, mais c’est important de faire bonne impression lorsque l’on reçoit des clients importants. Néanmoins, je suis heureux de voir que tu apprécies la décoration. »


Les remarques concernant le chat amusèrent plus encore le triumvir. Sentant le regard de son maître sur elle, la boule de poils miaula faiblement. Le jônin se pencha alors pour lui caresser doucement le dos du bout des doigts.


« Rinko, elle s’appelle Rinko. C’est un vrai pot de colle, mais je préfère à vrai dire. »


Cet amour manifeste que témoignait la chatte au manchot ne le laissait pas de marbre et était exactement ce dont il avait besoin. Seul, sans sa femme ni ses enfants, elle représentait l’une des rares lumières lui permettant de garder le cap durant cette nuit éternelle où il se trouvait piégé. Passant à autre chose pour faire taire ses idées noires, le rouquin effectua un mudra unique et un clone de l’ombre apparut à ses côtés. Sans dire un mot, il s’éloigna.


« Tu sais, j’ai les moyens de vous aider un peu. Vous pourriez trouver un endroit un plus grand et confortable où vivre. Pour ne rien te cacher, j’ai en tête une petite maison assez confortable dans le domaine, à quelques rues d’ici. En glissant quelques mots ici et là, je pourrai vous en tirer un loyer vraiment très abordable. »


L’idée de voir son ami emménager non loin d’ici suffisait à l’emplir de bonheur. Accepterait-il ? C’était pour le coup une toute autre histoire. N’étant pas membre du clan et qui plus est affilié aux Nozomos, il était difficile à croire que les frangins accepteraient une telle offre, quand bien même était-elle particulièrement généreuse. Rapidement, le double du manchot revint avec deux bières fraiches. Ogawa s’en empara et le clone disparut.


« Voilà pour toi mon garçon. »


Ne laissant guère le choix de la boisson à Yukio, le triumvir lui colla presque la bouteille dans les mains et s’empressa de trinquer, l’obligeant implicitement à boire avec lui. Levant la bière au ciel, le manchot ne tarda pas à tenter d’étancher sa soif pourtant inextinguible.


« Je vais t’apprendre à maîtriser le kage bunshin. »


La messe était dite. Cette technique était d’une grande utilité, que ce soit pour le combat pur ou l’infiltration et la prise de renseignements. Comme Yukio ne la maîtrisait pas, elle lui serait d’une grande utilité. De plus, Ogawa avait déjà vu des épéistes se servir d’une technique mêlant kenjutsu et kage bunshin pour créer une attaque dévastatrice et difficile esquivable. Comme il se sentait coupable des blessures du jônin lors du combat avec Nôka, il avait besoin et envie de se racheter.  

Dans les réponses de Yukio, il y avait un élément qui marqua plus le triumvir que les autres. Selon les dires du Nozomo, il n’était pas vraiment membre de son propre clan. Ogawa ne comprit pas ce qu’il voulait dire. Du peu qu’il en savait, ils avaient été recueillis par ces guerriers brutaux. Tout comme lui-même l’avait été par les marchands bienveillants. Cet abandon, ce sentiment de ne plus appartenir à aucun groupe, le rouquin connaissait bien ce sentiment. Il voulait faire plus qu’offrir un toit plus agréable aux frères. Prenant quelques instants, le manchot sirota sa bière en réfléchissant.


« Tu sais, les Akayuki ont toujours à cœur d’accueillir les âmes errantes. Il me serait assez facile de vous faire rejoindre le clan à ton frère et toi. Vous ne manqueriez de rien et je suis sûr que vous auriez tôt fait de monter les échelons. Enfin ce n’est pas une décision à prendre sur un coup de tête. Penses-y, parle en à Hayato, murissez la réflexion ensemble. Et si un jour l’idée vous séduit, notre porte vous sera toujours ouverte. »


Les paroles d’Ogawa n’étaient pas dites en l’air. Il pensait véritablement ce qu’il disait. Telle était de toute façon la doctrine de son clan, et il n’avait pas à se forcer pour l’appliquer dans le cas présent. Qui plus est, même s’il n’en parlait pas pour l’heure, il cherchait en réalité un successeur, ses enfants n’ayant plus que faire de lui. L’un ou l’autre des deux frères ferait un excellent triumvir. Qui sait, peut-être même les deux ? Cela semblait illusoire, mais rien ne coûtait de proposer. Bien vite, il revint au sujet principal.


« Je sais en effet produire un clone explosif. C’est une techniquement particulièrement redoutable, mais elle demande une expertise bien plus poussée et sa complexité empêche de produire plus d’un double à la fois. Ce n’est cependant pas ce qui nous intéresse pour l’heure. »


Refaisant une fois encore le signe, le jônin fit apparaitre un total de quatre clones. Il n’était pas en mesure d’en produire plus mais ce n’était déjà pas si mal, surtout en prenant en compte la puissance d’un seul double. Souriant, il pencha la tête sur le côté.


« Voilà mon maximum. Comme tu peux le constater, l’incantation est rapide. En revanche, n’oublie jamais que cette technique consomme énormément de chakra. Suis-moi à présent. »


Lentement, le manchot conduit son homologue dans le jardin, bière à la main. Prenant ci et là une gorgée ou deux, il avança jusqu’au centre d’un petit terrain de sable. C’était là qu’il s’entrainait quand il n’avait pas envie de sortir de chez lui. L’endroit était un peu petit pour des combats dantesques mais convenait parfaitement aux pugilats en tous genres.


« Commençons par les bases si tu veux bien. Créé le plus de clones intangibles que tu le peux. »


Avant toute chose, il était primordial qu’Ogawa ait une idée du niveau de départ du Nozomo. Comme le kage bunshin étant une version améliorée du bunshin, procéder de cette manière lui semblait être la meilleure idée. Il savait qu’un jônin n’aurait aucun mal à utilisera de tels clones, mais il voulait malgré tout voir sa maîtrise en la matière. D’autant plus qu’il comptait se servir de cet exercice pour enchainer sur la suite. Comme toujours, le manchot aimait soigner ses effets.  

Le bunshin était une technique simple. Elle faisait partie du panel de base du parfait petit shinobi. Son principe était fort simple et sa maîtrise aisée. Tous les jeunes ninjas passaient par son apprentissage. Il s’agissait en effet d’un exercice particulièrement pédagogique et qui permettait aux aspirants d’apprendre à maîtriser leur chakra. La course sur les arbres se combinait fort bien au dédoublement. Ogawa n’avait donc aucun doute sur le fait que Yukio maîtrise un tel jutsu. En lui demandant d’en créer, il ne cherchait pas réellement à voir quelle était sa limite. Il voulait simplement préparer la suite du cours qu’il allait donner. Une fois dix clones intangibles du Nozomo créés, le manchot forma le signe d’une seule main. Concentrant un peu de chakra en lui, il fit apparaitre un unique double matériel de lui-même.


« Comme tu dois déjà le savoir, le kage bunshin est une version améliorée du bunshin. Les clones, même s’ils sont souvent moins nombreux, ont la particularité d’être physiques. Ils peuvent puiser dans la réserve de chakra de leur créateur pour utiliser des techniques que ce dernier connait. Bien entendu, ce ne sont que des doubles, ils sont donc moins puissants que l’original, mais mieux vaut ne pas les prendre à la légère pour autant. »


Le faux Ogawa s’approcha d’un bunshin et passa mollement sa main à travers lui. Continuant son exemple, il se baissa pour prendre une poignée de sable entre ses doigts. S’avançant vers Yukio, il déposa le tout dans la paume.


« Je vais me retourner et tu vas signer un nombre avec tes doigts devant mon clone. »


Sans plus attendre, le rouquin fit volteface et attendit quelques secondes. Estimant avoir assez attendu, il fit disparaitre son clone dans un nuage de fumée blanche.


« Sept. »


Un sourire aux lèvres, le jônin se retourna à nouveau en posant la paume de sa main sur hanche droite. Mieux valait lui faire une petite démonstration pratique avant de lui expliquer la théorie, tout serait bien plus simple ainsi.


« Cette technique a originellement été créée pour l’espionnage. La mémoire des clones revient instantanément au créateur une fois qu’ils sont détruits ou dissipés. C’est très pratique afin de glaner des renseignements sans s’exposer. Bien sûr, ils sont aussi très efficaces au combat, mais tâche de les utiliser avec parcimonie car ils coûtent cher en chakra. »


L’heure de commencer à parler de l’entrainement en lui-même approchait. Ogawa s’avança de quelques pas en cessant progressivement de sourire pour prendre un air plus sérieux.


« Le principe de la technique n’est pas très compliqué. Il faut que tu concentres une importante quantité de chakra dans la création de ton bunshin. Vois le jutsu de base comme un ballon de baudruche vide que tu dois remplir d’eau. Ton chakra sera bien sûr l’eau et le bunshin le ballon. Des questions ? »


Le triumvir était connu pour sa vulgarisation des techniques les plus compliquées. Il s’efforçait de se mettre au niveau des gens, même si dans le cas présent il n’avait certainement pas besoin de faire une telle chose. Yukio était loin d’être un idiot. Certes pas un génie, mais un bourreau de travail à n’en pas douter. De ce que le manchot savait de lui, ils étaient un peu pareils au même âge.   

Le triumvir leva lentement un sourcil à mesure que son homologue lui posait toujours plus de questions. La soif de connaissance du jeune Nozomo était exemplaire, on ne pouvait pas lui retirer cela. Poing toujours contre la hanche, Ogawa sembla réfléchir quelques instants. Il avait bien son idée sur la question, mais n'étant pas lui même doué du pouvoir de perception ninja, il ne voulait pas induire en erreur son jeune élève. Son regard fixant les nuages, il retourna plusieurs fois la chose dans son esprit. Finalement, ses yeux vinrent trouver ceux de Yukio.


« Je ne peux pas t'expliquer la chose de manière précise, mais sache en effet que face à un senseur plus puissant que toi, tu ne seras pas en mesure de te dissimuler parmi tes clones. Je serai cependant bien incapable de te dire s'il verra le transfert de chakra entre tes doubles et toi. En revanche, je sais que tant qu'ils n'auront pas pris de coups, ils ne disparaîtront pas. Ceci étant dit, si toi même venait à être trop sévèrement touché, tu pourrais perdre le contrôle de ton chakra, ce qui causerait également leur perte. »


Il était même tout à fait possible que sous l'effet de certains genjutsu, son énergie étant perturbée, il ne puisse garder ses clones en vie. Toutefois, il n'était pas sûr de ce dernier point et le garda donc pour lui. Sa dernière interrogation était toute aussi pertinente que la première. Ogawa y répondit par un bref sourire.


« À moins que tu sois en mesure de créer cinq dizaine de clones et qu'ils disparaissent tous en même temps, ce qui te causerait un choc, il n'y a rien de notable. Ceci étant dit, en dehors de l'espionnage, le fait que la mémoire se transmette ainsi permet de raccourci de manière significative la durée d'un entraînement. Avec un clone, tu peux considérer diviser le travail par deux. Ceci étant dit, cela demande une immense maîtrise de son chakra et un contrôle parfait du kage bunshin. Je ne te le conseille donc pas dans un premier temps. Moi même, je ne l'utilise ainsi qu'avec une grande parcimonie. »



Une fois les réponses apportées, il ne resta plus à Yukio que débuter son apprentissage. Comme cela était à prévoir, il eut d'abord beaucoup de mal. Son premier clone faisait peine à voir, pour ainsi dire, il ne prit pas véritablement forme. Toutefois, peu à peu, le manchot voyait les progrès lentement effectués par son disciple. Cette technique était technique, certes, mais loin d'être extrêmement difficile à apprendre. En moins de temps qu'il n'en fallait, le Nozomo en viendrait à bout. Après un certain temps, un ersatz de succès pointa le bout de son nez. Pour seule réponse, le triumvir s'avança, détailla le clone, puis le fit prestement disparaître d'un violent coup de poing en plein visage.


« Pas mal, mais tu peux mieux faire. Tu utilises trop d'énergie et elle n'est pas encore convenablement répartie. Ta baudruche était à la fois trop remplie et pas assez en fonction des endroits. »


L'uniformité, voilà ce vers quoi le Nozomo devait tendre. Plutôt que de simplement lui donner la réponse, le manchot préférait lentement l’aiguiller vers ce constat. Il ne tarderait pas à le comprendre, il était de toute façon déjà proche du but. Il n'y avait pas à dire, Yukio était plus talentueux que n'avait pu l'être Ogawa au même âge. Fier de son ami, disciple temporaire et protégé, le triumvir ne pouvait s'empêcher de sourire.